[ABANDON] L'âme perchée de la pierre prosaïque ❀ Nil & Libre

Tes petites dents arrachent les poils, déchiquettent la peau, mordent dans la viande.

Tu es allongée sur l'une de ces ruines, sans savoir vraiment là où tu te tiens. Les événements du passé sont des choses inconnues, pour toi qui n'est ni de là ni d'ici. Et puis, tu as d'autre choses auxquelles penser : celles qui ne concerne que toi, parfois Maman. Tu te fiches de ce qui a bien pu arriver à ceux du passé, à ceux qui sont morts pour rien et pour tout. Le futur est une chose plus importante.
Tu avais aidé ton premier Perdu, aujourd'hui, Maman avait été si fière de toi. Cette petite alouette qui ne savait pas chanter, avec ses petits tics, peu sûr d'elle mais si sociable. Elle ne savait plus où aller, où se rendre, alors tu ne l'avais pas plumé comme le voulait la chanson. Tu l'avais suivi, elle t'avait montré ces endroits où elle n'arrivait plus à se poser, parce que les branches n'étaient plus dans le bon sens. Tout s'était retrouvé noyé, tout ne ressemblait plus à rien. Elle avait perdu son cœur, là quelque part, tu l'avais retrouvé et enterré dans la forêt. Et puis vous aviez poursuivi votre route, toi et l'alouette. Elle t'avait emmené ici, et elle avait voulu se poser sur ces pierres, parce que c'était le premier endroit qu'elle avait visité, il y a si longtemps de ça.
Tu t'étais couchée sur elle, et elle avait disparu en un petit volute de fumée mauve, aux allures de méduse.

Et tu étais resté là, à regarder cet endroit. Ces tas de pierres et de cendres, ces débris. Tu trouvais ça joli, Jolitemps. Maman avait fini par te ramener un morceau de viande de loup. C'était un loup qu'elle n'avait pas vu, alors qu'elle suivait un Perdu, et qui était tombé dans un ravin. Elle n'avait voulu gâcher sa viande, alors elle l'avait trainé derrière elle, pour le laisser dans votre tanière, et de le garder quelques jours en repas, jusqu'à ce que sa viande ne pourrisse et ne vous force à vous trouver un autre endroit où dormir. Vous laissiez souvent maintes ossements et peau, dans les antres que vous habitiez. Des lapins, des oiseaux, des chevreuils blessés. Plus rarement, des loups. Il serait sûrement la raison de votre départ, le signe que bien trop de Perdus s'étaient accumulés autour de vous.

Tes petites dents arrachent les poils, déchiquettent la peau, mordent dans la viande.

Arastée pose ses huit pattes contre ton oreille pour te murmurer qu'une louve approche, qu'elle n'arrive et n'est plus des plus innocente. Tu l'écoute, tu hoches la tête.
Et tu attends.

Ce que t'as dit Arastée ? C'est un secret, toi seul le sait. Mais tu introspectives gentiment, aussi acceptes-tu de divulguer ces quelques informations qui ne filtreront la barrière de tes lèvres ou d'un écran. Ton araignée, qui n'est pas à ton plafond, t'as dit qu'une louve approchait, oui. Si peu innocente qu'elle avait en vue de te prendre ton repas, à cette façon de progresser d'un pas décidé vers toi.
Ça ne te dérange pas, qu'on te prenne ta nourriture. Tu aurais pu avoir pitié des mauvais chasseurs, si tu avais pu éprouver un sentiment de la sorte. Tu sais qu'il reste tant de viandes sur ce loup, que tu peux bien te montrer généreuse, pour une fois : de toute façon, il finirait par pourrir et attirer les mouches, et sa viande de devenir celle des âmes.
Tes pattes se retirent te ta cuisse de loup, et tu te contentes de tendre le cou pour continuer à grignoter quelques lambeau de chaire, les aspirants comme de divins spaghettis tant la viande était fine. C'était un jeune mâle, dans la force de l'âge : mais Maman n'avait pas fait exprès, il se tenait sur son chemin.
Et la voilà, cette louve. Tu ne l'attendais plus, désormais tu es presque repus. Elle pose ses yeux vairons sur toi, que la talentueuse Poussières d'Etoiles n'auraient eu à lui envier.

« Ça vient d'un morceau de corps mort. »

Une évidence que délie ta langue. Ça se voit, non, d'où ça vient.
Ta queue s'agite, traine sur la roche, dessine des courbes dans ton dos. Tu souris, comme tu le fais si souvent, de cette petite expression qui est bien tienne. Tes petites oreilles s'agitent, et tu étends tes pattes avant, tes griffes venant jouer contre la pierre. Tu parles encore, presque en chantonnant, de ta petite voix d'enfant fluette.

« Il vient d'ici, comme toi. Il vient d'un trou, comme toi, comme moi. Maman n'a pas fait exprès, il était sur le chemin. »

Tu t'arrêtes, net, pour mieux la regarder de tes yeux, de tes yeux bleus comme ceux de Maman. Tu te lèches les babines, sans la lâcher des yeux.

« C'est bon, tu sais, de manger de l'ici. »

Si tu t'étais plus intéressé à ce que tu aimes, sans doute la viande lupine aurait été ta favorite.