Passion brûlante sur glace [Némésis]

Agravain

D'énormes flocons de neige tombent du ciel, le sol est maculé de neige, et à chaque pas, les pattes rousses d'Agravain s'enfoncent de quelques centimètres dans un crissement sourd. La tache orange du chevalier tranche particulièrement dans le décor glacial de l'iceberg. Il fait froid, une douce brise souffle tranquillement. Agravain a la tête haute, il s'est rasé plus ou moins, la longue barbichette qui s'emmêlait à son menton a disparu, ses cheveux bouclés noirs sont propres et brillants. Il a changé. Une mince buée sort de sa gueule entrouverte, un sourire aux babines, il avance patiemment. Depuis qu'il a avoué ses sentiments à sa bien-aimée Némésis, son cœur s'est enfin remis à battre. Il a jeté toutes ses bouteilles d'alcool dans un fossé, il repense au clac significatif du verre se brisant contre un rocher, ce bruit se répète souvent dans son crâne, symbole de son changement de vie. Il marche avec souplesse, il a reprit quelque peu ses entraînements de chevalier, ses muscles sont gorgés de sang et gonflés par la petite course qu'il vient de faire sur la grève. Le souffle court, ses yeux brillent d'une lueur nouvelle. Il pense de plus en plus à retrouver Méléagant, il ne l'a pas croisé parmi les Etelkrus, et après avoir demandé à la meneuse, il a appris qu'il logeait sûrement parmi les Nakhus auprès de Winnifred. Son cœur pulse le sang avec force tandis qu'il répète à voix haute ce qu'il aimerait dire à son frère.

"Excuse-moi, mon frère, je... je m'étais perdu dans..."

Il secoue la tête et cherche ses mots. Il a peur de perdre ses mots devant son frère, ses yeux bleu glacial le dévisageant. Agravain craint qu'il le rejette après tout ce temps sans nouvelle. Il verrait sûrement dans ses yeux de miel l'alcool ayant apposé sa marque, son regard est légèrement voilé. Il baisse la tête et réitère une tentative.

"Mais maintenant ça va mieux, j'ai rencontré une dame. Une dame extraordinaire, j'aimerais tant que tu la rencontres, elle est magique, d'une élégance rare, d'une beauté..."

Il se stoppe, sa voix se lézarde, son ventre se noue, de minces frémissements agitent ses intestins. Il l'aime, d'un amour si pur, si fort. Il baisse la tête et continue son trot, il toussote et s'arrête. Plusieurs lunes se sont passées depuis son abstinence, il a mal au cœur, et sa gorge réclame de l'absinthe. Il repousse son envie, et se focalise sur Némésis. Il a envie de la voir, de l'embrasser mais il ignore où elle dort quand la fatigue vient, il ignore où elle vit. Il est pourtant passé aux Côtes de Nacre, mais sa famille avait mystérieusement disparu, ne laissant de la plage qu'un sable froid, jonché de cadavres de bouteilles. Il soupire, et ferme les yeux un instant, s'imaginant le corps gracile de Némésis. Il dessine son corps dans sa tête, son aile unique, la ligne de son dos si magnifique, ses yeux d'une douceur infinie, ses cheveux noirs de jais aux mèches emmêlées, retenus par son bandeau. Il frissonne et quand il ouvre les yeux, il manque de peu un trou dans la glace. Il s'arrête et se penche au-dessus du rond donnant sur l'eau gelée. Il voit son reflet, et d'un coup, le museau de Némésis apparaît à ses côtés. Il reste un instant sans bouger, se demandant si l'abstinence lui fait perdre la tête. Il regarde le sourire de sa douce, elle semble amusée, elle est si belle. Il hésite à lever le regard pour voir si la belle louve est en face de lui, de peur qu'elle ne soit qu'un mirage.

Maintenant qu'elle avait quitté les Raeders, Némésis était prête à finir sa vie avec celui qui occupait son esprit depuis des mois durant. La louve au pelage rouge voyageait désormais seule, pour la première fois depuis bien longtemps. Les Raeders avaient été comme une famille pour elle et l'ancienne pirate avait eu un peu de mal à dire au revoir à tout ses camarades, mais toutes les bonnes choses ont une fin. En sachant que sa véritable fin arrivait à grande vitesse étant donné sa faiblesse apparente, Némésis était persuadée d'avoir fait le bon choix.
Malgré son flair quasiment effacé par Everbloom, elle avait fait tout son possible pour retrouver et suivre la trace d'Agravain. Celle-ci l'a menée jusqu'à la grève gelée où de lourds flocon de neiges commençaient à saupoudrer son pelage rouge. Collant son aile contre elle pour se tenir au mieux au chaud malgré son pelage très peu épais et inégal, elle s'est mise à avancer à tâtons dans la neige, espérant tomber sur Agravain par chance.

Après quelques longues minutes de marche, l'odeur du chevalier fut d'un seul coup plus forte. Elle redressa les oreilles et aperçut à travers la pluie de flocon une tâche fauve. Si ses vieux os ne lui faisaient pas autant la vie dure, elle aurait accouru comme lorsqu'elle était plus jeune, mais comme ses capacités étaient réduites, elle se contenta de marcher doucement dans la direction de l'Etelkru pour venir se placer à côté de lui. Son visage surprit dans le reflet de l'eau gelée tira un sourire et même un semblant de rire à la louve aux yeux azurs. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu'elle pouvait l'entendre dans ses tempes.

"Il fait froid ici..." murmura-t-elle.

Ça lui changeait clairement de la plage et des bains de soleil. Cependant cet endroit n'était pas si peu agréable pour autant, il avait même un certain charme et un côté un peu magique avec ce paysage si blanc et ces gros flocons qui se posaient délicatement sur leurs pelages.
Lentement, la vieille louve s'est approchée du mâle fauve, collant son pelage au siens, enfonçant sa truffe dans son cou. Les yeux clos, elle se contenta de profiter de ce moment comme si c'était le dernier. C'était dans ce genre de situation qu'elle voulait que le temps s'arrête...

Agravain

D'un coup, la douce voix mélodieuse de sa belle Némésis résonne aux oreilles du chevalier roux. Agravain relève la tête et la tourne lentement. Elle est là, près de lui, et avant même d'avoir pu récolter le livre que la beauté elle-même a écrit sur son visage, elle est contre lui, et il sent sa respiration contre sa peau. Son odeur l'enivre, et uen fragrance toute particulière lui colle à la peau. Elle sent le désir, le péché. Il détourne son esprit de ces pensées déplacées et enfouit à son tour son museau dans la chevelure blanche de Némésis. La drôle de créature qui l'avait frôlé à leurs retrouvailles lui avait enlevé toute couleur mais aucune beauté. Il recule sa tête et l'observe, il plonge son regard d'agate dorée dans le sien océan. Il voudrait s'y noyer pour le restant de ses jours, il se sent débordé d'une énergie nouvelle. Il va l'aimer et la chérir pour les nombreuses années à venir ensemble. Agravain sautille tendrement, comme un louveteau impatient, il passe d'une patte à l'autre et souffle une petite buée qui s'envole dans l'air pur.

"Ta présence me réchauffe considérablement, ma douce."

Il lui offre un sourire emplie d'une douceur infinie, son côté niais ne lui importe plus, il se fout de savoir qu'il est fleur-bleue, il l'aime et c'est tout ce qui compte. Elle ne la jugera pas, elle, elle ne le traitera pas de fiotte. Il frissonne de bonheur et se love contre elle, prenant garde à ne pas froisser les longues plumes de son aile solitaire. Sa tête contre la sienne, il hume son odeur, mémorise chaque note florale et saline de son parfum. Elle sent comme la mer, songe-t-il. Mais pas comme ces immondes crustacés, l'odeur de sel sur elle est légère, flottante, elle l'enroule dans une brise marine fraîche et revigorante. Il se retire et l'embrasse tendrement, dépose un second baiser à la commissure de ses lèvres puis passe tendrement sa langue sur sa truffe. Il meurt d'envie de lui dire combien il l'aime, combien il est heureux d'être avec elle, combien elle lui sauve la vie. Il aimerait tellement lui dire qu'elle est un ange envoyé par les Dieux. Il lève la tête vers le ciel et tire la langue pour attraper un flocon. Il rit doucement quand une touche froide atterrit sur le muscle baveux, il tire la langue à Némésis pour lui montrer sa prise mais le flocon s'évapore à cause de la chaleur qui émane de lui.

"Je t'aime tellement, ma douce Némésis."

Il sourit un peu béatement, penche la tête à la manière d'un dingo, laissant ses oreilles et ses cheveux pendre d'un côté. Il la regarde, et de nouveau, il l'enlace amoureusement. Elle sent si bon. Il reste ainsi lové contre elle, et malgré la banquise sur laquelle il se trouve, un feu brûle en lui, inondant chaque pore de sa peau d'une chaleur infernale.

Qu'il est bon d'aimer et d'être aimé en retour.

L'odeur d'Agravain lui montait à la tête et provoquait en elle des picotements chaleureux et étranges dans le thorax. Elle respirait sa fourrure, s'enivrait de ce parfum si doux et si violent à la fois. La louve sentait son corps tout entier se réveiller lorsqu'elle inspirait cette odeur si addictive. Il y avait comme quelque chose de différent depuis la dernière fois, quelque chose de plus sucré dans l'air... Pour la première fois, Némésis se sentait vraiment sensible au chaleur. Elle redoutait ces chaleurs depuis bien longtemps, la phobie d'avoir des enfants la suivant depuis sa plus tendre enfance, mais aujourd'hui elle était plus apaisée. En présence d'Agravain, tout cela n'avait plus d'importance.

La solitaire au pelage immaculé accueillait chacun des gestes de tendresse de son amant avec un petit sourire timide. Elle était bien trop à sa merci, elle ne pouvait plus résister au chevalier. Elle se sentait bien quand il l'embrassait, elle riait quand il lui faisait des grimaces en attrapant des flocons avec sa langue, elle était prisonnière de cette sensation si chaleureuse dans son cœur. C'était trop puissant, trop irrésistible, c'était comme une explosion à l'intérieur de son corps.

Mais maintenant elle avait peur. Elle savait qu'elle était vieille, que les minutes défilait bien vite et que son temps était compté. Elle avait peur de ce jour où elle le quitterai, car ce jour là, elle allait regretter de ne pas avoir pu profiter de cette sensation magique plus longtemps.
Némésis s'arrêta de rire, le regard dans le vague. Pourquoi fallait-il toujours que la réalité la rattrape ?

"Que va-t-il advenir de nous maintenant, Agravain ?" murmura-t-elle.

La louve aux yeux azur s'assit à côté du mâle aux cheveux noirs, silencieuse. Elle se sentait presque coupable maintenant de profiter autant de cet instant alors qu'il n'est qu'éphémère. C'était comme si, plus elle passait du temps avec Agravain, plus les dégâts allaient être lourds le jour de son départ.
Elle avait peur de faire trop de dégâts...

Agravain

Le rire de sa bien-aimée est une sucrerie aux oreilles d'Agravain. Et quand il attrape un dernier flocon de neige, il entend sa voix mourir doucement, son rire s'évapore comme la neige sur sa langue, elle s'assoit, et son air rieur et arrogant se fige en une mine sérieuse et chafouine. Il l'imite, pose son fessier sur le glacier et l'observe, il passe une patte autour de ses épaules, prend soin de ne pas froisser son aile, et sa voix lui donne l'effet d'une vague déferlant sur lui, il se sent noyé, ses poumons se contractent et il doit lutter pour ne pas céder à la peur de la voir disparaître. Elle ne semble pas sous-entendre une séparation, mais il a peur de comprendre à quoi elle pense. Elle n'est plus toute jeune, et même si aux yeux ambrés du chevalier roux cela n'a peu d'importance, il suppose qu'elle en a pour elle. Et lui non plus n'est pas jeune, il se retient de lui dire, il baisse la tête et la pose sur le crâne de Némésis, ses cheveux noirs fous s'entremêlant avec les siens bouclés.

"Eh bien, à présent, nous allons vivre heureux, l'un à côté de l'autre, je donnerais mes dagues pour te rendre heureuse."

Il s'efforce d'avoir une voix enjouée mais une inquiétude lui sert la gorge. Si elle pense à la séparation ultime causée par la mort, l'angoisse lui prend les entrailles. Il se refuse de penser à cet instant fatidique qui finira bien par arriver, et il souhaite alors de tout son cœur de mourir avant elle, de mort naturelle ou non. Il lève les yeux vers le ciel et prit Dairo de laisser à sa Némésis des cycles lunaires supplémentaires, une vie douce et sans douleur. Il revient sur terre et il sent que sa réponse ne l'a pas détendu. De peur de viser à côté, il demande d'une voix prudente.

"Qu'est-ce qui te tracasse, mon amour ?"

Il espère qu'elle sait qu'elle peut lui parler, Agravain l'écoutera, la conseillera s'il lui faut une solution, ou la soutiendra si elle ne veut qu'une épaule pour s'appuyer. Il se penche un peu et lui vole un nouveau baiser. Au loin, sur la banquise, des oiseaux s'envolent puis atterrissent avec une précision de haut-vol. Il voit des plumes voler, puis de l'eau gicler alors qu'un des volatiles pèchent un poisson qui frétille de mécontentement. Il baisse son regard et observe les pattes blanches de sa compagne. Devant lui, le trou dans la glace donnant sur l'eau glacée laisse miroiter le ciel avec une paresse arrogante, de minuscules poissons argentés passent à toute vitesse dans l'eau. Il reporte son attention sur Némésis, espère qu'elle ne va pas lui annoncer qu'elle préfère le quitter plutôt que d'imaginer la mort les séparer.

Némésis se serra contre son compagnon lorsqu'il passa une patte autour de son cou. Pensive, elle laissait son regard se perdre dans la glace tandis que leurs pelage se faisaient recouvrir peu à peu de neige. Oh, elle donnerait n'importe quoi pour vivre éternellement heureuse auprès d'Agravain. Elle donnerait tout pour qu'ils soient jeune à nouveau et qu'ils aient toute la vie devant eux, comme Thyara et Hyozan l'ont eu. Mais la réalité en a décidé autrement, c'était bien triste.
Lorsqu'il la questionna, Némésis ne répondit pas immédiatement. Son regard était toujours figé et seule sa queue qui remuait légèrement et ses yeux qui clignait de temps à autres marquaient le mouvement de son corps. Pourquoi devait-elle s'acharné là-dessus de toute façon ? Si la fin était proche, il valait mieux qu'elle profite au mieux de son bien-aimé tant qu'il en était encore temps. L'ex-pirate devait vivre l'instant présent quoiqu'il advienne et rendre ses derniers jours mille fois plus heureux que le reste de sa vie.

"Ce n'est rien..." lâcha-t-elle finalement.

Elle se tourna de nouveau vers le chevalier, ses yeux bleus transperçant les siens.

"Nous devons profiter de ces instants si précieux..."

Elle ferma les yeux, frottant sa joue contre celle d'Agravain. Elle sentait des frissons lui parcourir le corps tout entier,
du bout de ses oreilles jusqu'aux extrémités de ses pattes. Elle avait envie d'être près de lui, plus près encore. C'était ce qu'elle voulait le plus en ce moment même.
Némésis donna un coup de langue affectueux sur la joue de son compagnon avant de lui chuchoter à l'oreille :

"Je te veux toi Agravain, maintenant et à jamais..."

Jamais elle ne se serait imaginer dire une chose pareille, mais cette chaleur et ces frissons étaient irrésistible pour elle...

Agravain

Agravain sent une légère tension quand elle finit par abandonner son idée, il baisse les oreilles, inquiet, et ressert un peu son étreinte. Elle se tourne vers lui et ses yeux océan se plongent dans les siens, et à l'instant, il sent son bas-ventre tressaillir, une envie le tenaille. Il accueille la caresse avec douceur, lui vole un baiser. Puis sa voix suave se fit plus douce, plus secrète et alors un frisson le parcourt. Agravain l'embrasse tendrement, puis plus fougueusement. Ils ont beau être sur un iceberg, la chaleur qu'il éprouve en cet instant l'irradie, il s'étonne même de ne pas sentir la glace fondre sous ses pattes. Il lèche son oreille, la mordille doucement et murmure à son tour :

"Je te veux, ma Némésis, je ne veux que toi"

Il l'enlace à nouveau puis se met à tourner, malgré lui, autour de son corps gracile et élégant. Il décrit son corps dans ses yeux de miel, ses cheveux noirs, son bandeau délicat de tissu, son aile unique, la courbure de son dos, l'arrondi de sa croupe, ses pattes hautes et fines, elle est si belle. Une vraie déesse, songe-t-il. Il s'approche et se frotte à elle, prenant soin à ne pas la couper avec ses dagues accrochés à sa taille. Sa fine cape blanche la couvre un instant et avec une douceur hors-norme, il se place sur elle pour lui prouver tout l'amour qu'il ressent.

Une sensation de béatitude l'assaille, il se couche près de Némésis, le souffle court, les yeux plissés à cause d'un sourire niais, il lui lèche la joue puis le cou. Il espère qu'il n'a pas dépassé les limites, mais elle semble sereine. Il lèche avec attention sa patte, puis remonte le long de son épaule pour finir ses baisers sur le coin de sa gueule. Il sourit, il se sent heureux, tout bonnement, une vie nouvelle s'offre à lui. L'odeur sucrée des chaleurs de Némésis lui monte à la tête, la grève gelée semble être devenu une mer turquoise devant leurs yeux, il est heureux et une pointe de soulagement l'assaille. Il a accompli l'acte d'amour avec la louve qu'il aime, et peut-être, si Dairo se montre généreuse, peut-être verra-t-il de magnifiques petits louveteaux quelques lunes plus tard.

"Je t'aime, mon adorée."

Sa voix fluette se perd dans l'immensité glacée, son palpitant s'est calmé et il ne ressent qu'un intense vide réconfortant, comme si sa tête était plongée dans un lit de coton.