bleu à l'âme. pv joaquin

CONTEMPLATION

Les feuilles tombent une par une sur un air de mélancolie. L’air se fait plus frais, couteau qui s’aiguise pour l’hiver. Tu te tiens droite à fixer l’eau devenir glace, tu te tiens droite à fixer les nuages devenir sombres et tu te demandes pourquoi le temps avance si rapidement, égoïstement, tout seul de son côté. Tu te demandes s’il y a “ un dieu “ pour ça aussi. Pour le temps. Qu’ils sont étranges ces loups croyants.
Le sable fin glisse entre tes pattes, sur ton pelage, tu sens l’écume. Tu passes tout ton temps ici car c’est calme et que tu t’y sens bien. C’est morbide, sachant que ce sont ces même vagues qui ont englouties la moitié de ta famille. C’est morbide mais tu ne peux pas décrocher ton regard d’elles, tu sais qu’un jour tu finiras comme ça aussi.

Là où la verdure et la forêt reprend petit à petit confiance, Misiek avait installé de grandes feuilles contre des roches pour s’offrir un abris lors des grandes pluies. C’est bancale, instable et petit mais ça lui va. Et aujourd’hui il ne pleuvait pas, alors elle traînait son faible corps sur les rives pour trouver de quoi attirer son attention. De quoi occuper ses esprits.

Tu marches encore et encore, tu te penches et un peu plus loin, dans le sein de l’eau, entre deux rochers, tu vois quelque chose de brillant. Un léger sourire - bien trop doux - s’incruste sur ton visage fatigué et tu t’approches. Posant tes pattes sur la surface rocailleuse glissante et recouverte de petites moules et crabes en tout genre, tu n’essaies pas de tomber dans l’eau ce serait fâcheux. Tendant la gueule, la plongeant dans l’eau froide qui te brûle les poumons tu parviens tout de même à récupérer ce qui brillait. En t’éloignant bien loin de tout ça, retrouvant la terre ferme, tu laisses tomber au sol ton trésor.

Un morceau de verre pilé. C’est joli, ça captive. Elle se dit que peut-être elle pourrait en faire un bracelet, ou simplement l’exposer chez elle ..? Pourquoi pas commencer la collection ? Puis au bout de quelques secondes elle se demande si ce morceau de verre n’appartient pas à un de ces loups. Ils se baladent tous avec des petits tube semblable, contenant un liquide brillant.

Ah Misiek, proie si facile à tuer. On se demande encore comment elle est en vie. Aucune défense, aucune hostilité, juste la contemplation.

Juste la contemplation.

Pour une obscure raison, Joaquín avait décidé d'aller à la plage.

Enfin, aller à la plage... il n'allait pas se baigner pour autant — plutôt mourir. Longer tranquillement la côte, laissant ses pattes s'enfoncer doucement dans le sable humide, assez près de l'eau pour profiter d'un sol un tant soit peu compact, assez loin pour que les vagues ne puissent venir lui lécher les coussinets, peut-être faire une sieste au soleil, plus tard. Continuer de profiter des derniers jours de l'été avant d'aller se reclure dans la Savane et y attendre quelques mois que le beau temps revienne sur le reste du territoire. Bien au chaud.
Fort dommage que les loups ne puissent hiberner comme les ours. Ca aurait été plus simple.

Dire qu'il comptait se cantonner uniquement à la Savane jusqu'au retour du printemps n'était pas tout à fait juste non plus. Il allait seulement y rester la majorité du temps. Fait était que si Joaquín n'aimait pas le froid, et n'aimait pas se mouiller — principalement parce que l'eau était froide –, il avait bien vite appris qu'il n'y avait à ses yeux pas grand chose qui soit plus beau qu'un coucher de soleil sur la plage en hiver. Pour peu que le soleil soit au rendez-vous et non pas perdu derrière un mur de nuages, bien sûr.
Ca lui donnait bizarrement de l'espoir et lui faisait croire en quelque chose de meilleur, sans qu'il ne sache exactement quoi. Ca le rendait mélancolique, aussi. Sans qu'il ne sache exactement pourquoi.

Il était ainsi là, à trottiner paisiblement au bord de l'eau, ne manquant pas de faire un écart lorsque les vagues s'approchaient un peu trop, laissant son regard se balader autour de lui. Se demandant à quoi pouvait bien ressembler le fond de l'eau, au vu du grand nombre de coquillages brisés qui jonchaient le sable un peu partout. Se demandant aussi quel goût ça pouvait bien avoir, un coquillage. Non pas qu'il ait particulièrement envie d'essayer. Ew.
La brise marine lui amena une odeur qui différait nettement du cocktail eau-sel-mouette-goéland-algue-sable auquel qui était coutumier des lieux, et il leva ma tête. A une centaine de mètres de là, une silhouette fine s'extirpait de l'eau — quelle idée – et allait déposer quelque chose sur la terre ferme. Peut-être un coquillage ? Existait-il réellement des loups se nourrissant de ça ?
Sa curiosité attisée, il accéléra légèrement le pas, pour finalement ralentir lorsqu'il ne se trouva plus qu'à quelques mètres d'elle. Une petite femelle, frêle, fragile, pâlichonne, en sale état. Ce n'était pas la première fois qu'il croisait la route d'une femme malmenée par la vie, mais ça restait toujours aussi triste à voir, en tout cas selon lui. Il n'y avait en tout cas pas de trace d'autre mâle alentour, il n'y avait à vrai dire pas trace de quiconque autre qu'eux deux. Et à en juger par la petite bâtisse plus que branlante faite de feuilles et de quelques branches — et encore, pas sûr – qui menaçait de s'écrouler entre deux rochers un peu plus loin, tout laissait à croire qu'elle vivait ici toute seule. S'approchant lentement de la louve — il marchait désormais –, il vint se poster derrière elle, tendant le cou pour essayer de voir ce qui la captivait autant.
Ce n'était pas un coquillage.
Hah. Il savait bien que personne n'aurait l'idée d'aller manger ça.

Il ne dit rien, ne sachant pas trop comment ouvrir une éventuelle conversation, se contentant d'être une présence sombre et silencieuse à ses côtés, ce qui n'était pas forcément plus rassurant qu'une soudaine prise de parole, même dépourvue d'hostilité.

CONTEMPLATION

Toujours penchée au dessus de sa trouvaille, elle ne remarqua pas l’odeur qui enveloppait maintenant son corps frêle, elle n’entendit pas le sable s'aplatir sous les coussinets du nouvel arrivant, elle n’aperçu pas l’ombre qui se dressait dans son dos. Misiek contemplait en silence les reflets du soleil dans le morceau de verre opaque aux couleurs bleuté. Puis de nouveau elle le prit dans sa gueule, prête pour retourner vers son refuge misérable, son museau percuta le poitrail du loup de jais et elle en fit tomber son trésor. Ses iris se braquèrent alors sur le visage de l’inconnu et elle s’immobilisa. Pas de nature farouche, elle préféra évaluer la situation avant de montrer les crocs - dans tout les cas c’était bien inutile -

Tu remarques en premier temps ses yeux ambrés et tu sens ton corps entier se figer. Cette couleur était froide et pourtant, c’était un froid lointain. Un froid venu d’ailleurs, un froid qui ne t’inquiètes pas. Puis c’est ensuite les plumes que tu remarques, elles viennent d’oiseaux que tu ne connais pas et un sourire doux se dessine alors sur tes lèvres. Tu ignores pourquoi tu souris, peut-être que c’est ton futur meurtrier qui se tient devant toi mais qu’importe, il est là et tu n’es plus toute seule à contempler les vagues, maintenant tu contemples les dunes d’ailleurs dans son regard et les plumes exotiques dans son pelage.

Tu aimerais lui parler, lui dire beaucoup de mots, des mots chauds, des mots doux, tout les mots, mais ta gorge t’en empêche alors d’un timbre cassé et presque murmuré tu engages la discussion.

“ - .. plumes .. “

C’est tout ce qu’elle parvint à dire, une gêne s’enroulant rapidement autour de ses cordes vocales. Lentement, elle leva sa patte et vint effleurer la plume rouge derrière l’oreille du grand brun puis ramena bien vite celle-ci contre son corps. Son regard semblait sincèrement captivé. Misiek était contente, d’avoir de la compagnie.

Lorsque la petite louve fit volte-face et lui rentra littéralement dedans, il songea qu'il aurait finalement peut-être dû dire quelque chose histoire de signaler sa présence. Quoi, aucune idée. S'il avait été chez lui, l'affaire aurait été bien plus simple, quand bien même il n'était pas d'un naturel très loquace : là-bas, au moins, il était capable de s'exprimer avec aisance, si jamais il en ressentait le besoin ou l'envie. Ici, c'était autre chose. Il ne se sentait clairement pas assez à l'aise avec le dialecte local pour s'envoler dans de folles joutes verbales, ou même interpeler quelqu'un avec un minimum d'esprit. Et sa vie de solitaire et le manque clair de contact humain qu'elle impliquait ne lui permettait guère de s'améliorer comme il l'aurait souhaité.
Tant pis.
Il avait toujours préféré le langage corporel au verbal, de toute manière. Les échines hérissées et les babines retroussées étaient un langage universel. Problème était qu'ils racontaient l'hostilité. En l'occurrence, Joaquín ne souhaitait pas être hostile.
Pas si tant pis, d'accord.

Il ne cilla pas lorsqu'elle lui rentra dedans, roc abrupt et sombre contre lequel le poids plume venait buter. Il la regarda juste en silence, analysant rapidement la situation et ne manquant pas d'observer les nombreuses cicatrices qui parsemaient son corps, et dont certaines étaient carrément plus sévères que les pires dont il avait pu écoper lors de ses nombreuses mésaventures. Comparé à elle, il était plutôt en bon état. Presque neuf, si on exagérait un peu.
En réalisant qu'il était là et en l'observant à son tour, elle ne prit pas peur, ce qui était surprenant, compte tenu de son apparence austère, du fait qu'il était un mâle, solitaire, et surtout du fait qu'elle n'avait clairement pas l'air d'être une petite princesse choyée par la vie et tout juste débarquée de son carrosse rutilant. Elle se contenta de lui sourire, presque naïvement, et l'espace d'un instant il se demanda si elle n'était pas légèrement retardée. Ou tout simplement inconsciente. Les deux, peut-être, ils allaient souvent de paire. Seulement voilà qu'elle prit la parole, ce qui lui demanda visiblement un effort surhumain, et il dut tendre attentivement l'oreille pour réussir à saisir ce qu'elle tentait de lui dire, d'une voix éraillée.
Plumes. Coup de chance, le mot était similaire à celui qu'ils utilisaient chez lui.
Et la petite de tendre sa patte vers l'oreille gauche de Joaquín, qui se crispa instantanément et se fit violence pour ne pas reculer — ces exactes plumes derrière son oreille étaient celles qui importaient à ses yeux et dont il prenait le plus grand soin, terrifié à l'idée qu'elles puissent être abimées. Il la laissa tant bien que mal effleurer la plume rouge de quetzal derrière son oreille et fut soulagé de voir qu'elle ne s'attarda pas plus et ramena rapidement sa patte contre elle.

Elle avait une sale cicatrice à la gorge. Aucune idée de comment cette dernière avait pu arriver là, mais il n'était pas surpris qu'elle peine à s'exprimer. La communication allait être sympa. Il espérait juste qu'elle était mentalement à jour, et non pas retardée comme il l'avait vaguement soupçonné quelques instants plus tôt.

— Sí. Plumas, fut tout ce qu'il trouva à répondre, réalisant bien vite qu'il venait de s'exprimer dans sa langue et non la locale.

Peu désireux de s'étaler sur son héritage familial, il baissa les yeux, et désigna le petit bout de verre bleu qu'elle avait laissé tomber d'un signe de nez.

— Tu ne devrais pas prendre ça en ta bouche, pourrait te couper, fit-il remarquer, surfant sur la vague de la grammaire française avec l'aisance d'un caribou unijambiste, et probablement aveugle.

CONTEMPLATION

Etrangement, il ne posa pas de questions. Il ne laissa pas sous-entendre qu’il jugeait sa voix tremblante, il n’était pas ainsi et cela réchauffe légèrement le coeur de Misiek. Cela voulait dire qu’il pourrait - essayer - de communiquer sans avoir un rire mauvais qui résonne dans ses oreilles à chaque mots prononcés. Son immense ombre de jais surplombait la carcasse qui faisait office de corps à la louve, mais cela ne l’inquiétait pas. Car les loups qui rencontrent Misiek savent très bien qu’elle ne peut tout simplement pas se défendre, ils ne se donnent pas la peine d’être loquace avec elle avant de l’attaquer. De plus, depuis qu’elle était arrivé sur ces terres, personne n’avait entamé de conflit avec la colombe, qui restait sagement de son côté à parler aux coquillages.

Puis il parla, d’une langue proche mais différente. L’oreille de Misiek tilta un instant. Elle avait déjà entendu cette langue lors de son voyage, bien sûr elle n’était ni en mesure de le comprendre et de le parler mais c’était un début n’est-ce pas ? Puis il l’a prévient d’une éventuelle blessure et la demoiselle baissa alors son regard sur le morceau de verre. C’était une bien drôle de prévention, celle de la douleur. Elle ne connaît pas cette sensation et parfois cela lui serait plus qu’utile.

“ - mer-..ci “ quelque secondes après, on peut entendre un faible murmure répéter le mot plumas accompagné d’un sourire heureux, comme si elle venait d’apprendre quelque chose de précieux. L’accent n’y est pas, mais elle fait de son mieux.

Merci de la prévenir, merci d’être simplement là, merci de ne pas être source de danger pour elle. Car elle était fatiguée de se battre, de répondre par un sourire aux éclats de sang. Cela perdait de son sens.

La louve solitaire posa sa patte sur son poitrail comme pour se désigner

“ - M-m-misiek “

Génial, en plus de cette gêne prononcée pour réussir à faire sortir le moindre son de sa gorge, elle bégayait. C’était vraiment un enfer de parler, et si elle le pouvait elle arrêterait définitivement mais… tenir une conversation avec quelqu’un, elle appréciait cela beaucoup trop.
La louve pencha légèrement la tête de côté, curieuse de savoir l’identité de ce grand loup.

Joaquín avait vu bien des filles ravagées par la vie — et surtout, ravagées par les autres –, mais rarement avait-il pu croiser la route d'une femelle en aussi sale état. Comme brisée. Résignée à son sort. Dieu seul savait ce qui avait pu arriver à cette petite pour qu'elle finisse comme ça, à chasser les coquillages. Et à ne pas témoigner la moindre méfiance face à un mec comme lui, qui n'inspirait généralement pas la confiance et la sérénité, et ce, quelque soit le pays dans lequel il se trouvait.

Il l'écouta patiemment tandis qu'elle le remerciait, marmonnant ensuite quelque chose, comme pour elle.
Fait était qu'il se retrouvait bien embêté, et ne savait pas trop quoi faire. S'il avait été chez lui, dans le temps, la tentation de lui proposer de venir séjourner au bar familial aurait été grande. Elle aurait pu y être prise en charge par les filles de la maison, histoire d'être un peu remplumée et boostée, ce genre de chose. A vrai dire il n'aurait carrément pas eu le choix, puisque ces mêmes filles l'auraient probablement tué — ou au moins incendié – s'il ne l'avait pas fait et qu'elles en étaient venues à l'apprendre. Et les rumeurs circulaient vite, là-bas.
Mais ici... ici, c'était différent. Pas de bar familial. Pas d'escouade féminine au caractère bien trempé pour recueillir un petit chiot égaré. Pas le même Joaquín non plus, d'ailleurs.
Si celui qu'il était à l'époque aurait certainement pris le temps de proposer son aide à la femelle, quand bien même elle ne la demandait pas forcément, que pouvait-il faire, lui, aujourd'hui ? Passer son chemin était l'idée première. Il n'avait pas à se soucier des problèmes des autres, c'était d'ailleurs tout l'intérêt d'une vie en solitaire. Sa conscience n'était d'ailleurs plus ce qu'elle était à l'époque, quand bien même elle n'avait jamais été très contraignante. Néanmoins cette petite l'intriguait au moins autant qu'elle le mettait mal à l'aise.
Rester un peu, c'était agir, en soi.

—M-m-misiek, articula-t-elle avec difficulté, en se désignant le poitrail d'un geste de la patte.

Avant de lever le nez vers lui, attendant de toute évidence qu'il se présente à son tour.  
Mh. Pourquoi pas.

— Joa-quín, fit-il en veillant à soigneusement détacher chaque syllabe, insistant sur la jota, qui était probablement ce qui posait le plus de problèmes aux locaux et plus globalement à tous ceux qui ne parlaient pas sa langue. Joaquín, répéta-t-il normalement cette fois, histoire qu'elle entende ce que donnait son prénom lorsqu'il était prononcé normalement.

Il prit une grande inspiration, regardant autour de lui, avant de baisser de nouveau les yeux vers elle.

— Qu'est-ce qui t'est passé ? demanda-t-il finalement.

Il agrémenta sa question d'un petit signe de patte en direction de sa gorge, se disant que c'était moins malpoli que de la désigner tout en entier, étant donné... eh bien, qu'elle était littéralement couturée de cicatrices, peut-être même encore plus que lui. Ce qui lui aurait probablement valu d'être moqué de tous les mecs du coin dans son Mexique natal, si seulement eux-mêmes n'avaient été dans la même situation que lui.

CONTEMPLATION

Les mots du brun restaient gravés en elle, c’était important. Elle ne voulait pas le faire fuir, elle ne voulait pas le froisser. Et cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas entendu le timbre d’une voix charmer ses oreilles. Un simple sourire léger sur ses lèvres, comme un détail rendant un portrait plus lumineux. Puis il remit à parler, indiquant son prénom. La femelle inclina légèrement la tête, s’entraînait dans sa tête à la prononciation de l’inconnu.

Misiek tu sais que tu vas rater ce moment, mais tu fais de ton mieux. Tu te racles la gorge un coup, tu prends ton souffle. C’est comme faire un bond dans le vide. C’est si facile pour eux, pour toi, c’est ton combat. Tu es hésitante, mais tu essaies.

— .. j..

Tu baisses la tête. Tu essaieras plus tard, prononcer son prénom, tu essaieras plus tard et tu y arriveras du premier coup. Maintenant il fallait répondre aux restes, expliquer ses blessures immondes. Tu y es habitué, tu ne les remarques même plus, mais tu sais que le reste s’attarde souvent dessus. Il n’y a pas de grande histoire, pas de sombre passé, juste…

— Une autre femelle. Un mâle violent.

Misiek tu sais très bien que tu auras du mal à tout expliquer sans te railler la gorge, ces deux petites phrases t’ont déjà bien fait trembler. C’est amusant mais quand tu lui parles tu n’arrives pas à décrocher ton regard du sien. Ce jaune ambré te captive, c’est bien la première fois que tu croises un loup avec cette teinte d’iris. Les loups de chez toi ont presque tous les yeux très sombres, et ici … eh bien ici, tu ne croises pas grand monde.

Un instant, elle réalisa de son impolitesse. Ses oreilles s'agitent dans un petit sursaut impatient alors qu’elle se releva.

— V-viens

Elle voulait le conduire “ chez elle “ histoire de lui offrir un milieu un peu plus confortable où discuter que le sable froid. D’un pas léger, la louve au pelage pâle se dirigea vers son abri, espérant que le loup aux yeux cauchemars était toujours bien derrière.
Une fois là, la louve chercha de son museau des fruits et les posa sur une natte de feuilles. Elle n’avait que ça, mais c’était déjà pas mal.

— S-Sers t-toi.

Elle tenta presque de s'essayer à prononcer son prénom mais se ravisa bien vite. Tant pis. Une autre fois peut-être.
A présent qu'il y pensait, il réalisait qu'il n'avait pas donné son nom à grand monde, ici. Certaines de ses rencontres s'étaient déroulées sans que les prénoms ne soient échangés. Il n'était donc pas forcément habitué à ce qu'on l'écorche avec un accent différent du sien. Ca viendrait peut-être. A moins qu'il ne meure abruptement au détour d'un sentier, rattrapé par un passé riche en erreurs, attrapé par un adversaire plus fort que lui, ou juste détruit par quelque catastrophe naturelle ou revers du destin. Il n'y aurait pas grand monde pour remarquer sa disparition. Cela passerait probablement inaperçu, pour peu que son corps ne reste pas là à pourrir des lustres.
S'il s'était depuis bien longtemps fait à cette idée, il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'en auraient pensé ses soeurs, sa mère, en admettant bien sûr qu'elles soient toujours en vie. Nacho aurait été ravi, pour peu qu'il y ait prêté attention. Ses fils aussi. Mais elles ? Pensaient-elles à lui, parfois ? Se demandaient-elles s'il allait bien ? Ou avaient-elles décidé de se préserver en le supposant mort, pour ne plus jamais avoir à se soucier de lui ? L'idée qu'il meure sans qu'elles n'en sachent jamais rien le contrariait plus qu'il ne l'aurait cru. Il ne les reverrait certes pas, mais quand bien même elles ne faisaient désormais plus partie de sa vie, il ne pouvait se résoudre à les en effacer. Il ne pouvait se résoudre à les oublier. A les supposer mortes, elle aussi, sous les coups, dans les flammes, lors d'un braquage, ou sur la route, peut-être. Il aimait les imaginer heureuses, vivant leur vie, là-bas, au bar. Bien entourées. En sécurité.
Loin de lui.

— Une autre femelle. Un mâle violent.

Ses oreilles pivotèrent vers l'avant lorsqu'elle prononça sa première phrase. Si les femelles pouvaient être farouches, entendre que l'une d'entre elles pourrait perpétrer un tel acte sur une congénère lui semblait saugrenu. Oh, certes, il pouvait y avoir des coups bas et des vengeances, mais ça restait pour lui totalement anecdotique.
Les moeurs ici étaient bien différentes de celles du désert. Les gens aussi.

Elle l'incita alors à la suivre, et il s'exécuta en silence. Il la suivit tranquillement tandis qu'elle le menait à la bâtisse branlante qui lui servait de repère et en sortait des fruits qu'elle lui présenta, lui en proposant. Il les regarda, circonspect, et un sourire amusé étira lentement ses babines. Arabella lui avait parlé de ces nombreuses fois où elle avait tenté de convaincre Daniel de manger des fruits, presque toujours en vain. Il n'y avait bien que peu de temps avant leur départ que ce dernier avait fini par se résigner à tenter l'expérience, non sans réticence, et non sans manifester ladite réticence. Elle lui avait avoué trouver un certain plaisir à voir les petits yeux de l'ours se plisser avec mépris ou s'écarquiller avec colère à chaque fois qu'elle tentait de lui glisser un fruit sous la patte. C'était plus devenu un jeu qu'une véritable tentative de diversifier l'alimentation du vieux loup, pour elle. Apparemment, "il était très drôle et presque attendrissant quand il s'énervait". Il ne parvenait pas à s'imaginer en quoi un loup comme lui pouvait être drôle ou attendrissant, mais c'était probablement parce que ne l'ayant jamais connu, il ne pouvait s'empêcher d'associer la mine patibulaire de Nacho à la sienne, lorsqu'il tentait de s'imaginer la scène. Ca ne lui donnait jamais envie de rire, ni de lui tapoter gentiment la tête.
Il ne tapotait d'ailleurs pas la tête des gens, de manière générale.

— Merci, fit-il en tendant la patte vers l'un des fruits que cette dernière lui offrait pour le ramener vers lui.

S'il était plus ouvert que la plupart des siens dans ses goûts culinaires, surtout depuis qu'il vivait seul, Joaquín ne mangeait globalement pas grand chose qui ne soit pas de la viande. Néanmoins pourquoi pas. Il baissa la tête pour mordre dans le fruit en question, et en arracha un morceau, qu'il mastiqua longuement, pensif. Pas forcément facile de mâchouiller ça quand on était un carnivore. Il finit par avaler la bouchée, avant de demander :

— Où tu les as trouvés ?

Car si Joaquín n'était pas branché verdure, il était très branché téquila. Peut-être y avait-il moyen de trouver quelque chose de sympa dans le coin. Après tout, la topographie était variée, ici. Les microclimats aussi.

CONTEMPLATION

Un sourire rapide et sincère se dessine sur tes lèvres alors que tu le vois planter ses crocs dans le fruit offert. Toi Misiek, tu es habitué à la pulpe des oranges, au nectar des goyaves, tu te nourrissais principalement de cela, avec le poisson. Puis il demande où elle les a trouvé. Tu inclines légèrement la tête de côté, cherchant dans le fond de tes pensées. Situé un peu plus loin, des arbres fruitiers survivent tant bien que mal aux caprices des saisons et c’est là que tu viens attraper les plus mûrs.

— Un p-...p-peu .. plus ..lo-i-in  

Tu reprends ton souffle, ta gorge va exploser. Tu ne ressens pas la douleur et pourtant tu sais que tu abuses, que tu tires trop sur les cordes. Après toutes ces années de silence, après toute ces années de toi observant l’écume dévorer ton corps, tu en aurais presque oublié le timbre de ta fragile voix. Bégayante voix, enrouée, cassée et pourtant étrangement douce.

— Je p.. peu .. te .. m..m-montrer si t-tu veux ?  

Tu craches les derniers mots et tes oreilles tombent un peu, comme honteuse de ne pas parvenir à bien t’exprimer. Tu te dis Misiek que de son point de vue, cela doit être bien complexe de comprendre tes phrases. De plus, il vient définitivement d’autres contrées, cette langue ne doit pas être celle qui maîtrise le mieux, bien que pour l’instant il gère complètement.
Un léger sourire écorche tes lèvres. Misiek te dégourdir les pattes te ferai le plus grand bien, tu as passé de trop longues heures à simplement fixer les vagues s’éloigner, à chercher une perle rare, un coquillage.
Le simple fait de marcher aux côtés de quelqu’un te remontera le moral.

S'exprimer semblait particulièrement difficile pour Misiek, et Joaquín songea qu'il était bien égoïste, à la questionner ainsi. Peut-être valait-il mieux qu'il évite de trop la solliciter. Ca épargnerait à la petite louve bien des tourments, car à la voir se renfrogner ainsi alors qu'elle buttait difficilement mais vaillamment sur les derniers mots de sa phrase, peiner à s'exprimer était pour elle une gêne autant physique que morale.
C'était bien embêtant.
Joaquín ne savait jamais trop comment se comporter en présence des femelles. Oh, certes, c'était bien différent pour sa mère et ses soeurs, qui étaient bien les seules personnes qui comptaient à ses yeux aujourd'hui, mais ces dernières se chargeaient toujours de faire la conversation à sa place, et il se plaisait généralement à les écouter en silence lorsqu'il se trouvait en leur compagnie, se contentant souvent de lâcher quelques bribes de mots sur un ton laconique lorsqu'elles le questionnaient. Elles se plaignaient souvent de ça, d'ailleurs. Pestaient qu'il semblait s'ennuyer en leur compagnie, mais si le ton pouvait parfois monter, quiconque les connaissait vraiment aurait tôt fait de voir la malice qui pétillaient dans leurs yeux lorsqu'ils se prenaient à se quereller. Car cela n'avait jamais rien de sérieux. Ce n'était jamais qu'une agréable joute verbale doublée d'une bonne dose de taquinerie, auxquelles seuls les frères et soeurs de coeur comme de sang savaient s'adonner.
Ces échanges lui manquaient terriblement.
A l'exception du cercle familial, Joaquín n'avait jamais particulièrement fréquenté de femelles, trop occupé qu'il était à s'empêtrer dans les emmerdes avec les malfrats et à fuir par la suite le courroux de son grand oncle pour vraiment prendre le temps de faire des rencontres. D'autant plus qu'étant habitué à côtoyer des mâles, et venant d'un pays où le clivage hommes/femmes était un véritable style de vie, il ne lui était jamais venu à l'idée de trainer avec des louves qui n'étaient pas issues du cercle familial. Il n'avait donc pas la moindre idée de comment aborder la situation, en limitant les paroles tout du moins. Ce qui était fortement problématique.

Il n'eut pas à réfléchir bien longtemps puisqu'elle lui proposa de lui montrer le verger mystère où elle s'approvisionnait, pour son plus grand soulagement. Terminant d'avaler le fruit qu'elle lui avait proposé, il acquiesça, sa langue passant rapidement sur ses babines pour éliminer toute trace restante de son encas, avant de se lever doucement.

— Montre-moi.

Le ton se faisait neutre, loin d'être impérieux, comme le suggérait l'emploi hasardeux de l'impératif, mais, eh ! Il faisait ce qu'il pouvait, avec les moyens grammaticaux du bord.

Cette voix, froide, posée, qui sait ce qu’elle veut et ne passe pas par quatre chemins, elle pourrait intimider. Elle pourrait faire frissonner d’inquiétude, un grand loup de jais aux plumes colorées et au regard dur qui ordonne. Mais toi Misiek tu vois cela comme une invitation. Doucement, tu te relèves toi aussi. Ton coeur papillonne, comme s’il allait exploser. Tu rencontres rarement des loups qui apprécient les fruits tout comme toi - tu es bien loin du compte mais bon -.
D’une démarche légère, Misiek tu sors de ton petit chez toi pour entrer dans la végétation, t’éloignant de la plage tu lances un petit regard par dessus ton épaule pour vérifier que le grand loup soit toujours derrière toi.

La brise s’engouffre dans ton pelage crème. D’habitude tu ne t’éloignes pas trop d’ici, tu as peur de te voir voler encore en éclats alors tu restes à contempler l’écume, mais à ses côtés tout est différent. C’est amusant. Un parfait étranger à l’allure inquiétante te rassure. Quel genre de louve es-tu Misiek. Naïve ? Sûrement.

Les rayons du soleil se firent plus rares alors que le temps passe, et une fois arrivé à destination, quelques gouttes d’eau vinrent s’écraser sur le sol, venant des nuages lourds d’orage. Misiek releva le museau et montra les grands arbres fruitiers qui se trouvaient là. Des poires, prunes et figues luttaient contre les oiseaux et autres animaux fruitiers qui s’aventurait par ici.

Tu te retournes lentement vers lui.

“ I-Ici. “

La pluie commence à s’intensifier et tu remercies les feuilles de vous protéger quelque peu. Tu apprécies le bruit de l’eau sur celles-ci, c’est calme.

Il lui emboita le pas en silence, présence austère et silencieuse qui la suivait comme son ombre. Par delà les taillis et les fourrés, sous une pluie naissante, elle le conduisit jusqu'à un petit verger. Enclave onirique dans une contrée moins hospitalière qu'il ne se l'était imaginé au premier abord, le petit bosquet abritait nombre d'oiseaux colorés, et autres petits mammifères. Une version réduite de l'Eden que même un rustre comme lui ne se serait pas avisé de souiller.
Enfin. Il était certain que la plupart de ses compatriotes auraient vu cela comme une formidable opportunité de ruiner, une fois de plus, quelque chose de beau.
Mais on avait appris à Joaquín à respecter les jolies choses. A les savourer de loin.
Il resta ainsi à une distance respectable des troncs d'arbres et de leurs petits habitants, quitte à se faire mouiller, comme s'il avait craint que s'en approcher aurait pu rompre le charme.

Tendant légèrement le cou, il scruta attentivement les feuillages, lorgnant sur les fruits qui s'y cachaient. Poires. Figues. Prunes. Il n'avait peut-être toujours pas trouvé d'agave depuis qu'il était ici mais il était sûr qu'il était également possible de distiller de l'alcool à partir de ces fruits.
Problème était qu'il ne savait pas vraiment comment il aurait pu s'y prendre.
Mais à coeur vaillant rien d'impossible, et la motivation était présente. Il y réfléchirait plus sérieusement par la suite. Avec l'hiver qui approchait et l'ennui qui allait avec, il lui fallait trouver de quoi s'occuper en attendant les beaux jours. De quoi oublier le froid et le temps de merde, aussi.

Il remarqua bien vite que la plupart des fruits étaient assez hauts dans les arbres. Baissant les yeux vers Misiek, il demanda :

— Tu escalades ou tu attends qu'ils tombent ?

Il doutât que les vieux fruits échoués au sol aient la possibilité de durer longtemps. Ils devaient se faire boulotter par la vermine illico.
Un chat aurait été plus doué à ce jeu qu'un chien. Ils n'avaient pas les griffes et la souplesse pour se hisser là-haut.
Malédiction.

A cette question, la jeune louve afficha un léger sourire. Bien sûr qu’elle avait déjà essayé de grimper pour récupérer les fruits elle même, mais cela ne lui avait offert qu’une grosse plaie sur le front et quelques égratignures suite à sa magnifique chute. Misiek n’était définitivement pas la plus talentueuse pour ce qui était d’escalader quoi que ce soit, en fait, elle n’était pas la plus talentueuse pour tout efforts physiques, pour compenser elle utilisait davantage ses idées.
La louve crème pencha alors sa gueule dans un buisson pour en tirer une longue branche qu’elle avait soigneusement taillé pour ôter toutes feuilles et reliefs. Inclinant la tête de côté, elle fit se dresser son arme bien en l’air qui vint doucement percuter le fruit, le faisant tomber au sol. Relâchant le bâton, Misiek s’assit sur le sol et poussa son trésor culinaire vers le grand loup brun.

“ plus facile. “

C’est clair que c’était plus simple que de s’aventurer sur l’écorces humides et glissants des arbres de la régions.

“ d’où viens-tu “

Cette phrase douloureusement prononcé, entre deux sursauts de voix, brisa la glace. C’était la curiosité qui avait réussit à donner la force nécessaire à Misiek de parler un peu plus. Elle voulait savoir d’où venait ce grand loup au plumage sublime, elle voulait qu’il devienne une histoire plutôt qu’une question. Une histoire qu’elle pourrait se raconter le soir quand la solitude revenait.

-dé hasard suite au casino-

Spoiler:

[ T'inquiète :) T'en es où de la capture de Misiek au fait ? ]

... effectivement.
Il aurait probablement dû réfléchir un tant soit peu plus avant de demander. Cela dit, manier ainsi une longue tige de bois tenue dans sa gueule avec suffisamment de précision pour pouvoir décrocher d'un arbre un fruit précis demandait une patience et une dextérité qu'il doutait de posséder. Il supposa qu'il se disait ça pour se rassurer, essayer de se dédouaner, de se sentir un peu moins con, et surtout un peu moins comme ces raclures imbéciles qui foisonnaient sur ses terres natales.
On était toujours l'idiot de quelqu'un d'autre, songea-t-il amèrement. Lui qui s'était cru si intelligent et si brillant chez lui n'était peut-être qu'une raclure imbécile pour les gens de ce pays. Pensée qui n'avait rien d'agréable, et en cet instant précis, il fut heureux de se trouver avec cette petite louve qui, s'il ne la connaissait pas, était bien apaisante de part son comportement. Autrement, il se serait peut-être énervé, comme une raclure imbécile, et cette journée aurait pris un tournant des plus désagréables.
Il laissa défiler les pensées négatives, recentrant son attention sur le fruit qu'elle lui tendait, l'incitant une fois de plus à le goûter. Levant les yeux vers elle, il repoussa doucement le fruit dans sa direction.

— Tu as plus besoin de manger que moi.

Et alors qu'elle lui demandait péniblement d'où il venait, un caquètement furieux s'éleva sur sa droite, et il tourna la tête pour voir débouler droit sur eux un étrange volatile, qui avait tout du canard à l'exception des couleurs. Une espèce de canard Tchernobyl. Est-ce que ça avait un rapport avec ces histoires de glowstick ? Y avait-il ne serait-ce qu'une chose dans ce pays qui corresponde à la notion qu'il se faisait de normalité ?
Quoi qu'il en soit, la venue inopinée de ce palmipède tombait à pic, et Joaquín n'avait que faire de ses motivations. Une proie était une proie, même lorsqu'elle se jetait bêtement sur vous, de manière presque suspecte. En un éclair, les babines du loup noir se retroussèrent et il fondit sur l'animal pour en briser le cou.
Il ramena le canard vers lui et plongea son museau dans la poitrine fumante, arrachant organes et ligaments. Après avoir pris une bonne bouchée, il releva le nez et poussa également le canard éventré vers Misiek, qui aurait sans doute besoin de plus qu'un simple fruit pour se remplumer un peu.

— Je viens de México. Un pays très loin au Sud. Mange aussi oiseau.

Tu ne peux t’empêcher de sursauter en voyant l’animal sortir de nul part. Les couleurs te captivent un instant, tu n’avais jamais vu d’espèce de la sorte, mais voilà que le loup de jais se jeta sur celle-ci et d’un coup de crocs lui ôta la vie. Misiek tu hésites un instant puis tu t’approches. Tu ne peux nier cette faim qui te rend de plus en plus faible et les poissons ne sont pas suffisants, encore moins les fruits que tu trouves de temps en temps. Lentement, tu plonges ton museau dans le corps encore chaud du macabé et déchire la chair, laissant ce liquide chaud et poisseux rouler le long de ta gorge. Bien vite, l’animal n’est plus qu’os et plumes.

Ton pelage crème se retrouve rapidement pourpre et tu n’apprécies que fort peu cette sensation.

— Merci.

Mexico ? Elle ne connaît pas et pourtant elle aimerait bien. Tout semble meilleur que cette zone de la planète. Cette ambiance est malsaine, cette pression divine au dessus d’eux, sans cesse, ces regards supérieurs qui observent. Elle a déjà croisé des peuples vénérants une ou plusieurs divinités mais là … là ça dépasse l'entendement. Ce n’est pas une vie, d’être au crochet d’un Dieu. Ce n’est pas une vie de se battre aussi aveuglément pour … pour quoi ? Parfois la nuit, tu entends des loups passer en courant, certains hurlent des propos qui te semblent fou, sur des captures, des tortures et autres procédés aberrants. Tu es bien heureuse d’être loin de cela. Oui, tu veux connaître Mexico, tout mais pas ici.

— Tu reviendras ?

Me voir. Elle incline légèrement la gueule, observant le grand loup. Ses yeux semblent briller d’une légère lueur. Tu aimerais que cette journée ne se termine pas, mais tu sais bien que cela n’est pas possible, qu’un oiseau en cage n’est qu’horreur au coeur et à l’âme.

Un vague rictus satisfait étira ses babines tandis qu'il observait la petite louve dévorer l'étrange volatile avec avidité.
Ca devait être dans les gènes. Un truc qui se transmettait de père en fils chez les siens, et ce depuis que le Mexique était Chaos. Le sentiment agréable du devoir accompli. Une sorte d'équation binaire cryptée quelque part dans son être, comme elle l'était dans celui de tous les mâles de son pays.
Homme protéger Femme.
De la cruauté du monde.
Du sadisme des autres hommes.
De la tempête.
De la sécheresse.
De la famine.
Il ne voyait pas d'autre explication à ce profond contentement qui l'habitait, là, alors que Misiek achevait d'arracher les dernières fibres de chair des petits os creux de l'oiseau de malheur. Peut-être n'était-ce juste qu'un moyen de pallier le manque affectif dû à l'absence de ses soeurs. D'oublier ce grand échec qu'était devenu sa vie lorsque, chassé de chez lui, contraint de partir loin des siens, il avait définitivement perdu toute chance d'aider à protéger les siens. En l'occurrence les siennes. Sa mère et ses deux soeurs étaient bien les seules à lui manquer. Les seules encore en vie, pour être plus exact.

Dans tout les cas, fait était qu'en l'état présent, Joaquín était assez content de lui, chose devenue extrêmement rare, pour ne pas dire inexistante, ces derniers temps. Là, durant un instant particulièrement fugace, il se sentit un peu chez lui.

Mais voilà que déjà une brise fraiche se levait et, s'engouffrant dans son épaisse fourrure, lui arrachait un frisson. Le soleil avait déjà bien amorcé sa descente vers la mer : les ombres rasantes des arbres et taillis s'étiraient toujours plus vers eux, le ciel se parait de pourpre.

— Tu reviendras ?

Misiek attendait sa réponse, dardant sur lui ses grands yeux dont il peinait à réellement distinguer la couleur tant ils étaient pâles. Le rictus satisfait se mua eu un discret sourire, agrémenté d'un léger haussement de sourcils.

— Pues sí, quelqu'un te doit donner viande, tu vas mourir si tu ne manges que fruits.

Il haussa vaguement les épaules, avant de baisser de nouveau les yeux vers ce qu'il restait du canard. Avisant l'une des ailes, il la saisit dans sa gueule, et n'eut pas à faire beaucoup d'efforts pour l'arracher de la carcasse. Ces terres avaient beau être étranges, il n'était pas sûr qu'il lui soit donné de recroiser un oiseau pareil de sitôt : autant profiter de l'occasion pour récupérer quelques plumes.

— Je garde ça, articula-t-il du mieux qu'il pouvait compte tenu du paquetage qu'il se charriait dans la gueule. Puis, faisant lentement volte-face, il tourna légèrement la tête vers elle avant d'ajouter : Hasta luego Misiek, cuídate.

Sans plus de cérémonie, il reprit le chemin de la mer, le pas léger.
Peut-être irait-il malgré tout profiter des derniers instants du coucher de soleil, s'il atteignait la berge à temps, puisque c'était là la raison initiale de sa venue ici. Ca lui permettrait de vérifier qu'aucun connard ne trainait dans les parages, enfin, aucun connard autre que lui. Juste histoire de.
Il n'aurait vraiment pas aimé avoir une mauvaise surprise, la prochaine fois qu'il viendrait ici.