Roses through emotions. | Abélard

Plic, ploc. Filiforme, l’ancienne aux cheveux cendrés. Plic, ploc. Légère, traverse cette vieille louve agitée.

La vieillesse n’avait pas enlevé son physique attrayant de belle louve à Azura. La doyenne herboriste refusait de se mettre en retraite, estimant que les soins n’étaient pas assez physique pour arrêter d’exercer. Perdue, ne savant plus trop où elle en était dans sa vie, la Lazuli tenait au moins à continuer son travail. Mais aujourd’hui, ce n’était pas pour cueillir des plantes qu’elle s’était un peu éloignée du camp. Son corps ne lui permettant plus, elle ne s’était pas aventurée hors des terres, mais avait tout de même tenu à se recueillir sur l’île de leur territoire, l’Île aux Roses. De pierre en pierre, elle sautait aisément pour traverser la distance qui séparait le rivage de l’île. Son agilité avait été préservée pour le moment. Ce qui l’embêtait surtout, c’étaient les douleurs, notamment au dos. Mais aujourd’hui, elle n’y pensa tout simplement pas. Elle essayait de ne penser à rien du tout. Le coucher de soleil se pointait au delà des océans, signifiant la fin de l’après-midi, et le début d’une nouvelle soirée. Arrivée sur l’île, elle ne put s’empêcher de rester béate devant ce qui se tenait sous ses yeux. Les rosiers, tenus ici par milliers, étaient gardés intacts, comme si l’hiver avait été figé sur ces magnifiques fleurs. Les lueurs du soleil couchant jouaient sur les teintes des pétales, qui les rendaient en un harmonieux camaïeu de rouge, rose, orange, jaune et même violet. Elle s’avança prudemment, comme de peur de rompre le spectacle qui s’offrait à elle sans aucune raison. Elle passa entre les roses, inspirant leur douce odeur avec délectation. L’ambiance était euphorisante, tandis qu’elle tournait sur elle même en observant les environs.

Drôle de décor pour de telles pensées négatives. Délicate balance entre le sombre et le lumineux d’une vie. Confrontée à cette réalité, qui n’était autre que sa profonde tristesse et solitude, mais aussi à la joie de trouver en ce moment inédit de la fin de journée un paysage aussi époustouflant mais d’une simplicité déconcertante, Azura fut grandement émue. Une légère brise vint faire flotter ses cheveux châtains virant au blanc par quelques mèches cendrées, et elle finit par s’effondrer, au milieu des roses, sur le sol. Elle souleva la poussière dans sa chute délibérée, pour y fourrer la tête entre les pattes, ses longues oreilles plaquées en arrière de désespoir. Le long du pelage délicat de ses joues, apparut alors un trait humide rayant son visage de ses larmes progressives et silencieuses.



Elle ne savait plus quoi faire.
Elle ne savait plus quoi être.
Elle ne savait plus qui être.
Elle ne savait plus comment vivre.

Odeur familière.
Brise venant titiller le museau.

Elle ne s’attendait à n’y voir personne, en cet endroit singulier. Elle s’attendait à faire sa recluse une fois de plus, en cette île éloignée.
Mais, grâce à la brise qu’elle avait créé, son odeur lui était parvenue.
L’odeur des siens, d’abord. Une odeur inchangée, ils avaient toujours été camarades. D’abord Brethens, puis ensuite Lazulis.
Il était une des raisons qui la retenait encore là. Elle n’avait pas ouvert les yeux, elle n’en avait pas la force. Elle était fatiguée. Physiquement. Mentalement. Elle restait là où elle était, ne bougeant pas d’une griffe. Elle sentit le mâle s’affaler face à elle, ce qui la fit plisser ses yeux toujours clos. Elle tenta de ravaler ses larmes, mais ce que lui dit alors Abélard l’émeu d’autant plus.

« Ne pleure pas… T’es moins jolie quand tu pleures. » 

Elle ne l’avait pas senti arriver lors de sa traversée jusqu’à l’île. Mais elle savait maintenant qu’il était bien là.
Elle était saoule de ses propres larmes, ivre de cette émotion de tristesse, qui vint se traduire par un glowstick bleu qui s’illumina d’une lueur très forte, presque aveuglante. Très rapidement, une brume épaisse entoura les loups, qui ne pouvaient presque plus se voir correctement.
Une brume chargée d’humidité, comme ses yeux piquants d’eau saline.

Elle leva tout de même ses yeux azur vers ceux verts de son ami.

« Tu… Trouves… Que je suis jolie ? »

Elle n’y croyait pas vraiment, et pensa que c’était très certainement pour la rassurer, mais tout de même, ça avait un petit peu marché. Parce qu’en ce moment, il était clair qu’Azura se détestait. Elle n’était pas bien, dans sa tête, dans sa peau, et physiquement.
Rien. N’allait.
Mais le loup clair vint réchauffer son coeur de par sa simple présence, sans qu’elle puisse vraiment savoir pourquoi.

Tu… Trouves… Que je suis jolie ?

Le loup leva la tête, pour se dégager la vue dans un tintement de breloques.Il avait besoin de tout son champ de vision pour pouvoir répondre sérieusement à cette question importante dont la naïveté le fit sourire.
Azura était l'une de ses personnes belles sans rien faire pour et sans sembler s'en rendre compte. Malgré son âge, Abélard la trouvait inchangée à la première fois où ils s'étaient parlés, où il l'avait vue vraiment.
Elle semblait juste plus fatiguée.

Ces rides et ces larmes, il aurait aimé les effacer d'un coup de griffe.

La nature semblait vouloir prendre sa peine aussi. Les roses et la lumière du soleil étaient les seuls atours dont elle avait besoin.
Etait-elle belle ?

Oui. répondit-il simplement.

Rien d'autre à ajouter, rien d'autre que les mots ne pouvaient faire pour l'aider. Ab passa délicatement sa patte sur la joue d'Azura, voulant sécher ses larmes.
Il était là, avec elle. Elle n'avait plus de raison d'être triste. Il écouterait ses malheurs et il les sécheraient comme ces larmes qui mourraient sur sa peau.

Je suis là si tu as besoin.

Un simple oui qu’elle aurait pu romancer en un doux poème.
La brume qu’elle venait de créer se changea en un vent plus doux, qui semblait venir caresser les pelages des deux Lazulis. Elle cligna des yeux, quelque peu surprise par la simplicité et la sincérité de la réponse de son ami. Cela ne stoppa pas ses larmes, au contraire, cela l’émouvait d’autant plus, elle ses larmes virent se cogner contre la commissure des lèvres de la louve qui venait de lever un petit sourire. Agacé par ses larmes, le mâle tenta de les chasser délicatement dans un geste qu’Azura jugeait tendre.

« Je suis là si tu as besoin. »

Ces mots la tétanisèrent sur le moment. Ses larmes s’étaient instantanément stoppées, ses yeux bleus fixaient les verts d’Abélard.
Personne n’avait été aussi présent qu’en ce moment même.
Cette soirée était étrange.

Elle était triste, comme au plus bas, mais elle était également émerveillée par la nature qui l’entourait et le spectacle qu’elle lui offrait. Enfin, qu’elle leur offrait à présent. Nature qui, d’un seul coup, se réveilla comme d’un claquement de griffes en elle. Au plus profond d’elle. Comme si une certaine magie avait eu pitié d’elle et de sa solitude, et avait voulu lui rendre quelque chose qu’elle était sensée avoir perdu depuis quelques temps maintenant.
Novembre et ses petites surprises fit papillonner son ventre, et ses yeux bleus luisaient désormais. Dans un élan de tendresse, de besoin immédiat, elle se pressa contre le poitrail du mâle, cherchant le réconfort… Physique.

« Merci Abélard. »

Il posa son museau sur le haut de son crâne.
Puis il ferma les yeux et la serra plus fort contre lui.
Comme si il voulait la retenir éternellement, étreindre sa peine, ne former plus qu'un avec elle.
Là tout de suite, il se sentait, moins triste, moins vide, moins misérable.
Comme si il comptait au moins pour quelqu'un.

Restons ici ce soir.

Il vint se blottir contre elle, entourant leurs deux corps de sa longue queue. Son cœur cognait dans sa cage thoracique, enivré par la douce odeur d'Azura, saoulé par la chaleur de son corps contre le sien.

Azura se sentait ivre. Un apaisement soudain s’empara d’elle quand Abélard se blottit contre elle. Rassurée, paisible à nouveau, le temps autour d’eux semblait s’être arrêté. Les rayons du soleil couchant étaient d’un orange lumineux qui les éclairait de leurs dernières lueur du soir.

Elle ne répondit rien, et se laissa emporter par le cadeau que la mère nature semblait lui avoir exceptionnellement offert, et se laissa aspirer par ses envies et ses émotions, s’abandonnant complètement à Abélard, qui était pour elle, ce soir, et ils resteraient ensemble, ici, au milieu de ce magnifique tableau, à l’écart de tout, mais chez eux.

Le vent ne cognait plus, mais berçait les deux loups dans une danse douce et incomprise de tous.