Geloso dell'oceano || [DEFI] [LIBRE] [NE PAS ARCHIVER]

Malgré le triste ciel que ce jour affichait, la journée avait été plutôt bonne jusqu'ici pour Azkaban. Le solitaire s'était aventuré un peu plus loin que coutume dans les terres, et s'il n'avait eu aucune succès côté chasse - après des années à ne faire quasiment que pêcher, il n'y avait rien de bien étonnant, et il fallait dire qu'il n'avait pas non plus beaucoup persévéré - celui lui avait permis de bien se délier les pattes et d'aller longer les frontières des territoires de meute. Il avait entendu dire qu'une certaine tension régnait entre les groupes organisés, et il ne souhaitait pas voir quelque attaque autour de chez lui. Il s'était attaché à sa petite tanière le long des Côtes de Nacre, et surtout avait affirmé à la solitaire Hannah que ce refuge lui était toujours ouvert. S'il s'avérait qu'il devenait un traquenard, il s'en voudrait énormément. Il avait d'ailleurs espéré croiser la route de la louve grise durant ses pérégrinations, mais n'avait même pas croisé de piste récente lui indiquant qu'elle pouvait être non loin. Il ne doutait pas qu'elle sache parfaitement cacher ses traces cependant, et s'était contenté de rebrousser chemin en se disant qu'ils auraient sans doute d'autres occasion de se croise. Après tout, il lui devait encore un poisson.

Arrivé à proximité de l'océan, il s'élança à longues foulées sur la plage en se demandant s'il chassait maintenant en prévision d'une nouvelle excursion pour la fin de la journée. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas découché, et la perspective d'un peu d'aventure était alléchante. Il se décida donc et se mit à longer l'océan, le regard posé sur les vagues paresseuses qui se déroulaient près de ses pattes. A cet endroit, le sable était dur et ses coussinets claquaient avec un bruit brouillé à chacun de ses bonds. Il finit par ralentir en arrivant en vue d'un petit repli dans lequel l'eau était moins mobile. Un lieu idéal pour trouver une proie, cela allait sans dire.

Mais alors qu'il scrutait la surface pour tâcher de décrypter ce qui se cachait en-dessous, une odeur étrangère vint lui chatouiller les narines, portée sous les embruns qui flottaient dans la brise. Il parcourut les alentours des yeux et son regard tomba sur une silhouette prostrée non loin, face à la mer. Ce n'était pas la première fois qu'Azkaban était témoin d'une telle scène. L'océan avait le don de réveiller de nombreux sentiments chez les loups, et il n'était pas rare que l'un d'entre eux vienne s'isoler sur les larges plages de la côte pour les exprimer. Mais cette fois-ci, contrairement aux précédentes, le jeune loup se refusa à ne pas intervenir. Le museau de l'inconnu reflétait une tristesse si profonde qu'il ne put s'empêcher de s'approcher à pas lents, les oreilles en avant et le regard avenant.

"... Tout va bien ?" Lança-t-il doucement lorsque l'étranger, qui s'avéra être une étrangère, fut à portée de voix.

La louve inconnue redressa la tête vers lui lorsqu'il s'avança pour lui parler, et son regard clair la détailla rapidement. Si lui-même portait des couleurs pâles et qui se fondaient dans le décors de la plage - à croire qu'il avait toujours été destiné à y résider -, il n'en était largement pas de même pour elle. Son pelage était d'un rouge marqué, un peu plus sombre le long de son dos ou de son cou, et ses cheveux de sang. Mais le plus marquant était bien entendu cette flamme qui dansait le long de son échine et de sa queue. Elle n'était pas bien forte, non, mais restait impressionnante. Voir un loup brûler sans rechigner n'était pas un phénomène des plus naturels, il fallait bien le dire, et encore moins pour Azkaban, que la solitude n'avait pas conduit à rencontrer maints oups avec maints pouvoirs. Cependant, il constata rapidement en arrivant près d'elle que ce feu ne semblait être qu'une sorte de magie, puisqu'aucune aura de chaleur n'en émanait. Il se garda bien d'aller délibérément chercher son contact, naturellement, et vint s'asseoir près de l'inconnue, qui paraissait bien désespérée.

Elle se disait perdue donc. Etait-elle nouvelle sur les terres de Punk-Wolf ? Leur géographie n'était certes pas évidente au premier regard, mais quelques lunes passées à les arpenter suffisaient à en percevoir les grands repères. Et notamment qu'il n'y avait de la mer qu'à l'Ouest, et que chaque côte et île formaient les balises permettant de s'y situer. L'Île aux Roses, Morne-Oeil et les Côtes de Nacres donnaient sur les terres Lazulis, la Grève Gelée sur les terres libres qui entouraient la Plaie du Monde, l'Île Fantôme sur les terres Nakhus et les hautes falaises du Nord sur les terres Etelkrus. Sachant au moins cela, le solitaire pourrait peut-être au moins la renseigner. A moins qu'elle ne soit perdue dans un bien autre sens... Mais si c'était le cas, il ne savait pas s'il aurait les mots suffisants pour venir à son aide. Le manque de relations sociales n'était pas complètement comblé par sa bonne volonté et son tempérament naturellement sympathique, il le craignait.

Il avait remarqué qu'elle portait un accent marqué, aussi décida-t-il de ne pas faire de prose excessivement complexe et répondit simplement :

"Je peux peut-être vous aider ?"

Il avait légèrement baissé la tête pour chercher son regard, le coeur piqué de tristesse en voyant ses larmes qui coulaient. Azkaban n'aimait pas voir les autres loups malheureux. Lui qui avait une vie si tranquille, au rythme de l'océan et de ses caprices, n'avait pas ressenti de profonde tristesse depuis bien longtemps. Une nostalgie persistante et des regrets, oui. Mais pas un si grand chagrin, qu'il avait envie de s'empresser de chasser.

Après un instant de silence, la louve rougeoyante finit par lui répondre dans un langage approximatif, mais dont les grandes lignes étaient compréhensibles. Un mot mystérieux surgit au milieu, "Vydar". Etait-ce là le nom de l'endroit d'où elle venait ? Ou de quelqu'un qu'elle connaissait et cherchait ? En la voyant si triste, le solitaire se demanda s'il pouvait s'agir de quelqu'un de proche qu'elle avait perdu, et que c'était pour cela qu'elle était venue se réfugier auprès de l'océan. Pas dans un désir absolu de solitude cependant, puisqu'elle ne s'était pas enfuie et ne l'avait pas envoyé sur les roses. Il lui restait peut-être un espoir de faire naître un sourire sur le museau délicat de l'étrangère, à un moment ou un autre de leur conversation.

Les derniers mots de la louve lui firent un pincement au coeur, tant ils semblaient exprimer, maladroitement certes mais de façon très facile à comprendre, une profonde et désespérée solitude. Elle se disait fatiguée de chercher, et même s'il n'était pas certain de cette interprétation, il supposa qu'il s'agissait de chercher un foyer, un endroit où cesser ses errances, un endroit où se trouverait peut-être ce Vydar aussi, dont il ignorait encore tout. Azkaban hocha doucement la tête, puis lança d'une voix douce :

"Qui est Vydar ? C'est un ami à vous ?"

Son regard se décrocha un instant de l'inconnue pour se perdre dans les roulis légers de l'océan, qui faisait en arrière-plan un ronronnement régulier. Lui ne l'entendait presque plus, tant il était habitué à cette berceuse. Cela faisait longtemps maintenant qu'i vivait aux côtés de la mer, et bien rares étaient les choses lui étant liées qui le dérangeaient encore. Il savait chasser ses proies, prévoir ses caprices et ses marées furieuses, était robuste à la froideur de son eau et à ses bourrasques violentes. S'il n'était pas un fils de l'océan comme certains de terres plus sombres pouvaient se vanter, il en était au moins devenu une sorte d'ami. Lui et la mer vivaient un paisible voisinage, sans trop de querelles ni d'inquiétudes.

"Je suis Azkaban." Ajouta-t-il finalement avec un léger sourire, comme pour l'encourager à des pensées plus lumineuses que les sombres qui semblaient danser derrière ses prunelles chargées de larmes. "Et toi ?"

Il prit le parti de la tutoyer, pour lui éviter les immanquables fioritures qui iraient avec trop de politesse. L'heure était à quelques paroles simples, car ils étaient avant tout deux loups. Ils étaient capables de se comprendre sans besoin d'un langage ampoulé.

La barrière du langage surgit pratiquement aussitôt, et Azkaban se sentit gêné d'avoir employé une expression inconnue à la louve rougeoyante. Lui qui désirait la mettre plus à l'aise, ce n'était pas une grande réussite. Toutefois, cela ne sembla pas avoir contrarié la femelle, bien au contraire. Le solitaire prit donc le parti de ne pas répondre immédiatement à sa question, mais plutôt de la laisser écouler tous les mots qu'elle souhaitait exprimer avant de reprendre la parole. Les oreilles redressées et le visage avenant, il l'écouta donc lui parler de ce Vydar - qui était effectivement l'un de leurs congénères. La seule description qu'il eut droit à son sujet fut qu'il était grand, immense comme une montagne. Cette comparaison amuse le loup clair : quel drôle de personnage cette louve pouvait être. Elle savait ce qu'était une montagne mais ignorait le sens du mot "ami". En revanche, elle savait dire qu'elle aimait, et ce Vydar était visiblement quelqu'un qu'elle appréciait beaucoup. Il ne s'était donc pas trompé sur sa première interprétation de ses paroles : il s'agissait bien d'une personne chère qu'elle avait perdu, au moins de vue. Elle ne parlait pas de lui au passé, mais elle semblait patauger dans a langue commune, il ne pouvait donc être sûr de rien à ce propos.

Elle lui révéla ensuite son nom, Fireheart. Un nom aux consonances étrangères, mais dont il aimait la sonorité. Ca sifflait et grondait comme un feu, accordé à l'apparence de la solitaire. Il se demanda d'où elle pouvait bien venir, étrangère au nom étranger, perdue sur ces terres sur lesquelles elle paraissait bien seule. Devait-il lui répondre qu'il était enchanté ? Il doutait qu'elle comprenne le principe, et il suffisait qu'il n'y ait pas d'équivalent clair dans sa langue natale pour que cela enterre leur discussion dans des explications vaseuse et peu propices à la joie. Or, il ne souhaitait que voir s'illuminer ce sourire qu'il voyait poindre sur son museau, alors qu'elle lui parlait de façon plus éclairée.

"Un ami, c'est quelqu'un qu'on aime." Répondit-il finalement, attrapant l'occasion qui se présentait quand elle lui dit qu'elle aimait Vydar. "Quelqu'un qui est là quand on a besoin. Quelqu'un qui fait sourire. Quelqu'un qui aide."

Douce et cruelle constatation qu'il faisait en disant ces mots : lui-même pouvait-il se targuer d'avoir des amis ? L'image de la louve grise, Hannah, traversa son esprit. Il y avait aussi sa jumelle, bien-sûr, mais elle était de sa famille, donc c'était un peu différent. Il ne restait qu'à espérer que cette liste s'allonge un jour, maintenant qu'il avait décidé de s'ouvrir aux autres et de quitter sa vie d'ermite pour à nouveau connaître une vie plus ou moins sociale.

"Tu habites ici ?" Demanda-t-il doucement, sans savoir exactement si elle comprendrait - mais ça ne coûtait rien d'essayer.

On pouvait clairement dire que non, le hasard n'avait pas bien fait les choses.
C'était un de ces moments dans la vie où il semblait presque d'une force supérieur s'amusât à venir bouleverser leur destin, sans vraiment qu'il n'y ait de sens à cette initiative ou une quelconque interprétation à en faire. Bien-sûr, les prêtres des différentes meutes auraient sans doute argué qu'il s'agissait là d'un signe divin, d'une avertissement, d'un châtiment ou autre chose en -ment venu des lointaines hauteurs du panthéon. Mais en l'occurrence, on parlait en cet instant de deux solitaires absolument pacifiques, qui menaient une conversation courtoise et civilisée et qui - même si chacun l'ignoraient concernant l'autre - n'avaient jamais de leur courte existence fait quelque-chose de suffisamment outrageant pour qu'un dieu se sente l'humeur d'intervenir. Pourtant, quelque-chose intervint.

Alors qu'Azkaban écoutait la réponse de Fireheart à sa question, l'air se chargea soudain d'une tension qui était familière, et absolument déplacée. Le ciel était clair, le temps plutôt beau, et il n'y avait absolument aucune chance logique qu'un orage éclatât à cet instant. Le solitaire eut à peine le temps d'amorcer un mouvement du museau vers le ciel pour comprendre d'où lui venait cette impression... que la foudre s'abattit sur eux. Littéralement. Il y eut un craquement qui lui vrilla les tympans, son champ de vision fut empli d'une lumière froide et aveuglante, et il sentit le sol se dérober sous ses pattes. Son corps fut arraché à la plage alors qu'une sensation de brûlure envahissait ses coussinets, et il n'eut pas le temps de se sentir voler que déjà le sol revenait à sa rencontre, frappant violemment ses côtes et son crâne.

Lorsqu'il reprit conscience, le monde tournait autour de lui et une sérieuse migraine pulsait dans son encéphale. Il avait l'impression que son corps entier était recouvert d'hématomes, comme s'il s'était fait piétiner par un cerf. La sensation était des plus désagréable, cela allait sans dire. Sonné, il se redressa et se releva maladroitement. Son champ de vision était flou, entouré de noir, et un sifflement aigu résonnait dans ses oreilles. Il mit un instant avant de constater la douleur qui s'élevait de ses pattes, et grinça des dents. Les oreilles rabattues contre le crâne, il tâcha de se repérer. Cette soudaine intervention d'une foudre sans origine l'avait complètement désorienté, mais une chose était sûre : il ne se trouvait plus sur la plage. Il se demanda à quelle distance il avait été projeté, mais ses sens encore confus étaient incapables de repérer l'odeur familière du sel. Il se résolut à faire quelques pas en avant, en direction d'une butte, pour espérer y voir plus clair.

Il lança un hurlement léger, dans l'espoir que la louve flamboyante n'ait pas atterrit trop loin. Mais l'espoir était assez faible, car si elle avait été projetée dans une direction opposée, avec la même puissance, ils mettraient un temps avant de se retrouver, c'était certain... Il secoua la tête. Ses pas le menèrent finalement, après un long moment, près d'une rivière qu'il identifia comme étant certainement celle des terres Lazulis. Aussitôt, il se montra méfiant. S'il était surpris ici, avec les tensions qui régnaient, il pouvait être attaqué ou fait prisonnier sans autre forme de procès. La tête basse et les yeux papillonnant de gauche à droit, il se mit à suivre le cours de la rivière pour redescendre vers la mer, guettant un éventuel propriétaire des lieux.

Ses pas finirent par le ramener chez lui, où il découvrit tristement que son vieil arbre avait été fendu en deux par la foudre. En revanche, il n'y avait plus de trace de Fireheart. Au moins, si elle revenait, saurait-elle le retrouver. C'était une nouvelle rencontre, un nouveau pas en avant dans son existence.
L'espoir que les choses continuent dans ce sens était permis.