Tomber du nid [Callisto]

Élaine


Le Palais était grandiose quand le soleil le berçait dans une lumière presque divine. Ses murs, d'habitude si sales et poussiéreux, rutilaient de mille feux. Il n'était pas en excellent état mais il restait tout de même debout, affrontant vent et pluie. Juste devant la bâtisse, des arbres majestueux et touffus gardaient l'entrée avec ferveur. Sous l'un de ces arbres, Élaine somnolait, sur le dos, les pattes en l'air et un livre abandonné sur son poitrail. La petite brune était venue là quelques heures auparavant, avec un livre que sa mère lui avait conseillé de lire. Elle ne savait pas bien lire, mais Winnifred lui faisait parfois la lecture, et elle apprenait vite. Malgré tout, elle n'aimait pas beaucoup lire d'elle-même, elle préférait entendre les histoires. Elle avait donc promis à sa mère qu'elle l'observerait avec attention et dévotion mais la chaleur printanière, accompagnée d'une légère brise fraîche, l'avait emportée presque immédiatement dans un sommeil profond et réparateur. La jeune louve avait à peine quatre mois, elle se sentait parfaitement apte à être une adulte le plus tôt possible, mais le besoin de sommeil des louveteaux était un facteur qu'elle ne pouvait ignorer. Sur le chemin du Palais, elle avait rencontré multiples bestioles, écureuils, lapins ou encore une élégante biche qui l'avait dévisagé sans pour autant déguerpir. Il était vrai de dire qu'Élaine n'inspirait pas encore crainte et mort pour les proies environnantes. Bizzaremment, les animaux eux-même semblaient très intéressés et curieux par Élaine, ce qui la rendait folle de rage. Elle ignorait pourquoi elle n'était pas encore crainte. Elle essayait pourtant tout ce qui était en son pouvoir : grognements, oreilles baissées, babines remontées dévoilant ses minuscules crocs. Rien ne faisait trembler la faune autour d'elle. Elle avait donc décidée d'abandonner, pour l'instant, et l'esprit rempli de rêves, elle s'était endormie mollement sous un chêne massif.

Elle ignorait pourquoi personne n'était présent. Elle savait également qu'elle n'avait pas trop le droit de se déplacer seule dans les territoires Brethens, par ces temps qui courent. Mais elle se rassurait en s'auto-persuadant que ce n'était pas si grave, qu'elle ne s'aventurait pas en-dehors des territoires familiers, mais à chaque fois qu'elle rentrait de son excursion, elle avait le droit à une remontrance digne d'une trahison. Et c'était toujours la même scène, Maman sanglotait en lui expliquant d'une voix chevrotante combien elle s'était inquiétée, et Papa l'observait d'un regard dur et froid, exprimant sa déception qu'elle était encore une fois désobéi. Malgré l'immense tristesse qu'elle ressentait lors de ces scènes, elle ne pouvait s'empêcher de recommencer quelques jours après. C'était comme si le Monde l'appelait sans cesse, comme si elle entendait toute la nature lui chuchoter de venir la rejoindre. Élaine se sentait bien et en sécurité sur ses terres, et elle redoutait déjà son retour à la maison ce soir-là. Pendant son sommeil, elle sentit qu'on l'observait. Elle ouvrit d'un coup les yeux et vit un petit oiseau de la taille d'une petite pierre. Il était si petit qu'elle se demanda s'il était vraiment réel. Elle roula sur le côté pour se mettre debout et observa avec inquiétude le petit plumé. Elle avança une patte et lui donna un petit coup, histoire de vérifier s'il était bel et bien vivant. L'oisillon bondit en arrière, il avait le crâne un peu chauve et quelques plumes semblaient mal coiffées. Il couina d'une drôle de façon et Élaine se demanda si elle ne lui avait pas fait mal en le tapant de la sorte mais aucune souffrance ne se lisait dans le regard de l'oisillon.

Elle s'approcha encore, curieuse, et redonna un petit coup de patte. Cette fois-ci, la réaction fut mille fois plus bruyante et angoissante. Une version plus grosse descendit de l'arbre en trombe, et fonça sur Élaine. La petite louve poussa un gémissement de surprise et se mit à détaler comme elle le pouvait mais la maman-oiseau était en train d'essayer de lui arracher les poils. Élaine donnait des grands coups de pattes dans l'air, refermant sa mâchoire sur du vide, et se secouait pour lui faire lâcher prise. Elle se mit à courir dans tous les sens, paniquée et se retenant de pleurer. Elle avait si peur. Elle regrettait d'être seule. Elle voulait sa maman, son papa. Elle voulait que l'affreuse maman-oiseau la laisse tranquille. D'un coup, la mère lâcha sa prise et s'empara de son petit, lança derrière elle des cris indignés. Élaine leva la tête et vit qu'il y avait, effectivement, un nid juste au-dessus de là où elle dormait. Elle entendit de minuscules cris et songea avec mépris qu'un de ses petits avait du tombé du nid. Elle se sentit affreusement blessée, et l'injustice agitait son cœur. Elle n'y était absolument pour rien dans cet accident, elle n'avait que donner deux coups de pattes à cet oiseau. Elle grogna et partit vers le Palais en pestant. Elle s'assit sur le perron du Palais et remit ses cheveux en place, elle se lécha la patte avant, et se refit une beauté. Son cœur battait encore à toute allure quand elle sentit une odeur dans l'air : le parfum Brethen. Elle fut soulagée de n'être bientôt plus seule, et elle s'impatientait de raconter cette odieuse agression.

Élaine


A peine remise de ses émotions, Élaine vit une louve un poil plus jeune qu'elle s'approcher et lui parler. La louve aux cheveux noirs la fixait avec curiosité, elle était bordeaux et une petite tresse descendait le long de son cou. Loin des jugements des adultes, Élaine trouva qu'elle était très belle. La panique s'envola directement, laissant place à un sentiment de joie et de réconfort. Elle s'appelait Callisto et effectivement, elle était de son clan. Elle l'avait aperçu avec un louveteau de son âge et entourée d'un grand loup au pelage semblable à la petite. Maman lui avait dit que c'était le chef de la meute, alors Élaine se souvint de la politesse inculquée par ses parents. Maladroite, elle baissa le museau et s'inclina dans une révérence inutile et ridicule mais elle imaginait que c'était ainsi qu'on traitait les chefs et enfants de chef. Elle s'assit sur ses fesses et s'exclama d'une voix fluette, toute politesse envolée, un ton beaucoup plus enjoué prenant la place :

"C'est beau Callisto ! Je m'appelle Élaine ! Et mon papa ne m'a jamais dit ce que ça voulait dire mais... J'aime bien ! "

Elle se sentit légèrement déçue, Callisto avait une raison et une belle histoire derrière son nom. Élaine inscrivit alors dans un coin de son esprit de demander à ses parents la raison de son prénom. Elle sourit d'un sourire éclatant quand elle lui demanda si elle était la cause de sa panique. Elle rit aux éclats d'un rire cristallin et lui donna un doux coup de pattes sur son museau, dans le but de jouer et non de la blesser :

"Bah en fait, y'avait une maman-oiseau qui m'a attaqué ! J'ai eu tellement peur ! Mais elle est partie,
je l'ai vaincue avec bravour."

Elle se mit sur ses pattes et bomba le torse, fière, ses épaulettes dorées brillant de mille feux. Elle leva le museau et esquissa un sourire, elle se rassit sur ses fesses et observait avec attention le regard de son interlocutrice, ses yeux étaient d'un bleu clair, plus clair encore que le ciel. Elle leva les yeux vers l'étendue bleue au-dessus d'elles et rebaissa les yeux sur Callisto.

"Pourquoi tu as du ciel dans tes yeux ?"

Elle songea avec douceur que ses parents ne seraient pas fiers d'elle qu'elle tutoie de la sorte, mais Élaine pensa qu'avec une louvette de son âge, elle avait le droit d'être un peu moins polie qu'avec les adultes. Elle voulait poser mille et une questions mais elle se retint, elle sentait sa petite queue battre l'air, elle se mit sur ses quatre pattes et attendit un indice qui témoignerait que Callisto aussi avait envie de jouer.

Élaine


Maintenant que sa compagne de jeu le disait, Élaine remarqua la paire de lunettes fine sur son museau. Elle ne choquait pas du tout, et au contraire, Élaine trouva qu'elle allait bien à Callisto. Elle parla aussi d'un second papa. La petite brune en fut surprise, elle dressa ses oreilles sur son crâne en signe d'étonnement et questionna innocemment son amie :

"Tu as deux papas ? Moi je n'en ai qu'un seul. Et tu as aussi deux mamans ? Je n'en ai qu'une seule, moi, de maman."

Décidément, Élaine se sentait bien désavantagée. son prénom n'avait aucune signification et elle n'avait qu'un seul papa et qu'une seule maman. Mais elle ne perdit pas sa sympathie pour Callisto, aucune jalousie ni envie ne se forma et elle garda un œil bienveillant sur sa partenaire de jeu. A la position de cette dernière, Élaine s'allongea également, la truffe dans ses pattes, et elle fixait Callisto, sans ciller. Elle sauta sur la petite d'un bond puis elle la fit rouler doucement, tout en grignotant son oreille. Le hasard fit qu'Élaine se retrouva contre le sol, Callisto la surplombant de son corps frêle. Élaine éclata d'un rire cristallin et essaya d'attraper la patte de la mauve, sans y arriver. Malgré son jeune âge et sa fougue, Élaine fit cependant attention à ses lunettes et elle remarqua que ses pattes arrières étaient comme cernées de fer, elle supposa donc que ce n'était pas des bracelets et qu'elle avait peut-être mal aux pattes. Élaine se redressa et se mit à courir dans tous les sens, esquivant parfois une feuille ou un caillou, changeant de direction sans cesse. Elle s'arrêta de sa course folle juste à quelques centimètres du museau de Callisto. Les fesses en l'air, le poitrail au sol, elle la dévisageait avec un air un peu fou, la langue pendante et la respiration courte. Elle souriait comme un louveteau pouvait sourire, avec toute l'innocence du monde. Callisto était la première louve à qui elle adressait la parole, et franchement, Élaine se sentait des plus heureuses d'avoir une amie à ses côtés.