Entrevue · Misiek

[Ce topic se passe avant qu'Anette n'aille voir Pepper et l'amener à Aka.]

Chaque jour, elle retrouvait un peu plus de poil bleu vers les trônes, ainsi qu'un peu de sang qui contrastait avec. Tous les matins, Anette faisait un constat édifiant. Alors, elle devait se reposer sur ceux qui restait de son heaume fêlé, faire confiance à son endurance pour continuer à tenir à bout de bras la meute en cohésion. Il y avait tant à faire, une nouvelle période sombre, de crise. Où la vie continuait d'autant plus son cours et aggraverait la paranoïa par de nouvelles intrusions. L'un avait échappé en laissant des loups blessés.
L'autre avait été ramenée.
Alors il fallait juger.

Anette s'approcha de la silhouette blanche qu'ils avaient placés dans leur QG, un temps relativement cours, moins de deux heures, car fort heureusement Anette ne se déplaçait plus beaucoup non plus, à part parfois vers la mer pour aller respirer les embruns. La femelle inspira une grande rasade d'air, avant de gronder un son cours, pour attirer l'attention de celle qui serait son interlocutrice.

"Donne-moi ton nom, et ce que tu venais faire par chez-nous. Aucune mensonge ne sera toléré."

Elle annonça tout cela d'un ton égal mais ferme, qui elle l'espérait ne laisserait aucune place pour le zèle chez la femelle aux couleurs claires. Anette voulait des réponses, et pour hier, qu'elle puisse savoir si elle serait une compagne de cellule pour Lucky.

Les brutes t’ont traînés dans la boue, les brutes t’ont traînés dans l’ombre, les brutes t’ont traînés devant une plus grande brute encore. Tu te demandes pourquoi on montre les crocs, tu te demandes pourquoi on t’agresse. Ton corps trembles, tu veux partir, tu en as assez d’être le défouloir de tant de violence. Puis le chemin s’arrête, on jette ta carcasse dans un lieu que tu ne connais pas et on t’y laisse. Là. Comme un tissu inutilisable, un t-shirt déchiré.
Immobile, le souffle court, tu attends qu’on t’achève. Pour une fois, cela prend du temps.

Une voix vient à tes oreilles et tu sursautes, puis faiblement, lève la gueule. Grande statue d’argile aux cheveux émeraude, tes cils blancs battent une seconde avant de réaliser que tu dois répondre, t’exprimer. Comment mentir quand tu ne peux même pas produire une simple vérité, ta gorge t’en empêche, elle est nouée de larmes et d’angoisse.

Tu ouvres la gueule mais un simple hoquet qui semble être douloureux s’en échappe. Tu baisses alors la tête, posant tes pattes sur ton museau. Tu te caches, tu ne veux pas voir la violence s'abattre sur toi. Tu ne l’as jamais compris, la violence. Tu ne ressens pas la douleur, alors tu ne comprends pas les gestes qui en sont les créateurs.

… m.. m… isi..i-... isiek..

C’est tout ce que tu parviens à dire. C’est tout ce que tu parviens à prononcer.

Elle bégaya un nom, reconstitué après une seconde.
Anette observa sa constitution fragile, chétive même conclut-elle, et son attitude tremblante très visiblement traumatisée. Elle nota les cicatrices, très (trop) nombreuses qui couturait sa gorge et zébraient son corps maigre. Recroquevillée sur elle-même, sa position était tout bonnement prostrée. Repliée, aussi bien physiquement que mentalement. Il n'y avait pas besoin d'être un génie pour deviner la peur et l'anxiété qui la remplissaient.

Anne était consternée.
Une pâquerette des champs, bègue par la blessure ou simplement trop angoissée pour parler.
Voilà ce qu'elle avait devant-elle.

Avec un soupir lasse et fatigué, l'Alpha qui n'en avait d'un coup plus tellement l'air posa séant sur le sol, et humidifia ses babines. Plus de cheffe stricte ; pas de douceur non plus. Il y eu dans son ton juste une patience beaucoup moins colérique, épuisée.

"Si tu es entrée par erreur, hoche la tête, si tu venais voler de la nourriture, émet un son." déclara t-elle, simplement.

Tu te demandes si tu vas mourir. L'idée vient comme ça, rapidement, comme un murmur. Tu ignores tout ce ces loups, tu ne connais pas leurs croyances, coutumes, habitudes. Tu ne connais rien de tout ça, tu es juste perdu dans un monde tout proche du leur et ton monde s'est approché un peu trop. Les propositions de la grande louve ne collent pas et tu baisses légèrement la tête. Cela te fait mal au coeur, de ne pas pouvoir dialoguer simplement, qu'elle ait besoin de prendre ces mesures pour obtenir une réponse de ta personne. Tu serres légèrement la mâchoire.

- ... feuillage...

Tu déglutis, c'est comme si tu venais d'avaler de la lave, ça bloque dans ta gorge et si tu ne ressens pas la douleur c'est désagréable, c'est comme si respirer était impossible.

- ... le .. froid

Elle ne mentait pas, elle disait la simple vérité. La morsure de l'hiver l'a obligé à quitter les terres libres pour venir s'approcher des grands feuillages des Etelkrus. Quelle erreur, l'humanité n'existe pas chez ces sauvages.

- .. j'ignorai ...


Misiek tu ne veux pas courber l'échine, mais tu n'as pas la force de te battre et tu ne peux pas étouffer cette peur qui t'étrangle. Tu as l'impression que tout recommence encore, qu'on se moque de toi encore, qu'on va te blesser encore une fois. Tu en as assez de tout cela, au fond tu te demandes pourquoi ils ne vivent pas tous ensemble, pourquoi lutter pour des terres, quels sont les enjeux ? Y'en a t-il vraiment ? Peut-être qu'une des meute est infectée, qu'elle possède un virus grave et qu'il ne faut pas qu'il se propage ? Tout te semble plus logique que l'état actuel des choses.
Tu arrives même à te dire que ce sont ces dieux qui font monter la violence aux crânes de ces pauvres lupins.

Tu lèves ton regard vers la -sûrement- meneuse. Ton regard te trahis, il est tellement perdu, perdu de questions aux réponses folles, perdu d'une crainte que tu ne veux plus jamais avoir à subir, perdu.

La fatigue fit suffoquer toute notion de surprise ou de culpabilité, que les options proposées ne collent pas. Le froid l'avait donc poussée à se réfugier quelque part. Anette lui jeta un nouveau coup d'oeil, avant de lever yeux et museau vers le ciel avec un long râle épuisé. Elle se demandait pourquoi elle avait du faire face à cette louve et pas celle qui avait kidnappé l'enfant.

"Forcément, la peau sur les os veut aussi dire avoir vite froid."

Elle reposa son regard suie sur celle qui n'avait aucune graisse pour se protéger des températures fraîches. Elle baissa les oreilles et se frotta le visage pour essayer de chasser sa fatigue et déception.

"Les attaques des autres solitaires nous ont fait mettre tout le monde dans le même panier, mais on a aucune raison de te garder. Je te ramène aux frontières."

Voilà qui serait la conclusion de l'Alpha quant au sort de la jeune louve blanche. Elle se releva promptement et tapota presque doucement Misiek pour l'inciter à la suivre. Sur le chemin, elle s'empara d'un tissu un poil miteux mais dont personne n'aurait l'usage et le lança sur le dos de la solitaire. Elle marcha en s'assurant d'être suivie, et une fois au frontière, repris un ton et un visage sombre : celui d'une chef sévère, juste, mais essuyant trop de difficultés pour se permettre de laisser glisser les choses hors de son contrôle.

"Prends ça, et ne reviens jamais, tu m'entends ? Ou je ne serais pas aussi clémente, car maintenant, tu sais."

Les Etelkrus voulaient se protéger, et ne pourraient laisser passer quiconque sur leurs frontières.

De là, Anette poussa sans trop de ménagement Misiek hors de la limite imaginaire, histoire de peindre un peu mieux son tableau de sans-pitié pour faire un peu peur. Ainsi, elle s'assurerait qu'on lui obéirait. Pensait-elle, du moins. Elle avait de quoi se protéger un peu du froid désormais après-tout, donc plus de raisons de se repointer.

Et elle fit volte-face.