Le bleu du chagrin — Ao

Le temps était particulièrement humide en ce jour. Bien que le printemps soit là, la température demeurait encore fraîche. Mo’ remerciait ses mères de lui avoir donné un pelage assez épais, qui lui permettait de se protéger du froid. Malgré tout, la pluie était parvenue lui glacer les os, lui qui était resté toute la nuit adossé contre l’entrée de l’ancienne tanière de Neït. Vivendi allait sûrement s’inquiéter, mais qu’importe, le loup voulait trouver sa deuxième mère, savoir pourquoi elle était parti comme ça sans les prévenir. Avaient-ils fait quelque chose de mal ? Le fait d’avoir des enfants avait-il était de trop pour la prêtresse ? De nombreuses hypothèses fusaient dans l’esprit du gamin au fil du jour, bien que à son goût une seule soit véridique. Leur mère ne les aurait jamais abandonné.

Un bâillement vint étirer la mâchoire du jeune loup qui se redressa pour s’ébrouer. Il empestait le chien mouillait, mais bon, personne n’était parfait… Cette nuit lui avait permis de prendre une décision, il était temps pour lui de passer son épreuve de glowstick et de se rendre au temple de la dragonne. Neït lui avait promis de l’accompagner, ce qui avait retardait sa décision, mais voyant que son absence s’éternisait, Mo’ décida de s’y rendre seul. D’un pas lent, espérant jusqu’au dernier moment que la silhouette marron de la Lazulis apparaisse, l’adolescent pénétra finalement dans l’antre de la déesse.

Les prunelles vertes de Mozarthamès cherchèrent un signe, un indice d’une présence de sa mère… mais rien. Le temple était silencieux et seul le bruit de l’eau accompagnait son sentiment de profonde impuissance. L’adolescent lâcha un léger soupir avant d’observer la statue de la dragonne. Il était tant pour lui de le faire. De passer à son tour cette épreuve et en profiter pour poser cette question qui lui démangeait tant les babines. Le Lazulis inclina doucement la tête avant de prendre la parole.

« — Vénérable déesse, deux raisons me poussent à venir jusqu’à vous aujourd’hui. »

Peut-être trouverait-elle cela présomptueux et insolent, mais il n’était pas le fils de Neït pour rien. La prêtresse avait beau s’être adoucie depuis la venue au monde de ses enfants, il n’empêche que son fils avait hérité de certains de ses traits de caractères… Alors le gamin reprit la parole, car maintenant qu’il était lancé, pourquoi s’arrêter ?

« — Je viens tout d’abord ici pour passer mon épreuve de glowstick… »

Un grand classique qui ne serait une surprise pour quiconque. Les sourcils du Lazulis se froncèrent, tandis que ses prunelles affichaient une lueur profondément attristée. Seule la déesse avait la réponse à sa question.

« — … Mais également parce que je suis à la recherche de Neït. Elle est introuvable… Savez-vous où elle est ? »

Mo' a peur de voir sa famille disparaître, d'être la cause de tout cela. La disparition de Neït le hante tout particulièrement et il se sent fautif pour une raison que lui-même ignore...

Seul le silence accueilli la demande de Mozarthamès. Ao refusait-elle de lui répondre ? N’avait-elle pas la réponse à ses questions ? Ignorait-elle tout comme lui où se trouvait sa prêtresse ? Non… c’était impossible, pas après tout ce temps de loyaux services dont avait fait preuve Neït ! L’adolescent fronça doucement les sourcils, fermant un instant ses paupières avant de les réouvrir. Une scène tout à fait différente s’offrait à lui. L’odeur du sel et de l’océan envahit ses sens, tandis que tout autour de lui, des loups aux silhouettes floues se mouvaient, semblaient s’agiter tels des barbares. C’est alors que le gamin les aperçu. Toutes les trois étaient là, ligotées, tel le poisson capturé dans les filets. Que faisaient-elles ici ? Que faisait-il ici, lui ? La longue tignasse du loup remua lorsqu’un inconnu prit la parole, tandis que ses yeux s’écarquillèrent de stupeur.

Lui… ? Les muscles de Mo’ se figèrent, tandis que ses babines se retroussaient. Jamais, ô grand jamais n’aurait-il oser sacrifier sa famille, non… hein qu’il ne l’aurait pas fait, pas même pour son propre intérêt ? Biens des défauts l’hébitaient, mais loin de là l’égoïsme. Mais après tout, ne ressemblait-il pas à sa mère ? N’avait-il pas lui aussi ses propres démons à apaiser ? Mais avant qu’il ne puisse davantage se questionner, trois loups se dégagèrent de la foule et avant que le Lazulis ne puisse intervenir, plongèrent les lames de poignards dans la gorge de ses mères et de sa soeur.

« — Non !»

Un cri tout aussi désespéré qu’inutile. Le gamin s’élança auprès des corps des membres de sa famille. Leur sang vint lécher le bout de ses pattes, ces dernières tremblaient sous la terreur de ce dont il avait été complice. Non… Non ! Comment ces pirates avaient-ils pu ? Comment lui, avait-il pu laisser faire une taille chose ? Les entrailles du gamin se nouèrent, alors qu’il abaissait son museau, nul expression ne fut déchiffrable à cet instant sur ses traits. Le vide s’installa en lui, seul les battements frénétiques de son coeur lui parvint. Boum-boum. Boum-boum. Boum-boum. Que disait Neït dans les moments de trouble ? Souviens-toi gamin, c’est lorsque tout espoir semble perdu, que les solutions apparaissent… Mais quelles solutions y’avaient-ils à cela ? Comment faire revenir ceux qui nous étaient chers ?Réfléchis Mo’, souviens-toi, souviens-toi de ce qui t’a mené jusqu’ici ! L’adolescent redressa alors sa tête, affichant un air hautain, un sourire attristé étira ses babines.

« — C’est pour Neït que je le fais, pour qu’une part d’elle, demeure à jamais avec moi… »

Neït ne pouvait être ici, pour la simple et bonne raison qu’elle avait disparu. Nul ne pouvait déterminer où, mais l’adolescent ne pouvait oublier ses heures consacrés à sa recherche. Non, rien, pas même le souffle glacial de la mort, ne parviendrait à lui effacer ces souvenirs, alors si il fallait en passer par là pour accéder à ses réponses, si il devait faire cet ultime sacrifice pour la satisfaire…

Le jeune loup récupéra une des armes qui avait servi à sacrifier sa famille. Le sang gouttait de la lame, dégoutant une partie de Mo, mais c’était le seul moyen. Alors serrant les crocs, il enfonça la lame dans son poitrail, car après tout si c’est lui qui avait engendré tout ceci, c’était à lui d’en payer le prix.

« — Une vie… pour une vie. Un… souffle… pour un autre. »

Alors tout changea une nouvelle fois autour de lui, le mettant face à une entité puissante, Ao. L’adolescent la regarda sans surprise, combien de fois lui avait-on fait la description de cette déesse ? Mozarthamès regarda un instant la plume bleutée qui lui servirait de glowstick avant de reporter toute son attention sur la déesse. Cette dernière entreprit alors de répondre aux interrogations du Lazulis, affichant un air non déchiffrable. Et alors la vérité fût… une terrible vérité qui brisa quelque chose à l’intérieur du nouveau disciple. Les prunelles du loup étaient écarquillées de stupeur, lui donnant l’impression d’être de nouveau dans son épreuve.

« — Non… Pourquoi ? Pourquoi lui a-t-on fait du mal ? N’auriez-vous pu lui porter secours ?»

Le mauvais caractère de sa mère était à l’image de sa déesse d’après les dires de certains, mais de là à ce que cela lui cause du tort. L’adolescent revoyait les silhouettes dans son épreuves, les corps ensanglantés de sa famille, lui qui aurait été prêt à donner sa vie pour eux. Une vie, pour une autre. Mais tout ceci n’avait fait revenir personne, son sacrifice n’aurait servi à rien. Pourtant… Pourtant Mo’ se surpris à croire qu’il aurait préféré le goût de la lame dans sa chair plutôt que ça. Les larmes creusèrent des sillons dans ses poils, tandis que la douleur du coeur accompagna le chagrin.

Une forte odeur de sel se répandit dans le temple, tandis que le son des vagues semblaient claquer contre les parois rocheuses. Comme dans son épreuve… Un ultime indice que lui seul pourrait interpréter, mais le gamin était trop tourmenté pour s’en préoccuper à cet instant.

« — Je ne veux pas qu’elle parte… Pas comme ça ! S’il vous plaît, Ao, s’il vous plaît…»

Mais la déesse avait disparu, le laissant seul dans le temple avec pour seul compagnie ce glowstick semblable à une plume. Mo’ lui jeta un regard dégoûté avant de le saisir entre ses crocs. C’est le coeur plein d’amertume qu’il quitta l’antre de la dragonne, se dirigeant dans l’ancien repère de Neït, toujours aussi froid, toujours aussi morne. L’adolescent lâcha son glowstick, ce symbole de fidélité auprès de cette déesse, avant de repartir. Ce n’était en rien une victoire, ni une défaite. Mais voilà ce qu’il en faisait, une offrande. Une offrande à la mémoire de sa mère, elle qui n’avait de cesse porté de plumes, elle qui avait fait preuve d’une telle fidélité à Ao, elle qui aujourd’hui s’était éteinte. Mozarthamès leva son museau vers le ciel, laissant la pluie se mêlait à ses larmes, laissant son chagrin rejoindre ce temps maussade. Désormais, plus rien ne serait comme avant… car il avait une mission à remplir, c’était à lui que revenait désormais la tâche de venger l’honneur de Neït, quoiqu’en soit le prix. Alors, Mo’ tourna le dos à beaucoup de choses à cet instant précis, à cette déesse qui venait de lui accorder un gage de sa fidélité, à ses principes, ainsi qu’à lui-même. L’ancien Mozarthamès n’était plu, aujourd’hui c’était un nouveau qui naissait…