Shades and stone | Drakharis

La nuit était encore bien présente sur les terres, et pourtant aucune once de sommeil ne se lisait dans le regard clair du loup blanc. Une brume diffuse s'était répandue avec la fin du jour, rendant sa silhouette fantomatique, mystérieuse. Tout autour de lui était flou et esquissé à travers les volutes légères. Des hauts de la Cordillère, cela devait être fascinant à voir. Seules les hautes terres devaient émerger de ce brouillard épais, tout le reste plongé dans ces immobiles nuages. Une vision presque irréelle et apocalyptique. Mais il n'était pas resté à contempler le continent ce soir-là, non. Il avait plongé sans hésitation dans la brume, dans une virée supposée le guérir de la lancinante insomnie qui le tenait éveillé depuis le coucher du soleil. Le pas régulier, le souffle formant un nuage de vapeur autour de son museau, il allait en silence au creux de la nuit. Il n'avait croisé personne en sortant du camp. Seul un silence de mort qui y régnait. Ou peut-être n'était-ce qui l'impression qu'il en avait eue.

Ce n'était pas la première nuit qu'il sortait comme cela, incapable de trouver le sommeil dans cette tanière qui l'enfermait. Quelques jours plus tôt, il avait eu la surprise - qui s'était avérée une agréable surprise - de recevoir la visite de Twitchell à son retour au petit matin. Ou un peu plus tard. Il n'en état plus certain. En tout cas, sa journée avait été nettement illuminée par cette visite aussi inattendue qu'incongrue. Le beige lui avait même apporté un repas et des fleurs. Il n'avait trop su comment réagir, mais cette attention lui avait réchauffé le coeur, le surprenant par la même occasion. Il avait encore du mal à définir le lien que les récents événements avaient tissé entre lui et le prisonnier Séide, mais la balance semblait pencher de plus en plus vers quelque-chose comme de l'amitié. Une amitié différente de ce qu'il avait expérimenté jusque là, peut-être quelque-chose d'un peu plus fort puisqu'elle avait été forgée dans la souffrance et la peine, dans le désespoir de tous face à l'invincible Everbloom. peut-être qu'une fois que tout serait terminé, on n'en retirait pas que du négatif.
Mais il était encore bien trop tôt pour y songer.

Peu à peu, les silhouettes massives des rochers flottants de l'Ecueil Magnétique se dessinèrent autour de lui, géants immobiles dans la brume qui masquait aussi le ciel. Une pellicule de givre recouvrait tout le paysage, éclaircissant la mousse qui grimpait contre les lianes épaisses. Ce lieu avait quelque-chose de mystique, de majestueux, et les nuages bas contribuaient encore à renforcer cela. En quelques bonds, il grimpa sur une série de rochers, qui vacillèrent doucement sous ses mouvements. Il s'arrêta sur une pierre haute, sur laquelle la mousse n'avait pas encore grignoté toute la surface de la roche. Il s'assit en silence. Au loin, une lumière diffuse indiquait que l'aube ne tarderait plus à teinter le ciel de gris. Déjà, la brume se dissipait légèrement, le laissant distinguer avec d'avantage de clarté ce qui se trouvait autour de lui, depuis son perchoir volant.

Il se passa un moment avant qu'une silhouette ne vienne fendre les nuages pour traverser le territoire. A une telle heure, cela n'avait rien de franchement étonnant, même si la période où il travaillait à la Mine jour et nuit lui avait montré que l'on pouvait être surpris par le nombre de loups qui occupaient les heures nocturnes à bien des choses qui n'étaient pas le sommeil. Il lui était arrivé assez régulièrement de croiser des silhouettes de lupins alors qu'il retournait en plein milieu de la nuit au camp pour chercher des accessoires ou remèdes dont ils avaient besoin. Bien des canidés cachaient un masque d'oiseau de nuit, de toute évidence. Ses prunelles de glace s'accrochèrent à la silhouette en contrebas,qui venait de s'immobiliser. Autour, les écharpes de brume se déroulaient avec de moins en moins d'opacités, trahissant l'aube qui approchait. Bientôt, la vue serait de nouveau entièrement dégagée, et le soleil sonnerait le début d'une nouvelle journée. Un autre jour placé sous le signe d'Everbloom.

En bas, la louve - car sa silhouette et son odeur laissaient assez peu de doute sur cette question - s'était immobilisée, puis assise. Bien étrange comportement. Elle ne portait le parfum d'aucune meute et il ne l'avait jamais croisée. Il nota le regard qui l'effleura, du coin de l'oeil, lorsqu'elle se rendit compte de sa présence. En revanche, elle ne fit aucun geste dans sa direction ou qui aurait pu montrer une envie de débuter une conversation. Et il devait aller que cela lui convenait parfaitement. L'inconnue avait une apparence particulière. Son pelage était gris foncé, et ses cheveux gris pâles, méchés de rouge. Une série d'os couraient le long de sa colonne vertébrale - il avait noté que cela rythmait sa démarche d'un cliquetis léger - et possédait des pattes épaisses, recouvertes d'une épaisse fourrure aux marquages mystérieux. L'absence de lumière sur sa silhouette confirma son appartenance au clan de ceux qui n'en avaient pas.

Assis sur le bloc qui flottait largement au-dessus du sol, Roy la quitta des yeux pour poser son regard sur l'horizon, où commençaient à perler des gouttes de lumière colorée. A la lumière du jour naissant, son pelage de neige semblait absorber les couleurs du ciel, prenant des reflets dorés et roses. Immobile, statue froide qui flottait dans le ciel, il garda le silence, alors que les premiers rayons du soleil chassaient les restes de brume.