Blessure légère | Gabryël

La journée était presque entièrement écoulée lorsque Karigan remit enfin les pied à Grand Castel. Son tour de garde avait pourtant commencé bien tôt dans l'après-midi. Elle avait quitté le camp de bon train et alerte, accompagnée de l'un de ses collègues de rang, pour une traditionnelle patrouille sur les frontières du territoire. Ils avaient décidé de se séparer une fois parvenus au Marais aux Lianes, l'un allant suivre la frontière côtière jusqu'au Nord, et l'autre celle qui longeait l'immense massif montagneux qui séparait les territoires des deux grandes meutes de Punk-Wolf. A la louve grise était revenue cette seconde partie, qui comprenait la traversée des Dents du Roc. C'était plus ou moins là que les choses s'étaient gâtées. Cette terre était sans doute, après les marécages, la plus fourbe du territoire Etelkru. Son aspect de grande forêt de résineux ne laissait pas présager les monceaux de pierres coupantes qui en tapissaient le sol, sous le doux tapis d'épines. Et la grise s'était faite avoir plutôt stupidement. Elle avait trébuché sur un relief, perdue dans ses songes, et s'était réceptionnée de sa presque chute en plantant l'une de ces lames de pierre dans sa patte droite. Elle avait compris en la retirant, sanglante, que le retour allait être bien plus ardu que l'aller.

Même si sa condition physique s'était grandement améliorée ces derniers temps et qu'elle affichait d'avantage une silhouette élancée que la maigreur terrible qui la caractérisait en temps normal, traverser le territoire de nouveau pour revenir au camp sur trois pattes s'avéra être un calvaire terrible. La coupure dans ses coussinets était salie par les épines et la terre sur laquelle elle avait tenté de marcher avant de se résoudre à boitiller, et la piquait terriblement. Elle laissa derrière elle une traînée de gouttelettes sanglantes qui ne manquerait pas de faire une piste aisée à suivre pour tout prédateur un peu téméraire. On murmurait que des fauves sortaient de leurs caches en ces prémices d'hiver pour s'attaquer directement aux lupins ces derniers temps. Il y avait de quoi avoir des frissons dans le dos.

Le soleil déclinait donc à l'horizon quand elle parvint enfin à rejoindre le camp de sa meute, essoufflée et sa patte gauche fatiguée d'avoir eu à porter son poids pour tout ce chemin. Elle s'arrêta un moment au milieu du camp, indécise. Fut-un temps, elle n'aurait pas hésité et serait directement aller auprès de sa mère Romance ou de son aîné Roy, tous deux guérisseurs de fonction depuis leur prime jeunesse. Mais il se trouvait qu'aucun d'eux n'était plus là. Elle n'avait plus guère de famille proche dans cette meute, et parfois cette évidence lui tombait dessus comme un coup de griffes dans le museau et lui serrait la gorge. Elle chassa l'angoisse qui menaçait de monter en elle, inspira profondément. C'était un énorme travail sur elle-même qu'elle avait effectué après le déclic qu'avait été la presque Apocalypse que les terres avaient vécue, pour ne plus succomber aux multiples terreurs qui l'habitaient sans cesse.
Elle balaya les alentours du regard, et finit par décider d'aller vagabonder entre les grottes individuelles qui se trouvaient dans les galeries de Grand Castel. Elle finirait bien par tomber sur la tanière d'un guérisseur, ou même sur celle où tous centralisaient les réserves de remèdes et où elle trouverait sans doute quelqu'un. Elle se mit donc en quête d'un individu capable de soulager le mal qui lui piquait la patte, l'air peu assuré et en boitillant.