Spring [libre]

Le bruit de ses pas crissait dans la neige fondue, et alors que la matinée était déjà bien avancée, il allait d'un pas sûr.

Non pas qu'il ait été dans une forme olympique. Cela faisait bien quelques jours qu'il n'avait rien mangé, il commençait à avoir l'impression que cette fichue montagne ne se terminerait jamais, et en dépit de son épais pelage noir, il commençait à avoir sérieusement froid. Cela faisait bien deux heures que l'humidité ambiante semblait s'être infiltrée jusque dans ses os et trente minutes que la douleur qui cinglait dans ses coussinets à chaque fois qu'il les posait au sol s'était évanouie au profit d'une absence totale de sensation. S'il n'était pas familier du froid, il se doutait bien que cela n'augurait rien de bon.

Il aurait tout donné pour un bon canyon. Un désert, ou une petite île grillée par le soleil. La poussière, la soif et la crasse, il connaissait, il savait gérer. L'air pur et alpin, l'eau en excès sous toutes ses formes et le froid, par contre, se trouvaient bien en dehors de sa zone de confort. Il avait eu beau grandir dans un environnement hostile et brutal, il n'était pas forcément prêt à affronter toutes sortes d'environnements hostiles. Là, en ce moment précis, soyons honnêtes : Joaquín en avait passablement marre. Il était même passablement irrité. Et avait qui plus est passablement faim. Soif.
Lui qui ne doutait jamais de lui en venait à se demander s'il avait pris la bonne direction. Cette contrée qu'il avait tant rêvée alors qu'il n'était que louveteau, lové contre sa grand-mère à contempler les étoiles au coin du feu, lui semblait plus loin que jamais. S'était-il trompé, tout ce temps ? Avait-il emprunté la mauvaise direction ? S'était-il perdu ? Voilà qu'à présent il se remettait en question. Chose qu'on lui avait spécifiquement appris à ne surtout jamais faire, car douter, chez lui, c'était généralement mourir.

Il fallait bien remarquer que l'environnement changeait, autour de lui. Le ciel devenait plus bleu et la neige de plus en plus éparse. Au milieu des flaques et de la terre détrempée, il apercevait quelques bruns d'herbes, voire même, rarement, un arbuste qui bourgeonnait. Dans ces moments-là, il se disait que tout n'était peut-être pas foutu. Lorsqu'une brise fraiche s'enfonça dans son épaisse crinière, Joaquín releva la tête. Il y avait là une odeur singulière. Comme la promesse d'une plaine verdoyante. Un relent de sève, de fleur et de sucre. Il vit alors que la pente qu'il escaladait depuis l'aube touchait à sa fin. Il s'ébroua, éliminant le surplus d'eau qui alourdissait sa fourrure, puis reprit son ascension, le pas rapide. Une vingtaine de mètres plus tard il débouchait sur une corniche. Face à lui, un précipice. Et en bas, du vert.
Enfin.

Là, debout à un pas du vide, il resta un long moment à contempler les terres qui s'offraient désormais à lui. Visiblement à la sortie d'un hiver des plus rudes, il voyait des forêts, des lacs, la mer. Il eut alors le sentiment qu'il était arrivé, et un mince sourire étira ses babines.
Joaquín fit volte-face, et amorça de se diriger vers le sentier qui longeait la falaise, et descendait vers ce nouveau monde. Il eut l'impression que l'air se réchauffait, et comprit qu'il était chez lui.

A mesure qu'il perdait en altitude, et malgré un état physique assez déplorable, Joaquín sentait son pas gagner en agilité. L'oxygène se faisait de plus en plus présent, il se sentait léger. Ses muscles le tiraillaient moins. La température remontait, aussi. Chaque mètre était un peu moins désagréable que le précédent.
Arpenter des corniches, prévoir le roulis des pierres, jouer les équilibristes au-dessus du vide, ça, il connaissait. Il avait grandi dans des canyons arides et hostiles, crapahuter dans des conditions désastreuses lui était vite devenu une seconde nature. Surtout lorsque ces conditions désastreuses n'impliquaient pas des températures négatives. Glisser sur la poussière, pas de problème. Déraper sur la glace, c'était une autre histoire.
Mais maintenant la neige était devenue rare et le soleil qui caressait agréablement son pelage avait fini de faire fondre les derniers flocons pris dans ce dernier.

Un peu plus bas, il avisa un vieil arbre mort. Si la vision était lugubre, elle lui était coutumière, car la végétation durait peu là où il venait. Certains auraient été tristes : lui se sentit optimiste.
Un peu plus bas encore, il sentit qu'on l'observait, et son optimisme s'évanouit aussitôt au prix d'une vigilance accrue.

Continuant d'avancer, le pas légèrement plus lent, Joaquín observa silencieusement les alentours. Le sentier qu'il empruntait avait beau s'élargir, il aurait été difficile de lui tendre une embuscade ici. Il huma l'air, sans grand succès : cette fois-ci pas de vent pour venir lui charrier l'odeur d'éventuels assaillants. C'est donc aux aguets et à l'affût du moindre son, du moindre mouvement que le loup noir continua son avancée. Arabella ne lui avait pas décrit ce pays comme particulièrement dangereux, rien de comparable au Grand Foutoir d'où il débarquait. Néanmoins elle l'avait mis en garde contre une politique changeante — fait notable : chez lui, la politique n'existait pas – et une profonde croyance en de mystérieuses divinités. Joaquín se méfiait des religieux. Si ces derniers étaient plutôt bienveillants dans les petites chapelles branlantes de son Désert, il savait qu'entre la dévotion et le fanatisme il n'y avait qu'un pas. Lui-même n'était pas croyant, malgré une mère très pratiquante. Il trouvait l'idée d'une puissance originelle bienveillante cachée quelque part dans le ciel assez hypocrite, au vu du chaos qui régnait ici-bas. Et des désastres qui parfois étaient commis en Son Nom.
Mais chez Joaquín, on était monothéistes.
Ici ce n'était pas le cas.
Et des tribus polythéistes, il en avait croisé à la pelle, pendant son voyage. On l'avait même été chez lui, des siècles avant qu'il ne naisse. Le polythéisme, il s'en méfiait comme de la peste. Les polythéistes avec leur lubie de sacrifier tout ce qui bouge à la gloire d'une poupée de bois censée abreuver la terre d'une pluie bienfaitrice, n'étaient pour lui qu'une bande d'illuminés gentiment psychopathes.
Lui-même n'était pas un enfant de coeur, mais il avait le mérite de ne pas cacher pour qui il se battait, et pour qui il tuait, lorsque la situation l'exigeait.
A savoir lui-même.
On ne se battait jamais que pour soi.

Lorsqu'une silhouette émergea d'entre les rochers, allant droit vers lui, il ne ralentit pas. Oreilles désormais pointées en avant, il laissa son poil gonfler, babines frémissantes, prêt à montrer les crocs. Il n'allait pas attaquer sans raison, mais tenait à envoyer un message clair : il était une menace tangible, et n'hésiterait pas à plonger à bras le corps dans la violence s'il le fallait.

— Que fait un mercenaire du sable ici, si loin de son oasis ?

Un bien étrange mâle se tenait à deux mètres de lui lorsqu'il s'arrêta. Le poil majoritairement court à l'exception d'une épaisse tignasse tirant sur le rouge, le plus intéressant chez l'autre était ce renflement au milieu de son front. Comme une paupière prête à s'ouvrir. Cela n'augurait rien de bon, songea-t-il en ancrant ses deux yeux jaunes dans ceux, bien plus sombres, de l'inconnu.

Le problème majeur était que Joaquín n'avait pas pratiqué la langue depuis longtemps. Et pratiquer était ici un bien grand mot : sa grand-mère lui en avait enseigné les bases lorsqu'il était tout jeune, et il avait vaguement conversé avec elle à l'époque. Elle lui avait dit qu'il apprenait vite. Il avait été très fier, à l'époque. A présent, le souvenir des longues veillées auprès du feu à discuter en admirant les étoiles avec la vieille dame ne lui laissait plus qu'un goût amer sur la langue. Il comprit néanmoins dans les grandes lignes ce que l'autre lui demandait. Lui répondre était une toute autre histoire.

— Qui es... tu ? articula-t-il, hésitant. Malgré ces trois mots son accent était immanquable.

Il attendit, le poil toujours hérissé, prêt à bondir, au cas où.

Le comportement de l'autre suggérait pas la moindre once d'hostilité. Après quelques secondes supplémentaires à jauger l'autre, Joaquín se détendit. Sans pour autant baisser totalement sa garde — chose qui n'arrivait de toute manière que très rarement –, il laissa le poil qui couvrait son échine retomber, et cessa de fouiller la terre de ses griffes. Redressant la tête, il observa l'autre qui sautait en contrebas, et l'incitait à le suivre.

— Je suis comme toi, un étranger sur ces terres. Un… voyageur.

Les oreilles pointées vers l'avant, il s'efforçait de décoder ces mots obscurs, puisant dans ses plus vieux souvenirs pour tenter d'en retrouver le sens. L'exercice était difficile, mais pas insurmontable pour autant.
S'il ne faisait pas erreur, l'autre n'était donc pas non plus un local, mais un immigré, tout comme lui. Ce monde, tel que le lui avait décrit Arabella, offrait une diversité de lieux sans précédents. Comme une multitude de biotopes tous condensés en un espace réduit. Et la politique, du peu qu'elle en avait vu à l'époque, laissait une place pour les étrangers. Pas de tribus assoiffées de sang, en quête perpétuelle d'offrandes à sacrifier à leurs Dieux. Pas de ségrégation particulière, une simple méfiance à l'égard des loups solitaires, dont on savait qu'ils pouvaient être prêts à tout. Une vague harmonie. Il était ainsi peu surprenant que de nombreuses âmes égarées échouent ici à un moment ou à un autre. Cette terre était un petit havre de paix au milieu d'un océan de barbarie. Il avait été confronté à un certain nombre de choses peu plaisantes, avant de réussir à arriver ici. Il était facile de décider de s'établir sur ce territoire une fois là, plutôt que d'avoir à repartir en arrière et risquer une nouvelle fois sa vie.

Après un dernier regard suspicieux en direction de l'autre, il se décida à lui emboîter le pas.

— D'où viens-tu ? articula-t-il avec peine, en venant se placer aux côtés de l'autre, sans cesser d'observer ses mouvements du coin de l'oeil, juste au cas où.

Votre conversation a attiré un puma des montagnes qui passait par là. Manque de chance pour vous, celui-ci profite des températures plus clémentes du printemps pour chercher de quoi se remplir la panse... Et à ses yeux, vous formez un repas plus que convenable.

Puma des montagnes affamé - 12 PVs

Joaquín -  10 PVs
Alf - 8 PVs

Utilisez les dés de combat réguliers pour combattre le puma. Il est considéré vaincu lorsqu'il atteint 0 PVs.

Le puma s'élance d'abord vers Alf, qu'il trouvait le plus bruyant. Silencieux comme un ninja, sa patte griffue vient agripper le pauvre loup à trois yeux.

PV 10



Baisser totalement sa garde avait quelque chose de tentant.


Il ne le faisait que très rarement, même en présence de sa famille. Probablement parce qu'il avait toujours du ressentir la méfiance qu'ils éprouvaient à son égard. Également parce qu'on lui avait enseigné très tôt que c'était le meilleur moyen de mourir de manière précoce. Comprendre par là, de manière encore plus précoce que d'habitude.

Les gens vivaient rarement mieux chez lui. Daniel et Arabella y avaient fait figure d'exception, mais c'était aussi probablement dû à la carrure titanesque du vieux mâle, et à la renommée de la famille qu'il s'était construite, au bar.

Il ne s'en formalisait pas. Il n'avait jamais aspiré à faire de vieux os, n'y avait d'ailleurs jamais réfléchi. Essayer d'arriver jusqu'au lendemain, c'était déjà pas mal.

Il peinait à voir l'autre comme un opposant potentiel. C'était, force était de le reconnaître, quelque chose d'inhabituel, pour lui. Mais Arabella l'avait prévenu que les moeurs ici étaient bien différentes. Il avait eu beau s'y préparer, cela restait déstabilisant. Comme si quelque chose manquait. Par ailleurs, outre la barrière de la langue, il se retrouvait en fâcheuse position lorsqu'il était question de mener une conversation avec quelqu'un qui n'était en aucun cas un rival potentiel. Surtout lorsqu'il s'agissait d'un mâle. D'autant plus qu'il était totalement sobre.

Et que selon les dires, l'alcool était très loin de couler à flots ici.

Étrange.

Et passablement ennuyeux.

A voir.


— Kald, après le désert. Et toi ?


Le point positif, c'était qu'il existait de nombreuses similarités entre leurs deux langues. Il n'eut donc pas trop de difficultés à comprendre. Il fronça légèrement les sourcils, songeur. Il n'avait jamais entendu parler de cet endroit, mais ce n'était pas bien surprenant : à l'exception de Daniel et d'Arabella, il doutât que quiconque dans son désert ait jamais quitté le pays. Là-bas, on n'envisageait tout simplement pas qu'il y ait autre chose. Il n'y avait, après tout, pas que du désert au Mexique. Il y avait aussi la forêt dans la montagne, ou plutôt la jungle. On en racontait des histoires assez sordides. La légende voulait que les habitants séculaires du désert soient des descendants d'anciens habitants de la jungle, venus s'installer ici par la force des choses. Les clans de la jungles étaient des plus singuliers. Primitifs, comme on se prenait parfois à les qualifier. Des tribus autochtones sanguinaires s'adonnant à la guerre et aux meurtres de masse dans l'espoir de plaire à des Dieux adeptes des sacrifices. Sacrifier pour faire tomber la pluie. Sacrifier pour faire bonne chasse. Sacrifier pour le fun.

Miguel, et par conséquent Arabella, et par la suite lui, descendaient de ces gens là. Ils étaient des autochtones. Avec leurs épais pelages sombres et leur goût pour les accessoires tribaux à base de plumes. Leurs yeux un peu plus bridés, leurs longues crinières noires.

Il y avait aussi des immigrés. Des colons venus d'ailleurs, par-delà les mers, paraissait-il. S'étant par le passé imposés dans le désert par la violence, en profitant pour répandre leur langue et convertir à leur religion monothéiste les habitants survivants. Ceux-là, s'ils avaient eu le temps d'évoluer avec les générations et de se mêler aux premiers habitants du désert, vivaient généralement dans des milieux plus aisés, tentaient de se couper de la violence. Se croyaient civilisés. Se faisaient massacrer dès qu'ils s'éloignaient un peu de ce qu'ils avaient décrété comme étant leurs territoires. Daniel était né parmi eux. N'avait pas vraiment eu le temps de bénéficier de leur éducation snob et dédaigneuse, vu ce qui était arrivé à sa famille.

Dans tous les cas, le Mexique suffisait à ses habitants. Il avait beau être inhospitalier, on n'envisageait jamais de le quitter. On y naissait, on y vivait, un peu, et on y crevait. Le reste, on n'en avait que faire.

Par conséquent Joaquín n'avait jamais entendu parler de Kald, et il n'était même pas sûr que le désert dont parlait l'autre mâle correspondait au sien.

Il secoua légèrement la tête lorsque l'autre reprit la parole.


— México, répondit-il dans sa langue. El Cañón. Beaucoup de... rocas y polvo, fit-il en désignant vaguement une grosse pierre sur le bas côté du museau.


Il ne put dissimuler sa surprise lorsque l'autre parla de nouveau. Ces mots-ci étaient plus simples. Bien plus simples. Et malgré l'accent forcé de l'autre, il n'eut aucun mal à comprendre. Tournant la tête vers l'autre, incrédule, il secoua vaguement les oreilles.


— ¿Hablas castellano?


Il n'eut pas le temps d'approfondir le sujet car voilà qu'un grondement sourd le fit lever les yeux. A peine avait-il amorcé un mouvement qu'une ombre couleur fauve s'abattait sur l'autre mâle. Joaquín serra les dents. C'était exactement pour ça qu'il ne fallait jamais, en aucun cas, baisser sa garde.

Son poil se gonflant instantanément, il laissa s'échapper de sa gueule un grognement sourd, et fondit instantanément sur le puma qui venait de s'immiscer dans leur conversation.


Putains de chats. Il ne les avait jamais aimés.



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A peine avait-il eu l'opportunité d'attraper le puma que ce dernier s'était esquivé, faisant preuve de cette souplesse caractéristique des félins qui lui donnait l'impression qu'ils étaient en vérité constitués principalement de liquide, plutôt que d'os et de chair. La réponse ne s'était pas faite attendre et il avait senti les griffes tranchantes de l'animal cisailler son épaule. Lâchant un grognement furieux, il recula légèrement, veillant à ne pas déraper sur les cailloux, tous crocs dehors. Les pumas étaient fréquents chez lui et il avait déjà eu l'occasion d'en croiser quelques uns par le passé. Des échanges généralement peu concluants desquels les deux partis avaient toujours réchappé avec quelques estafilades, lorsqu'il y avait eu affrontement. La plupart du temps, les deux prédateurs tendaient à s'éviter.
Il en avait déjà tué deux, une fois. En guise de préambule à son rituel d'inclusion dans le gang qu'il avait rejoint alors qu'il était plus jeune. Les autres voulaient voir de quoi il était capable. Une mère et son petit, désignés par ses camarades. Pas très glorieux de tuer le gamin, mais le barbecue fortement arrosé qui s'en était suivi avait visiblement largement justifié le massacre. Il avait ce jour-là failli perdre son oeil, non pas des pattes de la mère mais de celles du gosse, et gardait de cette rencontre la cicatrice au-dessus de son arcade sourcilière.

L'autre tenta de jeter une pierre sur le puma, en vain également. S'apprêtant à bondir de nouveau, Joaquín avait dardé sur lui ses yeux jaunes, se demandant ce que Diable il avait bien pu vouloir faire. L'autre lui dit quelque chose mais il ne comprit pas. Qu'importe, Joaquín sentait son sang s'échauffer et une colère grandissante s'emparait de lui. S'approchant lentement de l'autre, échine hérissée, un grondement sourd s'échappant de sa gorge. Esquivant les coups de pattes que le félin envoya dans sa direction en guise d'avertissement, il claqua plusieurs fois des mâchoires, se positionnant peu à peu légèrement plus haut que lui. Voyant que le puma n'allait pas tarder à bondir, il piaffa, enfonçant du mieux que possible ses pattes dans les amas de roches sur lesquelles il se trouvait, et parvint à en faire rouler plusieurs dans la direction de sa proie pour la déstabiliser. Ne pouvant plus prendre appui pour bondir, le puma se redressa pour retrouver des appuis stables et c'est à ce moment-là que Joaquín se jeta sur lui, le percutant de plein fouet dans la cage thoracique et profitant du choc pour attraper l'autre à la nuque. Le sang de son adversaire coula lentement dans sa gorge tandis que ses crocs déchiraient sa peau, et il resserra son étreinte, grisé par la sensation. Le puma s'agita, essayant de se braquer pour l'atteindre, sans grande réussite. Il finit par se jeter sur le dos et Joaquín lâcha prise tandis que les pierres lui entaillaient les flancs.

Se reculant légèrement tandis que l'autre se redressait, le loup noir laissa un rictus satisfait étirer ses babines, tandis qu'il reprenait sa ronde, le visage maculé de rouge.

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Tandis que Joaquín continuait sa lente ronde autour du puma, l'autre solitaire, que sa blessure à l'oreille semblait tarauder, entreprit de se positionner en amont, pour finalement se jeter sur leur cible et le projeter un peu plus bas, l'envoyant rouler-bouler dans la caillasse pour finir sa course contre un rocher. Joaquín se saisit de l'occasion pour attaquer à son tour, profitant du temps que l'autre animal passait à terre, vulnérable. Malheureusement pour lui, les félins semblaient bien plus vifs que les canidés pour se remettre sur pattes, et il eut tout au plus le temps de s'approcher que l'autre se redressait déjà, feulant comme un Diable. Esquivant un coup de griffes en direction de son visage, Joaquín réussit à se saisir de la patte qui venait de tenter de l'éborgner et la mordit avec force. Mais l'autre se dégagea presque instantanément et se replia vient vite, bondissant en arrière pour mettre un peu de distance entre eux.

Les babines de Joaquín se retroussèrent. Il commençait à perdre patience. Lui qui sortait à peine d'un périple de plusieurs mois et de plusieurs semaines à se geler les pattes dans la neige n'avait guère de temps à perdre avec ces conneries. Il ne désirait qu'une chose : se trouver l'endroit le plus chaud que cette terre pouvait offrir et s'y étaler paresseusement, à l'ombre d'un arbre si possible. Avec une bouteille de téquila, et une petite entrecôte pour bien faire passer ça.
Pour le téquila, il savait déjà que c'était plus ou moins peine perdue. Daniel n'en avait jamais trouvé qu'une fois et c'était par pur hasard. L'alcool ne semblait pas être particulièrement appréciée ici. Encore moins l'alcool de chez lui.
Pour l'entrecôte cependant, il y avait du potentiel.
Son regard se balada avec avidité sur la silhouette amaigrie du puma. Depuis combien de temps n'avait-il pas connu un bon repas ? Certes, cet animal manquait clairement de gras, mais il y avait du muscle, et en quantité suffisante, même pour eux deux si jamais l'autre était intéressé.
Voilà qui donnait à cet affrontement une nouvelle dimension. Se pourléchant les babines, Joaquín sentit l'eau qui lui montait à la bouche, lavant les quelques traces de sang qu'il restait dans cette dernière. Il pourrait toujours manger l'entrecôte avant, et se la couler douce plus tard.
S'ébrouant, comme animé par une énergie nouvelle, il se dirigea de nouveau lentement vers le puma, prêt à retourner à l'attaque.

Il avait une dalle d'enfer.

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A mesure que le temps passait, l'estomac de Joaquín se prenait à le tirailler avec une insistance croissante. Son voyage avait été aussi long qu'éreintant et ces derniers jours à crapahuter dans les montagnes enneigées à des altitudes à laquelle même lui, qui venait pourtant d'une région assez montagneuse, n'était pas habitué, avaient meurtri son corps plus qu'il ne l'aurait cru. L'échéance de ce combat approchait et il sentait l'adrénaline qui peu à peu se tarissait dans ses veines. La fatigue le gagnait. Damned. Si l'échéance était désormais claire, ce n'était pas pour autant le moment de se laisser distraire.
L'oeil hagard, Joaquín s'ébroua, contraignant son attention à revenir sur le puma. Après une nouvelle attaque fructueuse de l'autre mâle, voilà que désormais l'animal lui tournait le dos, offrant à sa vue un parfait angle mort, et une nuque apparente.
Le souffle rauque, l'écume aux lèvres, Joaquín s'avança furtivement vers le félin, devant redoubler d'effort pour que ses pattes, qui peinaient désormais à supporter son poids, ne se prennent pas dans les pierres qui roulaient à ses pieds. Lorsqu'il fut suffisamment proche, il bondit sur le dos de son adversaire, après un regard entendu échangé avec son équipier du moment, et ses mâchoires se refermèrent sur l'encolure du puma. Ce dernier, néanmoins, dû l'entendre arriver, aussi eut-il le temps de commencer à se retourner avant qu'il ne lui atterrisse dessus. Ne parvenant à mordre la zone qu'il visait à la base, Joaquín serra néanmoins de toutes ses forces sa prise, sentant le sang qui coulaient dans sa gueule, attisant sa faim, et les os qui grinçaient sous ses dents.
Secouant la tête, il entendit un craquement sinistre, et finit par lâcher prise. La nuque du puma était sérieusement amochée, mais pas totalement brisée. L'animal, agonisant, n'avait plus qu'à être achevé.
La respiration saccadée, Joaquín recula légèrement, avant de lever les yeux vers l'autre loup, qui n'avait plus qu'à finir le travail.

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Le dernier souffle du puma fut sonna à ses oreilles comme une délivrance. Lorsque la cage thoracique de l'animal cessa finalement de se soulever, Joaquín sentit toute l'adrénaline qui cessait définitivement d'affluer dans ses veines, et sa fatigue fut immense.
Le voyage avait été long, et éreintant. Ces derniers jours à arpenter seul ces maudites montagnes glacées sans jamais en voir le bout avaient été pires que tout. Se retrouver confronté à un carnivore alors qu'il touchait enfin au but avait été la cerise sur le gâteau, et si Joaquín ne crachait jamais sur un affrontement, celui-ci avait achevé de saper son énergie. Il se sentait faiblard et grelottant. Ses membres semblaient prêts à céder à tout moment. En clair, il avait l'impression de taper une bonne petite crise d'hypoglycémie.

L'autre solitaire se recula légèrement du cadavre, lui laissant visiblement l'honneur d'attaquer les victuailles. Sans attendre, sans même réfléchir, Joaquín rallia rapidement le cadavre et le fit légèrement basculer vers lui d'un coup de patte, exposant ainsi la peau fine et fragile du ventre avant d'aller y plonger sa gueule. Autant rapidement manger les organes tant qu'ils étaient encore chauds.
Ouvrant l'abdomen d'un habile coup de dent, il ailla fouiller dans les entrailles de l'animal à la recherche du coeur, pour finir par le trouver et aller y planter ses crocs. La sensation du sang qui emplissait sa gueule et ruisselait sur les poils de son museau couplée à celle de la viande encore fumante qui se précipitait dans sa gueule tandis qu'il l'avalait goulument était vivifiante. Il releva finalement sa tête, désormais rouge, et, se pourléchant les babines, poussa légèrement la carcasse dans la direction de l'autre mâle, l'incitant à venir en prendre un bout.

En temps normal, cela ne se serait pas passé aussi facilement. Chez lui, en tout cas. La loi du plus fort régnait même dans les clans, et après avoir vaincu la bête, il aurait fallu se battre pour accéder aux meilleurs morceaux, ou même espérer grappiller autre chose que des restes. Mais c'était différent, ici, et il y en avait largement assez pour deux. Son instinct et sa réticence naturelle à collaborer avec des mâles inconnus demeuraient bien présent. Il choisit cependant de les mettre en sourdine, faisant pour une fois preuve de raison, et attendit que l'autre se joigne à lui.