It’s Dangerous to go Alone - prio Légion

Il était
vivant.
Il était vivant.
Mais il avait faim.

C'est donc les pattes grossièrement envelopées dans des bandages et l'air inquiet qu'Abélard se décida enfin à quitter le Palais et pour aller chercher à manger.
Il avait passé ces dernières lunes à raser les murs, ne vivant que dans la crainte d'être contaminé à son tour. Il rechignait à voir même Esterno qui était trop souvent à son goût en contact avec les malades. Et puis la meute s'était vidée : certains étaient partis chez les Séides et les autres n'étaient que des ombres tristes.
Lui s'était carrément terré au Palais.
La maladie, les malades le répugnaient. Il ne voulait pas être en contact avec eux.
Il ne voulait pas se transformer en monstre.
Il ne voulait pas mourir.

Mais une toute petite flamme d'espoir existait quand même. Ils avaient découverts que la Corruption avait peut-être un coeur et ils étaient partis le chercher pour le trouver, pour le détruire.
Le loup blanc avait lui des préocupations plus réalistes : trouver à manger. Ailleurs. Mais pour l'instant il n'avait pas vu âme qui vive. Pas de proies donc.
Et doux Jésus il mourrait de faim.
Si il parvenait à trouver un endroit sain, il était certain que les proies s'y seraient réfugié. Et après avoir quitté les terres Brethens, il était soulagé de constater qu'Everbloom semblait perdre de son emprise. Les criques du soleil étaient épargnées.
Tous ces longs jours de marches n'auraient pas été vains !

Abélard accéléra l'allure lorsqu'elles furent en vue, soudain galvanisé par l'espoir.

Mais une forme noire attira son attention. Et elle ne lui était pas inconnue, alors poussé par la curiosité il se rapprocha.
Il lui semblait que ça remontait à si loin .. Le drôle de loup au poil ras et aux babines apparentes qu'il avait suivi avant de totalement paniquer.
Eh bien la curiosité l'incitait à se rapprocher encore une fois, sans aucune forme de prudence.

Humm.. Eh! Vous êtes reven..

Mais il s'arrêta net dans son élan vers l'autre. Ce n'était pas le même que la dernière fois. Abélard fixait ses iris noirs un peu hébété et replia sa queue vers elle même, prêt à la fuite sans même s'en rendre compte.

Oh désolé. Je vous ai confondu avec quelqu'un d'autre. marmonna en se balançant d'une patte sur l'autre.

Il éprouvait le même malaise en le voyant lui, qu'en ayant vu l'autre.
Les cicatrices, l'air patibulaire et ces putains d'yeux noirs.

Par delà les monts et les plaines, les jungles luxuriantes, les déserts, qu'ils soient de terre brulée ou de glace, Légion cherchait.

A croire que c'était l'histoire de sa vie. Que c'était son destin.
Il avait après tout toujours cherché la reconnaissance et l'estime de ses pairs, ou au moins leur acceptation. Aujourd'hui encore il cherchait son problème, celui-là même qui le coupait des autres. Oh certes il le devinait aisément dans son concept. Mais à tout problème il y avait bien solution, non ? En dehors de l'abstraction théorique, il devait bien se trouver un fait quelque part. Un point tangible, une barrière qu'il aurait pu rompre. Un obstacle ultime à outrepasser pour enfin voir le monde avec les yeux des autres.
Outre cela, eh bien, l'acceptation passait par l'accomplissement de sa mission. Ce qui justifiait sa présence ici, car en cet instant précis, ce qu'il cherchait était très concret, ce qu'il cherchait avait même un nom : Justice.

Justice qui se cachait remarquablement bien. Justice dont il peinait à trouver la trace. Justice, qu'il ne cesserait de traquer pour rien au monde, quitte à y laisser sa peau.
Ca aurait pu être pas mal, à bien y réfléchir. Claquer bêtement, prématurément, sans avertissement préalable. Le sol qui se dérobe sous ses pattes, un ravin inattendu, la chute, l'abîme. Celle-là il s'y serait fait sans problème : il pataugeait déjà à moitié dedans depuis son premier souffle ; abîme qui emplissait son coeur incapable de tout sentiment, abîme de sa compréhension d'autrui, abîme de tout bon sentiment de ce même autrui à son égard, abîme de sens à son existence, qu'il tentait de pallier par cette quête d'intégration à une société dont il ne comprenait ni les codes, ni les aspirations. Abîme jusqu'au noir qui emplissait ses yeux.
Abîme de sens.
Au final la mort aurait peut-être été la seule qu'il ait accueilli à bras ouverts. Pas de tourment dans le repos éternel. Juste le vide dans son essence la plus pure.
Rien.

Rien, pas la moindre trace, pas le même indice. A croire que sa cible avait disparu depuis longtemps. Etait-il mort, lui ? Décédé des suites de ses blessures, probablement pas. Mais affaibli, certainement. Happé par l'Everbloom ou quelque autochtone aux intentions néfastes, ou au désir de survie trop appuyé. Voilà qui l'aurait bien embêté. Rentrer bredouille n'était pas une option. Mais si Justice était mort, il n'aurait rien à ramener à la maison, si ce n'est ses os peut-être, et encore aurait-il fallu les trouver.
Un vent glacial balayait la plage, et lorsque les bourrasques étaient particulièrement violentes, il enfonçait son nez dans son épais col de fourrure. Légion n'était pas habitué aux saisons, et surtout pas fait pour les saisons froides. En sa qualité de guerrier accompli, il subissait sans broncher et continuait d'avancer. Mais avec son poil ras et sans la moindre parcelle de graisse, il souffrait quand même. Il essayait juste de rester concentré pour ne pas trop y penser.

— Humm.. Eh! Vous êtes reven..

A trop se concentrer sur Justice, il en oubliait les autres.
Faisant volte-face, Légion découvrit un loup blanc à la longue crinière. Et à l'air visiblement surpris, comme s'il s'était attendu à trouver quelqu'un d'autre.
Son sang ne fit qu'un tour.

— Oh désolé. Je vous ai confondu avec quelqu'un d'autre.

Justice.
Il ne fut alors plus question de froid mordant, de faim, des autres. Il n'y eut plus d'espace ni de temps. C'était la première piste sur laquelle il tombait depuis des mois.

— Etait-ce un mâle à l'apparence semblable à la mienne, présentant d'importantes cicatrices à l'antérieur droit ? demanda-t-il, faisant fi de toute politesse — celle-là non plus il ne l'avait jamais vraiment bien comprise.

Il désigna sa propre patte pour illustrer ses propos.
Il n'était alors plus question de tâtonner dans le vide. Légion avait finalement trouvé un os à ronger, et il ne comptait pas le lâcher.

Il hocha la tête, en toute mauvaise foi. En réalité ce tintement de breloques étaient plus destiné à conclure l'affaire qu'à acquisser.
Il ne se souvenait pas.
Ou si peu.

C'était un événement pré-Everbloom. C'était l'époque où il était heureux de dormir au soleil, heureux d'attraper des lapins par télékinésie, heureux de taquiner Esterno, heureux de rendre faire chier les Seides, heureux de draguer les filles, heureux heureux heureux.
Et maintenant ? Il voyait la souffrance partout autour de lui, il voyait des visages tristes, des corps maigres, des yeux éteins.
Everbloom avait créé un avant et un après.

Le cerveau d'Abélard ne pouvait, ne voulait pas brûler trop de glucides dans cet effort de mémoire. Mais ayant suivit le mâle noir sur une distance respectable, il se souvenait que celui-ci boitait.
Et voilà que l'autre en face de lui parlait d'un loup qui boitait.
Evidemment.
Ils ne pouvaient pas ne pas se connaitre. Ils étaient tellement semblables physiquement tout en ayant un physique atypique pour ici.
Ils étaient probablement frères, ou quelque chose comme ça. Peut-être s'étaient - ils perdus de vue et qu'Abélard pourrait contribuer à d'émouvantes retrouvailles familliales.
Mais comme nous l'avons dit plus tôt, le loup blanc d'un naturel curieux n'avait pas envie de se perdre en épuisantes conjectures.

Toutes ces odeurs de poiscaille manquaient de le faire défaillir. Il hocha à nouveau la tête, à en faire pâlir de jalousie un de ces jouets à ressort et décida qu'il était temps d'aller MANGER.

J'aimerais bien t'aider plus, mais je le connais pas, je me rappelle pas grand chose de plus d'ailleurs et si je mange pas quelque chose, je vais probablement m'évanouir .. ce serait triste, d'avoir survecu tout ce temps pour finalement crever juste en face de la bouf/

Nouveau tintement d'anneaux en guise d'au revoir cette fois et Abélard tourna les talons, au petit trot vers la mer.