Cinnamon girl / Tiramisu (libre)

Mon cœur est en morceaux
Mon cœur est en morceaux le paysage en miettes
Hop l'Univers verse
Qui chavire L'autre ou moi
L'autre émoi La naissance à cette solitude
Je donne un nom meilleur aux merveilles du jour

Louis Aragon

Cyan appréciait la solitude, mais pas les limites de territoires de celle-ci lui imposait. Elle ne trouvait pas son compte dans les terres dites libres, trop arides, trop différentes, trop loin de tout ce qu'elle avait toujours aimé, ce dans quoi elle avait été heureuse un temps. Ses marais lui manquaient, la faune et la flore des marécages, si proches d'elle qu'on les aurait cru sœurs, ne se retrouvaient nulle part ici. Cyan n'était pas une plaine aride, ni une forêt de conifères, ni une colline verdoyante. Elle était le cœur plein de lianes et de secrets, elle était une cachette à elle seule, un coin d'ombre étrange et doux, et pour elle qui plus jeune avait cru faire partie intégrante de la nature tant elle savait s'y fondre, elle se sentait maintenant tâche et parfois un peu ridicule avec toute cette végétation sur le dos. Elle avait bien pensé à l'époque rejoindre les Etelkrus et rester chez elle, dans son marais, avec toutes les créatures étranges le peuplant, avec les crocodiles...mais la crainte ou la prudence lui avait dicté de fuir et sans trop réfléchir, elle avait laissé derrière elle sa vie et les os de ses parents. Elle y reviendrait, un jour, car on est jamais vraiment pressé et que les choses finissent toujours par se faire sans trop qu'on sache comment. C'est la vie qui coule partout.
Compte tenu de l'issue tragique qu'avaient connu ses parents, on aurait pu penser que Cyan n'avait pas été contre s'éloigner de cet endroit glauque dans lequel elle était née, et surtout, qu'elle vouerait désormais une crainte immense voire une haine justifiée aux gros reptiles, pourtant c'était tout l'inverse. Elle et ses parents avaient toujours connu les règles de cette nature dense et hostile. Les crocodiles n'étaient rien de plus que de dangereux voisins, avec qui il fallait composer et ce jour terrible, ses parents avaient manqué de vigilance ou bien l'ennemi avait été plus rusé. Mais pourquoi en vouloir à des êtres d'être ce qu'ils sont ? La méfiance peut-être, mais la haine, à quoi bon. Combien de son espèce avaient abattu un gibier qui était peut-être parent ? Des parents, il en meurt tous les jours, et un jour ce fut les siens. Elle était seule, mais combien l'étaient aussi ? Tout ce qu'elle pouvait espérer du temps était qu'il lui coule doucement dessus, soignant ce qu'il y avait à soigner. Se soigner, ce n'est pas oublier qu'un jour on a eu de la peine, et elle n'était de toute façon pas une adepte du principe de « l'âme torturée » , ni de l'optimisme sans faille, c'est pourquoi elle espérait du futur, non pas quelque chose d'heureux et brillant, mais à minima quelque chose de calme et paisible.

Coincée dans les irrégularités d'un rocher, de l'eau de pluie de la veille était restée prisonnière. Elle observa son reflet dans cette flaque et Cyan se trouva étrange. On ne se regarde jamais vraiment, alors elle prit le temps. Ses deux jolis yeux ambrés brillant au fond de l'eau ressemblaient à deux pépites d'or immergées, on aurait juré pouvoir les attraper, mais elle cligna des yeux. Elle s'était rendue sur cette chaine de montagne afin de trouver un coin assez exposé pour pouvoir faire profiter à son pelage d'un bon bain de soleil, car il avait fait un sale temps pendant quelques jours. Elle aurait meilleure mine, mais elle n'avait surtout pas grand chose d'autre à faire.
Postée sur son gros rocher chaud, bien sûr, elle l'entendit. Elle l'avait d'abord senti, quelque part dans les conifères, cet inconnu. Elle avait espéré qu'ils ne se croisent pas, pas qu'elle ait peur ou quoi que ce soit, simplement qu'elle ne savait jamais trop quoi dire aux autres. Peut-être qu'en passant rapidement, la prendrait-on pour un buisson ? Elle songea que si c'était le cas, la personne commettant cette méprise devait être bien mauvais horticulteur étant donné que les plantes jonchant son dos ne pouvaient en aucun cas se retrouver naturellement dans une région montagneuse. Ça la fit doucement rire, mais je suppose qu'on ne peut rire de ce genre de chose que lorsqu'on est un drôle d'obsédé des plantes, et elle n'était pas vraiment sûre de vouloir croiser un drôle d'obsédé des plantes.