→ Après l'assaut

Eva venait d'arriver sur le champ de bataille, et était en train de soigner une louve lorsque quelque chose lui avait retourné l'estomac. La tête lui tourna, tout devint noir durant quelques secondes - était-elle aveugle ? Avant que tout ne redevienne normal.

Normal.

Ou presque.

Elle recula de quelques pas, effrayée, et son poil bouffa, s'épaissit, alors qu'une profonde terreur l'envahissait. Ses yeux dorés cherchaient, autour d'elle, sans rien voir de cohérent. Elle piailla, les oreilles plaquées contre son crâne, affolée. Rien, elle ne reconnaissait rien. Le sol auparavant caillouteux était maintenant plus meuble, les couleurs avaient changé, les odeurs aussi, beaucoup plus marines, avec un arrière gout piquant qu'elle ne savait pas situer. Elle avait changé d'île. C'était la seule explication possible.

Et, surtout, elle ne connaissait aucune des personnes autour d'elle. Pas même la louve violette qu'elle avait auparavant prise pour l'un des siens. Perturbance. Incompréhensiblation. Impossibruh. Eva se mordilla la lèvre inférieur avant d'agiter une oreille. Peut être... N'étaient-ils pas si agressifs que cela ? Les Raeders, c'est ça ? Elle avait appris il y a bien longtemps à ne pas baser son savoir sur racontars et présomptions - elle osa un pas de côté, agitant ses ailes pour les dégourdir dans le cas où elle devrait s'enfuir. Elle ne savait même pas par où aller. Où se rendre. Où elle était. Seul l'air marin vivifiant son corps la renseignait un minimum.

... Bonsoir ?

Son attitude évoquait une légère méfiance - mais surtout de la curiosité. Aucune agressivité. Après tout, les seules blessures dont se paraît son corps pour l'instant étaient celles que les éléments lui avaient infligé.

[Je me permets juste quelques réajustements - Eva n'a pas de besace et a juste quelques notions de guérisseuse, je fais comme s'il lui arrachait les quelques plantes qu'elle a (va-t-on dire) attrapé sur le champ de bataille !)

A peine avait-elle prononcé ces quelques mots qu'un loup qu'elle ne connaissait pas - encore un - se dirigeait vers elle. Imposant, deux fois plus massif bien qu'aussi haut qu'elle, tout en monochrome relevé de pointes de cuir et range sang. Seuls ses yeux, d'un bleu glacier, tranchaient son allure de vieux film muet. Il avait une attitude farouche, agressive et envahissante. Voyant qu'il ne l'attaquait pas tout de suite, la femme se sentit quelque peu rassurée. Par contre, il semblait fort concerné par le sort d'un des gros tas qui venait d'apparaître, le noir à la patte de bois, celui contre lequel la femelle violette se battait. Elle agita les oreilles.

Curieux.

Mais avant de pouvoir pousser la réflexion plus avant, le massif loup gris la poussa au sol, lui coupant le souffle - Nani ze fuck ? - avant de lui prendre de force - comme si elle allait les lui refuser - les quelques herbes qu'elle avait rapporté du champ de bataille, en tentant vainement d'aider ceux à sa portée. Elle glissa ses pattes avant au dessus de son cou et de son visage, tournant ce dernier pour ne pas avoir à soutenir le regard aqueux et le pelage littéralement flamboyant de l'agressif animal. Mais l'instant ne dura pas - déjà il se redressait pour étaler partout son butin, dans une rage peu éclairée.

Eva se redressa tranquillement. Si sa première réaction avait été une peur panique, ça n'était plus le cas. Ces loups n'étaient donc pas juste des êtres assoiffés de sang - ils aimaient les leurs et voulaient les protéger. Ils étaient des loups de raison, déraison peut être aussi parfois, mais qui ne l'est pas ? Ils n'étaient pas que folie - ce constat lui suffisait largement.

Et, de nouveau, le loup l'agressait. Mais loin de se recroqueviller malgré sa stature frêle et ses os fragiles, Eva lui offrit un sourire léger et quelques mots doux. Les menaces qu'il lui adressait ne l'impressionnaient plus - ce grand loup si bourru n'était qu'un être effrayé qui avait besoin qu'on le rassure. C'est la seule chose qu'elle voyait.

Je ne sais pas si je peux l'aider - Mais je peux essayer.

Elle s'approcha doucement, à pas très lents, laissant ses gestes larges et apparents pour ne pas passer pour une menace. Elle s'approcha du loup noir et passa son museau sur son pelage déchiqueté.

Les plaies étaient nombreuses - des morsures, des déchirures, le sang coulait et poissait le poil noir et dru. Le tout ne formait qu'une masse coagulée et dégoutante. Elle fronça le museau - non de dégoût mais de tristesse devant un tel travail. Pourquoi se déchirer, pour que chacun panse ses plaies la seconde d'après ? Quelle folie... Eva grogna.

De l'eau fraîche lui serait probablement bénéfique, du repos, et des anti-douleurs... Du pavot, si vous en avez ?

Sans attendre une réponse, elle prit sa part d'algues et de bandages qu'elle étala du mieux qu'elle le put sur les autres cicatrices qu'elle pouvait trouver. Les plaies étaient profondes, mais aucune ne semblait mortelle. Elle fronça le museau, désignant le garot du bout de la patte.

Cette mesure me semble excessive, laissons juste le sang coaguler, ça aidera à la cicatrisation. Il n'est pas en danger.

Cette dernière phrase s'adressait particulièrement au loup qui l'avait agressé et semblait si perturbé par la poursuite des évènements.

Ca va aller. Rien ne sert de paniquer.

Elle offrit un autre doux sourire. Dans le groupe, il semblait être le blessé le plus grave - et les autres ne souffraient visiblement que de blessures bénignes. Elle même avait mauvaise mine et le pelage parcouru de quelques griffures, et ses pattes la faisaient souffrir, mais elle ne semblait pas s'en soucier.

Tout va bien se passer.

Limule attendait leur retour rien que pour mieux les bouder ensuite, ceux qui étaient partis chercher le premier fragment, sans l'inviter. En réalité elle en voulait surtout à son frère qui se montrait bien trop distant et détaché ces derniers temps. Peut-être que la perte de leur famille l'avait affecté  mais elle avait l'impression que ça durait depuis plus longtemps et puis... son petit doigt lui disait qu'il y avait une raison tout autre sans pour autant elle aurait été incapable de deviné quoi.
Guettant l'horizon, elle attendait, elle voulait les revoir arrivé et ce malgré le vent qui se mettait à souffler et les eaux qui commencèrent à s'agiter. Elle s'inquiéta à cause du mauvais temps mais... les Raeders étaient de bons nageur, ils pouvaient bravé les tempêtes parce que les tempêtes, c'était ce qui les définissait le mieux Safran avait dit! Mais la petite Limule n'était peut-être pas encore assez forte pour ça alors elle préféra aller s'abriter du vent et de la pluie en attendant.
Et elle attendit, attendit, attendit.

Finalement, une voix s'éleva, furieuse, peut-être un peu inquiète aussi, c'était difficile à savoir de là où elle était. Mais elle reconnut celle de Tatch, s'il râlait comme ça,  c'était que les autres devaient être revenu ! Alors sortant de son abri, elle se précipita vers l'origine des exclamations, d'un pas pressé et sa queue flottant avec légèreté derrière elle, heureuse finalement de leur retour malgré la volonté de bouderie.
Lorsqu'elle arriva sur place, son enthousiasme en prit un coup. Creek n'avait vraiment pas l'air bien, les autres aussi semblaient blessé mais moins gravement. La petite louve blanche remarqua une drôle de pierre posée sur le sol, le cœur, probablement. Ils avaient réussi à en trouver un déjà. Et puis il y avait cette louve inconnue, haute sur patte et avec des ailes  qui semblait aider Creek et parlait à Tatch d'une voix douce.
Limule se rapprocha, doucement, un peu méfiante. Elle attrapa la pierre délaissé entre ses crocs, oreilles en arrière avant de se sauver avec, faire un grand tour pour éviter l'inconnue et se faufiler à côté du mâle barbu, n'hésitant pas à le coller un peu même avant de balayer les alentours du regard, baissant sa tête sous le niveau du ventre du mâle pour voir derrière lui.

« Il est où Ajani ? »

Bon. Tout ça était bien beau, mais Eva avait beau vouloir voir le monde en rose, le côté rustique et les manières de ses interlocuteurs ne lui disaient rien qui vaille - et il était peut être temps de prendre la poudre d'escampette pendant qu'elle en avait encore la possibilité, c'est à dire en profitant du semblant de zizanie qui troublait la meute. Elle finit ce qu'elle était en train de faire, et recula de quelques pas. Toute l'attention était focalisée sur le loup noir qui gisait aux pieds des autres, qui semblait en mauvaise posture mais... Ca n'avait pas l'air d'être la première fois, et puis, elle était persuadée qu'avec un peu de repos il s'en sortirait.

C'est donc sans arrières pensées que la louve bicolore s'appliqua à se fondre parmi les ombres, s'approchant du précipice derrière elle, sans un mouvement superflu. C'est simplement par ses manières qu'elle réduisait sa présence et se coulait parmi les autres. Lorsqu'elle sentit la roche plus friable, le sol moins sûr sous ses pattes, elle inspira une dernière goulée d'air.

Et se laissa tomber dans le vide.

Au dernier moment, elle déploya ses grandes ailes de pie et fila à ras de terre, avant de profiter de son élan et du vent tapant sur les rochers pour reprendre un peu d'altitude, sans un bruit, pour simplement flotter au dessus des embruns et des vagues, son pelage s'imprégnant du sel des eaux agitées. C'est sur un dernier regard curieux, sans remords ni regrets mais avec une bonne dose d'incompréhension, qu'elle évacua les lieux.

En toute réponse à Cendrillon, Limule posa la pierre au sol, derrière la protection de ses pattes avant de s'asseoir dessus. Et toc, vient la chercher maintenant ! La petite louve blanche fronça les sourcils aux paroles du jeune mâle, elle ne montra pas les crocs cependant, contrairement à sa sœur qui dévoilait très facilement les siens avec un grognement en accompagnement, limule elle, retroussait que très rarement ses babines.

« C'est faux, tu mens ! »

Forcément qu'il mentait. Déjà, elle avait vu les flancs de Creek se soulever et surtout... surtout, son frère ne pouvait pas être un traître ! C'était tout simplement impossible. Cendrillon voulait juste récupérer la pierre alors il disait des trucs pas sympa exprès. Pourtant, Tatch ne le démentit pas, dans ses paroles, il semblait même le confirmer, avouant ses derniers doutes concernant le grand loup blanc.

« Non, Ajani va revenir, j'en suis sûre et il dira ce qu'il a fait. »

C'était un mauvais frère, il avait beaucoup laissé limule toute seule ces derniers temps mais il ne pouvait pas être un traître. Parce que sinon, ça voudrait dire qu'il ne reviendrait jamais et qu'il ne pourrait de toute façon, plus jamais revenir. Et elle ? Elle se retrouverait vraiment seule, sans aucune famille proche, il ne resterait que celle du clan. Oh elle les aimait bien, même cendrillon malgré qu'il ne soit pas sympa, mais ce n'était pas pareil, ce n'était pas son père, ni Safran et encore moins son frère.
Elle regarda un instant ses pattes lorsqu'un bruit d'aile lui fit relevé tête et oreilles. L'inconnue s'en allait ! Et en volant ! Se relevant, la pirate blanche se précipita vers le bord de la falaise, abandonnant la pierre qui ne l'intéressait plus pour voir cette drôle de louve s'enfuir par dessus les flots. Elle avait cet avantage, l'Océan ne la dévorait pas.