Unknown [Feat. Jynn]

» Cela faisait maintenant plusieurs dizaines de minutes que la belle brune flânait sur le sable poisseux que l'eau salée léchait. Il lui arrivait parfois de s'arrêter pour prendre le temps de contempler le paysage froid qui l'entourait– et quel paysage ! Prenant soin de ne pas s'assoir afin de ne pas salir sa jolie fourrure, Jynn demeura debout, les yeux braqués sur l'horizon. Cet horizon si lointain qui paraissait s'enfuir dès que l'on s'en approchait, qui menait un voyage infini que seul l'horizon pouvait connaître, un secret que personne, pas même un super-héros, pouvait apprivoiser.
Alors Jynn regardait, tentait de se fondre dans ce paysage désolé si terne pour une île. Elle roula des hanches, s'éloigna de la mer mourant sur les milliards de grains de sable. Et elle s'éloigna, entamant elle aussi un voyage qui serait le sien, qu'elle seule pourrait connaître et qui, finalement, disparaîtrait avec elle.

La solitaire jeta un dernier regard derrière elle et s'avança en profondeur de l'île fantôme, où déjà une légère brume qui emprisonna les pattes. Elle siffla, elle n'aimait pas cette sensation d'enfermement, après tout si elle chérissait sa vie de solitaire désormais c'était en partie grâce à sa liberté. Putain de brume ! Putain de froid !
La Glace continua sa route calmement mais sûrement. Une brise frémit sur son corps voluptueux, elle prit un instant pour savourer ce doux moment avant de continuer sa vocation : être une peste.

A ses yeux, l'eau était trop sombre et profonde, une prison sublime. L'air trop froid, qu'il faisait suffoquer. Le sable trop humide, ses orteils semblaient englués dans de l'argile. Le vent trop salin, son poil ne survivrait pas à une nouvelle attaque de reflux salé. Et cette maudite brume qui lui engloutissait la vue ! Une vraie plaie. Ainsi paralysée, Jynn avançait avec un peu plus de difficulté. Elle ragea intérieurement mais se mit finalement en marche, après tout il fallait bien qu'elle fasse autre chose que se plaindre ou admirer le paysage.

Et c'est en continuant son petit bonhomme de chemin que la belle au cœur de givre repéra au loin sa prochaine proie. La prochaine victime de son infamie, du poison de cette langue de vipère. La Peste s'approcha tout en finesse, jouant de ses charmes pour parvenir à ses fins.
En effet, elle avait repéré un pauvre abruti furetant et se parlant à lui-même. Ouais… d'accord… faisons comme si c'était tout à fait normal et pas du tout flippant.
Au fur et à mesure que ses pas la menaient à lui, elle remarqua plusieurs choses :
C'était un mâle arborant un glowstick. Vermine ! Chien-chien soumis ! Un pauvre con sans force qui utilise un pendentif pour être plus fort ! Pauvre daube sur pattes ! Pauvr'tâche!
Plaquant un sourire Colgate des plus factices sur son visage, la belle se faufila jusqu'à lui.
Elle l'interpella de sa voix la plus douce et mielleuse. Il n'y résisterait pas, sale faible.

  « Salut, p'tite bite ! »

Elle lui fit un clin d’œil charmeur – après tout c'était un couillon, il devait réfléchir avec ses pulsions et pas avec son cerveau, si jamais Hannibal ne lui avait pas déjà dévoré.

» Il la remarqua et bien sûr la reluqua, assez discrètement cependant, comme chaque personne ferait naturellement. Analyser son interlocuteur, voilà ce que tout le monde aimait faire. Combat de coq futile.

« Tu veux la sucer peut-être, salle chaudasse? »
Oh merveille, encore un péteux prétentieux se pensant supérieur au reste du monde. Bon eh bien, parfait. Jynn haussa ce qui ressemblait le plus à un sourcil et se retint de partir dans un fou rire.
Échec cuisant.
Son rire tonitruant mais tout à la fois des plus charmants – une fille est douce, une fille ne fait pas caca, une fille fait tout gentiment et en brillant, blablabla – résonna dans l'air. Quelques mouettes firent entendre leur mécontentement.
Après coup, quelques mèches d'ébène voletèrent et d'un coup de tête calculé, la louve les replaça. L'Île était froide et visiblement ses membres semblaient l'être davantage. Les deux lupins s'affrontèrent du regard. A ce stade, Jynn en aurait rapidement assez. Elle poussa un profond soupir. Visiblement l'étape du léchage de botte était déjà terminée.
Elle lui adressa un regard à peine voilé par ses longs cils de princesse et rétorqua avec frénésie de sa voix la plus hautaine et malveillante.

« Écoute chéri, t'es bien mignon mais j'ai été assez polie pour te saluer, tu seras prier d'en faire de même. C'est quoi ton problème ? T'as été abandonné à la naissance ? T'es un gamin torturé, on t'a jamais appris à être poli ? C'est quoi ? T'es un gosse frustré ? T'es vierge peut-être ? Ça te titille là-dessous ? »

Elle lorgna vers le milieu pour lui signifier qu'elle parlait de son entre-jambe, d'ailleurs le sujet de la discussion actuelle. Très malin, vraiment. Crache ton venin Jynn afficha de nouveau son joli sourire mais dorénavant aucune once de sympathie ou d'honnêteté ne s'y trouvait, seul un voile machiavélique s'y dessinait, contrastant totalement avec l'allure féminine et douce de sa porteuse. Jynn pencha sa tête sur le côté, d'un air de questionnement et renforça son sourire.
Vianney disait qu'il fallait toujours faire bonne figure devant l'ennemi.
Jynn remarqua alors qu'il arborait sur la patte postérieure droite un symbole d'équilibre. Le yin et le yang. S'il avait un truc pareil sur lui, n'était-il pas sensé être sage et se la jouer Senseï ? Non bien évidemment ! Au lieu de ça elle tombait sur le premier fils de chien répertorié dans les parages. Elle ne connaissait même pas son nom qu'elle émettait déjà des réserves à son sujet.

» Le museau de Jynn fit cet adorable retroussement aborder dans les livres. Ce petit air désemparé, surpris mais pour autant charmant. Jynn avait un peu sur-réagi quant à sa réplique, certes. Mais il se devait de lui dire bonjour, ce minable nain sur pattes aux paluches blanches. Elle s'ébroua avec un minimum d'élégance en l'écoutant lui répondre de la manière la moins condescendante possible. Il ne cherchait peut-être pas à la blesser, il avait juste l'air de se foutre de la gueule du monde. Comment faire du mal à quelqu'un qui a perdu le goût de toute chose? Elle lui lança un regard désapprobateur, et, alors qu'elle allait rétorquer par une pique violente, il lui coupa le sifflet avant qu'elle ne puisse l'ouvrir.


"T'en fais pas, je suis comme ça avec tous le monde.Mais on va pas se mentir, t'es quand même bonne et si t'avais été moins conne je t'aurai bien sautée. "

Ok. Donc monsieur avait tout simplement un sérieux problème de communication. Tel un lâche, le petit péteux commença à prendre la fuite de cet air blasé qui semblait le caractériser.
Observant la queue de son interlocuteur loquace se balancer sans agitation, Jynn trottina à sa suite. Après tout elle était là, elle n'avait rien à faire de sa journée, elle ne savait pas où traîner, alors autant taper la discute avec un casse-bonbon de première.

La Glace se demandait comment faisait-il pour vivre avec ces abrutis de loups de clan alors qu'il avait un tempérament si calme, voire carrément éteint. La vie était-elle si laide à vivre ? Jynn avait été kidnappée. Manquée d'être exécutée. Sa vie était constamment sur le fil du rasoir. A tout moment ils pouvaient la retrouver et lui infliger les pires supplices. Elle restait tout de même la vierge que leur dieu avait choisi pour le sacrifice. Cette sombre pensée lui rongeait l'esprit, et si jamais sa vie se terminait en bain de sang, pataugeant dans sa propre essence, se noyant dans son propre jus ? Jynn arriva à peu près à la hauteur du bougre brun mais resta suffisamment en retrait pour ne pas hyper-ventiler. Elle ne prit pas la peine de le remercier, elle se contenta d'un léger hochement de tête.

  « Tu m'emmerdes. Je vais pas pouvoir te briser parce que visiblement toute forme d'ego t'a quitté.  »

Elle se fustigea intérieurement. Pourquoi se montrait-elle clémente ? Elle devait persévérer. La Peste n'abandonnerait pas en si bon chemin. Elle n'avait aucun droit à se résigner comme ça.
Parfois, sans la moindre discrétion, elle lui jetait des regards pour le détailler, essayer d'apercevoir sous sa carcasse ses faiblesses, sur son visage la trace d'émotion, mais il ressemblait juste à un automate que son créateur aurait abandonné en libre service. Avec un pendentif de tarlouze bleuâtre accroché autour du cou.

» Il avait l'air de la prendre pour une salope qui se tapait tout ce qui avait des bourses.
Jynn roula des yeux.
Elle était tout le contraire.
Jynn roula de nouveau des yeux.
Ça y est, il se sentait gagner par un élan de supériorité, il lui faisait la morale, lui prouvait qu'il était le plus fort et que personne ne pouvait l'atteindre. Cool. Elle leva les yeux au ciel pour la forme. Il s'expliqua sur sa nature de séide. Soit disant il ne l'était que pour conserver son glowstick, son pouvoir de petite frappe.
La louve continuait d'avancer aux côtés du lupin aux cheveux similaire aux siens en été. D'ailleurs, sa crinière ne tarderait pas à s'enflammer pour devenir aussi belle que les cheveux d'un ange. Elle aimait l'été car cela lui donnait un air angélique et reflétait sa némésis, ce qu'elle aurait pu être si elle n'avait pas été kidnappée, si son caractère ne s'était pas transformé en harpie. Si, au fond, elle avait été gentille.

Comme il s'était arrêté afin d'énoncer son nom d'une voix grave mais monotone, avait plongé son regard de glace dans le pourpre de la louvette, elle le dépassa. Elle ne s'était pas arrêtée pour si peu, au final, elle s'en fichait pas mal.
Dos à lui, elle lui jeta à la dérobée son nom.

« Jynn. »

Et seulement Jynn. Pas de « Jynn La Bonnasse. » « Jynn la Garce. » « Jynn la beauté des Glaces » « Jynn aime les fajitas ». Et blablabla Juste Jynn. Et ça suffisait amplement.
Tandis qu'elle continuait sa route, elle ralentit le pas afin de s'assurer qu'il l'entende toujours lorsqu'elle le questionna.

« Être dans un clan, ça n'a pas l'air de te faire bander, pourquoi ne pas simplement t'en aller ? »

Il avait l'air différent des autres membres de clan. Moins niais. Moins cucul la praline. Moins fleur bleue et moins in love de l'univers. En bref, il était chiant à mourir mais au moins, il lui faisait un peu de compagnie dans ce triste paysage.
En effet, l'Île était tout sauf attrayante, elle était tout le contraire du romantisme. On aurait juste dit un tas de sable frais qu'une étendue salée léchait pour ne pas qu'il s'assèche et devienne aussi pathétique que ce triste monde. Au centre se trouvait quelques palmiers décharnés, jaunis et rabougris, pas très Miami tout ça. Elle bougonna en elle-même et demeura silencieuse en attendant qu'il la rattrape. Peut-être lui montrerait-il le chemin vers un endroit plus intéressant. Après tout elle venait d'arriver sur le continent, elle ne connaissait pas grand-chose. Cela ne faisait pas longtemps qu'elle et son fidèle acolyte de toujours étaient arrivés sur Punk Wolf.

» Quel naïf. C'était à peu près tout ce que pensait Jynn lorsqu'il lui raconta les déboires des Séides. Mec, juste assume d'être un lâche qui ne sait pas vivre sans un entourage, sans la sécurité d'une famille. Jynn le savait que ses chances de survie sur Terre étaient minces en étant solitaire alors qu'en appartenant à un clan, elle était à peu près sûre de parvenir à ses fins néanmoins être sous les ordres de couilles molles sans cervelle, c'était loin d'être sa tasse de thé. Après l'avoir écouté déblatérer ses absurdités, Jynn continua la conversation.
Il voulait un renversement de la hiérarchie ? Du mouvement parmi ces petits chien-chiens obéissant ? Il voulait une effusion de sang ? Un coup d’État ? Pourquoi ne se bougeait-il pas le cul pour le faire lui-même ? Encore un de ces pseudo-révolutionnaires prônant une société différente et idéaliste de l'actualité sans qu'il n'y fasse de changement par ses propres moyens. S'il voulait du changement, c'était tout à son honneur de provoquer ce change.

« Tue les nouveaux alphas et change les choses au lieu de te plaindre. »

Son ton n'était aucunement pas acerbe, ça ne restait qu'une simple constatation. Après tout, pourquoi critiquer si au final il restait les bras croisés ? Sa dernière phrase mêla davantage de mystère au personnage qu'incarnait cet Haku du désert. Jynn se fichait pas mal des raisons obscures du mâle, s'il aimait qu'on lui dicte la conduite à tenir au sein d'un groupe, alors tant mieux pour lui mais la Glace n'était pas de ce bord là. Rien que les prénoms des nouveaux alphas décrédibilisaient la meute et la hiérarchie. Pourquoi s'entêter à suivre des ordres, Haku du désert , si tu es malheureux ?

Jynn marchait plutôt lentement par rapport son allure habituelle mais cela lui convenait ; elle n'était plus dans l'optique de détruire la vie de ce pauvre bougre mais juste de vivre sa journée. Ses oreilles pivotèrent lorsqu'elles captèrent l'étrange cri d'une mouette dans le lointain. Ces créatures, en plus d'être passablement agréables à regarder, étaient bruyantes avec une voix de crécelle assez insupportable. Elle hocha la tête de droite à gauche plusieurs fois, signe de désapprobation. Un autre bruit se fit entendre, un étrange couinement, tout aussi désagréable à entendre que le vil cri de l'oiseau blanc. Jynn resserra discrètement sa prise dans le sable, de plus en plus agacée par les bruits de son environnement. Cependant, si dans son esprit tout tait emmêlé, elle n'en laissait rien paraître à l'extérieur. Comme à son habitude elle demeurait impassible, affichant une mine froide et dure sans pour autant faire la gueule. Expression assez indescriptible, sa bouche un peu pincée.

» Jynn fut carrément surprise. Ce type avait un véritable problème dans sa tête, devait y avoir un gros blocage dans sa caboche ébouriffée.
Mais qui était-elle pour juger ? Certains esprits étaient plus faibles que d'autres. Si elle était parvenue à surmonter toutes les dures épreuves de sa courte vie, d'autres n'avaient pas eu cette chance. Trop bêtes. Ou visiblement, trop faibles, dans le cas d'Haku du désert.
Et soudain, tandis qu'il parlait sauvagement de faire couler le sang parce que ça le faisait cruellement bander, il se mit à péter un plomb.
Euh.
Ok.
Soit ce type avait la Tourette, soit il avait une case en moins. Et malheureusement pour Jynn, il semblait avoir la seconde option.
Oh putain.
Et il redevint impassible. Comme si ne rien n'était. Comme si tout allait comme sur des roulettes.
Ouais, d'accord. Elle haussa un sourcil et roula des yeux, ne pas chercher à comprendre, ne surtout pas chercher à comprendre...
Alors elle acquiesça bien sagement aux dires du mâles, après tout elle ne s'intéressait guère plus que ça aux histoires des clans. Elle ne les aimait pas, le reste elle s'en battait royalement les ovaires.

  « Ok. Bon. Mhh… à quoi il te sert… ? 

Elle ne ressentait pas la moindre trace de peur vis-à-vis d'Haku du désert, au contraire, cela lui permettait d'être un peu moins garce et de reposer son merveilleux esprit de Peste. Elle fixa le glowstick du mâle avant de préciser sa requête, peut-être n'avait-il pas comprit de quoi elle parlait.

...le glowstick, je veux dire… C'est quoi ton pouvoir ? »

Fallait bien que ces objets soient utiles, non ? Elle avait entendu dire qu'ils recelaient bien des mystères. Et Jynn était plutôt du genre curieux. Que cachait-il ? Elle était presque sûre qu'elle ne risquait rien face à lui, mais sait-on jamais si ce truc renferme un pouvoir démentiel, alors elle était foutue. Elle ne tint pas compte du comportement du séide, s'il était taré c'était son problème, pas le sien.

» Il avait pété un plomb.
Il avait reprit sa marche.
Et…
Et il s'arrêta, comme ça, pouf.
Jynn se stoppa quelques pas plus loin devant et se retourna vers son compagnon de l'ennui d'un jour. Il paraissait résigné à faire quelque chose, utilisait-il son pouvoir ? Et là d'un coup, ses yeux devinrent luminescents, comme un saphir qui brille de mille feux. C'était assez surprenant et joli à voir, surtout lorsque le pendentif magique d'Haku du désert se mit également à briller comme une putain de boule de disco. Peu ébahie pour autant, Jynn observa la scène avec entrain. C'était plutôt cool mais peu discret de s'illuminer ainsi.
Et Haku du désert était concentré. Intéressant.
Il fixait une pierre de taille moyenne et elle se mit à étinceler comme une pierre précieuse.
Et elle décolla.
Ça c'est plutôt cool.
Jynn haussa un sourcil, intriguée par le phénomène.
Le petit rocher se mouva jusqu'à la femelle et retomba au sol délicatement, comme une plume dans le vent. Jynn avait observa sa course du point A jusqu'au point B et reposa son regard d'améthyste jusqu'à son interlocuteur. C'était donc un télékinésiste. Pourquoi pas après tout ? Jynn apprécia ce pouvoir pour le moins original ; ouais parce que bon ça courait un peu les rues comme truc mais c'était sympa.
Une esquisse de sourire se dessina sur les lèvres de la femelle.

« Intéressant. » souffla-t-elle en direction du mâle aux crins blanchâtres.
Puis elle se retourna et, sans demander son reste, reprit sa route en roulant (in)volontairement du fessier. Parce qu'après tout, elle avait eu sa réponse, pourquoi s'attarder sur la suite ?

» Haku du désert rattrapa en seulement quelques foulées rapides la femelle. Elle le dévisagea à peine deux secondes et continua son chemin. Ce silence qui régnait l’apaisait, ça lui changeait de ses rencontres habituelles. Elle aimait ce motus et bouche cousu qui s'imprégnait de façon quasi automatique entre eux, comme si leurs cerveaux savaient qu'à un moment donné, ils devaient la fermer. Jynn savoura ces quelques instants de paix. Lorsqu'il reprit, elle cligna plusieurs fois des yeux, tandis qu'elle s'était imprégnée de la douceur du moment, lui s'était rapproché.

 "Tu voyages seule ? Tu viens d'où ?"

L'envie de répondre par un sarcasme lui traversa l'esprit. De l'utérus de ma mère, trouduc. Du sperm de mon père. J'ai gagné la course à l'ovule bébé. J'viens de loin. Planète Mars?
Elle inspira un bon coup. En vérité elle ne savait pas d'où elle venait. Ses maigres souvenirs lui rappelaient juste une jeunesse heureuse mais monotone, pleine d'amour et de tendresse. Jusqu'au jour où tout avait basculé. Vianney était venu la chercher pour la sacrifier auprès d'Eux et tout était devenu si sombre, si violent et si lugubre. Sa vie s'était obscurcie, son innocence avait été éradiquée, sa joie de vivre complètement supprimée. La gentille Jynn avait disparu de son esprit, de sa vie. Elle avait rouvert les yeux sous une nouvelle personnalité. Elle s'était métamorphosée en une gangrène insupportable mais surtout insaisissable.
Ils ne l'avaient pas tué.
Ils n'avaient pas réussi.
Vianney avait eu pitié d'elle. Il en était tombé amoureux.
Du moins c'était ce qu'il lui affirmait, elle n'en croyait pas un traître mot. Comment aurait-il pu ? Il était son ami et son mentor. Son ravisseur et son sauveur.

Alors Jynn se figea et observa d'un nouvel œil Haku du désert. Elle pencha sa tête sur le côté, braquant son intense regard dans les yeux du mâle.

« Aujourd'hui je suis seule. »

Inspiration.
Expiration.
Silence.

« Je viens de très loin, mais d'où ? Je ne sais pas. Et toi ? »

Et ses pas se remirent en marche.

» Haku du désert était plutôt bizarre comme personnage. Mais il avait de l'intérêt, c'était déjà ça. Cependant il semblait torturé.

"C'est à peu près pareil pour moi. Tout ce que je sais c'est que la vie a toujours fait sa pute avec moi. Et voilà où j'en suis maintenant..."

Jynn haussa les sourcils d'étonnement. Ouais. Haku du désert était un gars torturé et visiblement malheureux, tristounet et… pas dans son assiette.
Quel dommage. Tant pis.
La louve le suivit lorsqu'il reprit sa marche, un nouveau silence marqua le temps. Qu'avait-elle à répondre tout ce charabia ? Elle n'était pas du genre à compatir ni à pleurer sur la peine des autres, elle n'avait ni compassion ni pitié, elle s'en foutait mais paradoxalement, ça lui plaisait de ne pas être seule dans son malheur.
Sauf que non.
Jynn n'était pas malheureuse, triste ou dans un sentiment morose. En fait elle allait plutôt bien, tout roulait comme sur des roulettes dans sa petite vie de solitaire. Elle vivait au jour le jour, subvenait à ses besoins, n'avait pas d'amis mais le vivait bien, en fait aucun problème ne se profilait à l'horizon. Elle était froide comme la glace et belle comme la neige tout et ça lui convenait. Elle n'avait pas vraiment souffert, hormis lorsqu'elle apprenait à se battre contre son fidèle compagnon Vianney. Mais après quelques semaines et mois de souffrances, elle avait désormais les moyens de se défendre contre n'importe qui.
Notamment contre Haku du désert.
Elle reprit, tuant le silence pesant.

« Pauvrette... »

Une fine brise balaya sa crinière qui devenait de plus en plus blanche au fur et à mesure que l'été venait. Elle n'avait jamais compris ce phénomène de décoloration naturelle mais ça la rendait encore plus spéciale – davantage qu'elle ne l'était déjà, attention – .
Et elle commençait à s'ennuyer, vite, il fallait faire quelque chose. En vérité elle appréciait la compagnie lugubre d'Haku du désert. Il était étrange tout en étant normal – si les événements de sa vie l'avaient marqué, c'était normal qu'il n'en ressorte pas tout à fait indemne.

» Parce qu'on aurait dit deux pauvres abrutis en pleine déprime, le duo fonctionnait bien. Jynn n'appréciait pas Haku. Elle tolérait sa présence, il était étrange, différent.
Malheureux.
Depuis son entraînement et jusqu'à son arrivée sur les terres punk wolfienne, la femelle avait rencontré des tas de personnalités différentes. Personnalités qu'elle avait souvent pris plaisir à briser, à détruire, à réduire en cendre.
Ces personnes qui s'étaient retrouvées sur le chemin ont pour le quart décidé que la vie ne valait pas la peine d'être vécue. Pauvres gosses nés avec une cuiller en argent entre les crocs. Alors Jynn les avait poussé, les avait conseillé, c'est vrai que tu n'as jamais eu d'amant, à ton âge… peut-être que tu es inutile aux yeux des mâles que tu croises, je ne pense pas que ce soit la faute de ton physique voire même d'un trait de caractère particulier, non, ils ne t'aiment juste pas, tu n'apportes rien, tu n'illumines rien dans la vie de ceux qui t'entourent… tu ne les mérites pas… tu es trop divergente, tu ne peux pas plaire, mais c'est pourtant bien de sortir des sentiers battus… saute, oui saute, regarde la jolie falaise, ceux qui t'aiment te pleureront, ne t'inquiètes pas, tu ne mérites que ça, c'est pour ton bien et le nôtre je t'assure, fais-le, ça ne fait pas mal, allez… Jynn leur avait montré la réalité du monde, la méchanceté des uns et des autres, ces fils de pute qui se croient mieux que les autres, qui sont si certains d'eux qu'ils s'installent sur un piédestal, ils se grandissent.
Et Jynn exécrait ça mais malheureusement c'était la réalité de la vie.
Au fond, elle ne faisait qu'aider son prochain.
Gentille fifille.

"Je ne me plains pas Cette maladie que j'ai développé m'a plutôt ouvert les yeux. J'ai découvert ce qu'est réellement ce monde."

Alors elle se tourna vers lui, attendant qu'il développe ses paroles, qu'il approfondisse son raisonnement. Une maladie ? Vraiment ? Étrange. Tandis qu'il avait attisé sa curiosité, Jynn voulut en savoir davantage sur cette sombre histoire qui entourait Haku du désert.
Après tout ils avaient du temps à perdre.
Après tout ils étaient seuls, personne ne pouvait déranger, personne ne pouvait les trahir, révéler leurs lugubres secrets.

« Développe. »

Et elle continua à marcher, sans se soucier de la tempête qui se profilait à l'horizon, annonçant un terrible orage.
Mais Jynn se moquait de tout cela.
Elle resta impassible. Ses expressions figées dans de la glace. Dans un visage somptueux, une prison de givre. Des barreaux dorés.

» Jynn ne s'intéressait pas à proprement parler du cas d'Haku du désert, après tout elle avait voulu lui faire du mal, mais elle était curieuse d'en apprendre davantage. Et surtout il permettait de combler les murs. Au moins il se souvenait d'avoir été différent. Au moins il avait une excuse pour être devenu un vrai fils de pute.

"Si tu m'avais vu avant tu m'aurais pris pour un con : j'étais un espèce de joyeux luron qui riait tous le temps, qui faisait des trucs de gosse et qui trouvait ça drôle. Je faisais pitié tu imagine même pas le truc. Et puis un jour la vie m'a foutu une grosse claque en me refilant cet hiver une maladie mentale qui me fait "péter des plombs" à certains moment.
Cette maladie m'a également montré que la vie c'est de la merde.
C'est depuis ce jour que j'ai compris que le monde entier avait de la merde dans les yeux et de la semoule dans le crâne. Et c'est aussi depuis ce jour que j'ai des envies meurtrières, par-ci par là."

Jynn trouvait qu'il se confiait beaucoup pour quelqu'un de méfiant. En tout cas il ne semblait n'avoir aucun complexe et n'avait cure du regard des autres, ce qui était plutôt positif quand on avait un problème comme le sien.

De son côté, Jynn était tout à fait normale. Elle prit quelques secondes pour imaginer le loup face à elle avec quelques années et quelques idées noires en moins. Elle se surprit à esquisser un sourire, sa vie aurait-elle été tout aussi rose si elle n'avait pas été kidnappée ? Aurait-elle été une jeune louvette pleine d'entrain, joyeuse et aimante ?
Elle siffla. Non, elle n'était pas du tout faite pour le bonheur et la joie.
Ils continuèrent leur marche vers l'au-delà, leurs pas s'engouffrant dans le sable grisonnant, froid et encore humide des premières vagues.

« Quelle grosse claque ? »

Après tout elle lui avait quand même demandé de développer, pas de rester mystérieux et de taire quelques secrets ! Il meublait le silence, il racontait sa pauvre et pathétique existence.
Cela la rassurait un peu, lui prouvait qu'elle n'était pas seule dont l'ennui ravageait sa vie, elle s'ébouriffa et se retint d'éternuer. Un vent glacé la transperça de part en part, soulevant sa belle crinière désormais blanche comme la neige en hiver.
Un frisson la parcourut.

» Haku du désert se fit de plus en plus bavard, un torrent de paroles se déversa de sa bouche, une fois lancée, le bestiau ne s'arrêtait plus, wow. Pertubant. Jynn resta silencieuse, l'écoutant vomir son sac de souffrance.

"Hmm je sais pas, peut-être le fait que le jour où j'ai choppé cette maladie j'ai eut l'impression que mon cerveau se faisait découper et que toute forme de joie de vivre m'a immédiatement quittée. Bon et sinon toi c'est quoi ton histoire ? C'est pas que ça me fait chier de sortir des tirades comme ça depuis tout à l'heure mais bon chacun son tour... Et puis je doute que tu sois sortie de la chatte à ta mère comme ça, t'as forcément eus de la merde dans ta vie aussi, je me trompe ?"

La vulgarité du mâle la fit s'étrangler de rire. Sa dernière phrase la prit de surprise, elle ne s'attendait pas à une pareille expression. Nonobstant Jynn reprit la situation en main et reprit ses esprits. Paisible et calme, son visage redevint impassible, soulignant néanmoins la cruelle et infâme beauté de ses traits. En revanche, il lui demandait d'étaler sa vie aux yeux et au su de tous. Mais après tout, qui pouvait bien en avoir quelque chose à foutre de tout ça ? Ils discutaient sans s'étriper ni entre-dévorer les entrailles, elle n'avait rien à craindre. Elle n'était plus là pour détruire une âme en peine, elle était là pour vivre tout simplement sa journée, survivre aux saisons, aux années qui vont s'étendre devant elle. Elle n'avait qu'à vivre au jour le jour et tout irait bien.
Elle ferma les yeux à peine cinq secondes et cligna lentement des paupières, le soleil lui brûlait la rétine, la forçant à abaisser le regard. Ses cils voilèrent ses yeux de princesse et elle ouvrit la bouche. Une certaine nostalgie pouvait s'entendre dans le timbre de sa voix, d'une douceur qu'elle n'aurait pu pouvoir imiter.

« Mes parents m'aimaient. Je veux dire, ils m'aimaient vraiment. Moi aussi je les aimais. Du moins c'est ce dont je me souviens. Le souvenir d'une petite famille heureuse. Puis un jour tout à basculé. Il m'a enlevé aux miens pour accomplir une ignoble mission qui échoua, il apprit à m'apprécier, et réciproquement. Il m'éleva et fit de moi ce que je suis aujourd'hui. On est fidèles l'un à l'autre, lui et moi. »

Lorsqu'elle parlait de Vianney, son cœur se serrait, il était son plus proche ami, son seul véritable ami en vérité. Ils s'aimaient d'une façon indescriptible. Pas d'amour, mais d'une amitié que nul ne pouvait briser. Jynn était atteinte d'une forme modifiée du syndrome de Stockholm, elle le savait mais bordel, qu'est-ce qu'elle s'en battait les steaks !

Au loin, les nuages ténébreux se retirèrent, laissant les rayons lumineux de Râ les transpercer de leurs flammes, de leur pouvoir incandescent. De leur Suprême grandeur inatteignable. Jynn observa quelques instants le ciel, oubliant presque le loup qui se trouvait à ses côtés, qui devait, maintenant, ruminer sur les derniers mots de la louve bleue. Des reflets argentés se peignirent sur la crinière de la Glace, le noir corbeau avait complètement disparu, pour seulement apparaître blanc et pur. Vierge de toute horreur.