Grippe aviaire - Rhaegar.

Flap.

Cette fois-ci, les ailes du faucon l'avaient frôlé.

Justice gronda et fit volte-face, regardant s'éloigner le prétentieux rapace, un éclat assassin dans l’œil.

Ses pas l'avaient cette fois-ci mené au bas des grandes montagnes qu'il parcourait depuis un certain temps déjà. La chaîne était immense, après tout; et il aurait besoin d'un long moment avant d'en connaître tous les recoins. Il lui arrivait de marcher parfois très près des terres de meutes, et assez souvent de les traverser, toujours aux aguets, assez intrigué par les informations qu'il recevait sans pourtant être capable d'en conclure quelque chose. Il sentait une tension s'installer dans l'air, tenace et vibrante, mais ses rares rencontres avec les porteurs d'artefacts lumineux n'allaient pas toujours dans le sens de ses observations.

Compliqué. Inutilement compliqué.

C'est ce qui ressortait souvent de son impression envers ces terres et les habitants qui en foulaient l'immense étendue. Non seulement ils étaient excentriques, mais comme cela ne leur suffisait pas, il avait fallu qu'ils s'organisent d'une manière fort inhabituelle au jeune solitaire. Ses terres d'origine avaient au moins le mérite de dégager un message clair, littéralement écrit dans le sang de ceux qui avaient douté et avaient voulu voir par eux-même - dégage. C'était bestial et primitif, mais c'était tout ce qu'il avait toujours connu. Et maintenant il se retrouvait dans un élément dans lequel il ne se retrouvait pas.

Bien évidemment, il avait aspiré à cela. Il était soulagé que son errance l'ait mené dans un climat bien moins hostile à celui qu'il avait quitté au péril de sa vie. Mais il se sentait si... Inadapté. Une tâche sombre sur une toile immaculée. Il avait rejeté tout ce qu'il connaissait, tout ce qui l'avait formé à être qui il était. Et désormais, il devait se fondre dans un paysage qui ondulait comme un mirage, loin et proche à la fois, et Justice ne savait que faire à part continuer à courir de ci, de là, se laissant porter au hasard des humeurs de ce beau mirage.

Il fut pris d'un frisson comme cela lui arrivait parfois lorsqu'il s'attardait trop longuement sur les souvenirs qui menaient à sa présence ici. Son esprit perturbé et occulté par des tâches dont il n'expliquait toujours pas la présence se braquait toujours à vouloir se reconnecter aux années passées.
Il lâcha un soupir et fit une brève pause dans son avancée, perché sur une élongation rocheuse au-dessus d'un précipice, surveillant d'un œil mauvais les faucons qui cerclaient l'atmosphère au-dessus de lui. Ces piafs l'agaçait. Peut-être jalousait-il un peu leur liberté de glisser dans les airs au gré des vents, dépourvu de liens terrestres les retenant au sol. Mais il aberrait surtout leur façon désinvolte de se rire de sa situation, passant à quelques centimètres de ses oreilles, le narguant à chaque fois qu'il se retournait et faisait claquer ses crocs en guise d'avertissement.

Mais l'avertissement était bien dérisoire, et les oiseaux devaient le sentir d'une façon ou d'une autre s'ils continuaient de le tourmenter ainsi. Justice n'avait jamais eu à faire face à une quelconque proie aérienne. Pour un loup qui avait été confiné aux galeries souterraines et étouffantes d'un volcan endormi, tout ce qui touchait au domaine infini des étendues d'air lui paraissait terriblement compliqué à appréhender. Il aurait bien festoyé sur le cadavre d'un de ces rapaces, mais c'est principalement la peur de se ridiculiser qui avait retenu toute tentative de prédation -alors il les ignorait et progressait.

Flap, flap.

Un nouveau glissement d'air froid vint rabattre ses mèches.

Un grondement puissant et irrité remonta des profondeurs de sa cage thoracique pour surgir hors de ses crocs serrés qui soudainement se délièrent et se découvrirent.

Une détente s'opéra de son corps passé en pilote automatique, et ses postérieurs musclés propulsèrent la masse de son corps vers le haut - et la mâchoire grande ouverte, piège menaçant hérissé de dents affûtées, se referma en un claquement sec.

Il sentit avec satisfaction le goût du sang se répandre sur sa langue, se délectant de ses accents métalliques. Le cri rauque de l'oiseau déchu s'éteignit sous son palais, asphyxié par ses os brisés et son corps transpercé.
Justice pencha l'encolure vers l'avant et laissa tomber la victime sans vie sur le sol. La masse devenue molle alla s'écraser à ses pattes dans un mouvement grotesque qui n'avait plus rien des fières arabesques que l'oiseau décrivait précédemment. Au loin, les piaillements et les appels de ses camarades résonnaient avec plus d'alerte et de rapidité qu'avant, outrés et paniqués qu'ils devaient être d'avoir vu un des leurs tomber sous des crocs qu'ils avaient pensé pouvoir dominer.

Un sourire carnassier sur les babines, le canidé les observa s'éloigner plus bas dans la vallée, d'autres disparaissant dans un grand gouffre qu'il n'avait auparavant pas remarqué. Il avait donc atteint une nouvelle zone.
Satisfait de son unique et meurtrière tentative de chasse aviaire que ses instincts de combattant avaient permis de mener à bien, il entreprit de se lécher les babines tout en observant les lieux dans lesquels il avait débouché.

Et le cadavre à plumes servirait pour le moment d'avertissement et de bref trophée.

Rhaegar

Vadrouillant dans les montages, Rhaegar avait pour mission de chasser du gibier pour la meute. « Puisque tu voles dans les réserves, tu vas devoir combler le vide que tu y as laissé » lui a-t-on dit. Comme si c'était de sa faute si il était plus grand et gros que la moyenne et qu'il avait besoin de plus grosses rations ! Il ressemblait plus à un ours qu'à un canidé dans sa démarche fatiguée, avec ses épaules larges et ses pattes énormes. Il ne s'en plaignait pas, au moins il imposait le respect. Gloriel ne le ménageait pas, il lui donnait sans arrêt quelque chose à faire pour le distraire. Et si le boulot était mal fait, il devrait recommencer. Quelle plaie.

Le soleil sans paupière tapait lourdement cet après midi, Rhaé se cachait dans l'ombre de la forêt et des montagnes, il y faisait plus frais que sur le reste du territoire et puis il y avait pas mal de proies dans le coin. Avec sa corpulence, il pourrait chasser une biche ou un sanglier, mais il devait améliorer sa tactique de pistage pour ça, il n'était pas encore au point. Faut dire que voler dans les réserves était plus simple que d'aller chasser soi-même..

Des braillements au dessus de lui lui firent relever les yeux, il s'agissait de grands rapaces et d'autres petits volatiles affolés. Un grondement s'en suivit, qui fit cette fois-ci dresser les oreilles du loup sombre sur son crâne large. Plissant les yeux, il se dirigea vers l'origine de ces bruits inhabituels en trottinant doucement, la tête basse. Son regard scrutait tous les recoins de ces chaines difformes, il croisa même un renard et des mouflons perchés sur leur crête. Il espérait cependant ne pas tomber sur un pumas, alors il restait tapis dans l'ombre, se fondant dans cette semi-obscurité.
Levant les yeux, il aperçut une silhouette se déplacer sur l'un de ces énormes rochers, mais difficile de savoir à quel animal elle appartenait à cette distance.

Quelques bons lui suffirent à atteindre le sommet, sous ses pattes la roche brûlante lui chauffa les coussinets, sur son dos c'est l'astre lui même qui tapait violemment. Il se posta d'abord derrière l'un de ces massifs tas de pierres pour observer l'animal, puis se mit à découvert, son poil ébène poussiéreux contrastant avec toute cette luminosité aveuglante.

Jolie prise.

Sa voix grave et encore jeune résonna jusqu'aux oreilles de l'étranger.

Il était là, debout sur ses quatre pattes, les muscles saillants, la tête ainsi que la queue fièrement relevées. Il était sur son territoire ici, il était le dominant. Le rapace qu'il venait de chasser était le sien, désormais.

Justice détaillait avec attention la nouvelle terre qui s'offrait à ses yeux, en contrebas de son perchoir.

Au fond de ce qu'il avait pensé être un simple précipice comme on en trouvait tant dans les chaînes de montagnes s'ouvrait en réalité un gouffre impressionnant, bien dissimulé au sein des géants de pierre qu'il avait pourtant l'habitude de parcourir depuis plusieurs jours déjà. Ces terres étaient plus riches et vastes qu'il ne l'aurait pensé de prime abord. En s'efforçant de percer l'obscurité qui régnait dans l'imposant abysse, il lui sembla distinguer que les flancs raides étaient percés d'une multitude de petites cavités encore plus sombres, suggérant un réseau assez dense de grottes et autres curiosités géologiques.
Ce gouffre était encore loin par rapport à l'endroit où il se trouvait actuellement, mais une forme d'attirance mêlée de répulsion envahit son corps à l'égard du monde presque souterrain qui l'appelait. Curieusement, une partie de son corps réagissait favorablement à l'appel des caves et des tunnels, comme un enfant appelant sa mère dans le noir - c'était tout ce qu'il avait toujours connu. Malgré les horreurs qu'il avait subi dans les profondeurs des galeries souterraines, oppressé sous des tonnes de roche, un sentiment de protection et d'habitude y était associé et dur à déloger.
L'autre moitié de lui-même réclamait les grands espaces et la caresse du vent, les étendues infinies qui se déroulaient à perte de vue, la liberté sans cage physique ni frontière mentale.

Et puis... Quelque chose dans l'air lui suggérait que la monumentale cavité marquait la fin des montagnes libres de ce côté-ci de la chaîne. Après tout, quel groupe ne voudrait pas faire sienne une telle merveille de la nature ? Il était encore un peu loin pour en être sûr, surtout avec les fortes rafales de vent qui balayaient les crêtes rocheuses et détruisaient les informations portées par les courants, mais il lui semblait tout de même que la zone était surchargée en odeurs d'individus.
Certaines effluves étaient même particulièrement proches, comme si un autre loup était passé récemment dans le coin.

- Jolie prise.

Un léger sursaut fit tressauter la peau de son dos alors que sa tête pivotait brusquement vers l'arrière, les oreilles droites et l’œil vif prêt à verrouiller la cible.

A quelques mètres de lui avait surgi dans son dos un autre énergumène, l'air fier et goguenard. L'autre avait une carrure assez imposante que l'on devinait facilement sous une épaisse fourrure où le rouge sombre, le noir et le fauve s'entremêlaient, mais des pattes un peu trop longues et un peu trop effilées trahissaient une certaine jeunesse. L'autre jouait au grand, mais l'autre était encore un oisillon tout juste sorti du nid. Il promettait néanmoins d'être un adversaire solidement bâti dans un futur proche.

Il ne fallut pas longtemps à Justice pour passer le jeune en revue et comprendre ses intentions. Avec ses airs de dominant et son port fier, le rouge et noir pensait certainement pouvoir s'octroyer l'oiseau de tout droit. Probablement parce que Justice avait un peu dépassé les frontières et s'était trop rapproché du gros trou béant.

Mais non. Ça ne marchait pas exactement comme ça.
De plus, Justice n'appréciait pas grandement de se faire ainsi surprendre - même s'il s'en voulait surtout à lui-même pour cela. Il s'était peut être un peu trop relâché sur ces terres pour en être arrivé à ne pas remarquer l'arrivée d'un potentiel danger.

Une nouvelle fois submergé par plusieurs émotions contraires -comme pratiquement à chaque fois qu'il se trouvait confronté à une interaction sociale ou un élément nouveau- il n'était pas certain de la marche à suivre.
Son premier avertissement fut de se retourner pour lui faire face, ayant donné au passage un léger coup de patte à la carcasse pour la faire glisser sous lui, de sorte qu'elle reposait maintenant en toute sécurité dans l'enceinte formée par ses quatre pattes. Ses antérieurs se tendirent et ses doigts vinrent faire pression sur ses griffes métalliques qui crissèrent désagréablement sur la roche, histoire de les mettre subtilement en évidence.

Il n'avait pas spécialement envie de s'en servir contre le jeune, mais il n'hésiterait pas si le besoin s'en faisait ressentir. De quoi avait-il envie, au juste ?

Envie violente de lui arracher ce sourire si prétentieux.

Envie de jouer avec lui, de découvrir le sens du mot ami.

Envie de le provoquer et de voir ce qui pourrait se passer.

Et tout cela se bousculait dans sa tête dans une mêlée informe et hurlante.
Incapable de décider d'une marche à suivre, Justice était voué à rester encore une fois sur l'expectative - le jeune loup déciderait de son propre destin suivant ses actes. Justice, lui, était prêt à tout.

Les muscles tendus mais gardant une apparence relativement calme et neutre, la queue balayant doucement l'air, Justice fixait l'adversaire, l'ombre d'un sourire narquois au creux des lèvres. Ceci dit, il avait bel et bien une réponse à formuler. D'une simplicité si effrayante qu'elle en devenait presque provocante. Après tout, il l'avait complimenté, non ?

- ... Merci.

Si tu le veux, viens le prendre.

Rhaegar

Ses paupières se plissèrent, protégeant ses iris de cet affreux reflet aveuglant sur la roche. Il tordit légèrement son cou en hôchant la tête, son regard allant du rapace au loup sans poils. Ils se détaillèrent ainsi l'un l'autre, silencieux, comme des prédateurs prêts à se bondir dessus. Rhaegar détestait les étrangers, surtout lorsqu'ils fouinaient sur son territoire. Il ne s'était pas battu depuis un moment, c'était une occasion rare d'avoir une excuse légitime. Le solitaire semblait le défier en protégeant son maigre repas, comme si cet animal lui appartenait.  

Tu es sur le territoire des Lazulis ici.

Il s'avança d'un pas, puis deux, faisant tinter les chaines qui tombaient sur ses épaules carrées. Il observa les griffes anormales de l'étranger un court instant, puis plaqua ses prunelles brûlantes dans celles de son interlocuteur. Sa queue remua derrière lui, signe de nervosité, le provoquer n'était pas une bonne idée.

Vas t-en. Et ne reviens jamais. Menaça-t-il, d'une voix intransigeante.

Il le laisserait partir sans violence, même si cela l'emmerderait au plus au point. C'est ainsi que les Lazulis fonctionnaient, ils devaient avertir les étrangers et en cas de résistance, les dégager. Il se ferait un plaisir de le faire si celui ci refusait, et sans ménagement.

Ah et.. Cette chose là, reste ici.

Rajouta-t-il en désignant le rapace mort d'un geste du museau, un sourire amusé sur les babines.
Cet animal était mort sur leur territoire, alors elle appartenait aux Lazulis, c'était non négociable.

Le jeune ne semblait pas décidé à apaiser la situation d'une quelconque manière.
Au contraire.

Le rouge et noir, visiblement insensible à sa tentative d’apaisement de fabrication maison et somme toute bancale, fit quelques pas dans sa direction dans la posture de celui qui était toujours autant sûr de lui. Probablement motivé par l'envie de bien faire pour sa meute et le besoin de se prouver son propre courage. Il ne pouvait pas lui en vouloir. C'était un adolescent.
Lui-même n'avait eu aucune raison de vouloir soutenir le clan qui était sien, pourtant cette période de sa jeunesse avait été fournie en efforts pour se hisser au-dessus des autres et attirer l’œil de la convoitise de la part de ses supérieurs pour se démarquer et se prouver qu'il n'était pas faible. Qu'il ne finirait pas traîné dans une fosse un peu plus loin, hors de la vue des autres -non pas par crainte de heurter leur sensibilité, mais plutôt car ceux qui avaient cédé ne méritaient même pas que quiconque s'intéresse au fantôme de leur existence passée. Ils étaient tout simplement effacés. Leurs corps froids et raides se décomposeraient dans l'indifférence de ceux qui avaient été leurs confrères, seulement entourés de l'élan solidaire des habitants de la microfaune, gais et enthousiastes qu'ils étaient d'entourer le défunt pour une dernière danse dans un brouhaha de mandibules.

Un bref clignement de paupières le tira de ses rêveries funestes pour concentrer à nouveau son regard acéré sur le jeune loup, raccrochant son attention sur le monde présent plutôt que sur les ruines du passé.
Il faillit laisser un sourire tendre fleurir sur ses lèvres en contemplant l'adolescent plein de fougue, l’œil vif et pétillant, presque insouciant en son application à paraître menaçant. Un jeune bien traité qui semblait heureux et épanoui, déterminé à se faire une place en ce monde en expulsant l'étranger de ses terres.
Oh, qu'il aurait aimé partager un peu de son insouciance à cet âge et avoir eu la liberté de se battre pour sa propre gloire et non pour satisfaire les exigences malsaines au risque de finir étripé si sa performance n'était pas assez convaincante.

Le loup de clan le menaça, divulguant le nom de sa meute par la même occasion. Lazulis. Les hautes oreilles de Justice remuèrent légèrement, son museau se fronça. Quelque chose n'allait pas. Ce nom ne sonnait pas juste. Ses muscles se tendirent davantage et sa mâchoire se serra.
Mais il avait une autre priorité à gérer avant tout. L'adolescent venait de lui donner une dernière sommation, et il pouvait voir ses muscles fougueux rouler sous ses épaules. Il rêvait d'en découdre et de se mesurer à ce solitaire. Ce n'était probablement pas une bonne idée.

La première impulsion qui parcourut son corps fut celle de se jeter sur son adversaire en premier pour ne pas lui laisser le temps ou la liberté de faire le premier geste. Mais il canalisa l'impétueuse injonction électrique qui avait remonté tout son corps, s'ancrant plus profondément dans le sol en faisant crisser ses griffes métalliques sur le sol. Il ne voulait pas faire de mal à ce jeune.
Pas pour le moment.
Il n'était pas comme eux, il n'agirait pas comme eux. Même si tout son corps lui criait le contraire, jusqu'au plus profond de ses cicatrices.

Les yeux ambrés de son adversaire firent un aller-retour à la proie qui semblait être source de discorde.

- Ah et.. Cette chose là, reste ici.

Il y avait une résolution simple et sans encombres à toute cette situation. Justice n'avait qu'à faire quelques foulées en direction de l'intérieur des terres, laisser la carcasse derrière lui, partir et laisser le jeune sans un mot de plus.
Mais Justice avait beau ne pas vouloir de mal à ce jeune et faire de son mieux pour éviter une confrontation physique et violente, Justice n'était pas non plus un pigeon. Justice avait aussi un honneur, une dignité, Justice travaillait dur chaque jour pour se nourrir sans avoir de réserve de secours pour le nourrir les jours de malchance, et Justice ne céderait pas gratuitement son trophée de chasse aérienne au jeune juste parce qu'il pensait pouvoir faire pression sur lui.

Le grand loup noir se mit à réfléchir rapidement, cherchant une solution avant que l'inévitable ne se produise et qu'il n'ait à repousser son assaillant à coups de griffes d'argent.
Ses muscles rigides eurent du mal à accepter de plier, mais il se coucha sans quitter de ses yeux perçants le regard embrasé de l'autre mâle. La carcasse dont les plumes se gonflaient doucement sous la caresse du vent reposait contre son poitrail, toujours bien gardée entre ses antérieurs musclés et couturés de cicatrices. Il hésita quelques secondes supplémentaires.

- Je peux te montrer comment les attraper.

Le léger accent qui trahissait ses lointaines origines se laissait mieux entendre sur ces phrases plus longues, de même que les légères intonations froides et métalliques qui teintaient ses mots. Il pencha brièvement la tête sur le côté, son regard se détachant de celui de l'autre pour quelques instants, tandis qu'il songea à ce qu'il pouvait ajouter pour séduire le jeune mâle. Un jeune aussi dévoué que lui devait bien avoir quelque chose à prouver.

- ... Ton clan serait fier, non ?

Après tout, il était plus valorisant d'être en mesure de ramener plusieurs oiseaux par jour qu'un seul sur un coup de chance.

Rhaegar

La tension était électrique entre les deux mâles, mais Rhaegar ne se laissait aucunement déstabilisé par le crissement de ses griffes en argent. L'étranger était certes plus âgé et plus expérimenté, mais Rhaegar était entraîné et surtout, il avait déjà de beaux muscles saillants pour son jeune âge.
Ses prunelles semi recouvertes le fixaient sans pitié, avec une froideur quelque peu arrogante. Il n'était pas patient et le solitaire semblait hésiter un peu trop à son goût.
Il bougea d'une patte à l'autre, il se retenait de lui sauter dessus et de lui montrer qu'ici, c'était son territoire. Mais il lui fit une proposition, peut-être avait-il l'intention de lui jouer un mauvais tour ?
Le museau de Rhaegar se fronça légèrement, dévoilant le bout de ses grandes canines. Gloriel pouvait lui enseigner comment attraper ces foutus vautours, il n'avait pas besoin de cet étranger.

Donne moi une bonne raison de te faire confiance, solitaire. Répondit le jeune apprenti d'une voix agacée.

Après tout, peut-être que Gloriel serait content de savoir qu'il était capable d'attraper des vautours sans lui, qu'il n'était pas seulement un sale con inexpérimenté. Il était capable d'apprendre sans lui aussi. Ou alors..  il pourrait lui ramener un prisonnier, ça pourrait être encore plus efficace même. Ce serait la preuve qu'il n'est pas inutile, qu'il protège la meute et qu'il est fort. La preuve qu'il s'investit et qu'il fait respecter les règles.

Dilemme, dilemme..

Sous des paupières plissées de méfiance, les yeux ambrés du jeune étincelaient.
Il pouvait voir à quel point il était téméraire et prêt à tenir sa garde face à l’inconnu, ce qui était tout à son honneur. Tout en étant terriblement imprudent. Justice ne put que se dire que l’adolescent n’avait pas encore été confronté à beaucoup de violence de la part d’inconnus dans sa vie pour n’avoir aucune once de peur dans le regard, convaincu qu’il était capable de se mesurer à n’importe quelle menace se dressant face à lui. La confiance et l’assurance ruisselaient de ses pores.
Il ne devrait pas sous-estimer ses opposants, cependant. Le brun et noir avait beau faire confiance à sa carrure, il était jeune et il n’avait aucune idée du vécu de celui qui pouvait se trouver face à lui. Justice lui-même avait compris rapidement que les excès de zèle pouvaient être les plus terribles des erreurs.

Heureusement pour le jeune loup de clan, Justice n’était pas d’humeur belliqueuse et n’avait pas le moindre désir de le blesser –sauf s’il finissait par ne pas lui laisser le choix.
Il put voir les signes de l’impatience s’activer, puis le spectre de l’hésitation et de la suspicion danser sur son visage lorsqu’il prit en compte ses paroles. Sûrement déchiré entre son envie de le faire partir une bonne fois pour toute ou bien l’orgueil d’un mâle adolescent lui dictant de refuser toute aide, confronté à l’avantage que lui donnerait une nouvelle aptitude.
Il pourrait toujours dire qu’il avait appris tout seul.

Et il y avait la possibilité également que Justice ne parvienne pas à lui montrer quoi que ce soit si sa chance ne se reproduisait pas avec le prochain volatile.

— Donne-moi une bonne raison de te faire confiance, solitaire.

Car si je l’avais voulu tu aurais déjà un œil en moins, gamin.

Il ravala bien vite sa première réplique qui avait fleuri sans crier garde, réalisant que ce genre de réaction ne jouerait certainement pas en sa faveur dans sa tentative d’apaiser les ardeurs inconscientes du mâle.
Il lui fallait quelque chose de plus… Valorisant. Puisqu’il considérait sa proposition mais ne s’était pas réellement décidé encore, il valait mieux flatter son égo en appelant à ses capacités de guerrier.
Son regard resta planté sur la masse fournie de l’adolescent tricolore, ne le lâchant pas des yeux et ne manquant rien du moindre de ses frémissements.
Puis l’orange de ses prunelles pétilla légèrement, l’ombre d’un sourire malicieux soulevant ses babines avant que sa voix grave ne traverse l’air à nouveau.

— Fais confiance à ton instinct.

Puis il arqua l’encolure et pencha la tête vers le sol, son museau allant effleurer les plumes du faucon reposant entre ses pattes, pinçant quelques plumes entre ses crocs et les arrachant en de petits paquets blancs et duveteux qui s’en retournaient flotter dans le vent, libres.

Rhaegar

Comme une statue, il ne bougea pas. Muet, immobile, seul son poil virevoltait au rythme de la brise montagnarde. Ses prunelles étaient figées sur l'étranger, sur celui qui testait sa naïveté. Hésitait-il ? Pourquoi ne réagissait-il pas ? Le temps parut long avant qu'enfin, un bruit tonne. Sourd, profondément grave. Il résonnait à l'intérieur de sa gorge, douce colère provenant de son épaisse poitrine.

DEGUARPIS !

Sa voix éclata dans les airs, et il bondit. Vif, il était jeune et rapide. Pas encore assez gros pour être ralenti, plus tard ce serait probablement inévitable.. Il avait le sang chaud, il était très susceptible en cette période, le troubler davantage ne faisait qu'attiser encore plus sa colère. Il s'élança droit sur son interlocuteur et claqua ses crocs. Non pas sur lui non.. sur sa proie. Sur cet animal qui appartenait aux siens. Sur ce gibier qui irait bientôt grossir le ventre de ses congénères.
Car tout ce qui vit sur ces terres leur appartiennent.
Car tous ceux qui tentent de se les approprier sont des voleurs qui méritent correction.

[Dé réussite]

Le temps resta encore suspendu de longues secondes encore.
Les paroles prononcées par le mâle noir n’attinrent pas le but escompté, et l’adolescent rouge et noir ne semblait pas se laisser séduire par l’appel de la fraternité. Finalement, il était bien moins curieux que l’autre jeune beige qu’il avait rencontré aux bordures des territoires de l’autre meute pourtant réputée davantage hostile. Mais chaque jeune adulte trouvait sa voie dans des horizons bien divers, et si le jeune à la crête blanche n’avait pas la moindre ambition de violence à son égard, celui-ci semblait toujours débattre avec lui-même quant à la pertinence de se jeter corps et âmes sur l’étranger.
Justice ne relâchait ni la garde vigilante de ses yeux ni la tension accumulée dans ses muscles, prêt à se défendre et à réagir quelle que soit la décision de l’autre mâle.

Il semblait être une pile électrique au bord de l’implosion, un élément chimique instable.

Le grondement sourd qui roula hors de la poitrine du jeune, pareil à un orage menaçant de s’abattre, finit par répondre à la question d’une manière bien plus directe que les mots.
L’autre ouvrit grand ses mâchoires imposantes, aboyant un mot au moment même où sa masse se mettait en mouvement. Il s’élança vers l’avant avec la fougue de sa jeunesse, ses yeux d’ambre rivés sur le faucon, source de la discorde. Les crocs luisants rêvaient de se saisir du butin, mais ils claquèrent dans le vide.
Car si le jeune était plein de courage et d’ambition, il en oubliait que l’adversaire en face de lui en avait vu d’autres. Le simple frémissement de ses babines en prélude de son explosion de hargne avait suffi à le préparer à la suite, et déjà Justice avait envoyé l’impulsion nerveuse de la réaction à ses muscles qui n’attendaient que de se détendre enfin après de si longues minutes à être contenus. Sa gueule qui était occupée à tirailler sur les plumes du cadavre l’avait enserré tout entier et d’un bond souple il s’était esquivé de la trajectoire du jeune clanique au moment même où celui-ci s’était déjà lancé à corps perdu dans un bond magistral pour l’atteindre.
Il ne rencontra que le vide et la roche à l’emplacement où le solitaire se trouvait quelques fractions de secondes plus tôt.

Le cœur de Justice s’était mis à battre plus vite, revitalisé par la tournure dynamique qu’avaient pris les évènements. D’un bond supplémentaire il s’était élevé vers un relief légèrement plus en hauteur, mettant quelques mètres entre lui et le jeune pour toujours se laisser une marge de manœuvre en réaction à ses ardeurs. De là il le toisait, sa queue battant légèrement l’air sous l’excitation de l’action.
Jusque-là, seul un sentiment légèrement joueur et provocateur s’était éveillé en lui après la tentative de subtilisation de sa proie et il ne désirait toujours pas faire de mal au jeune ours.
Après tout il ne pouvait nullement le blâmer pour ses motivations. Le jeune marchait dans les pas des plus grands et suivait les directives que l’on parsemait sur son chemin. Il voulait devenir adulte. Il voulait que son clan soit fier. Et pour cela les jeunes âmes cédaient au sentiment d’invulnérabilité et de toute puissance pour surpasser leurs limites.
Peut-être que ce jeune-ci s’était attaqué à un morceau un peu trop gros pour lui, cette fois-ci. Et bien qu’aucune hostilité à son égard n’anime le cœur de Justice, il n’avait pas pour ambition de partir tête basse dans une telle situation.

Il lâcha à nouveau l’oiseau entre ses pattes avant, dressé sur son nouveau perchoir. Il pointa les oreilles vers le jeune mâle en contre-bas, s’adressant à lui d’une voix un peu plus intransigeante que précédemment.

— Je te laisse une dernière chance de changer d’avis.

Derrière lui, l’un des rapaces bien vivants décrivit un arc de cercle dans le ciel comme pour souligner son ultimatum.

Rhaegar

Ses mâchoires claquèrent d'un coup sec, tintant dans les montagnes avec écho. Il venait de rater sa proie et se retrouvait gueule basse, avec toujours ce goût un peu trop âpre dans la gueule. Ses yeux se levèrent derrière son épaule vers l'autre solitaire, l'échine dressée sur sa nuque à découvert. Contre toute attente, un rire s'éleva, doucement, puis plus fort alors qu'il tournait presque le dos à son adversaire. Il redressa tout son corps pour reprendre une posture droite et fière et se tourna légèrement pour se mettre bien en face du solitaire. Même s'il était plus haut, Rhaegar ne semblait nullement intimidé.

Faisons un petit jeu, toi et moi.

Dit-il entre ses crocs serrés, les prunelles brillantes rivées sur l'autre mâle. Il était fougueux et surtout il adorait les défis. Ce type là était un défis de taille.

Si j'attrape ce rapace, tu dégages de notre territoire.

Son cœur battait fort dans sa poitrine, il était déjà impatient de passer à l'action. Il n'avait pas encore donné tout ce qu'il avait, ce n'était qu'un échauffement.. Ses veines se gonflaient à vu d'oeil tant il était excité, un large sourire carnassier remontait ses babines et lui donnait un air féroce.

Si j'échoue.. alors j'accepterai d'apprendre à les attraper avec toi.

Il souffla par le nez, amusé. C'était un bon compromis finalement non ? Bien, c'est parti alors. Commençons !

Son corps s'éleva à nouveau, il bondit d'un rocher à un autre, se voulant rapide. Il pourchassa son adversaire comme un enfant jouerait à chat avec un autre. C'était amusant et pourtant, c'était bien plus que ça. L'adrénaline grossissait ses muscles et ce n'était pas un chat qu'il chassait en cet instant, non, c'était un tigre.

[Dé réussite]

Il pencha légèrement la tête sur le côté en entendant son défi.
Ainsi donc, il souhaitait conclure une sorte de marché. Sa queue s’agita légèrement, suivant le rythme de ses pensées vis-à-vis de la proposition du jeune. Au moins avait-il le mérite de ne pas se laisser abattre. Il s’était redressé de toute sa hauteur, déjà imposante malgré son âge, et les prunelles ambrées qui le fixaient étaient d’un éclat sans pareil. Dans ces yeux-là brillaient l’énergie et le désir de vaincre.
La première proposition qu’il avait énoncé ne lui convenait pas mais il ne pipa mot, concentré sur les mots et les mimiques de son adversaire. De toute manière, il se savait plus rapide que le rouge et noir et ne craignait pas réellement de perdre sa pitance face à lui. Outre son poids plus léger et ses muscles fuselés pour la vitesse, il avait l’expérience.
Le jeune face à lui n’avait pas dans les pattes une jeunesse entière passée à défendre des maigres repas face à des mâchoires avides et égoïstes. Et si Justice n’avait pas parmi ses pairs l’avantage d’avoir la constitution la plus solide pour s’en tirer dans la confrontation brutale et directe, il avait plutôt développé ses autres atouts, si bien qu’il était pratiquement impossible de lui subtiliser un bien qu’il avait décidé de garder.  Il avait l’oeil vif et vigilant, des réflexes affutés, un corps souple et rapide —et tout de même suffisamment de force dans les épaules et les mâchoires pour repousser un adversaire qui serait venu un peu trop près malgré tout.

Et au sourire large que le jeune mâle arborait celui-ci ne semblait pas prendre en compte la difficulté de la tâche qui l’attendait.
Soit. Il lui apprendrait qu’une arrogance mal placée sur des sujets inconnus faussait le jugement et menait à la défaite.

A peine le rouge et noir eût-il conclut sa phrase qu’il s’était alors arraché à la gravité, propulsant son corps de l’avant avec toute la puissance qu’il possédait. Mais le loup noir s’esquiva facilement en faisant volte-face, bondissant loin de la portée de l’autre canidé, et Justice trouva son amusement à le mener par le bout de la truffe, le laissant se rapprocher suffisamment pour sentir son souffle chaud caresser l’extrémité de sa queue avant de soudainement bondir plus loin, remettant de la distance entre leurs foulées.
Ils se pourchassèrent ainsi de longues minutes, Justice devant bien admettre qu’il était impressionné par l’endurance et la persévérance de jeune loup —même si jamais il ne se laissa attraper.
Mais c’est une pointe d’agacement qui finit par fleurir après la brève distraction de courir de rochers en rochers, poursuivi par un jeune loup de clan compétitif.
Justice accéléra pour prendre quelques foulées supplémentaires d’avance, se propulsant de ses postérieurs puissants pour atteindre une pointe rocheuse. Là il pilla avant de faire volte-face, droit sur ses membres électrisés, sa silhouette se découpant en contre-jour sur le ciel gris chargé de nuages.

Puis de nouveau il s’élança, mais cette fois ce n’était plus hors de la portée du jeune loup qu’il cherchait à se placer. Au contraire, il fonça vers lui, ses yeux froids verrouillés sur la cible.

(2 dés force pour arrêter Rhaegar dans sa course)

Les deux corps étaient lancés à pleine vitesse, et la collision était proche. Mais Justice n’était pas sot, et il savait comment s’y prendre —il n’était pas certain que son corps sortirait vainqueur d’un choc frontal et direct avec un adversaire tel que le jeune loup, aussi miserait-il, encore une fois, sur son agilité.
Une fraction de seconde avant l’impact, le solitaire se déporta, s’esquivant hors de la trajectoire. Seul un brusque coup d’épaule lui fut adressé au passage, le déstabilisant au beau milieu d’une foulée aérienne. Voltigeant comme les faucons qui assistaient de loin à la scène, Justice exécuta de nouveau un prompt demi-tour pour achever son enchaînement, ne laissant pas au loup le temps de reprendre ses esprits et de se rééquilibrer. Il l’enserra sans douceur, ignorant le contact froid du métal piquant de son harnais, et le repoussa au sol.

Pour autant, il ne posa sur lui aucune patte de conquérant. Justice n’était pas là pour l’humilier, pas encore, du moins. Simplement pour lui faire comprendre.

— Fini de jouer.

Ses yeux ne portaient aucune haine envers le compère qu’il regardait sans détour, verrouillant ensemble leurs deux regards. Mais ses mots étaient d’un ton firme et sans appel, sa posture était droite et intransigeante. Justice était à court de patience envers celui qui bien que joueur et pas méchant, cherchait à tout prix à dérober sa prise.

Rhaegar

Le solitaire était rapide, bien plus que lui. Son corps était plus léger, plus souple que le sien qui bondissait lourdement. Lorsque celui-ci se jeta sur lui Rhaegar se rua comme un taureau, voulant l'écraser d'un seul coup pour en finir. Mais tout ce qu'il toucha fut son épaule, puis tout se déroula très vite. Son regard se perdit sur la roche, il sentit les griffes de son adversaire le pousser et son corps se plia pour se retrouver propulsé en avant. Le choc imminent l'obligea à fermer les yeux et il couina lorsque ses muscles s'écrasèrent sur la pierre.

Sa tête tourna un moment. Il se sentit bien sot d'avoir échoué aussi lamentablement. Il rouvrit les yeux et se redressa doucement pour se mettre face à l'étranger aux griffes d'argent. Une mine renfrognée ridait son museau ainsi que le creux entre ses yeux. La tête basse et l'échine en avant, il se soumettait bien que difficilement, les crocs encore serrés.

J'accepte ma défaite, je n'ai qu'une parole. Bredouilla-t-il.

Il finit par relever la tête pour croiser son regard, un air farouche et plus sérieux éclaircissant ses traits.

Je m'appelle Rhaegar.

Justice observa en silence quand le jeune mâle se remit sur ses pattes avec prudence. Il ne le lâcha pas du regard, méfiant – la fougue de la jeunesse pouvait l’amener à vouloir encore se rebeller, après tout ; et maintenant qu’ils étaient si proches, il lui faudrait toute sa vitesse de réaction s’il souhaitait esquiver un coup d’une de ces énormes pattes. Il resta donc droit et prêt, sa queue dressée décrivant de lents mouvements au-dessus de sa croupe, tandis que le rouge et noir semblait accepter la situation et ne pas réfléchir à se lancer dans une action regrettable. Bien.
Evidemment il n’avait pas l’air tout à fait satisfait par la situation, ce qu’il pouvait comprendre, mais il avait la présence d’esprit de ne pas mettre à nouveau le loup noir au défi.

— J'accepte ma défaite, je n'ai qu'une parole.

Justice inclina la tête, l’écoutant attentivement et soutenant ses yeux dorés quand il les remonta vers lui, ne se laissant pas abattre malgré tout. Le jeune avait du mordant.

— Je m'appelle Rhaegar.

Le solitaire acquiesça en silence, comme acceptant ce nom et l’enregistrant dans un coin de sa tête, sans pour autant répondre. De nombreux loups ici semblaient prompts à livrer un nom – grand bien leur fasse, il ne comptait pas les imiter aveuglément pour le moment. Il ne lui était pas si facile de faire rouler sur sa langue les syllabes dont on l’avait affublé à la naissance, le mot lourd de sens sans qu’il pourtant ne parvienne à le saisir, le nom qui flottait dans son esprit et qui parfois même semblait se ruer et se débattre, comme s’il n’était pas tout à fait sien, comme s’il était étranger.
Alors il ne dit rien de ce nom, jetant plutôt un coup d’œil derrière lui, vers l’un des promontoires rocheux qui s’élevaient vers les cieux comme une mer était hérissée de vagues.

— Très bien, Rhaegar.

Le mâle noir le jaugea encore un peu du regard, puis le dépassa et fit quelques pas pour aller récupérer la carcasse de son faucon qu’il avait laissé choir avant le retournement final de leur course-poursuite. Prenant le corps rigide entre ses crocs, il revint sur ses pas et passa suffisamment près du jeune pour le frôler, puis il continua tout droit – vers les pics rocheux, vers l’endroit qui lui paraissait le plus adapté à leur… leçon.
Il ne lui accorda pas de regard, les yeux déjà verrouillés sur l’objectif, se contentant de lâcher un bref mot à son égard.

— Viens.

A son approche, les grands oiseaux reprirent de concert leurs piaillements courroucés et prirent de l’altitude, s’éloignant temporairement des deux loups. Justice poussa un grondement et fit face au jeune meutard.

— Ils n’ont pas gardé un bon souvenir de moi. Tu vas devoir y aller seul. Le but, c’est de les laisser t’embêter. Leur faire croire qu’ils ont le contrôle et que t’attaqueras pas.

D’une pression sur sa mâchoire, Justice fit craquer les os frêles qui ramifiaient l’aile entre ses crocs. S’allongeant à l’ombre partielle d’un rocher, en léger retrait de l’endroit où les rapaces recommençaient déjà à tournoyer dans l’attente d’une nouvelle cible à harceler, il s’installa de sorte à avoir un œil sur la scène et son repas entre les antérieurs –qu’il commença à entamer lentement, éjectant d’abord les quelques plumes qui accrochaient à sa langue.

— Jusqu’au moment où l’un d’eux passe trop près.

Justice se laissa aller à un vague sourire entendu appuyé d’un regard au jeune loup. Désormais, il était tout à fait prêt à l’observer en action, et à voir s’il saurait mettre autant de ferveur à tenter d’attraper les créatures volantes que dans sa poursuite pour en récupérer un cadavre.

Rhaegar

Malgré la soumission du jeune Lazuli, l'étranger resta tendu et prêt à bondir au moindre danger, comme s'il soupçonnait une supercherie. Pas faute d'y avoir pensé, Rhaegar avait le portait craché du menteur capable de vous faire un coup dans le dos et surtout de l’entêté qui rêvait de montrer sa supériorité. Mais il n'était pas con non plus, il savait qu'il était trop lent et que sa force se retournerait contre lui. Il avait déjà un mentor, mais qu'est-ce qui l'empêchait d'apprendre d'un autre ? Après tout, plus l'éducation est diversifiée plus elle est réussie et bienveillante. Il ne pouvait rien faire pour rassurer le solitaire alors il ne bougea pas, sa parole n'avait aucune importance alors seul le temps suffirait à le détendre.

Il s'attendait à connaître le nom de son enseignant mais à la place de ça il l'invita à le suivre, ce que le jeune mâle fit sans broncher. Son pas était lent et calme, son attitude un peu blasée toujours gravé sur les traits de son visage. Il leva les yeux vers les rapaces qui s'envolaient en tous sens à leur approche, ils étaient vraiment nombreux et rapides, la tâche promettait difficile. Puis il croisa enfin le regard du solitaire qui s'était détourné de lui, comme un père mécontent. Il lui ordonna d'y aller seul car il était moins dangereux, moins voyant.. Rhaegar haussa des épaules et fixa un instant les oiseaux avant d'obéir.

Il s'avança calmement au sommet de la surface rocheuse et se figea, face à son mentor qui le regardait de loin dans l'ombre. Il devait être la proie pour mieux les surprendre, c'était donc ça la leçon.. Il soupira par les naseaux et releva la tête pour observer les cercles que formaient les faucons au dessus de sa tête. Alors que l'un d'eux s'approcha, Rhaegar ne bougea pas. Puis il s'éloigna rapidement et vint le tour d'un autre. Ils braillaient tous, comme s'ils se moquaient de lui qui était cloué au sol. Mais alors qu'enfin l'un d'eux passa un peu trop près de lui, Rhaegar balança l'une de ses grosses pattes sur son corps plumeux toutes griffes sorties.

Et quel échec ! Trop lent, car tout ce qu'il eut fut un petit tas de plumes et un coup de bec de l'un de ses congénères. Il claqua des mâchoires et les menaça d'un grondement sourd. Son sang bouillait dans ses veines et les battements étaient rapides dans ses tempes, il était impatient et nerveux. Il voulait tous les tuer et les déplumer un à un.
Il souffla doucement et jeta un regard à son professeur qui profitait du spectacle tout en grignotant sa proie, son trophée que lui jalousait. Le museau froncé, il garda son calme et ferma les yeux pour laisser les faucons revenir vers lui. L'attente était longue car ils étaient méfiants, ils s'approchaient et s'éloignaient aussitôt, le narguant de leurs cris. Les prunelles rivées sur la pierre grise, il vit du coin de l'oeil le faucon posé là, sur sa droite. Et la réaction fut immédiate, il sortit de sa prison figée et ses mâchoires frappèrent l'animal, ou du moins, son aile qu'il avait déployé comme moyen de dépense. La gifle sur son visage l'obligea à reculer ses crocs acérés et il n'eut pas le temps de l'attraper qu'il s'envolait déjà, fuyant tant bien que mal dans un battement d'aile irrégulier.

Susceptible, son sang ne fit qu'un tour jusqu'à son cerveau et il lança un rugissement mêlé entre sa voix rauque et le grondement qui faisait vibrer tout son corps. Le vacarme fut tel que tous les faucons fuirent de tous les côtés, l'un s'entrechoquant même avec un autre avant de disparaître derrière les arbres.

Tu es encore bien con Rhaegar, et bien trop impulsif. Tout ne s'apprend pas en un jour, il allait lui falloir du temps pour maîtriser cet art... Et de la patience.

Docilement, son élève éphémère s'était dirigé dans la direction de l'élévation rocheuse, observant d'un air dubitatif et mi-attentif la trajectoire aérienne des faucons qui flottaient dans le ciel.

Justice, lui, profitait de loin du divertissement qui s'annonçait en détachant lentement la chair de sa proie, couronné de plumes duveteuses et ensanglantées. Pour le moment, le rouge et noir gardait son calme, suivant de son regard ambré les oiseaux qui commençaient déjà à venir le provoquer en rasant sa tête, pinçant une touffe de poil par-ci, un bout d'oreille par-là, comme ils l'avaient fait avec lui. Stupides animaux. N'avaient-ils pas reçu une leçon simple qui avait coûté la vie à l'un de leurs congénères, dont les os se brisaient actuellement entre ses mâchoires ?
Malgré ses efforts de concentration, le solitaire pouvait bien voir qu'il ne portait pas en lui la plus grande des patiences. Son corps ne renvoyait que des signaux agités et impatients -il semblait vouloir frapper immédiatement alors même que les conditions n'étaient pas des plus propices.
Et effectivement, la seconde d'après, une patte massive fut lancée dans les airs, se contentant de déplacer de l'air et d'éloigner les faucons.
Justice eut un semblant de rire, camouflé par le craquement des os dont il léchait la moelle. Le jeune tournait et retournait, soufflant de rage et de déception, arrêtant parfois son regard sur lui avant de se détourner à nouveau pour observer les proies qui reprenaient déjà leur manège. Elles aussi savaient analyser les nombreuses créatures qui passait sous leur vue acérée, et ils avaient décidé que ce loup ci était un amusement, une masse de fourrure peu agile qu'ils pourraient chicaner sans conséquence. Cela pouvait être à l'avantage du jeune Rhaegar, si celui-ci savait retenir ses coups et voir l'objectif sur le long terme. Les faucons s'approcheraient alors plus près, de plus en plus près, jusqu'à ce que ce...

Clac !
Justice en sursauta presque tant il ne s'attendait pas à entendre ce son. C'était trop tôt, bien trop tôt.
Sans surprise, il put voir un rapace s'envoler hors de la portée du jeune guerrier qui avait claqué des crocs sans réfléchir et désormais hurlait de frustration, chassant tous les autres faucons qui se précipitaient pour prendre de la distance avec tout ce bruit. Justice lui-même coucha ses oreilles sur son crâne, un soupire s'expulsant de ses narines. A vrai dire, il n'avait plus très envie de s'attarder ici, surtout pour regarder des heures durant les tentatives de ce jeune à la silhouette massive tenter d'attraper des oiseaux qu'il ne prenait pas le temps d'essayer de comprendre. Si Justice n'y connaissait déjà pas grand chose à la chasse, lui... C'était pire.
Il n'avait aucunement envie non plus que ce vacarme n'attire d'autres membres de son clan qui essaieraient peut-être à leur tour de le chasser sans accepter une gentille course dans les rochers, d'autant qu'il serait rapidement en infériorité numérique.

Prenant son butin à moitié terminé en gueule, il s'approcha du jeune à pas mesurés jusqu'à l'avoir à portée de voix.

— Il faut attendre plus longtemps, Rhaegar. Tu leur sautes dessus avant qu'ils aient le temps de se sentir en sécurité.

Il profita de sa proximité pour jeter un coup d’œil aux flancs du meutard -mais il ne s'était pas trompé lors de sa première observation. Le loup en face de lui était bien nourri et n'avait pas besoin d'être materné par un étranger à la meute. La pression de ses mâchoires se raffermit encore un peu plus sur l'aile du cadavre bien entamé.

— Essaye encore.

Et il repartit, toujours à la même allure, longeant des murs de roches empilées les unes sur les autres, se fondant dans leur ombre fraîche. Il s'allongea de nouveau, dardant ses yeux bicolores sur le jeune loup de clan, mais subrepticement le solitaire s'était placé sur la route du départ.
Dès que le rouge et noir aurait rebâti sa concentration et repris son manège avec les oiseaux, Justice, lui, profitant que l'attention de son élève soit redirigée ailleurs que sur lui, serait de nouveau devenu une ombre voguant vers d'autres lieux.

Rhaegar

Sa poitrine se gonflait à chacune de ses inspirations, il avait l'air d'un taureau prêt à bondir sur tout ce qui bouge. Il darda son regard sur l'étranger dont il ignorait le nom, lui qui avait bien profité de ce divertissement pour manger sa proie et qui désormais s'approchait de lui avec pitié.
Déçu de sa prestation, l'adolescent baissa le regard et serra les dents, fuyant de ce fait toute forme de moralité.
Attendre plus longtemps... Il soupira longuement par les narines, son regard se perdant sur les os découverts du faucon qui pendait à la gueule du noiraud. Mais il sentit que son regard envieux n'était pas le bienvenu lorsqu'il entendit les mâchoires se resserrer sur les restes de l'oiseau alors il le dévia ailleurs, l'air contrarié.
Il avait de la patience lui pour espérer obtenir quelque chose de ce bougre, peut-être même autant que Gloriel, alors il garda son insolence pour lui et se mura dans un silence.
Essaye encore.

Il leva ses prunelles sur le solitaire et l'observa s'éloigner, puis las de tout ça il finit par s'asseoir, dos rond. Après quelques minutes à jeter des regards autour de lui, il laissa glisser ses pattes et s'allongea sur le flanc. Au moins il était à l'aise comme ça et il pouvait attendre longtemps. D'ailleurs le temps fila et le soleil déclina rapidement, les ombres s'allongeaient sur la roche, les bois s'obscurcissaient de plus en plus et il se rendit compte qu'il allait bientôt devoir rentrer. Mais pas sans un butin...
Il bailla quand soudain quelques faucons vinrent se poser autour de lui, si proche qu'il pouvait sentir leur passage sous forme d'un courant d'air dans son dos. A croire qu'ils ne le remarquaient même plus, car encore un autre vint se poser face à lui et entama une toilette. Rhaegar passa sa langue sur ses babines et analysa discrètement chacun d'entre eux, sans croiser leurs regards.

D'un coup, il tordit son corps et se retourna, puis il abattit ses lourdes pattes sur le misérable qui s'amusait à lui trier les poils avec son bec. Ses mâchoires se refermèrent sur son grand corps et il l'oiseau hurla, se débattit dans tous les sens avec ses ailes, mais Rhaegar le tenait fermement et celui là il ne le laisserait pas s'échapper. Il l'immobilisa entre ses pattes et l'acheva par de grands coups de crocs sur sa nuque, et lorsqu'enfin l'animal ne bougea plus il se releva pour s'ébrouer, il avait des plumes partout sur lui, même dans sa gorge. Urk.

Lorsqu'il vira son regard là où était allongé le solitaire, il ne vit qu'un rocher froid et vide. Il chercha un instant autour de lui mais il semblait s'être volatilisé, il n'avait même pas pu le remercier ou lui demander son prénom..  Il haussa des épaules, perplexe.
Fier de lui, il attrapa son butin et se dirigea à petit trot en direction du Gouffre, la nuit tombait et il était l'heure de ramener le dîner.