STRAY DOG [RP DÉFI FEAT ARLESTON]

Les premiers rayons du soleil avaient caressé la surface de la terre depuis quelques heures maintenant. La plupart des loups étaient déjà à l’ouvrage, chassant, entraînant les plus jeunes, dirigeant, mais pas Neït. L’empoisonneuse était las de son train de vie qui l’ennuyait au plus haut point, et quand elle s’ennuyait ce n’était jamais très favorable aux autres. Deux loups qui étaient venus lui demander son aide l’avaient vite compris lorsqu’elle les avait envoyé paître, comme si elle n’était bonne qu’à ce genre de futilités. Bien sûr les autres ne remarquaient rien dans cette violence injustifiée puisqu’ils étaient plus ou moins habituée, mais la Lazulis savait elle que ce n’était pas pour rien qu’elle se montrait aussi agressive envers les membres de cette meute. Un soupir s’échappa de sa gueule tandis qu’elle trouva la force de se lever. À pas lents, elle sortit de sa tanière pour se trouver nez à nez avec un louveteau. Un fichu lardon. La femelle n’avait jamais apprécié les enfants, ils étaient des êtres stupides et naïfs à ses yeux, aucun intérêt. C’était d’ailleurs pour cela qu’elle ne leur adressait jamais la parole, faisait comme si ils n’existaient pas. Le seul marmot qui avait à peu près aiguisé son intérêt était le jeune Gloriel, un Etelkrus. Lui, il avait quelque chose dans la caboche. Bon bien sûr au début Neït s’était crispée au début de sa conversation avec lui, mais rapidement il avait réussi à la détendre et la mettre à l’aise. Il n’en restait pas moins un être naïfs, la preuve vu qu’il lui avait exposé sans gênes ses «  noisettes » alors que des mâles seraient partis la queue entre les pattes. Il a dû bien pousser depuis… Enfin pas ses noisettes mais le louveteau en lui-même. Avait-il finit par se décider concernant son choix de Glowstick ? La fille de Sekmêt se le demandait bien, après tout il lui avait posé beaucoup de questions au sujet des dieux, beaucoup qu’elle ne l’aurait fait à son propre âge.

Ne prêtant aucune intention au gamin qu’elle contourna, ni aux autres membres de sa « meute », Neït sortit du camp des Etelkrus. De toute façon, qui pouvait bien le lui en empêcher ? Ses alphas ? Rien que cette pensée la faisait rire de l’intérieur. La gamine même si elle n’en était plus vraiment une, enfin bon ce surnom la suivrait un bon moment qui écoutait un mot sur deux avait eu le culot de se présenter auprès d’Ao, comme si ce n’était pas assez que la prêtresse partage sa meute, fallait en plus qu’elles se partagent la même déesse… Sans oublier l’autre alpha fraisier, un sacré cas aussi soit-dit en passant ! Une sacrée paire d’alphas que vous nous avez déniché ô grands dieux… La louve était loin d’approuver ce choix, surtout que vu le caractère des deux meneuses il était impossible de parvenir à quoique ce soit, mais qui était-elle pour s’opposer à la volonté des dieux ? Quoique leur volonté à ceux-là elle n’en avait clairement rien à carré au fond… Enfin si seulement ce n’était que les dirigeantes des Lazulis, cela passerait encore, mais il faut dire que la meute entière convenait difficilement à Neït. Elle regrettait les deux anciennes meutes qui selon elle étaient beaucoup plus pratiques et moins radicales. Séparer les loups en fonction de leur choix de divinité étais-ce vraiment une bonne idée ? La louve en doutait fort… Dire qu’elle devait se coltiner encore miss vampire dans cette meute là aussi…

Les pas de Neït l’enfonçaient de plus en plus à travers les bois, les territoires divers. Combien de temps sa marche dura ? Elle n’en savait rien, tout ce qui lui comptait c’était de marcher, encore et encore. Qui sait ? Peut-être que par chance elle tomberait sur un membre de sa famille ? Voilà un moment qu’elle n’avait pu croiser ses sœurs, que devenaient-elles ? C’était surtout le cas de Widar qui inquiétait la louve, maintenant qu’elles n’étaient plus dans la même meute, Neït ne pouvait plus l’empêcher de tourmenter leur cousin Grimm qu’elle jugeait responsable de la mort de leur mère. Comme si une mauviette comme lui pouvait lever la patte sur quoique ce soit… Enfin, au moins elle avait donné une arme de défense à son cousin, une opportunité pour lui de mettre un potentiel adversaire hors d’état de nuire, en espérant qu’il ne l’ait pas égaré avec le temps… Avec un certain effroi, Neït constata que ses seules relations sociales étaient entre les membres de sa famille et encore cela restait à voir. Bon bien sûr en omettant le petit Gloriel, mais étant donné que c’était un gamin il ne comptait pas… si ? Il faut dire que se lier d’amitié avec l’empoisonneuse relevait du défi voir même du suicide… peut-être les deux même. Vu son caractère bien piquant et son sarcasme qui déplaisait à plus d’un, elle n’était pas franchement des plus appréciée. La disciple d’Ao joue avec son Glowstick en haussant les épaules. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire de toute façon ? Avoir des amis n’avait jamais été une nécessite pour elle, il n’y avait nulle raison que cela change aujourd’hui.

Il commençait à faire de plus en plus frisquet lorsqu’elle parvint aux dents de roc. Qu’est-ce qu’elle était allée faire là ? Pas franchement envie de chasser le grizzly… En plus elle n’était pas la prêtresse d’Aka alors il n’y avait franchement aucun intérêt à ce qu’elle reste plantée là. Quoique peut-être que le prêtre d’Aka ne serait pas confronté à un chantage de la part de son dieu. Il faut dire que Neït n’avait pas une droit à une nomination des plus douces de la part de sa déesse enfin ça c’était en partie sa faute aussi aussi elle s’était souvent demandée comment les autres prêtes avaient été choisis ? Il faudrait qu’un jour elle aille demander à un de ses collègues, enfin si la motivation se décidait à la diriger vers un prêtre. Neït se demandait beaucoup ces derniers temps à quoi elle servait réellement, certes la mission qu’Ao lui avait confié été d’orienter les loups égarés mais étais-ce réellement tout ? Le rôle des prêtres était si peu expliqué, la femelle se doutait qu’ils avaient un rôle encore plus profond à jouer bien que le mystère continue de planer à ce sujet.

Une effluve qui ne lui était guère étrangère lui chatouilla les narines. Tiens donc, quand on se débarrasse de l’un, il faut que l’on tombe sur l’autre… Neït posa son arrière train sur le sol, à quoi bon partir maintenant après tout ? Puis elle finirait bien par retomber sur Arleston au camp, voir pire, sur sa sœur.

« — Tiens donc, ne serais-ce pas Mister Fraisier ? Qu’est-ce qui t’a fait tirer ta carcasse jusqu’ici ? »

Elle le toisait en haussant un sourcil se demandant bien quelle excuse barbante il lui servirait. Enfin, dans tous les cas mieux valait entendre ses excuses à lui que celle de sa sœur… Tout en écoutant son interlocuteur, la louve reniflait les alentours et ce qu’elle percevait n’avait rien pour la rassurer. Dans l’air, rôdait une odeur bestiale, sauvage et emplie de danger qui ne lui disait rien qui vaille.

Arleston

Depuis quelques lunes, Arleston se sentait mieux. Il avait retrouvé Morrow, et la sûreté couplée à la sécurité d'une meute. Et le mâle au pelage de sang trouvait les Lazulis bien plus agréables que les Brethens, ou alors était-ce parce que c'était Morrow qui était à leur tête. Il se réveilla dans une petite tanière, bailla aux corneilles en poussant un râle félin, et étira sa lourde carcasse musculeuse. Il sortit, le ventre vide et gargouillant, dans l'espoir de trouver quelque chose à manger sur le tas de gibiers mis à libre-service de la meute, mais il n'y avait rien à part un petit lapereau recroquevillé, si maigre qu'il aurait pu servir de cure-dent pour Arleston. Le gros mâle fit demi-tour, râlant dans sa barbe. Il passa devant la tanière où dormait sa sœur mais elle n'était plus là, il supposa qu'elle avait des responsabilités, à présent, et qu'elle se levait bien plus tôt à présent. Il haussa les épaules et se mit à trottiner, sans réel but. Il connaissait un endroit giboyeux, protégé par une immense forêt mais c'était en camp Etelkru. Il réfléchit pendant deux minutes, et se contenta de se dire que s'il tombait sur une patrouille, il ferait jouer la naïveté et la bonne foi, il s'était perdu, il était Lazuli, et de toute façon, Anastasia n'était pas la sœur de l'autre Alpha ? Arleston n'en savait pas grand chose, il avait juste laissé traîner ses oreilles pendant quelques conversations, et il avait entendu, justement, qu'il y avait un risque qu'un jour, les Lazulis et les Etelkrus se retrouvent en conflit à cause de la relation sororale entre les deux femelles. Et si Arleston était sûr d'une chose, c'était que les relations fraternelles étaient bien souvent plus importantes qu'autre chose, lui-même ayant brisé son glowstick rouge pour suivre sa sœur. D'ailleurs, il s'habituait de plus en plus à la lumière bleue qui luisait à sa patte, à la même place où le liquide rouge, jadis, étincelait.

Arrivé à l'endroit qu'il voulait, il se sentit étrange. Cette forêt, il l'avait traversé quand il était plus jeune, il s'était rendu près de la fontaine d'Aka et avait demandé sa grâce. Il avait réussi haut la patte son épreuve et il était fier comme un paon. Et à présent qu'il foulait la terre jonchée d'épines, il se sentait las, maussade. Il craignait, au fond de lui, qu'Aka apparaisse entre deux pins et lui demande des explications quant à la lueur bleutée d'Ao autour de sa patte. Mais il savait bien qu'Aka se fichait complètement d'un disciple lambda, alors il se mit en quête d'une proie à se caler sous la dent. Il s'arrêta, se figea et huma l'air avec attention. De multiples fragrances titillaient sa truffe, parmi tous ces parfums, il reconnut toute fois une biche, un peu plus au sud que lui. Il trottina vers l'odeur, chaque pas faisant trembler les épines autour de lui. Il était fort, musclé et malgré sa belle carrure, il n'était pas des plus agiles, son trot ressemblant à un taureau dansant comme une ballerine. Il arriva près d'un arbre plus gros que les autres et plus loin, dans son champ de vision, une biche geignait, perdue au milieu de tous ces troncs résineux. Arleston souleva un sourcil, étonné de voir un brouteux par ici, à part la mousse sur les arbres, aucune herbe ne poussait par ici. Il se coucha et rampa lentement, il n'avait aucune couverture, rien pour se cacher, alors il misa sur la surprise. Il sauta, d'un coup, vers la biche. Cette dernière, à peine stable sur ses longues pattes, prit la fuite mais trébucha sur une racine. Arleston en profita et attrapa la biche par le cou, plantant ses crocs dans sa chaire chaude, il sentit son cœur battre dans sa gueule, et il resta ainsi, serrant plus fort que tout sa mâchoire. Il ne voulait pas la faire souffrir, il voulait qu'elle meure vite. Sa tête tomba mollement sur le côté, et Arleston entama son repas, arrachant peu à peu des lambeaux de chaire tendre. La biche devait être jeune, elle était sûrement née quelques lunes auparavant. En la dévorant, il vit qu'elle avait une patte cassée, et il en déduit que c'était la cause de son abandon parmi les pins. Il abandonna la carcasse entièrement dénudée de chaire, oui, il avait une appétit de loup, et se dirigea vers les terres Lazulis. Sur le chemin, il pourléchait ses babines, le goût du sang dans sa gueule, il tenta de nettoyer son menton, d'habitude blanc, maintenant rougie par le sang de la proie. D'un coup, il sentit une odeur alléchante, familière. Il reconnaissait parfaitement les odeurs, et il sourit : c'était Neït, la prêtresse de feu des Lazulis. Elle avait un caractère de cochon, et il adorait ça. Il balançait sa queue de droite à gauche, un sourire narquois s'afficha sur son museau. Elle lui parla avant même qu'il ouvre la gueule, et il resta debout devant elle. Mister Fraisier, il n'y avait qu'elle qui l'appelait ainsi. Il retroussa ses babines pour feindre l'agressivité, comme une vieille plaisanterie et railla, de sa voix rauque et grave :

"J'avais faim, et envie de me dégourdir les pattes. Et toi, alors ? Qu'est-ce qui amène tes jolis fesses divines par ici ?"

Oui, il draguait. Et peu en finesse, mais c'était surtout de la plaisanterie, il aimait la taquiner, la faire sortir de ses gonds, il adorait la voir s'énerver pour un rien, alors il pria qu'elle lui rétorque une réponse à la Neït. Il l'observa un instant, ses yeux jaunes, son corps rayé, et sa tresse tombant sur son épaule, lassivement. Il sourit, léchant toujours ses babines, son estomac rempli. Il sentit soudainement une odeur étrange, âcre et chargé d'agressivité, il soupira et haussa les épaules, peu inquiet. Il devait s'agir d'un solitaire ou alors d'un membre des Etelkrus qui n'aurait pas trempé dans un eau claire depuis des lunes. Et puis, qu'est-ce qui pouvait bien les menacer ?

Le mâle rouge était toujours aussi massif et si Neït n’était pas complexée par sa taille moyenne, elle avait l’impression d’être une ado face à Arleston, ce qui était quelque peu vexant… Comment pouvait-on être aussi grand ? Le monde devait être vu d’une autre manière lorsque l’on était si haut sur patte. Enfin, une montagne de muscles ne rendait pas un loup forcément invulnérable, lorsqu’on savait où frapper et il se trouvait que la fille de Both connaissait bien les points faibles des lupins, très bien même. Un sourire peu rassurant vint étirer ses babines. Au moins son père était parvenu à lui enseigner, à elle et à ses sœurs, deux trois trucs forts utiles mêmes si elles avaient beaucoup appris par elles-mêmes et grâce à Sekmêt. Surtout grâce à Sekmêt en y repensant. Cependant, la génitrice de Neït n’avait pas été un des meilleurs exemple à suivre à cause de sa colère. Une colère qui lui avait retiré tout bon sens et l’avait hanté de rancune, particulièrement lors de ses derniers instants. La disciple d’Ao fixa le vide quelques instants en se remémorant ce combat si violent entre sa mère et sa tante. Si seulement tu avais maîtrisé tes foutues émotions Sekmêt, tu serais encore ici avec nous. Vakyrith ne serait pas partie et papa ne serait pas mort et nous serions tous heureux, mais il a fallu que tu merdes tout, tu n’as pu t’en empêcher… Un soupir las s’échappa de la gueule de la louve. Qu’est-ce qui avait bien pu manquer de plus à sa mère ? Elle avait tout eu, un compagnon aimant même si ce dernier n’était pas franchement un exemple niveau relation..., des enfants qui l’avaient aimés, bref, une famille. Qu’avait-il de plus à exiger ? La famille était la base de tout, les membres qui la composées étaient tes plus précieux alliés, des loups à qui tu pouvais tout confier, des loups qui t’aimaient.

Las, Neït reporta son attention sur son « camarade » de clan. Elle remarqua le poil blanc taché de sang au niveau du menton. Tiens donc, il avait cassé la graine avant de venir ? Un mâle morfal en plus de ça, il avait tiré le gros lot niveau génétique… Entre le pelage de fraise, la sister au caractère mal-léchée et maintenant ça. Cependant ce ne fut pas le seul point qui capta l’attention de Neït dans le physique du mâle. Une lueur bleue à la patte qu’elle connaissait que trop bien semait en elle une vague de curiosité. Ainsi, il avait tenté la dragonne, qui l’aurait cru ? Si la prêtresse ne l’avait pas vu de ses propres yeux, il lui aurait été difficile d’y croire. Certes, Arleston possédait son petit caractère mais tout de même ! Étrangement, la louve était plutôt satisfaite de voir qu’il reportait à nouveau un Glowstick. En même temps, elle ne le voyait pas disciple de Mido ni même de Moiro, quoique avec son épais pelage il aurait pu rendre la tigresse jalouse, une scène qui aurait été amusante à voir… L’ancienne séide constata que pas mal de membres de la meute Lazulis avaient tendance à choisir Ao. Le cas le plus intéressant restait tout de même Anastasia. Cette louve à qui la dragonne avait accordé une épreuve toute particulière, ce qui était fort intriguant… La fille de Sekmêt retroussa légèrement les babines en écoutant mister Fraisier. Bon sang mais il n’avait aucune limite !

« — T’es nul, t’aurais pu chercher quelque chose de plus créatif quand même… » Elle marqua une légère pause en lui lançant un regard noir.« Il me semble que t’es pas assez intime avec mon arrière-train pour en parler de la sorte, occupe-toi de ta paire de fraises, y’a déjà pas mal à faire… »

Tss, non mais vraiment pour qui il se prenait Mister Fraisier ? Neït leva les yeux au ciel. Dire qu’elle était venue ici pour la tranquillité et qu’elle se retrouvait en sa compagnie, tout ça pour parler de ses fesses en plus… Ahlala les mâles, tous les mêmes ! Une bande de corrompus de service… La louve remua une oreille. Depuis un moment elle avait l’étrange sensation d’être observée. L’odeur bestiale, quant-a-elle, continuait de se renforcer et même, elle semblait… plus proche. La femelle leva la truffe en inspirant plusieurs goulées d’airs. Elle finit par reporter son attention sur le mâle, les sourcils légèrement froncés tandis qu’elle prenait la parole d’une voix plus sérieuse que la normale.

« — Tu n’as pas l’impression que… ça sent fort par ici ? Et non avant que tu sortes une conneries du genre je n’essaye pas de camoufler une quelconque mauvaise odeur.»

La prêtresse lui lança un regard lourd d’avertissements pour lui montrer qu’elle serait peu ouverte à une plaisanterie de la sorte. Un silence lourd s’était installé, les oiseaux qui jusque-là chatonnaient, s’étaient tu subitement. Le seul son qui demeurait parfaitement audible était le vent qui soufflait sur les hautes branches des pins. Neït détestait cette atmosphère et elle avait bien raison. Un grognement rauque se fit entendre tandis qu’une ombre camouflait la lumière derrière eux. Lentement, la Lazulis se retourna tandis que son instinct ne hurlait qu’une seule chose. La fuite. D’ailleurs, vu la bête qu’elle avait désormais en face, elle aurait mieux fait de l’écouter. Debout sur ses pattes arrières, un ours brun les toisaient de ses petits yeux noirs perfides. Vu d’en-dessous, l’animal devait bien dépasser les deux mètres… autant dire que la suite des événements s’annonçaient fort peu sympathiques…

« — Oh par les sept enfers… »

Arleston

La louve noire semblait, comme à son habitude, de la meilleure humeur possible. Malgré tout, il rit à gorge déployée, les yeux plissés, il la regardait du coin de l'œil, amusé par son caractère massacreur. Elle était empoisonneuse, prêtresse, il devrait avoir peur de s'attirer les foudres divines ou de se voir mourir par asphyxie en ingérant une dose considérable d'arsenic. Pourtant, il adorait l'embêter, ça c'était sûr. Ainsi parlait-elle de ses fraises, une lueur salace anima son regard. Il lui adressa un sourire charmeur, s'approcha d'elle d'un pas chaloupé. Son oreille semblait tiquer, Arleston resta à la regarder un instant avant de sentir une drôle d'odeur. Après tout, ils étaient dans les bois, il suffisait qu'une carcasse pourrisse quelque part, que le vent apporte sa fragrance putride aux narines du mâle rouge et imposant. Il haussa les épaules et avant de lancer quelque chose pour la draguer à nouveau, elle lui demanda s'il n'avait pas senti une drôle d'odeur. Ses oreilles se dressèrent sur son crâne, surpris et hébété. Elle l'avait senti aussi. Il hésita à lui lancer une vacherie bien à lui, mais en croisant son regard noir, il s'abstint. D'un coup, un mutisme presque parfait s'abattit sur la forêt, les oiseaux se turent, le vent sembla se muer en un chuchotement lointain et discret. Il regarda autour de lui, en omettant sans faire exprès l'endroit le plus important où se situait la menace. Le temps de se retourner, Neït avait murmuré une injure, ou alors parlait-elle de l'enfer, le mâle rouge ne saurait dire mais une peur indescriptible le saisit aux tripes. Devant leurs museaux, à quelques pas seulement, un gigantesque ours se tenait debout, son regard abyssal sur eux. Arleston ne sut que faire, ne sut que dire. Il resta planté là, la gueule à moitié ouverte. Il aurait préféré se perdre dans les poils noirs de la prêtresse arrogante plutôt que de sonder l'avenir dans les yeux d'un ours mécontent. Il frissonna, et ne bougea pas.

"Putain de merde, c'est pas vrai."

Il sentit sa conscience et son instinct se réveiller, il murmura alors, à voix basse :

"Neït, il faut qu'on recule doucement, et qu'on court, le plus vite possible."

Sa voix étant rauque, son murmure n'était qu'une succession de bruits sourds. L'ours tendit une oreille, aussi courte soit-elle, et reposa ses deux pattes avant sur le sol, le sol vibra légèrement. Arleston ne bougeait toujours pas, il avait beau être massif, musclé et fort, il ne ferait pas long feu face à un ours, la seule solution possible était de fuir, tant qu'il en était encore temps. Il s'approcha doucement de Neït, pour essayer de voir son expression. Si elle était terrorisée, bloquée dans une peur étouffante, il devrait la ramener avec lui, si elle était prête à fuir, il déguerpirait aussi vite qu'il était arrivé. Mais à peine fit-il un pas, que l'ours ouvra une gueule béante, un hurlement rauque résonna, un filet de bave accompagnant la plainte. Il n'était pas blessé, juste terriblement en colère. Pourtant, ils n'avaient rien fait, à part se balader tranquillement. Ou bien était-ce les Etelkrus qui leur avaient envoyé un ours ? Non, la meute adverse n'était pas dresseuse d'ours. Ou alors était-ce Aka qui punissait les deux Lazulis de se présenter ainsi entre ses arbres ? Il l'ignorait, mais il était sûr d'une chose, il devait éviter la mort. L'ours se mit à marcher, ses longues griffes courbées effleurant le sol, d'un pas lourd et lent, il s'approchait. Les prédateurs devenaient proies. Arleston donna un coup de hanche à sa semblable, dans l'espoir qu'elle lui réponde enfin.

"Hey poupée, c'est pas le moment de rêvasser."

Il voulait sourire, la taquiner, mais la joie se faisait soudainement plus absente que jamais. Il posa son regard sur la louve noire aux reflets colorés, inquiet de son avenir. L'ours se mettait à foncer, à présent, galopant rapidement. Arleston n'écouta que son instinct et se mit à courir vers l'ouest, espérant que l'ours le suive, pour laisser le temps à Neït de réagir comme il le faudrait. Il courait, il sentait déjà ses muscles se gonfler d'acide lactique, l'adrénaline circulait dans son sang à une vitesse prodigieuse, il se sentait en vie, pourtant si proche de la mort. Il contourna l'ours, qui se retourna avec fureur. Le rouge devait le rendre fou, c'est la seule explication possible, songea Arleston. Et tandis qu'il tenta de s'enfuir, l'ours le percuta de plein fouet contre le flanc. Il était rapide, cette sale bête. Propulsé par une force surlupine, atterrit contre un arbre qui craqua sous son poids, il poussa un long gémissement de souffrance, sentant une côte sûrement cassée. Il grogna, se releva doucement et poussa un aboiement rauque, pour attirer l'ours vers lui. Il ne fallait pas qu'il touche Neït. Il ne bougeait pas, tandis que l'ours se rapprochait en courant, de minuscules cailloux sursautaient à chaque pas sur le sol. Alors que l'ours allait abattre une patte puissante et griffue, Arleston ferma les yeux si fort qu'il activa son pouvoir. La lueur bleutée s'intensifia, et son corps se changea en pierre. Il perdit le souffle, les battements de son cœur, il était comme mort. L'ours poussa un hurlement de rage, sa patte blessée saignait, une griffe s'était arrachée contre la pierre. La statue d'Arleston resta inanimée pendant un instant, puis d'un coup les poils rouges percèrent à travers la roche, ses poumons le brûlèrent d'un coup en sentant l'air frais s'agglutiner à nouveau. La bête enragée s'était détourné de lui, vexé, et se dirigeait vers Neït avec fureur. Arleston resta allongé un instant, couché en boule, à sentir toutes les parties de son corps se réveiller après cette mini-mort. Les nerfs à vif, les pensées s'affolant dans son crâne, Arleston se relève avec douleur, ses veines se retransformant en matière vivante, ses articulations craquant violemment, il lance un regard à Neït, plus loin, en espérant que l'ours ne la blesse pas. Même si elle avait sale caractère, elle ne méritait pas de mourir ou d'être blessée.

Un lourd silence régnait autour d’eux, dans certaines circonstances cela aurait été agréable mais actuellement, cela faisait monter une légère anxiété chez la louve. Le silence était souvent signe de danger et le danger quant-a lui n’était jamais un très bon signe… Les prunelles vertes de Neït ne lâchaient pas le prédateur des yeux qui lui les observait de ses petits noirs et menaçant. Arleston avait raison, il fallait qu’ils reculent pas à pas, bien que l’instinct de Neït ne lui dictait qu’une seule chose, la fuite. Cependant elle ne pouvait décemment pas laisser mister fraisier en compagnie de petit ours brun, cela ne se terminerait pas bien. L’animal retomba sur ses pattes arrières avec force, c’est qu’il pesait bien son poids l’animal… La prêtresse ne comprit pas immédiatement ce que fût l’élément déclencheur, il n’empêche que l’ours s’avançait vers eux et n’avait clairement pas l’intention de les laisser filer facilement. La louve ne parvenait pas à lâcher le regard de charbon de l’animal, c’était à la fois tellement effrayant et …fascinant. Cependant, Arleston lui donna un coup de hanche qui l’obligea à quitter son observation.

« — Dommage, si cela avait été un rêve j’aurais très certainement pu te faire comprendre qu’un coup de hanche n’est pas la meilleure des idées pour faire le joli cœur… »

Malgré les circonstances, Neït avait une certaine pointe d’ironie dans la voix. Il fallait bien détendre quelque peu l’atmosphère, après tout le danger qu’ils courraient n’était pas minime... Alors que le prédateur s’était mis à courait vers eux, l’empoisonneuse entreprit de chercher un objet qui lui était précieux dans sa chevelure. Cependant Arleston prit les devant en s’enfuyant ayant sûrement pour objectif que l’animal le poursuive, ce qui sembla marcher. Aussi, elle profita de ces quelques instants de répit pour attraper la fine tige dont le bout était décoré de quelques plumes. La prêtresse croisait mentalement les griffes en espérant que la mixture qui recouvrait la fléchette ferait encore effet car contrairement à ses habitudes, cela faisait un petit moment qu’elle ne l’avait pas entretenu en remettant une dose de belladone. Pourvu que ça fonctionne, sinon nous sommes foutus! Elle n’osait trop regarder comment se portait Arleston, d’ailleurs elle n’en eut pas le loisir car l’ours revenait vers elle, paraissant plus furieux que jamais. Va falloir la jouer fine si tu veux pas venir en pot de miel...

Le plan de la prêtresse était bien précis maintenant qu’elle l’avait en tête. Ce qu’elle allait faire serait sûrement dangereux et elle n’en échapperait sûrement pas indemne, mais mister fraisier lui avait tout de même sauver la vie et cela elle ne pouvait l’ignorer. La fléchette au coin de la gueule, Neït se faufila sous l’animal qui s’apprêtait à donner un coup de patte. Il mit quelques instants à réagir, bougeant dangereusement ses pattes qui menacèrent d’écraser la fille de Sekmêt, d’ailleurs cela allait finir par arriver si elle ne se sortait pas vite de ce merdier. Cependant, il fallait qu’elle vise le bon endroit pour planter la fléchette, auquel cas cela mettrait trop longtemps à agir et s’avérerait sûrement fatidique. C’était dans le cœur que Neït avait pour objectif de la planter, là où elle permettrait la diffusion la plus rapide dans le sang. Aussi, lorsque l’animal tenta de se remettre debout, offrant à découvert le dit endroit juste en-dessous d’une de ses pattes-avants, Neït bondit et enfonça la seringue. L’ours mugit et donna un coup de patte qui effleura Neït au visage, lui picotant quelque peu la joue. La prêtresse recula tout en jetant des regards au misanthrope qui commençait à tanguer. La louve n’était pas tranquille, craignant que les effets de la fléchette lui fasse défaut, mais visiblement elle s’était trompée. Au bout de quelques minutes, non seulement l’ours s’écroula sur le sol, mais sa respiration avait ralenti. Pour un animal de ce poids-là, la dose était trop faible pour le tuer, cependant il demeurerait quelques heures dans le monde onirique.

Le souffle haletant, la prêtresse chercha mister fraisier du regard. Il semblait encore plus mal en point que l’ours. Hésitante à laisser l’animal sans surveillance, la louve finit néanmoins par s’approcher d’Arleston. Un léger sourire vint étirer ses babines, biens qu’ils venaient probablement d’échapper tous deux à la mort.

« — Bah dit donc, petit ours brun était en sacré pétard, comme quoi Aka n’apprécie pas qu’on parle de fraises non loin de son temple. »