Un coeur, puis deux, puis trois | Spleen

Cela faisait des jours que Bree sentait, au fond d'elle-même, que le grand moment ne tarderait plus. Elle qui avait pris toutes les précautions possibles pour cacher sa grossesse aux yeux de sa meute, évitant l'oeil acéré des guérisseurs, éprouvait un mélange d'anxiété et de hâte à l'idée d'être délivrée de ce poids qu'elle portait entre ses flancs légèrement arrondis. Elle s'était dit que la plupart de ses congénères verraient dans son désir accru de solitude la manifestation de sa peine suite à la perte de son père. Lorsqu'elle l'avait appris, un étrange sentiment de solitude l'avait envahie et n'était jamais véritablement parti. Bree avait grandi au sein d'un nid bien petit, duquel tous les oiseaux s'étaient petit à petit envolés. D'abord son frère, Irwell, parti à l'aube de sa première année et dont elle avait un souvenir qui devenait chaque jour un peu plus flou. Puis sa mère, emportée après la bataille contre le cerf chez les Nakhus. Il n'était longtemps plus resté qu'elle et son paternel - et bien-sûr l'ombre claire qu'était sa demi-soeur Spleen. Désormais, le blanc loup s'était envolé lui aussi, et elle avait perdu son principal repère.
Heureusement, il en était resté un, au pelage brun et au parfum salé.

Elle lui avait rendu visite plus rarement ces dernières semaines, sentant son corps plus fragile et effrayée à l'idée de faire un faux mouvement qui serait fatal aux vies qui allaient naître de leur union. Un seul autre loup était au courant de leur existence, de ce qu'elle en savait : Volstein, son oncle et oracle de Yurai. Elle savait qu'elle devait se rendre à lui lorsque le terme serait venu afin de protéger ses enfants de l'ire des Lazulis lorsqu'ils découvriraient sa liaison avec l'un des pirates. Ils grandiraient comme ses pupilles, et personne n'en saurait jamais rien avant longtemps. Lorsqu'il lui avait proposé cela, elle avait cru rêver. C'était si parfait. Ils seraient en sécurité et pourraient même rejoindre leur père par les côtes si bon leur semblait. Elle pourrait les regarder grandir depuis la meute voisine, sans craindre pour leur sécurité. Puisque les Nakhus étaient réputés pour être la meute la plus pacifique du continent, et que personne ne venait leur chercher la moindre noise.
C'était un plan parfait.

Depuis des jours, elle se préparait donc, attentive à chacune des petits contractions de son ventre, prête pour le grand départ s'il le fallait. Malheureusement, il arriva la seule chose qu'elle n'avait pas vraiment prévue - ou n'avait pas voulu prévoir de crainte qu'elle ne se réalise - : cette nuit-là, une douleur poignante la tira du sommeil avec un gémissement sourd. Il n'y avait pas besoin d'être bien vif d'esprit pour comprendre ce qui arrivait : le temps lui était compté désormais pour rejoindre la meute de son oncle.
La respiration haletante, elle se redressa avec précaution, et serra les babines sous le coup d'une autre contraction. Elle redressa les yeux et choisit le chemin à parcourir. Il lui faudrait emprunter un petit passage pour éviter la patrouille présente non loin de l'entrée ce soir-là, puis longer les Monts Célestes pour rejoindre les terres Nakhus. C'était simple, se dit-elle. Il suffisait de continuer à avancer en mettant une patte devant l'autre. Et c'est ce qu'elle fit, en faisant le moins de bruit possible, elle s'arracha de l'étreinte chaleureuse du Gouffre aux Faucons pour se diriger vers la rivière qui barrait leur territoire. Son avancée était rythmée de halètement, irrégulière car elle s'arrêtait souvent pour encaisser une douleur ou reprendre son souffler. Alors qu'à ses oreilles parvenait le bruit doux de la cascade d'Ao, elle sentit soudain ses pattes frissonner, trempées.

Sa gorge se serra alors qu'elle s'immobilisait. Des larmes montèrent à ses yeux clairs, tandis que la pensée terrible qu'elle n'y arriverait jamais étranglait toutes ses autres pensées. Elle ne pourrait pas aller retrouver Volstein, c'était impossible. Les petits allaient arriver d'un instant à l'autre. Elle se trouvait au milieu de nulle-part, seule, sans savoir exactement ce qui allait se passer. Ses muscles se tétanisèrent un instant, puis une bouffée de vent vint gonfler son pelage. Elle crut y percevoir l'odeur salée de la mer, comme si les dieux lui envoyaient un message.
Elle devait s'éloigner autant que possible du camp des lazulis, et puisqu'elle ne pouvait pas aller chez les Nakhus, elle descendrait jusqu'à la mer. Et jusqu'à Morne-Oeil.

Elle crut pendant un moment pouvoir y arriver, cette certitude la revigorant pour quelque distance. Mais la nature la rappelait bien vite à sa tâche imminente, et elle se put que se laisser tomber au sol, non loin de la Vasque de la Lune. Sa silhouette blanche, baignée par l'astre de la nuit, fut secouée de tremblements. Jamais encore, elle ne s'était sentie aussi seule.
Jamais elle n'avait eu aussi peur.

« Un coeur, puis deux, puis trois...

« Spleen & Bree et ses nouveaux-nés


Comme depuis plusieurs nuit déjà, le sommeil fuyait la louve blanche et turquoise. Le vide et la solitude creusait un trou toujours plus profond dans sa poitrine, et le départ de son géniteur pour un monde moins cruel n'avait fait que renforcer ce sentiment. La plupart des Lazulis avaient fait le lien entre Roy et elle, et la plupart pensait -à tort- que son isolement était dû à son chagrin. Mais il en était rien. Spleen ne connaissait pas vraiment la peine, la souffrance ou la colère. Ces émotions fortes lui avaient été refusées depuis toujours au profit d'un abîme toujours plus béant. Sans doute l'image de fantôme qui collait à la peau de son père et le manque de tendresse de sa mère n'y était pas étranger. La Prêtresse de Mido voyait tout ça d'un œil très juste et compréhensif. Elle portait sur elle-même un jugement critique honnête et indulgent. Elle ne savait simplement pas être triste ou fâchée, de même elle ne parvenait à s'attacher et à montrer un semblant de complicité avec ses congénères. Pourtant elle était curieuse des autres, elle s’intéressait à leur vie, à leur trouble et à leur joie. Elle avait le recul nécessaire à la compréhension de tout cela. C'était sans doute ce qui avait poussé le Raptor à lui faire l'honneur de le représenter. Les rouages de son cerveau pouvait saisir et interpréter la plupart des comportements des autres loups, sans toutefois réussir à les imiter. D'une certaine façon c'était malheureux pour elle. Mais qui la plaindrait ?

Ses parents avaient chacun trouvé le chemin d'un autre monde. La première dans celui des abîmes, loin sous le niveau de la mer. Et le second venait de franchir le long tunnel qui l'amènerait sûrement auprès des Dieux et de leurs ancêtres, là où la lumière consumait toute pénombre. Sur terre il restait une demie soeur que Spleen n'avait jamais su approcher et trois demi-frères sur l'île de son enfance qui la détestait pour n'avoir existé que trop tard dans leur vie. Pouvait-elle leur en vouloir ? C'était bien de sa faute si elle n'était jamais revenue voir Heever sur Morne-Oeil. Les oreilles de la louve au pelage de neige tiquèrent tandis qu'une brise venait jouer dans ses cheveux. La certitude que quelque chose n'allait pas glaça son coeur. Le silence de la lui n'était en rien troublé pourtant... Le calme et la sérénité des étoiles n'auguraient rien de mauvais... Mais quelque chose la poussa à quitter le perron de son antre. Sans réfléchir, la louve se redressa et quitta l'entrée de la grotte du temple du Raptor. Contre son cou, elle sentait la chaleur de son glowstick palpiter doucement, rassurante. Elle eu l'impression que la brise qui soufflait maintenant dans son dos la poussait à aller plus vite. Les embruns de l'océan vinrent danser dans ses cheveux et sa mémoire. Comment se faisait-il que le vent apporte l'odeur de la mer si loin dans les terres ? La Prêtresse écouta la voix intérieure qui la guidait depuis l'obtention de son glowstick. La disciple de Mido entendit donc ce que son instinct lui chuchotait.

Alors elle accéléra le pas jusqu'à la course. Le don du Raptor lui permit de sentir la peur et la solitude d'une louve avant même qu'elle ne la vit. Tâche immaculée sous les rayons diaphanes de la lune. Corps affaiblie et esprit tourmenté. Spleen reconnût immédiatement sa demie-soeur et fût envahie par le trop plein d'émotion qui la harcelait alors que le travail commençait. La gêne ou la timidité toujours ressentie à l'égard de cette portion de famille à la fois physiquement proche mais si éloignée par tant d'autres obstacles que la distance, disparue par la grâce des Sept. Ou bien par les encouragements de Mido qu'elle ressentait poindre là où jusqu'à présent il n'y avait que le vide. Tout d'abord sans un mot, la silhouette fine de la Lazuli se glissa contre le dos de Bree pour la soutenir et la rassurer. Elle donna un coup de langue sur son crâne. Si le geste paraissait déplacée à sa soeur, alors elle encaisserait les crocs pour l'aider tout de même. Avec son calme, elle espérait imposer la confiance à la fille légitime de Roy. Par ses actes doux et chaleureux, elle devenait la soeur qu'elle n'avait jamais été jusque là. Dans un tel moment, rien ne comptait plus que la présence de quelqu'un de solide, de fiable et surtout, de connu. Et si Spleen n'était pas doué pour exprimer ses sentiments, elle l'était pour apaiser les autres. C'était d'ailleurs sa mission première livrée par Mido lui-même. Et c'est tout ce qu'il lui restait à présent.

« Inspire lentement. Et a chaque contraction, expire et vide tes poumons. Puis recommence. »

Il leur faudrait bouger, se mettre à l'abri dans le temple qui était le lieu le plus sûr et le plus proche. C'était là aussi qu'elle gardait ses affaires et donc les quelques plantes et utilités de survie que sa mère lui avait appris à ne pas jamais oublier. Heever avait été une bonne mère, dans la mesure où elle avait appris à sa fille aînée à survivre et à savoir utiliser ce qui l'entourait pour y parvenir au mieux.

« Quand tu le sentira, noAus marcherons jusque dans la maison de Mido. Il veillera pour nous. Je te soutiendrais jusque là, et plus encore. »

Si le Raptor avait orchestré ce moment, ce en quoi Spleen ne pouvait douter, alors à partir de maintenant, elle serait un pilier pour cette soeur qu'elle ne connaissait que trop mal, et ce, jusqu'à ce que Bree la chasse avec crocs et griffes.

Le froid de la nuit lui parut soudain bien saisissant, alors que les tremblements de ses pattes ne voulaient cesser. La lune au-dessus d'elle braquait sur sa silhouette un oeil qui devint aveuglant, spectateur froid et distant de sa douleur et de sa solitude. Toute son attention accaparée par ce qui se passait quelque-part en son sein et l'esprit envahi de tout ce désespoir, elle n'entendit ni ne sentit arriver l'autre loup qui se présenta alors, chose inespérée. Elle ne s'en rendit compte que lorsque l'herbe bruissa non loin de ses oreilles, et un sursaut léger l'agita. Mais au même instant, une nouvelle contraction crispa douloureusement ses flancs et elle abandonna l'idée de chercher dans l'immédiat à savoir de qui il s'agissait. De toute manière, si ce congénère était là pour la tuer, elle ne pourrait rien faire dans son état pour l'en empêcher. Elle aurait peut-être pu, un instant auparavant ou quelques instants après, mais à ce moment précis où la vie l'enchaînait à un événement inévitable, elle était plus vulnérable que jamais.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle sentit la silhouette venir s'allonger près d'elle, rassurante, et une odeur familière poindre. Une odeur qui portait un peu de sa famille, un peu des effluves salés des Raeders, mais surtout celle des Lazulis. Sa demi-soeur, Spleen. Même si leurs relations avaient toujours été distantes, Bree fut indéniablement rassurée qu'il s'agisse d'elle. S'il y avait une chose qu'elle avait bien vite compris chez les lazulis, c'est que tous considéraient chaque loup comme membre d'une sorte de grande famille. La confiance était de mise, et même les aventures de Morrow auprès d'une louve étrangère n'avaient pas brisé cette confiance. Spleen était à la fois de sa meute et de son sang. Elle était a prêtresse du dieu qui lui avait fait don du glowstick lumineux machinalement caché sous son écharpe depuis qu'elle avait commencé ses visites régulières sur Morne-Oeil. Elle avait désespérément envie de croire qu'elle ne lui voulait aucun mal.
Dans la situation actuelle, mieux valait s'accrocher à cet espoir, puisqu'il n'y avait malheureusement pas grand chose d'autre à faire.

Spleen n'était pas au courant de son état, elle en était presque sûre. Pourtant, elle ne fit aucune remarque et se contenta d'adopter un murmure rassurant pour lui parler, pour calmer cette peur qui l'habitait et lui redonner quelque-chose de stable auquel s'accrocher. Bree hocha doucement la tête et se concentra sur les consignes qu'elle lui donnait. Elle entendit à pein les mots qui suivirent, puisqu'elle n'aurait pas le temps avant quoi que ce soit désormais d'entrer au temple de Mido. Les instants qui s'écoulèrent après lui parurent sortir de la réalité. A cause de la douleur poignante qu'elle ressentait, de la situation qui n'avait rien d'attendu, à cause de la nature même de ce qui était entrain de se passer. Ses petits, leurs petits à Chulhei et elle, étaient entrain de voir le jour.
En réalité, la mise bas ne dura pas si longtemps, et il ne fallut qu'un instant avant qu'un premier vagissement ne se fasse entendre dans le silence de la nuit. Bree voulut se redresser pour voir le petit corps derrière elle, mais aussitôt le travail la cloua au sol, et elle dut attendre la venue du second pour voir se calmer les palpitations de ses flancs. Son corps entier lui sembla s'apaiser, et elle comprit que tout était terminé. Lorsqu'elle put relever le buste, ce fut pour poser les yeux sur deux petites silhouettes aussi claires de pelage qu'elle. Elle ne sut trop définir quelle bouffée d'émotion la prit à cet instant là. Il était tellement irréel de songer qu'elle était la mère de ces deux petits êtres. Elle.

Son regard fatigué se tourna ensuite vers Spleen avec reconnaissance, et elle posa en silence le front sur l'épaule de sa demi-soeur. Elle se sentait au bout de ses forces, et pourtant la route était encore loin d'être terminée. Inutile d'espérer traverser tout le territoire ainsi que celui des Nakhus maintenant, c'était trop risqué. Le scénario qu'elle raconterait était déjà bien dessiné dans son esprit, et il n'impliquait pas la présence de deux petits.

"Il faut... les emmener loin d'ici." Souffla-t-elle. "Sur Morne-Oeil."

Un autre loup dans la confidence. Une autre raison de les porter loin de tout danger.

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Malheureusement, les contractions étaient trop rapprochées et trop douloureuses pour que la jeune mère en devenir ne parvienne à avancer et rejoindre le temple où attendait tout le nécessaire de premiers soins de Spleen. Étrangement, pourtant, c'est avec une facilité déconcertante que l'avènement se fit. Rapidement et sans complications. Il était certain aux yeux de givre de la Prêtresse du Raptor qu'une bonne étoile nimbait déjà ceux qui allaient, cette nuit, avaler leur première inspiration de vie. La conviction que tout irait bien avait gagné la blanche et elle s'efforçait de transmettre cette confiance à la seconde femelle, d'un même pelage de neige. Lorsque Bree libéra un premier petit au duvet pâle, Spleen se redressa et contourna sa demie soeur. Elle attrapa délicatement le nouveau né gémissant pour le coller contre l'endroit le plus chaud et le plus sûr pour lui actuellement : le ventre tendue et chaud de sa génitrice. Elle le frictionna avec quelques coups de langues vigoureux afin de vérifier son état d'éveil, avant de donner quelques paroles réconfortantes à la première fille de Roy. Puis elle fit de même pour le second louveteau, une femelle cette fois, dont le pelage naissant indiquait qu'elle aussi porterait une fière robe immaculée. Il fallait croire que les gènes de Roy étaient... Persistants. Un sourire fin étira les babines de la disciple de Mido. Cette scène familiale si tendre lui semblait si lointaine et pourtant si prenante. Après tout, elle n'avait aucune légitimité à s'inclure dans ce cette tribu fraîchement agrandie... Et pourtant...

Elle rêvait tant d'avoir une même chance, de faire partie d'un groupe relié par le sang, et surtout appartenir à une famille au sens plus large du terme. Mais elle n'était réellement lié ni à sa demie-soeur, ni à ses demis-frères qui la haïssait pour n'avoir jamais été présente... L'histoire de sa vie, rester à la frontière de l'existence des autres. Spleen se reprit lorsqu'elle sentit la tête de la jeune maman pousser son épaule. Elle réalisa qu'il s'agissait d'un geste affectueux de gratitude. Son sourire s'élargit un peu. C'est comme si Bree avait sentie, malgré sa détresse et son épuisement, ce que réclamait la Prêtresse depuis toujours. Elle entendit ensuite la voix faible comme un murmure de l'Herboriste et posa ses prunelles pâles sur les petits corps avides de chaleur et de lait. Bree voulait les emmener sur Morne-Oeil. Probablement chez leur père ? Comme aucun signe vraiment distinctif n'indiquait une ascendance paternelle, la femelle blanche et turquoise réfléchit un instant aux mâles peuplant encore l'île maudite. Kéran, Tatch, Creek, Chulhei, DaeHwan, Hicham et Illidan. Elle doutait fortement que ce soit l'un de ses frères... Ils étaient bien jeunes encore, quand même. Illidan n'était plus qu'une loque depuis des années alors... Non elle ne le voyait pas vraiment s'acoquiner avec une femelle quelle qu'elle soit. Hicham, de mémoire, haïssait les loups du continent... Ne restaient que les jumeaux, ses grands-cousins adoptifs. Lentement, Spleen acquiesça. Elle sentait le besoin et l'attirance de sa demie-soeur pour les Raeders. Elle comprit qu'il n'y avait que là-bas que la jeune mère estimerait ses petits en sécurité.

« Mange un peu, ça te rendra des forces. »

Spleen poussa doucement les restes du placenta qui jusque là avaient protégé et nourris les loupiots jusqu'à sa demie soeur. Ce n'était pas très ragoutant mais ça avait le mérite de réellement booster les femelles venant de mettre bas. Sans compter la quantité de fer et de protéines apportés à l'organisme. Elle réalisa soudain quelque chose. Si Mido avait joué dans leur destinée, un autre acteur veillait sur ces enfants. Leur place n'était effectivement pas auprès des Lazulis. Doucement, la Prêtresse de redressa, l'idée que l'existence de ces nouveaux-nés seraient dissimulée sur Morne-Oeil lui rappela que malgré son appartenance et son devoir envers les Lazulis, sa loyauté et son coeur restait sur l'île des Pirates. Or Mido l'avait nommé Prêtresse en connaissance de cause. Devait-elle être un lien entre les deux meutes ? Devaient-elle être un pont, une sorte de maintien de la paix ? Il lui faudrait aller demander un éclaircissement à Mido lors de la prochaine lune. En tout cas, c'est avec aplomb qu'elle se dressa à côté de sa demie-soeur. Elle ne lui poserait aucune question et l'aiderait à protéger ses petits. Si Bree ressentait l'envie ou le besoin de s'expliquer, elle la laisserait faire, en attendant, elle se contenterait d'apporter son soutien à la jeune mère et de mettre sous silence cette nuit spéciale. Elle ne voulait en rien accabler l'autre disciple de Mido qui devait déjà faire un choix bien déchirant... Laisserait-elle ses louveteaux sur l'île ? Ou avouerait-elle à leur meute ce qui pourrait être vue par d'autres comme une trahison ? Le Destin était plein de mystères et les mortels ne pouvaient seulement deviner une infime partie de ce qu'il advenait d'eux... Spleen pria Mido de les aider, mais elle eut aussi un mot pour le Roi des Océans pour qu'ils veillent sur eux dès leur voyage entamé.

« On va les emmener. Tout ira bien. Dès que tu te sens prête. »

Spleen restait toutefois aux aguets, détaillant l'Herboriste avec sérieux et méfiance afin de voir venir tout trouble ou anomalie qui pourrait être un risque pour la mère. Elle venait tout de même de donner la vie, ce n'était pas pour risquer la sienne en échange.

Il fallut un moment à Bree pour pouvoir vraiment se redresser. Elle suivit les consignes de Spleen et resta allongée ensuite, le regard posé sur les deux petits loups qui s'étaient rassasiés et se contentaient de se blottir contre ses flancs en les poussant de leurs toutes petites pattes. Après la panique qui l'avait saisie, elle se sentait vide de toute énergie, mais aussi étrangement apaisées. Peut-être était-ce la présence de la Prêtresse de Mido à ses côtés, le jour levant qui commençait à peindre de traînées grises et roses l'horizon, ou simplement le fait que tout se soit bien passé. Elle ne savait pas trop. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle n'avait jamais ressenti de si fortes émotions depuis la mort de son père, et la grisaille qui avait alors envahi son esprit. La présence de Spleen avait également chassé la solitude, au moins pour quelques temps, et ses paroles ne purent qu'accentuer cette impression.
Elle allait l'aider à les emmener à leur père.

Un frisson secoua la corps de la louve blanche, resté un peu trop longtemps immobile dans la fraîcheur de la nuit s'achevant. Il fallait qu'elle bouge, sans quoi sa sensibilité exacerbée au froid combinée à sa faiblesse actuelle ne lui permettrait plus de faire le voyage jusqu'à Morne-Oeil. Si tant était qu'elle était capable de le faire, mais elle préféra laisser cette pensée derrière elle. Lorsqu'elle se releva, les deux petites boules de poils se mirent à couiner quand le contact fut rompu entre eux et le ventre chaud de la Lazuli. Contrairement à bon nombre de louves de sa famille, qui avaient enfanté tôt ou eu une grande progéniture, Bree n'avait pas spécialement de fibre maternelle. Elle se retrouva donc désemparée, hésitante, sur le comportement à adopter. Elle finit par s'asseoir et entourer de ses pattes et de sa queue les deux petits être, avant de leur donner quelques coups de langue. Un tremblement léger agita ses pattes, à la pensée de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Fibre maternelle ou non, il y avait tout de même quelque-chose en elle que l'idée d'abandonner les deux petits êtres qui remuaient à ses pieds révulsait. Pourtant, elle savait à quoi s'attendre. Elle savait qu'elle devrait les rendre au peuple de la mer afin que la terre ne voit pas en eux les bâtards de deux mondes trop différents.

Elle passa la langue sur ses babines et releva les yeux vers Spleen. Chacune d'entre elle ressemblait fort à leurs mères respectives, Bree à Hikotsu et sa demi-soeur à Heever. Pourtant, en cet instant, l'Herboriste eut l'impression d'apercevoir en elle quelque-chose d'elle-même, comme si la Prêtresse, durant quelques battements de coeur, lui avait renvoyé un reflet flou. L'impression fut fugace, inattendue, inexplicable sur le coup.

"Merci." Finit-elle par murmura, sans trop savoir comment exprimer correctement toute la reconnaissance qu'elle éprouvait à son égard.

Elle porterait à jamais une dette envers elle, sans savoir si elle pourrait un jour la rembourser. Elle ne considérait pas que parce qu'elles partageaient le même sang, Spleen avait quelques obligations envers elle. Après tout, la louve blanche n'avait, il fallait le dire bien que ce fut une cruelle réalisation, jamais fait d'effort véritable pour nouer de lien avec sa demi-soeur. Par son acte, celle-ci venait de lui prouver qu'elle avait eu tort, de lui suggérer de corriger ça, à l'avenir, mais également de montrer combien, toute pirate d'origine qu'elle était, elle pouvait être une bien meilleure louve qu'elle.