Aucun respect | Ft. Jynn

» Jynn errait près du cimetière. Elle était en quête de tranquillité et de paix, mais surtout de silence. Elle avait besoin d'être plongée dans un endroit complètement muet. Personne pour la déranger, personne pour lui porter la poisse,personne pour contrecarrer ses plans, personne pour l'embêter. Le cimetière était l'endroit idéal pour se ressourcer et entrer en communion avec eux. Sereine, Jynn sauta par-dessus le petit muret après avoir observé le portail sinistre qui dominait le lieu morbide mais paradoxalement si paisible. Elle longea le portail en fer forgé noyé sous la rouille, qui grinça suite à un coup de vent. Arrivée dans l'enceinte du cimetière, une odeur nauséabonde lui parvint jusqu'aux narines ; elle huma cet effluve âcre qui lui brûla les poumons. De la fumée. Du charbon. Rien de bon.

Tandis qu'elle flânait à travers les différentes pierres tombales, elle sa patte avant droite marcha sur quelque chose de dur et d'irrégulier qui lui donna envie de hurler de douleur. Observant son pauvre coussinet endolori, Jynn remarqua que l'objet n'était pas une pierre – ce qu'elle aurait pensé au final – mais ressemblait à tout autre chose. Elle se pencha, renifla l'objet incongru et finit par en déduire que c'était cette chose qui puait. Irritée, Jynn le repoussa du bout de la patte dans un geste qui exprima le plus grand des mépris. Elle reprit sa marche.

Les tombes n'offraient pas grand-chose si ce n'était le silence. Parfait donc. La Reine des Glaces entendit un croassement ; sans doute un de ces oiseaux ébènes machiavéliques qui l'observait. Elle lui offrit son plus beau profil le temps qu'il lui fallait pour bien la reluquer, puis repartit de plus belle entre les sépultures. Jynn ne s'imaginait pas morte, c'était un état qu'elle refusait de connaître et heureusement pour elle, elle était encore jeune. Et à moins d'un accident, elle avait peu de chance de rejoindre tous ces défunts dans les heures à venir.
Tu aurais dû mourir. Une petite voix mesquine lui souffla qu'elle aurait dû périr pour eux lors du sacrifice qui fut avorté quelques années plus tôt. Mais aujourd'hui elle était vivante, la preuve, elle zigzaguait entre les pierres tombales noyées sous la mousse et les champignons. Preuve de sa vitalité. Elle marchait paisiblement jusqu'à rencontrer quelqu'un qu'elle connaissait plutôt bien.

« Bah dis donc, qui vois-je ? »

La clope au bec, Haku du désert flânait dans le cimetière.

» Au milieu des tombes. Au milieu d'une nuit trop chaude et moite pour être supportable. Au milieu d'un brouillard néfaste pour ses orteils divins. Au milieu d'un endroit morbide. Il se retourna. Face à un taré de première qui, désormais, fumait des Malboro et avait abandonné sa lumière. En effet, son appartenance à Ao – une divinité des claniques dont Jynn avait entendu vaguement parlé – avait totalement disparu. Néanmoins la solitaire avait saisi lors de leur première rencontre, qu'Haku du désert était attaché à cette divinité. Pauvrette. Elle haussa un sourcil de princesse et fit comme le crêté ; elle le fixa de ses deux pierres précieuses en guise de yeux.

"Sale con du désert, pour vous servir."

Jynn s'approcha de son compagnon de route en ce lieu pénible et odorant. Un silence poursuivit la conversation quelques instants, tandis que la louve bleutée continuait de marcher vers Haku du désert. C'est après quelques instants muets entre-coupés de brises légères et autre sifflements de vent bruyant, qu'il reprit.

"Alors toi aussi ça te fais kiffer de te balader au milieu des morts ?"

En vérité Jynn manqua exploser de rire, elle ne s'y attendait pas à celle-là mais pourtant elle se contenta d'un léger sourire. En effet, se balader au milieu des cadavres était assez agréable car de 1) ils étaient silencieux, ne parlaient pas et lui foutaient la paix et de 2) cet endroit était paisible et glauque à souhait.

« Ouaip, ils pourraient presque me faire bander si j'en avais la capacité. »

Jynn faisant de l'humour salace ? Attentioooon ! Elle posa son derrière sur un sol mousseux, voire carrément spongieux mais particulièrement frais. Ce qui la réconforta sur sa pensée : le froid était plus intéressant à subir qu'une vulgaire et étouffante chaleur qui faisait sentir mauvais, qui empêchait de se sentir bien dans sa peau et surtout qui s'accrochait aux poils comme une mouche sur une merde fraîchement déposée.

» Toujours embêtée par cette moiteur qui lui donnait des vertiges et lui faisait voir des formes blanches danser devant ses yeux, Jynn suivit son comparse de crinière blanche s'approcher d'une sépulture. Elle ne chercha pas à le questionner là-dessus, après tout il faisait sa vie tout comme elle dirigeait la sienne ; en solitaire et dans le silence le plus froid possible. La Reine des Glaces préféra le laisser se recueillir, peut-être était-il en entretient monotone avec un feu compagnon de route ou pire encore, avec une ex un peu trop collante qu'il aurait – dans ses crises de folie assoiffée de sang – assassinée histoire de se rincer l’œil en guettant la Faucheuse violer la récente défunte.

Les doigts crochus des arbres s'étaient parés d'une épaisse couche de feuillage aux airs chlorophylliennes, mêlés à la nuit, ces branches amaigries par le temps semblaient prendre vie, prêtes à terrasser quiconque viendrait les déranger. Un croassement aigu et peu jovial se fit entendre au loin, brisant l'imposant calme silencieux qui régnait sur le cimetière. Respectueuse, malgré son caractère de princesse haïssable, Jynn patienta que l'attention d'Haku du désert revienne se porter sur elle. Soufflant une mèche rebelle qui s'était incrustée sur son museau, la louve s'approcha d'une pierre tombale et bondit, faisant fi de l'épaisse trace de poussière qui servait d'ornement à la roche rectangulaire. Roche qui devait protéger en son sein un cadavre récent ou âgé, ce qui ajouta davantage de macabre à la situation. Puis finalement, son interlocuteur reprit la parole qui se dirigea directement à elle.

''Que devient ma camarade de cheveux blancs depuis la dernière fois ?''

Jynn, à peine surprise par la question, se contenta de rouler des yeux. En vérité ? Rien de nouveau sous le soleil. Elle n'était pas très sociable ce qui la rendait sans amis et la plus part du temps elle était relativement seule. Seule. Sans attaches. Sans amis. Elle s'était bien sûr entretenue avec V le temps d'une demi-journée, histoire de rattraper les jours perdus à ne plus s'être parlés, mais elle jugea cette information peu utile. Il y avait bien l'arrivée de l'été, mais cela aussi s'avérait être aussi intéressant qu'une course d'escargots aveugles. Il y avait bien eu cette étrange rencontre avec un solitaire cradingue, mais était-ce important ? Elle préféra occire cette idée, tout le monde se fichait pas mal de qui elle rencontrait. Au final...rien de nouveau sous le soleil et c'était plutôt triste de l'admettre mais la vie de Jynn était des plus inintéressante.

« J'ai comme l'impression que les nouvelles sont fructueuses de ton côté. Où est passée ta petite breloque-lampe-torche ? Elle t'allait bien au teint je trouvais, c'est dommage. »

Phrase teintée de sarcasme et d'un peu d'humour, ça ne faisait de mal à personne. Elle s'empressa d'ajouter à sa tirade un haussement de sourcil farceur.

» Mh.

"L'alpha s'est fait les crocs dessus et il l'a cassé. Bien dommage en effet, ça me donnait un côté cool. Maintenant je ressemble juste au loup à moitié mort que je suis.J'ai donc quitté ces petits moutons pour aller vadrouiller seul et je me rend compte que la vie est bien mieux ainsi. Enfin bien mieux, je me comprend, c'est loin d'être la fête quoi. Je ne suis pas heureux. Je me suis installé bien loin de tout, dans l'Erg Ocre et..."

...Et tu y as perdu ton pucelage?
Tandis qu'Haku du désert s'exprimait, Jynn l'écoutait, après tout sa vie était si peu remplie de magie que son seul plaisir résidait dans les paroles d'autrui et honnêtement, vivre par procuration la faisait royalement, indubitablement, expressément, bien chier. Elle fixa le mâle pendant qu'un flot de parole s'échappait des cordes vocales du mâle. La solitaire put constater que lorsqu'il laissa sa dernière phrase en suspens, une légère ombre rosâtre colora les joues du nouveau solitaire, une ombre si peu visible qu'elle crut rêver, mais comme il fixait le sol d'une manière si peu subtil, comme s'il y lançait des lasers, la femelle finit par comprendre : après tout V avait cette même adorable lueur sur les joues lorsqu'il la regardait avec les yeux de l'amour. Néanmoins, afin de ne pas déstabiliser Haku alors qu'il était si bien parti dans sa confidence, elle ne fit qu’acquiescer, le poussant à continuer à s'épancher sur les malheurs de sa triste vie.

Bref. Jynn en déduit également que le fraîchement solitaire n'appréciait pas l'alpha des séides, enfin ça elle l'avait su depuis des lustres mais ça ne faisait que confirmer ce qu'elle savait déjà. Elle se contenta d'un simple hochement de tête afin d'approuver les mots du crêté, elle ne pouvait rien faire d'autre, après tout elle n'avait jamais été contrainte aux règles de ce puceau d'alpha de mes deux.
Brisant le silence paisible, qui, étrangement n'avait rien d’embarrassant, elle laissa libre court à ses pensées.

« Comme tu t'en doutes, j'exige le fin mot de l'histoire dooooonc...je t'en prie, termine ta phrase. »

Un sourire vint ponctuer ses paroles. Un craquement sourd se fit entendre, la nuit ne faisait que commencer...

» Sous le tonnerre qui battait dans les paroles d'Haku, Jynn cru se noyer dans un flot continu d'éclat de rire. Il s'énervait vraiment pour rien, comme s'il refusait d'assumer ses sentiments. Cependant, connaissant un peu le mâle en face d'elle – actuellement avec les nerfs en pelote – elle comprit directement que la gonzesse dont il parlait n'était qu'une façade, il se servait d'elle. Il la manipulait. Il jouait avec cette pauvre louve par pur égoïsme. La solitaire leva les yeux au ciel, désespérée par l'énergumène sanguinaire qui se trouvait devant ses yeux, elle ne fit qu'esquisser un bref sourire qui se dessina à peine en un trait discret sur le bord de ses lèvres. Jynn haussa un sourcil lorsqu'elle perçut la colère flamboyante qui brûlait à l'intérieur de son camarade de beuverie, il s'acharna contre une pauvre tombe qui n'avait pas eu la décence d'être installée quelques mètres plus loin.

Tandis qu'un léger voile de brouillard s'amassait autour d'eux, qu'un croassement désagréable se fit entendre parmi la nuit pauvre en étoile qui s'étendait à perte de vue, le silence retomba.

«  C'est juste une histoire de cul en fait ? »

Pauvrette pensa Jynn lorsqu'elle eut énoncé sa phrase sans le moindre remord. L'amour ne pouvait-il pas tout simplement exister dans leur cœur ? Ne pouvaient-ils pas essayer de trouver l'âme-sœur au lieu de prendre le reste des habitants du monde pur des cons ?
Putain, si les cons devaient peupler le ciel, ce dernier serait noir de monde. Elle s'octroya un grognement en pensée.
Son regard dériva vers la sépulture endommagée qui avait formé le dit brouillard, formant un nuage poussiéreux qui, rien qu'en la regardant, la fit tousser. Jynn toussa mais comme à son habitude, avec une classe qui la caractérisait. Rien, dans ce qu'elle faisait, n'était pas distingué. Bombant le poitrail, elle éternua deux fois de suite avant d'émettre un petit air outré devant son incapacité à évacuer l'air plus discrètement.
Elle brisa le silence comme lorsqu'on casse un vase ultra hors de prix. Dans un fracas assourdissant.

« Ça t'excite de lui faire du mal à cette pauvre cloche ? En tout cas je n'sais pas comment elle est parvenue à tomber amoureuse de toi, c'te pauvr'gosse. »

Entre eux, évidemment, ce genre d'échange n'était que coutume, aucune insulte, c'était juste une banale formalité, après tout ils commençaient à s'habituer à l'autre.