Il était là, statue sans expression, assis à une des nombreuses entrées du Gouffre aux Faucons. Gloriel regardait la neige tomber. Les flocons virevoltaient sous ses yeux, dansant avec le vent qui sifflait entre les crocs rocheux. Il ne se lassait pas de ce spectacle bien que le froid lui mordait le corps. Il n'était pas un adepte de cette saison mais la danse hivernale et sa blancheur le fascinait. Il avait alors la chance de découvrir les paysages connus sous un autre visage. Il ferma un instant les yeux. Ce changement lui évoqua celui de la louve solitaire qui avait demandé adhésion auprès de son clan. Autrefois de feu et de braise, Astralys n'était plus qu'aussi pâle et blanche que la poudreuse qui recouvrait lentement mais fermement les terres de PW. Le mâle ignorait la cause de cette dépigmentation chez la demoiselle. Si elle avait changé physiquement, il n'était pas aussi sur que psychologiquement il en fut de même. Elle était comme toute cette neige : blanche, changeant tout de couleurs et d'apparences mais augmentant les dangers. Ce voile de froid et blanc ne cachait-il pas les trous visibles en son absence ? Astralys pouvait en faire de même, cachant ses véritables intentions en prétendant une transformation sur de nombreux plans. Le Chevalier n'était pas dupe. Cette louve représentait toujours une menace et il demeurait sur sa position : il ne souhaitait pas qu'elle rejoigne les Lazulis. Il soupira. Il n'avait aucun pouvoir et son avis ne compterait guère. Il avait déjà osé l'exposer quant à Callisto, se prenant une remarque et un regard mauvais de ses Alphas. Il devait faire attention. Il n'était pas un Lazulis mais un Ethelkrus. Il pouvait se faire chasser à tout moment.
Le mâle se releva et s'étirant, il décida de bouger, ne permettant pas à la poudreuse de le retenir. Il remonta le gouffre avec prudence, longeant les pans rocheux et gardant ses distances vis-à-vis du vide. Il ne désirait pas disparaître pour le moment. Il ne le pouvait pas. Gloriel n'était pas désireux de frôler la Mort tant qu'il n'aurait pas pu revoir sa famille, entière et souriante. Les siens lui manquaient. Il était désormais aux côtés d'Anastasia et il avait pu voir que Brienna était aussi une Lazulis mais les remarques cyniques d'Alys, le rire enfantin de ses souvenirs de Korra … La force d'Athelstan, les coups bas d'Elaine qu'il nommait la Sorcière lorsqu'il était enfant. La grandeur de son père Méléagant au visage pincé d'un sourire qui se dresserait au côté de sa mère Winnifred au sourire éblouissant et semblable à une nymphe. Mayuri qui arborait son calme et son sourire aux babines, invitant à la confidence. Oui sa famille lui manquait terriblement. Elle était à ses yeux l'unique meute en laquelle il croyait. Gloriel s'était certes rangé chez les Lazulis et au côté d'Ao, il n'en demeurait pas moins fidèle aux siens.
Un sourire peiné se dessina sur ses babines tandis qu'il luttait contre la hauteur de la poudreuse. Il ne cessait de s'enfoncer dedans, sentant la brûlure du froid se répandre dans ses pattes avalées dans la blancheur. Il ne désespéra pas et continua d'avancer, encore et encore. Il ne savait pas où y allait mais son corps le savait. Il se laissa bercer par les souvenirs de son enfance. Il se revoyait, avant le véritable chaos et la perte de l'ancien monde, créer un mouron à sa mère, esquivant les cours donnés par son père pour aller explorer le monde. A ce moment-là, la guerre contre les Precursors n'était pas loin mais l'enfant qu'il était ignorait le spectre morbide qui planait, préférant courir après les papillons que de se pencher sur les occupations belliqueuses des adultes. Il profitait de ses découvertes et quand il se faisait attraper par ses parents, il racontait tout ce qu'il avait pu voir de son excursion avec un sourire, se moquant éperdument des réprimandes et du danger qu'était l'extérieur. Il était bien naïf et pour qu'il lui soit donner de comprendre, il fallut qu'il tombe sur un solitaire après l'Apocalypse. Cet événement l'avait radicalement changé mais qui s'en sortirait indemne psychologiquement après avoir été torturé ? Gloriel doutait qu'il y est de telle personne qui puisse exister. La torture détruisait et marquait le corps mais les souvenirs devenaient un véritable poison … La reconstruction devenait lente et dure, la peur demeurait présente, broyant les organes et rappelant sans cesse le danger vécu. Tout ne devenait que noirceur et l'ancien être se perdait pour la naissance d'un nouvel être dans un corps mutilé. Le mâle était passé par ses étapes et aujourd'hui, ce sinistre passage de son existence était devenu son nerf de guerre. Il était le bois alimentant le feu, poussant le canin à avancer sans stagner.
Le Chevalier releva la tête. Son expression était changée. Sa famille lui manquait mais s'il désirait la voir, c'était à lui de s'arranger pour que ce miracle se produise. Attendre ne servait guère quant on désirait voir une personne. Il fallait se battre pour accomplir cette rencontre. Gloriel se mit à sourire. Oui il provoquerait la rencontre avec les siens. Il était prêt à braver les frontières pour retourner sur son ancien territoire revoir les membres de sa famille qu'il avait laissé en s'en allant. Il devrait sans doute aussi rendre visite aux Nakhus car il était possible que leur mère au glowstick de la Corneille y soit. Il songea à son père. Quel choix avait-il fait ? Etait-il resté aux côtés de son épouse ou du dieu Aka parmi les Ethelkrus ? La refonte des clans avait certes scindé la fratrie mais n'avait-elle pas fait plus de dommages chez les parents ? Le Lazulis se permit un petit soupire. Il devrait tous les voir afin de s'assurer que tout le monde allait bien.
La démarche du canin s'accéléra malgré les pièges de la poudreuse. Il avait besoin de voir sa famille et ce fut donc naturellement qu'il prit la direction vers les terres dont il venait. Gloriel ignorait encore quel serait l'accueil qu'il recevrait, ou même s'il parviendrait à trouver l'un des siens et non un guerrier Ethelkrus qui le renverrait chez lui. Il semblait que cette excursion devienne difficile mais il n'allait pas abandonner pour de possibles empêchements. Il esquiva un sourire en songeant aux paroles d'Alys qui ne manquerait sans aucun doute à lui faire remarquer l'apparition de nouvelles cicatrices sur son corps. A croire que le troubadour avait raison : le Chevalier était plus apte à collectionner les balafres que les demoiselles. Le loup mutilé se mit à rire. Il savait qu'il n'aurait jamais une ribambelle de jeunes louves à ses côtés. Il n'en voulait pas et rien que l'idée d'un jour vivre aux côtés d'une dame l'effrayait, alors avoir un harem juste pour faire plaisir à son cadet n'entrait pas dans ses plans futurs.
La forêt entourant le fleuve chantant était d'un calme sans pareil. Les odeurs demeuraient silencieuses, annonçant aucunes proies dans les parages. Gloriel n'appréciait pas l'ambiance de vide que l'hiver laissait. Nombreux animaux hibernaient, restaient à l'abri pour ne pas à se confronter à la poudreuse. Seuls les canins et quelques cervidés semblaient être courageux, bravant le sol qui avale encore et encore leurs pattes. Il soupira et levant le truffe, il essaya de chercher le fumet d'un de ses congénères mais seul le froid le prit dans le truffe. Il éternua et regardant autour de lui, il dut se rendre à l'évidence de sa solitude. Il reprit sa marche entre les hautes cimes dénudées de feuillages des arbres. Le monde de PW semblait comme éteint voir mort. Les chants des oiseaux n'étaient plus qu'un souvenir de la saison des pluies. Les fleurs n'embaumaient plus, retournant sous la terre pour s'abriter de l'empire blanc et de son gel meurtrier. Le seul point positif que le mâle trouvait à la forêt, était l'absence de plus gros prédateurs, tel que les ours. Leur hibernation permettait le monopole aux loups des quelques proies qui s'aventuraient encore entres ces arbres.
Gloriel passa près de la Cascade Sacrée et il s'y arrêta un instant. Il se faufila derrière le rideau d'eau et dans la grotte qui s'y cachait derrière. Il souriait tandis qu'il s'engagea dans le tunnel à l'humidité qui pouvait devenir rapidement désagréable aux articulations. Il chercha du regard un indice qui lui permettrait de savoir si la louve égyptienne était là, mais il ne vit nul part la frimousse ronchonne de la prêtresse. Il supposa qu'elle était dans son abri, penchée sur un établi, concoctant des poisons et autres solutions aux arômes particuliers et à l'odeur s'y prenante que les hauts de coeurs étaient nombreux. Cette pensée arracha au mâle un petit rire puis il se coucha au pied de la fontaine d'Ao. Il leva les yeux et regarda la statue à l'expression sévère et déterminée de la déesse de ce lieu. La Dragonne le fascinait et bien qu'elle était une Dame, elle ne lui faisait plus tellement peur par son appartenance à la gente féminine. Elle était un peu comme Neït et les sœurs du Chevaliers, les seules dames qui avaient réussi à passer outre sa frayeur pour le découvrir et l'aimer comme il était. Il était un loup imparfait, il le savait. Il n'avait pas la beauté des disciples de Moiro à ses côtés par toutes les cicatrices qui barraient son pelage mais ces demoiselles s'en moquaient. Elles semblaient l'apprécier pour son âme et non son apparence.
Il la regarda et il se mit à sourire, remuant légèrement la queue. Elle l'avait accepté malgré sa peur, son corps et son appartenance Ethelkru. Elle avait comblé une âme en perdition. Elle l'avait guidé sur un chemin qui n'engendrait aucun regret dans l'âme du combattant. S'installant plus confortablement sur la roche humide, il se mit à faire un compte rendu de tout ce qu'il lui avait été donné de faire et de voir depuis sa dernière visite au temple. Il lui parla d'Astralys, de leur première rencontre jusqu'à leurs retrouvailles étranges. Le danger qu'un solitaire avait représenté avant qu'il ne soit annoncé comme mort. Il mentionna aussi le retour de Callisto et il remercia la déesse d'avoir continuée de veiller sur elle là où le Clan n'avait guère bougé pour la retrouver.
Lorsqu'il eut fini, il se releva et saluant une dernière fois la statue, il lui tourna le dos et repartit affronter le froid de l'hiver mais surtout la poudreuse. Lorsqu'il sortit de derrière le rideau aqueux, il découvrit avec surprise que la neige retombait avec abondance. Gloriel sentait que le temps n'était pas en sa faveur, qu'il ne pourrait rejoindre les terres Ethelkrus avant la nuit tombée. Il faillit rebrousser chemin mais son coeur lui dicta de suivre ses désirs et non l'esprit qui désirait le faire retrouver la chaleur du Gouffre aux Faucons.
Il se détourna de son départ et il reprit sa marche entre les cimes dénudées des arbres. Ses pas résonnaient comme un sinistre écho. Le Chevalier gardait un fin sourire aux babines. Il ne rebroussait pas chemin, gardant à l'esprit qu'il serait sans aucun doute bien accueilli par sa famille, qu'ils pourront discuter autour d'un feu sur ce qu'ils devenaient puis ils retourneraient tous à leur occupation, à leur clan en se promettant ce qu'ils n'avaient pu faire jusqu'à présent : se revoir. Gloriel avait murmuré cela à son frère, promettant de revenir le taquiner quant il en aurait l'occasion mais ces mots n'avaient pu être qu'entendu par le troubadour. De plus, le mâle avait besoin de s'exprimer auprès du reste de la famille. Il n'avait jamais dis qu'il s'en irait pour rejoindre les troupes d'Anastasia et d'Ao. Sans doute qu'Elaine le croyait mort si Alys n'avait informé personne de son départ ? Korra avait-elle mis au monde et surtout, était-elle toujours vivante ? Sa santé fragile devait avoir compliqué l'accouchement et il accorda une prière à la dragonne pour que sa cadette demeure parmi les vivants en compagnie de ses enfants. Athelstan l'avait-il cherché après sa disparition ? Tant de questions qui demeureraient en suspens tant qu'il ne les poserait pas à sa fratrie. Il espérait qu'il se ferait sermonner par ses parents puis l'étreindre comme lorsqu'il n'était encore qu'un enfant.
Le couvert des arbres laissa place à la Passe Ventue. Le mâle y arrivait par le haut et il devint rapidement la prise du vent. Il ferma les yeux tandis que ses cheveux blancs dansaient en compagnie du souffle glacial. Il resta un instant là, profitant de la caresse et des senteurs de l'endroit. Gloriel put localiser l'odeur de bisons à quelques kilomètres, leurs fumets ramenés par le vent rendaient la saison vivable. Si nombreux dormaient, ces beaux herbivores à la carrure impressionnante ne se dépaysaient pas, continuant les chevaucher sur toutes les terres. Le canin les vénérait. Les bovidés étaient à ses yeux l'incarnation de la Vie en Hiver. Ils courraient s'en réellement s'arrêter, écartant la neige sur leurs passages. Ils créaient des chemins pour tout être plus faible qu'eux. Ils accompagnaient parfois les plus frêles troupeaux vers de nouvelles terres. Ils étaient comme des guides dans une saison où la Mort demeurait à son apogée. De plus, ils protégeaient les jeunes bisons de leur troupeau, repoussaient les adversaires. Ils étaient vaillants et des combattants que peu de prédateurs osaient affronter. Ils étaient le symbole même de l'union. Lorsqu'il était donné de déguster leur chair ferme et ce pendant plusieurs jours, c'était lorsque l'un d'eux décédaient. Le troupeau lui rendait un bel hommage puis s'en allait, rendant à la Nature ce qu'elle avait créé.
Il avait été donné au Chevalier d'assister à leur drôle de cérémonie funéraire. Il en avait apprécié le spectacle puis avec d'autres Combattants Lazulis, ils avaient réussi à ramener la carcasse de l'animal jusque dans le Gouffre aux Faucons où il fut dégusté. Gloriel avait remercié l'animal à chaque bouchée qu'il lui avait été donné de prendre mais il n'avait encore parlé à personne de l'événement auquel il avait assisté avec émerveillement.
Rouvrant les yeux, il détailla les flocons qui continuaient de tomber en nombre. Il esquiva un petit sourire puis il entreprit de descendre le canyon malgré le chemin escarpé et enneigé. Il remercia d'ailleurs la poudreuse qui lui permettait de ne pas glisser dans le vide. Se faufilant pendant un long moment contre le pan rocheux, il s'approchait de la fin de la descente.
Un écho lointain lui vint. Il se concentra sur le bruit puis il se mit à sourire. Les bisons venaient de s'engager dans le canyon que formait la passe ventue. Ils devaient galoper le long de la rivière aux endroits gelés. Leurs sabots devaient marteler sans relâche le sol de glace. Gloriel rouvrit les yeux et il ralentit sa descente. Le troupeau n'allait pas tardé et mieux valait pas qu'il s'engage dans le couloir que formait les falaises car il serait sans doute rapidement pris au piège et les animaux ne s'arrêteraient pas pour un canin se retrouvant sur leur chemin. Le Chevalier manqua de glisser mais il tint bon. Ce fut alors à cet instant qu'il remarqua qu'il n'était plus le seul prédateur de la zone. Il riva son regard de glace sur une jeune silhouette qui était affairée à la construction d'un palais de glace. L'adulte qui descendait prudemment se figea. L'écho du troupeau résonnait, se rapprochant sans cesse d'où se trouvait le loup. N'entendait-il pas le martellement des sabots ? La glace qui craque sous le poids des bisons ? Ou encore ne sentait-il pas les vibrations que provoquaient les bovidés de leurs courses lourdes ?
Gloriel accéléra la descente. Il devait aider celui qui demeurait dans l'ignorance du danger qui fonçait sur lui. Il glissa dans la neige tandis que le troupeau franchissait un virage, se dévoilant. Le coeur du Lazulis se mit à battre à tout rompre. Il devait se hâter. Il manqua plusieurs fois de chuter mais qu'importe, il parvenait à se cramponner de justesse. Il finit par arriver au bout et il lança un coup d'oeil rapide vers la cavalcade qui fonçait sur les loups. Bandant ses muscles, Gloriel sauta par dessus un buisson aux épines acérées. Il se réceptionna durement sur la glace, manquant de tomber puis il patina un moment avant de pouvoir réussir à partir en sprint. Il filait aussi vite qu'il pouvait, remerciant la poudreuse de n'avoir pas étendue son empire sur le sol gelé. Il poussa un hurlement mais le jeune loup ne réagissait toujours pas, tournant le dos au troupeau et à celui qui venait l'aider. Les bruits des sabots se rapprochaient de plus en plus tandis que les muscles du mâle roulaient. Il puisait dans des réserves qu'il espérait leurs sauveraient la vie. Il refusait de tourner la tête, ses oreilles lui suffisaient pour l'avertir de l'avancée du danger.
Gloriel arriva sur le loup et le percuta de plein fouet. Un couinement retentit, le mâle dérapait sur le sol tandis que l'ignorant se relevait, montrant les crocs. Il s'agissait d'une jeune femelle qui grogna sur lui et le loup lui dit de courir mais elle ne bougea pas. Il comprit alors : elle était sourde. Il écarquilla les yeux en regardant dans le dos de la demoiselle. Dans quelques secondes ils allaient être broyés par des sabots. Il sauta sur elle. Elle se pencha et si jusqu'à présent elle n'avait pas eu conscience de la menace, elle fut mise au pied du mur, découvrant les immenses bovidés noirs qui galopaient droit sur eux. Son visage se décomposa et Gloriel en profita. Il fit claquer ses crocs près de ses oreilles et il ne fallut que quelques secondes pour que l'instinct de la prédatrice prenne le dessus et qu'elle détalle aussi vite qu'elle le pouvait. Le Chevalier l'aida à ne pas trop patiner puis il se mit à courir près d'elle. Ils ne pouvaient pas revenir sur le sentier par lequel il était descendu. Ils devaient continuer tout droit et prier qu'un chemin se ferait voir pour qu'ils puissent s'y réfugier. Malheureusement, ce n'était pas le cas et les loups se retrouvaient coursés par les puissants herbivores.
Leurs foulées étaient rapides mais pas assez. Ils perdaient de l'élan tandis que les bisons en prenaient. Ils se rapprochaient et il n'y avait plus que quelques mètres qui les séparaient de la Mort. La chamade animait le coeur de Gloriel. Il lançait de rapides regards à la demoiselle. Son visage était tirée et marquée par la peur. Elle demeurait une inconnue pour le mâle mais qu'importe, il devait la sauver bien qu'elle semblait être une solitaire. Elle lui lança un regard où toute sa peur se transmit au Lazulis. Il frissonna. Il commençait à douter de leurs chances de survie … Aucune échappatoire ne se laissait voir. Leurs cadences ralentissaient, ils glissaient sur le sol contrairement à leurs poursuivants qui adhéraient davantage. Et Gloriel n'était pas dupe. S'ils continuaient, ils sortiraient du Canyon et la terre gelée laisserait à la poudreuse qui les condamneraient. Sils voulaient survivre, leurs chances demeuraient dans la Passe elle-même mais rien. Aucune issue de secours.
Ils allaient mourir.
Un beuglement retentissait dans le canyon, accompagnant l'écho de la course folle des bovidés. Etait-ce le mugissement de la fin ? Gloriel baissa les oreilles. Ainsi donc il allait mourir. Il ne reverrait plus ceux qu'il aimait, il n'aurait plus l'occasion de charrier son frère adorer, de revoir les sourires de ses sœurs. Sa vie allait se terminer sans aucun adieu. Son corps pourrirait ici, à l'abri de tous les regards. Son clan l'oublierait sans doute comme Callisto. Aucune recherche ne serait entreprise pour savoir où il serait passé. Pour tous, il ne serait plus qu'un paria alors qu'il serait défunt, piétiné par des bisons. Qui oserait chercher sa carcasse ici ? Il connaissait la réponse.
Son optimisme déclinait. Il ne désirait pas mourir mais que pouvait-il bien faire là, maintenant ? Il n'était bon que dans les combats. Il s'était toujours dit qu'il décéderait après avoir échangé de nombreux coups avec un adversaire. Décidément, rien n'allait comme il le désirait. Il avait espéré vivre en paix avec sa famille mais les Dieux les avaient séparés. Il avait rejoint les Lazulis sans aucune explication aux siens Ethelkrus. Il n'avait pas pu se venger et affronter Delduwarth. Il n'avait pas réussi à combattre sa frousse des dames. Il avait combattu et chassé Astralys pour la revoir quémander à adhérer à sa meute. Il n'avait pas pu consoler Neït comme il l'avait voulu. Qu'avait-il fait de son existence ?
Le mâle laissa une larme s'échapper.
Sa compagne de fuite haletait. Elle était épuisée et le nerf de course s'amenuisait. Elle demeurait éprise de la peur mais elle ralentissait davantage. Elle trébucha et s'effondra. Gloriel se stoppa en glissant et se tournant pour le voir, il avisa les bisons qui fonçaient sur la louve en boule au sol, qui regardait son destin funeste arriver. Il écarquilla les yeux et taisant son instinct de fuir, il s'élança à la rencontre des bisons. S'il devait mourir, ce devait être au combat et non rattrapé dans une fuite. Il serait sans doute pris pour un fou si un spectateur regardait la scène mais les deux prédateurs étaient seuls face à un troupeau.
Ses muscles se bandèrent tandis qu'il s'aplatissait derrière la louve. Relâchant toute la pression, il sauta par dessus elle. Un sinistre grognement monta de sa gorge et dans un hurlement, il se dressa contre les bisons. Il ouvrit la gueule et une lumière bleue en sortie. Son croc glowstick brillait de milles feux tandis que le spectre d'une lance se matérialisait. Les premiers bisons beuglèrent, surpris et désireux d'échapper à cette menace, ils foncèrent dans leurs camarades. Un raffut monstre emplit le ravin d'un écho à en faire dresser n'importe quel poil. Gloriel se tenait devant eux, la lance d'Aka dans la gueule. La magie avait effrayé les bovidés bien plus que le loup ne l'aurait pensé. Le troupeau n'était plus qu'un bazar monstre. Les bovins se donnaient des coups, se montaient dessus, tentant de fuir l'objet nouvellement apparu. La peur inondait et couvrait toute la Passe Ventue. Celle des bovidés en osmose avec celle des canidés.
Le rideau noir de bisons se scinda en deux et les animaux contournèrent les loups. Leurs yeux étaient hantés par la peur et Gloriel commençait à sentir qu'ils ne galopaient pas comme à leur habitude mais parce qu'ils étaient comme eux précédemment : un danger les coursait. Il se décomposa mais il dut se ressaisir. Il manqua d'être emporter par un herbivore qui raccrocha sa lance. Certes utile, il devait faire attention car sa grandeur pouvait tout aussi bien causer sa perte. Il vit la lueur de son arme vaciller dans sa gueule. Il ne pouvait garder éternellement sa lance et elle disparaissait bien trop rapidement. Il pria qu'aucun autre bison ne la percute sinon ce qui les maintenait en vie ne serait plus qu'un espoir perdu.
Malheureusement pour le canin, rien ne se passait comme il l'espérait et le don d'Ao disparu tandis que les bisons commençaient à se rapprocher d'eux. Les derniers rangs n'avaient pu voir l'objet qui avait créé la panique et celle-ci dissipée, ils revenaient sur leurs positions au sein de cette course. Gloriel eut à peine le temps d'attraper par la peau du coup la jeune louve et se rouler avec elle qu'il se serait fait piétiner. Il haletait et il regarda les pattes mastoques qui broyaient la glace à côté de lui. Il priait la Dragonne que l'enfant qu'il tenait ne gigoterait pas. Il roulait de droite à gauche, esquivant autant qu'il le pouvait les mammifères qui beuglaient. L'un d'eux secoua la tête et le Chevalier ne put esquiver le coup. Il fut projeter plus loin. En tombant, il relâcha sa prise et la demoiselle alla s'effondrer plus loin dans un couinement. Il se reprit rapidement ses pensées et il écarquilla les yeux en voyant l'imposant mâle qui allait écraser l'enfant. Il bondit aussi vite qu'il put et il parvint à la sauver de la mort. Il la sentait trembloter contre lui. Il aurait voulu la rassurer mais le troupeau n'en finissait pas. Y avait-il réellement qu'un seul groupe de bisons ? Gloriel commençait à redouter que ce ne soit pas le cas. Heureusement pour lui, il se trompait et les derniers bisons passèrent et les deux loups se retrouvaient au sol, couchés et encore en état de choc. Il relâcha l'enfant qui resta contre lui, regardant partout autour d'eux. La glace n'était plus que des craquelures et les prédateurs comprirent réellement à quelle menace il venait d'échapper. Le Chevalier respirait durement. Si la peur et l'instinct de survie l'avaient fait taire jusqu'à présent, ce n'était plus le cas. L'adrénaline retombant, il sentit la vilaine plaie que le bison lui avait fait. Une nouvelle balafre viendrait barrer son corps tandis que sa cage thoracique devrait ressouder une nouvelle fois deux côtes. La Vie semblait décidée à le marquer encore et encore.
Le mâle soupira durement et il regarda la demoiselle. Elle était encore toute jeune et il remarqua qu'il s'était trompé vis-vis d'elle. Il la voyait comme une jeune adulte mais il s'agissait bien encore d'une enfant qui était simplement dotée d'une grande taille. Il lui adressa un sourire et il lui lécha le dessus de la tête. Il tentait de la rassurer et elle se colla un peu plus contre son poitrail. Elle se laissa aller, pleurant et tremblant contre le corps de l'inconnu qui l'avait sauvée. Gloriel ne pipa mot pendant un long moment, se contentant de la rassurer comme il le pouvait de sa présence et de ses coups de langue vigoureux. Son souffle était saccadé et la douleur de ses côtes fracturée se répercutait dans tout son corps. Le chemin de retour vers le Gouffre des Faucons serait bien pénible …
Il regarda autour d'eux, il n'avisa aucun autre loup. Elle devait s'être enfuit de chez elle pour jouer, comme il en avait l'habitude quant il était enfant. Il lui accorda un beau sourire, aussi rassurant qu'il le put, se remettant lui-même de sa peur qui relâchait son coeur lentement.
« Comment t'appelles-tu ?
Nulle réponse ne vint, juste une pair d'yeux se levant vers lui pour le fixer. Il put lire une certaine gêne et il se remémora son handicap qui avait failli lui coûter la vie. Il s'adressait à une demoiselle sourde, il sentait que cela deviendrait compliqué rapidement. Surtout pour l'interroger et la guider vers ses parents absents.
Se décontractant, l'enfant permit au mâle de la détailler et il écarquilla les yeux de surprise. L'enfant était le synonyme même de la maigreur. Ses côtes ressortaient malgré son pelage hivernal. Des blessures à peine cicatrisées marquaient son corps et Gloriel put voir de nombreuses accumulations de pus sur certaines. La rescapée était une orpheline. Abandonnée ou perdition de ses parents, elle s'était retrouvée en prise avec la Vie. Il fronça les sourcils. Il lui fit une petite léchouille qui arracha un petit rire à l'enfant. Elle semblait reconnaissante envers lui mais n'aurait-elle pas préféré périr sous les sabots des bisons plutôt que de devoir affronter à nouveau son destin de solitaire ? Elle semblait bien plus forte qu'il ne le pensait. Elle avait une détermination qui enflammait ses yeux. Elle était différente et le mâle sentit comme un déclic en lui. Il désirait pouvoir veiller de nouveau sur elle, la protéger. Il ne connaissait pas l'abandon de ses parents mais il arrivait à retrouver l'enfant qu'il était en elle. Ils étaient semblables, accrochés à la Vie et prêts à affronter les épreuves qu'elle s'amusait à répandre.
Un bruit attira son attention et tournant la tête, il découvrit alors la raison de la fuite des bovidés. Une dizaine de pumas trottait près de la rivière gelée. Prédateurs des montagnes, ils étaient descendus dans les profondeurs de la Passe ventue mais ce qui surprenait le plus le canidé était le groupe qu'ils formaient. Ces félidés n'étaient guère reconnus pour former des meutes à l'instar des loups. Pour dire vrai, les loups étaient jusqu'alors les seuls prédateurs chassant en groupe. Cela avait-il inspiré les prédateurs des montagnes ? Gloriel en doutait mais quoiqu'en fut le pourquoi de ce regroupement, cette menace s'approchait à grands pas. Il n'y avait aucune échappatoire à l'instar de la poursuite des bisons. Les pumas se rapprochèrent et ils passèrent devant les deux loups. Ils s'arrêtèrent en face et l'un de ces félins s'approcha d'eux. S'ils n'avaient pu attrapé un bovidé, ils se rattraperaient sur les loups que le Chevalier et l'Orpheline étaient. Le puma aux yeux ambres se rapprochait, feulant. Il se voyait déjà vainqueur du blessé mais s'il s'attendait à la reddition du Lazulis, il se fourvoyait. Gloriel, n'écoutant que son courage se releva, poussant l'enfant sous lui. Il faisait presque la même taille que le mâle félidé et ils se fixèrent un long moment, l'un feulant et l'autre grognant. Le prédateur des bisons se rapprocha, prêt à engager le combat tandis que le loup se mettait en position défensive.
Le loup ne quittait pas son adversaire des yeux. Il n'en était nullement impressionné, notant du coin de l'oeil que les autres félidés ne bronchaient pas, regardant la scène. Ainsi donc il avait affaire au chef de ce regroupement. Les autres attendaient sans doute que leur chef donne l'ordre de charger et de mettre à l'oubli le loup solitaire mais il n'en donna pas l'ordre. S'approchant encore, le fauve franchissait les quelques mètres, se couchant sur la glace, prenant sa position de chasseur. Ses muscles se bandèrent et ceux de Gloriel leurs répondirent, en faisant de même. Les deux combattants continuaient de se faire face, leurs esprits se vidaient tandis qu'ils se préparaient à encaisser des coups. Le puma feula, comme s'il demandait au loup de ne pas résister. En guise de réponse, le Lazulis retroussa les babines, grognant et hérissant le moindre de ses poils. Répondant à sa rage, le glowstick de la dragonne miroita, brillant comme il l'avait fait pour mettre en déroute les bisons.
L'attaquant se figea, rivant ses yeux ambres sur la lumière éblouissante. Ses muscles de débandèrent et il recula, comme les autres chasseurs. Les autres prédateurs n'étaient pas aussi fou que les solitaires lupins, préférant la fuite que de se heurter à un être béni des Dieux. Parfois, les ours osaient tenir tête aux canidés pourvus de don, mais les pumas ne prenaient généralement pas ce risque, préférant se retirer.
Gloriel ne quittait pas des yeux le groupe de félidés qui, le regardant une dernière fois, reprit sa route en traquant les bisons. Le mâle chef resta un instant en retrait, lui tenant tête avant de s'en aller. L'enfant sortit de sa cachette, lançant un regard surpris au mâle qui venait de nouveau la sauver. Il se mit à sourire tandis que ses poils dégonflaient. Cette journée était pleine d'émotions et il remercia une nouvelle fois la dragonne. Il n'aurait pu accomplir ces sauvetages sans l'aide du présent qu'elle lui avait fait et il fut heureux de pouvoir s'en être sorti presque indemne. Il soupira puis vérifiant qu'il n'y ait plus aucune menace autour d'eux, il riva ses yeux de glace dans ceux de la demoiselle.
« Tu ne peux me comprendre et m'entendre … Mais désormais je veillerai sur toi.
Il lui fit une telle lèche qu'elle frissonna, comme si elle venait de comprendre l'engagement du mâle dans ce geste baveux. Elle se colla à lui puis il l'attrapa par la peau du cou, reprenant le chemin par lequel il était venu.
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Il marchait depuis de longues minutes. Ses côtes le faisaient incroyablement souffrir mais il continuait sa route dans la poudreuse devenue de plus en plus épaisse. Son petit fardeau restait calme, grelottant dans sa gueule et regardant ébahi tout ce qui les entourait. Gloriel souriait malgré la douleur. Il venait de devenir protecteur et plus intimement, père. Errant sous les cimes hautes, tout ce décor de glace lui semblait devenir plus chaleureux. Il voyait le monde d'une manière différente et malgré la journée remplie de Peur, il remerciait la Vie.
Arrivant près de la Cascade Sacrée, il se stoppa un instant, regardant la belle chute d'eaux tombée avec fracas sur le bassin qui s'étendait à ses pieds. La glace n'avait aucune emprise sur le Fleuve Chantant. Son courant était sans cesse fort, empêchant la belle glisseuse de se répandre comme elle le faisait ailleurs. L'eau de ce lit était au-même titre que la Déesse résidant derrière ce voile aqueux : déterminée, forte et indomptable. Lâchant un petit rire, il contourna le bassin et s'engagea sur le chemin, derrière la cascade. Il s'engouffra sous les plaintes heureuses de la louve qu'il tenait dans sa gueule, dans l'antre de la Dragonne. Il montra l'enfant à la statue puis la déposant, il s'inclina bien bas et remercia à vive voix Ao.
Lorsque ce fut fait, il reprit la boule de poils et s'en alla, filant vers la Gouffre aux Faucons. Le trajet fut moins pénible, la douleur était comme effacée par le froid. Ses pattes semblaient moins s'enfoncer dans le manteau blanc puis lorsqu'il rejoignit le camp des Lazulis, il fila vers l'alvéole qui abritait la prêtresse bleue. Il y entra et une voix retentit, pleine de sermon, féminin et grognon.
« Qu'est-ce que tu as encore foutu ? Et c'est quoi ce lardon ?