Patience et longueur de temps · Libre

Certains partent déjà, je ne les blâme pas, mais peut-être est-ce aller trop vite. Il serait malheureux de partir la tête dans le guidon et de louper des indices qui se trouveraient ici. Enfin, s'il y en a. Je ne suis sûr de rien, mais comment l'être dans cet état de fantôme ?

Bien, Korea, tu peux le faire. Tu te souviens de peu de choses, tout est flou, mais tu possédait du vert. Le raptor est donc avec toi, et il est l'incarnation de l'intelligence et de la réflexion. Fais ce qu'il prêchait. Se poser, observer, analyser.

Sur ces encouragements mentaux personnels, je m'avance et décide de repartir observer ces loups qui n'ont jamais connu encore le baiser froid de la faucheuse. Deux loups aux couleurs clairs, un qui a plus la couleur d'un fantôme que moi, et une où se mêle du noir et du rose. Sur ses jambes à elle, les marquages noirs se peignent presque comme une gangrène. Il y a ce loup un peu marron gris aussi, qui possède un foulard rouge et deux queues. Étrange personnage. Mais le dernier l'est plus encore ; plus que dodu, il est ras de poil et a le visage couvert de clous. Il n'est pas le congénère le plus beau que j'ai vu de toute ma vie.

Mais la plus belle était Ozakaa, sans doutes.
La mémoire frappe, en pleine tête et en plein cœur, sans aucune pitié. J'ai eu la même sensation quand dans l'épais nuage de confusion, m'est revenu que j'étais chasseur. Impressionnant, même en étant censé être quelqu'un sans réel corps, je peux ressentir une migraine. Bien, Ozakaa, ma chère et tendre. Peut-être sera t-elle là, dans les visages des réapparus ?

Un des loups en face, celui au visage clair et clouté, émet un ronflement sonore. Quel gars... Je secoue la tête, et m'approche un peu plus. Je réitère l'essai de les toucher, sans succès. Les questions s’enchaînent, les hypothèses aussi. Qu'est-ce qui peut endormir.

Un gaz ? Improbable, cela n'explique pas les morts revenus là.
Un empoisonnement ? Certaines plantes endorment, mais encore une fois, notre présence à nous...
Le pouvoir de quelqu'un ? Il serait sans doutes mort, d'avoir ainsi déclenché tout ça. Mais peut-être ?
Les dieux ? Non, les dieux nous protègent.
Une créature impies comme les Seigneurs, ou le Prisonnier Céleste ? Je me souviens de l'histoire de nos terres, du retour des Toxics pour la troisième fois, avec Belial et Rocket. Cette idée est effrayante, et même si l'ambiance me parait trop calme pour cette possibilité, on ne sait jamais.

Cette dernière pensée dans le coin de ma tête, j'essaye d'observer leurs corps de plus près, et autour d'eux. Chercher la trace d'une magie autre que celle de nos dieux, quelque chose de sombre. Ou peut-être des traces de pattes, les méfaits de suiveurs dédiés à ces têtes maléfiques qui peuvent comploter dans l'ombre. L'odorat fin, l'habitude de traquer, je saurais trouver des traces. Des runes, des empreintes, le fumet d'un traitre. Les Toxics étaient puissants, le clan passait au-delà de tout. Je saurais montrer leur grandeur.

Une trace, une toute petite trace. Y'aurait-il ne serait-ce qu'un tout petit indice, un tout petit rien à se mettre sous le croc ? J'espère, alors que le museau presque collé au sol, j'essaye d'aspirer la moindre molécule d'odeur, de capter la plus fine particule qu'il m'est possible d'obtenir. Mais tout est si... émoussé. J'ai l'impression d'avoir un nez à peine fonctionnel ; l'air est normalement chargé de routes odorantes ! C'est tout mon monde olfactif qui s'écroule. Cela ne plait pas au chasseur que je suis, qui aime briller par ses prises pour subvenir au maximum aux autres. C'est bien le minimum, les autres me protégeaient, gardaient les terres ou s'occupaient des enfants... Moi, je les nourrissait.

Je secoue la tête. Si je ne peux sentir qu'à moitié, il faudra que je me base sur autre chose, sur le sens qui semble le mieux conservé ; la vue. Mais je n'aime pas, ce n'est pas l'aspect sur lequel je me reposait le plus. Un soupir m'échappe, se frayant un chemin depuis les tréfonds de cette cage thoracique bien triste sans son battement régulier. J'use de mes yeux, dès lors, essayant quand même de renifler ci et là pour complémenter le paysage dépeint devant moi par ses odeurs.

Un bruit. Quelqu'un !

Dans le talus, là-bas, quelqu'un s'agite. Je crois la reconnaître, je l'ai vue se lever avec les autres. Je ne sais pas qui elle est non plus ; en même temps, je n'ai reconnu personne mais soit. J'ai presque envie d'aller vers elle, lui demander si elle est Toxic elle aussi... Le clan me manque. La solitude pèse déjà. Impressionnant, à quel point on se sent vite seul.

Je secoue la tête, j'essaye d'observer tout en restant en retrait ; il serait mal venu de foncer une nouvelle fois, je pense. Elle semble se murmurer des choses, sa gueule s'ouvrant et se fermant en rythme. Elle ne tarde pas à s’asseoir, également, avant de poser ses yeux multicolores sur moi. Oh. Elle sait que je suis là, donc.

Puis-ce qu'elle a initié le contact, cette fois, je décide de m'approcher. Dé. Une lueur passe brièvement sur le côté ; je tord le cou vivement pour essayer de comprendre... Mais la petite lumière est morte. Un fragment de mon imagination ? Les sourcils froncés, je m'arrête.

" Vous avez vu cela, vous aussi ? "

Peut-être que je ne suis pas fou, mais si je ne peux compter sur l'odorat, ni sur la vue, il sera compliqué de chercher des réponses...