The Stone Table | LIBRE

C’était un jour comme un autre. Une patrouille comme une autre. On l’avait mise avec Starset, cette fois ci. Elle restait indifférente tant qu’il était concentré, mais il était vrai que ce jeune était parfois un peu agaçant, à remuer la queue au premier papillon. Elle ne le comprenait pas, et pourtant, une partie d’elle regrettait de ne plus avoir l’âge, ou peut être simplement l’esprit de s’émerveiller devant d’aussi petites choses.
Ce n’était pas qu’elle s’interdisait l’émerveillement, mais elle ne laissait jamais cela entraver ses obligations, les choses qu’elle avait à faire : Comme mener à bien une patrouille, par exemple. Ils patrouillaient les falaises, une tâche de grande importance, au vu des récents développements avec les pirates. Il leur fallait absolument vérifier qu’ils n’allaient pas revenir, et le regard turquoise de la guerrière scrutait l’horizon avec détermination. Personne ne passerait par ici tant qu’elle patrouillait.

Elle s’arrêtait de temps en temps pour souffler, à cause de son ventre. Tout le monde l’avait remarqué, maintenant. Elle avait un ventre à écarquiller les yeux. Combien de petits logeaient là-dedans ? Personne ne savait vraiment. C’était surement parce qu’elle était si mince, habituellement, que cela crevait les yeux. La fine guerrière aux cheveux impeccables s’était transformée en grosse baleine qui marchait les pattes écartées dans le camp avec un air fâché de future maman qui n’avait pas le temps pour vos bêtises et vos blagues. D’ailleurs, elle n’avait pu se couper les cheveux, et, pour éviter tout désastre, avait tout simplement décidé de les attacher en chignon, comme l’aurait fait son beau-père, Méléagant.
Pourtant, ça ne l’avait pas empêché de faire quasiment toutes les patrouilles à son nom. Malgré les protestations qu’elle rencontrait à chaque fois dans le regard vairon de son bien aimé. Elle avait un rôle à remplir, et elle n’allait pas laisser tomber juste parce qu’elle était grosse maintenant.

Toutefois, elle avait pris l’habitude de se reposer plus. Elle était têtue, mais pas inconsciente.
Mais apparemment, pas assez consciente.

Elle allait se retourner pour réprimander Starset, qui s’était arrêté pour regarder un gros papillon avec des énormes yeux Kawaii, lorsque soudain, une vilaine douleur qui grippa le ventre. C’était comme les règles, mais bien pire. Une douleur plus fulgurante, qui tirait, à l’intérieur, tout en écrasant.

Elle chancela ses yeux grands ouverts. C’était possible, ce n’était pas prévu pour aujourd’hui ! Elle regarda autour d’elle paniquée, pour tomber sur le jeune distrait, et jappa.

Il n’avait pas vraiment l’habitude des patrouilles, il les évitait souvent, en tant que Nourrice, mais puisque le tournoi de la reproduction avait lieu en ce moment, il avait été recruté pour faire un peu le travail des gardes.  C’était une petite patrouille, il n’en avait jamais eu avant, mais il était avec une conseillère guerrière, alors il n’était pas trop inquiet. Il n’avait même pas mis de pull, aujourd’hui, pour essayer de se fondre dans l’esprit de la patrouille. Discrétion tout ça tout ça.
Il resta sérieux plusieurs minutes, avant de commencer à se distraire, mais soudain, Lucie fit un bruit anormal. Jusqu’à là il ne s’en sortait pas trop trop mal, enfin il pensait, mais le bruit exprimait quelque chose de négatif. Alors il se retourna, les oreilles couchées, sachant qu’il avait probablement mal fait quelque chose.
Mais ce n’était pas contre lui. C’était contre elle-même.

La guerrière s’était assise, avec une patte avant sur son ventre, en grognant, ses yeux calmes pleins d’inquiétude. Elle accouchait maintenant ?
Alors ça, ça allait pas du tout ! Starset savait tout faire avec les bébés, mais absolument pas avec les mamans qui allaient pondre des bébés. Il fit les gros yeux. Il savait que ça sortait par derrière, et que ça faisait vachement mal, alors il s’approcha, et tenta son sourire le plus rassurant en disant :
« Aller on respire : Inspiiiiration. … Expiiratio- »

Et il se prit une baffe de la louve, qui n’avait pas l’air de vouloir qu’on lui instruise la respiration à ce moment-là. Elle se massa un peu la joue, puis regarda autour de lui, mais ce n’était pas possible, il n’y avait rien ici !  Il n’y avait personne pour les aider. La guerrière se coucha par terre, en respirant profondément (c’est bien elle avait retenu la leçon) et grogna fort en enfonçant ses griffes dans le sol, et en tirant ce dernier vers elle, créant un tas de fines tranchés.

Mais Starset savait pas. Il ne savait pas si ça allait très mal, ou mal comme d’habitude. Il n’avait jamais vu d’accouchements, lui, il avait juste eu à babysitter les petits, ce qu’ils faisaient avec joie. Il regarda partout autour de lui, comme si une solution magique allait apparaître, allait le sortir de cette horrible situation ou quelqu’un allait mal, et qu’il ne savait et ne pouvait rien faire de bien. Mais rien ne lui vint. Il se mâchouillait l’intérieur des babines, tournant quasiment sur lui-même à chercher quelque chose à faire. Mais Lucie ne savait pas le guider non plus, elle non plus n’avait jamais vu ni eut d’accouchements.

Au bout d’un moment, le Nourrice se résigna.
« Lucie, si tu veux je rentre chercher un Panseur au camp, et je reviens aussitôt … il pourra t’aider ? » demanda-il, la sueur perlant sur son front autant que sur le sien, tellement il avait peur qu’il lui arrive quelque chose à cette louve respectée, pendant qu’il était avec elle.  Encore pire, lorsqu’il serait parti.
« Mais si y’a un problème grave, hurle fort et je reviendrais. »

Il ne pensait pas qu’on entendrait leurs hurlements, au camp, alors il devrait faire très très vite, pour qu’elle ne soit pas seule longtemps. Mais cela n’avait pas l’air de se passer bien, le rouge colorait le sol sans qu’aucun bébé ne sorte et Lucie avait les yeux fermement fermés. Les tranchés dans la terre se multipliaient autour d’elle.
« J’y vais ? » demanda-il encore, mais elle ne lui répondait pas, elle grognait tout doucement, semblant contracter de muscles invisibles, ses pattes arrière raidies. Il s’agitait un peu, et soudain elle ouvrit ses paupières, ses yeux turquoise pleins de larmes tombant sur lui alors qu’elle lâchait, d’une voix paniquée.
« Vite !! J’ai besoin d’aide ! VITE ! »en haletant avant de grogner de nouveau, ses oreilles couchées.

Et Starset se retourna sans hésita, et partir en courant le plus vite possible. Comme loup désirant être disciple de Kiro, il était agile, il y avait travaillé, et ainsi il put courir très vite, et il rejoignit le camp, épuisé, ses pattes engourdies, pour crier à voix haute partout :
« A L’AIDE ! MADAME LUCIE ACCOUCHE ET CA SE PASSE MAL ! VENEZ NOUS AIDER S’IL VOUS PLAIT ! » en courant, bondissant partout dans le camp, pour essayer de trouver un penseur, quelque part, qui pourrait aider la louve.

Il reprit un instant sa respiration, en regardant partout. Il y avait quelqu’un, non ? Quelqu’un allait venir ? Il devait les attendre, pour les guider jusqu’à elle. Ils allaient venir pour l’aider, il était sur.

Ce qu’il ne pouvait savoir, c’était que la mère de Lucie était morte d’hémorragies post-partum, et que Lucie subirait le même sort si elle n’était pas aidée au plus vite. Mais alors qu’il stressait, attendant qu’on le rejoigne, il entendit quelque chose qui lui glaça le sang.

Un hurlement lointain. Empreint de peur. De Douleur.
Un hurlement à l’aide.
Celui de Lucie.

Qui donc a eu la stupidité depmrétendre que la vengeance était un proie qui se mangeait froid ?

Bien au contraire, quoi de mieux que savourer la vengeance dans le goût du sang ! Un sourire vint étirer les babines d’Oxomo, dévoilant ses canines, prêtes à se plonger dans la chair. Par qui commencer ? Le corbeau incapable ? La petite noble inutile ? La gamine qui avait assisté à la mort de son père ? Tant de candidats, mais où donc étaient-ils passées ? La queue féline remua sous l’agacement, tandis que ses pattes s’enfoncèrent un peu plus sur les terres Etelkrus. Peut-être aurait-elle dû craindre un retour parmi ces guerriers, mais il s’agissait d’Oxomo après tout, la mort ne l’effrayait pas, le combat l’excitait, alors quoi de mieux que de frôler la mort une nouvelle fois sans que cette fois, nul ne vienne vous interrompre ?

L’odeur du sang vint tirer la solitaire de ses pensées qui suivit la piste, pour tomber sur une louve sur le point de mettre bas. Beurk ! Quel fardeau qu’était la gestation… La louve-aztèque avait toujours laissé le soin aux autres de remplir leurs rangs, avoir sa propre descendance, cela ne l’avait jamais vraiment intéressé. Sans manières, la solitaire s’approche de la future mère, ses griffes effleurant le ventre encore arrondi. Les gamins qui avaient été expulsés du corps de leur mère couinaient, tels les animaux sans défense qu’ils étaient. Eux, n’intéressés nullement Oxomo qui s’attardait sur les flancs de l’Etelkrus qui se soulevaient faiblement. Son souffle vint chatouiller les oreilles de la louve de clan.

« — Je pourrais abréger tes souffrances, hein, qu’en-dis-tu ? »

D’un geste vif, la solitaire sortit son poignard à la lame acéré qui vint chatouiller la gorge de l’Etelkrus, un simple mouvement et cela pourrait être la fin. Toutefois, qui a dit qu’Oxomo était une âme charitable ? Une crise de rire la saisit, alors qu’elle rangeait son arme, s’approchant alors des boules de poils. Se débarrasser d’eux serait si facile… mais aussi, ne serais-ce pas intéressant de s’amuser un peu plus longtemps avec eux ?

« — Tes enfants pourraient devenir de belles offrandes à mes dieux au moment venu… Dommage que tu ne seras plus là pour le voir. »

Alors, sans plus de manière, les crocs de la louve se saisirent d’un des corps, une femelle car les mâles n’étaient que charpies, un sourire aux babines. Ce n’est pas comme une voleuse qu’elle partirait, laissant derrière elle une plume rouge, couleur qui la définissait si bien. Alors la solitaire disparut, son fardeau dans la gueule, pour laisser cette mère et sa marmaille qui ne feraient probablement pas long feu. Ce ne serait pas une journée qui se terminerait par le sang, mais qui sait dans quelques années…

Athelstan revenait à peine d'une patrouille, le poil encore ébouriffé et l'écho des félicitations qu'il avait adressées à ses congénères à peine éteint entre les roches du Castel, lorsque résonnèrent de concert les deux cris. Le premier était la voix familière de l'une de leurs nourrices, Starset. Le tricolore était entrain de se retourner vers lui, qui venait de faire irruption en dérapant sur le sol poussiéreux, lorsque les mots, terribles, parvinrent à ses oreilles. Lucie allait avoir ses petits. Lucie n'allait pas bien. Des milliers de pensées envahirent son encéphale, des milliers de questions et des suppositions qui jetaient des frissons dans l'échine. Il n'ignorait pas que la louve caramel continuait de mener tant bien que mal ses patrouilles avec les autres Etelkrus, qu'elle avait gardé son allant et ne comptait pas faire l'impasse sur ses responsabilités même pratiquement à terme. Bien-sûr, il s'en était inquiété, mais il ne voulait pas la sous-estimer non plus ni lui donner l'impression qu'il la considérait comme... faible. C'était là une chose qu'il était certain qu'elle n'apprécierait pas. Et depuis quelques temps, les précautions prises par la meute paraissaient enfin porter leurs fruits. Ils ne sortaient plus qu'en groupe, surveillaient les terres depuis les tours qui s'y dressaient fièrement, et le tournoi de reproduction distrayait les esprits lorsqu'ils n'étaient pas préoccupés par la sécurité de tous. Les efforts de la meute et les règles mises en place par Dame Pepper et Dame Anette avaient enfin de douces conséquences. Et, indirectement, cela apaisait aussi sa vie à lui, lui qui avait tant couru sur les pistes de ces solitaires aux crocs effilés, qui avaient ramené avec ses camarades le corps sans vie de Jagh, celui si abîmé de Joy. Il était fier de faire partie de cette meute unie et efficace, comme une armée. Comme une famille.

La crainte serra son coeur si fort lorsque les mots de Starset résonnèrent au creux du camp, alors qu'une seule pensée s'imposait devant les autres. Il n'avait pas osé. Il n'avait pas osé la laisser seule à cet instant. C'était impossible. Au même instant, un hurlement résonna dans le lointain et acheva de lui glacer le sang. Le temps se figea durant un instant, durant un battement de coeur qui secoue tous les poitrails présents. Puis soudain, il se remit en branle et les choses parurent aller si vite, trop vite. Du coup de l'oeil, Athelstan vit la silhouette de Pepper qui se jetait sur Starset avec violence. Du coin de l'oreille, il l'entendit hurler à son tour à tous ceux qui étaient présents d'y aller. Il ne vit et n'entendit tout ça que de loin, car tous ses muscles s'étaient tendus pour le jeter en avant. Son champ de vision lui parut se rétrécir un peu plus à chaque foulée, alors qu'il se précipitait en avant. Sa truffe frémissait aux brises matinales, le guidant sur la piste que les deux loups avaient empruntée. Il cherchait désespérément l'odeur d'un autre de leurs camarades, mais la cruelle réalité s'imposait à lui sans qu'il ne pût y faire quoi que ce soit. Lucie était seule. Starset l'avait abandonnée dans la pire des situations.

Alors qu'il filait sous le vent, il lança un hurlement dans le vide. J'arrive Lucie. Je vais te sauver. Ses pattes martelaient le sol avec force, avec autant de force qu'il pouvait en donner. Mais il ne pouvait pas en donner assez. Pas assez pour croiser cette ombre aux plumes de sang qui venait de leur tourner le dos, emportant avec elle quelque-chose de si précieux. L'odeur de Lucie se rapprochait, mêlée à celle, âcre et métallique, du sang. Le coeur d'Athelstan battait si fort et si vite dans son poitrail, comme un oiseau affolé, comme s'il avait voulu en sortir. Autour de lui, le monde prenait soudain des nuances de cauchemar. Un goût acide sur la langue. Les pupilles dilatées et le souffle court. Des nuages noirs au-dessus d'un bonheur promis, qu'il avait tant attendu.

Il s'arrête au dernier moment, au chevet de cette silhouette si familière et si étrangère à la fois, baignée dans tout ce sang. Il n'entendait même pas les vagissements des petites silhouettes qui remuaient le long des flancs inertes devant lui. Il ne voyait plus que ce visage, figé dans un sourire dont la douceur jurait avec l'horreur de la situation. Le Chevalier était figé, incapable de faire le moindre geste. Incapable de détacher son regard de ce sourire immobile, incapable d'accepter ce qui venait de se passer. Dans un instant, il réaliserait que sa vie venait de basculer. Il réaliserait que rien ne serait jamais plus pareil, alors même qu'il s'était levé le matin empli de joie et d'espoir. Ce matin-là, il allait être père, il vivait aux côtés de la louve qu'il aimait tendrement et de cette fille qu'il n'avait jamais eue mais qui comptait pour lui bien autan qu'un enfant de sang. Il entendit au loin la voix de Pepper, déformée par la rage. Ses yeux à lui était agrandis par l'horreur, et ce fut un autre loup - il ignorait qui, et cela lui était bien égal - qui le ramena à la réalité en le bousculant légèrement pour s'emparer des petits avant qu'ils ne prennent froid. Ce fut comme un coup de crocs en plein dans son coeur, et ses pattes se mirent à trembler.
Non. Non c'était impossible.

Il entendit avec une netteté incomparable le bruit des pas de Pepper qui s'en allait, à la poursuite de cette odeur qu'il n'avait pas sentie encore mais qui lui sauta soudain au visage. Une odeur haïe, tant haïe, qu'elle ne fit que le plonger plus encore dans la douleur. L'odeur d'un solitaire.

Ils avaient tué Lucie.
Il ne pouvait pas savoir que ce loup inconnu n'avait fait que passer, son champ de vision tâché de rouge lui criait à un nouveau crime. Et dans les pistes qui se croisaient et s'entremêlaient dans l'endroit, il comprendrait bien vite ce qui s'était passé. Il comprendrait bien vite que parmi les enfants qui étaient tout juste nés, l'un était manquant.

Ils avaient tué Lucie.
Il n'y avait que cette pensée, que cette phrase écrite au sang devant son regard sur le monde rendu flou par le chagrin et la fureur. Ils se battaient pour dominer son esprit, la rage, brûlante et chasseresse, et la douleur, qui l'abattrait sans autre forme de procès. Il ne tenait que dans un infime équilibre à cet instant où une partie de son monde s'était effondré. Les larmes qui coulaient de ses yeux traçaient des sillons comme des cicatrices sur ses joues. Marques d'une blessure qui ne guérirait jamais. Elle n'en aurait pas le temps.

Sa vie était passée.
Et elle venait de s'effondrer une ultime fois.

Les vagues les avaient emporté.

La prêtresse s’était brusquement réveillée en entendant la voix de Pepper. Les falaises ? Qu’il y avait-il de si urgent là-bas ? Sheina se leva en remuant doucement le bout de ses ailes engourdies. Une grimace étira ses babines, tandis qu’un soupir frustré s’échappa de sa gueule. Depuis la mutilation du Raeder, l’aile droite avait du mal à récupérer, de même que les maux de tête qui n’avaient fait que s’amplifier. Tout son système semblait déréglé ces derniers temps, le sommeil ne devenait que fardeau, tandis que dans l’ombre de sa caverne, les cauchemars attendaient leur heure. Ce fut sans aucun regret que la loupe suivit la piste de Pepper, faisant confiance à son odorat, sa vue devenant inutile en plein jour. Choisissant l’option aérienne, Sheina déploya ses ailes, volant suffisamment bas pour pouvoir suivre l’odeur des siens. Rapidement, l’effluve du sang vint chatouiller ses sens, de même que la trace d’un solitaire. Ou plutôt d’une. Oxomo. Ainsi donc, l’errante avait eu l’audace de revenir sur les terres… Avait-elle tué Lucie ? Cette louve dont se dégageait l’odeur du lait ? Les enfants semblaient ne rien avoir… pour le moment du moins s’il les laissait dans le froid et sans nourriture. Sheina aurait probablement dû se poser auprès de l’ancienne bêta, vérifier ses doutes, confirmer sa mort, mais celle qui la préoccupe réellement se tient un peu plus loin. Elle, qui, avait lancé cet appel aux Etelkrus, elle qui si jeune avait eu tant de responsabilités sur les épaules.

L’atterrissage se fit avec difficulté, un grognement de frustration s’échappa de sa gueule, alors qu’elle faisait face à Pepper. Les panseurs lui passeraient à coup sûr un savon pour avoir une énième fois forcé sur ses muscles… Qu’importe leurs conseils ! La disciple de Kiro observa sans voir l’alpha, tandis qu’elle prenait la parole d’un ton autoritaire qu’elle ne se serait jamais permis auparavant.

« — Cela suffit. » La prêtresse observa impassible la jeune alpha bleue. « Nous ne ferions que mettre un peu plus en danger l’enfant qui est avec elle. »

Qui sait de quoi la solitaire était capable ? Quatre Etelkrus avaient été nécessaires pour la mettre hors d’état de nuire, sans que cela ne l’inquiète plus que ça d’après les dire, alors une alpha seule qui tente de retrouver une gamine ? C’était presque une mission suicide. Avant son enlèvement, Sheina ne se serait probablement pas autorisé ce genre de chose, s’interposé à une de ses alphas, mais Pepper était venue la sauver sur Morne-oeil, c’était donc à son tour de la sauver. L’odeur du sang de la jeune louve chatouilla la longue truffe de l’hybride, qui fronce les sourcils, se doutant que le glowstick de Dairo faisait des siennes.

« — Votre pouvoir vous dévore, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Ne laissez pas la raison ne devenir que chuchotement dans votre esprit, Pepper. »

Ne vous laissez pas emporté par les vagues.

La louve mauve demeure immobile, prête à empêcher l’alpha de se lancer dans cette quête suicide, prête à encourir les sanctions s’il le fallait. Non loin le vent lui porte l’odeur d’Athelstan, mais Sheina ne pouvait pas s’occuper de deux coeurs blessés à la fois.

Relèves-toi.

Cela commença par un rire. Indice qui suffit à faire comprendre à quel point l’état de Pepper était aggravé. N’aurait-elle pas dû s’attendre à ce qui suivrait ? Voir son alpha protester contre ses paroles ? Bien sûr, laisser une enfant entre les griffes d’Oxomo n’était que folie, mais qu’est-ce qui empêcherait la solitaire de tuer l’enfant ? Ne valait-il pas mieux se préoccuper des restants ? D’enterrer Lucie ? N’était-il pas mieux de se préoccuper avant tout des vivants, avant de songer aux morts ? Les Etelkrus avaient installés des tours dont l’utilisation s’avérait inefficace. Tous leurs efforts n’avaient été menés qu’en vain. La rancoeur de Pepper était sur ce point, on peut plus légitime.

Pourtant, les mots qui suivent eurent le même effet que si on avait plongé un poignard en plein dans le coeur de la prêtresse. Sursautant sous l’effet des paroles, les yeux de Sheina s’écarquillent, une expression de douleur sur ses traits. C’était un recommencement. Une forme de rejet que l’hybride avait longtemps pensé oublier après tout cela. Qui aurait cru que cela viendrait de Pepper ? Cette louve qui avait tant défendu la famille qu’était les Etelkrus. Cela n’aurait pas du la surprendre, Pepper était malade, mais pourtant la disciple de Kiro ne pu contenir une larme silencieuse qui s’écrasa sur le sol, en même temps que l’alpha partait. Serrant les crocs, l’Etelkrus enfonça ses griffes dans la terre. Elle avait d’hurler, envie de protester contre ces mots, contre tous ces belles paroles. Au final, rien n’avait changé depuis tout ce temps. Tout n’avait été que mensonges. Les Etelkrus n’avaient rien d’une famille, Pepper avait menti.

« — Qu’il en soit ainsi, alors. Ma présence ne viendra plus vous importunez alpha. »

Ne trouvant plus la force de voler, la louve part en direction opposée, se dirigeant vers le temple de son dieu. Le monstre retourne ainsi auprès de son créateur.

Tu ne peux te relever, alors tu laisses les vagues t’emporter, tu laisses l’océan de tes tourments avoir raison de toi, car au fond, lui seul demeure échangé depuis ces années. Ces tourments qui ont pris naissance depuis la mort de tes parents, l’obtention de ton glowstick… Oui, Sheina, tu laisses l’océan tourmenté te noyer.