L'Entrevue des âmes égarées [Ft Anita & Samaël ]

Samaël

Fichu pluie.
Il était plus convenable de se montrer avec un minimum de tenue et de prestance face au chef d'un groupe, aussi barbare soit-il. Samaël ne l'était pas, il ressemblait à un vagabond qu'on venait de ramasser sous la pluie. Pire que ça, il était un vagabond qu'on venait de ramasser sous la pluie. S'il n'en avait actuellement pas l'apparence physique, s'il avait été déchu définitivement de son rang, Samaël se voulait toujours princier, au maximum de ce qui lui était permis et marchait l'allure fier, noble, la tête haute et le dos droit au milieu des intrigués, les ignorants avec facilités, suivant Te Hari, malgré tout ce qui pourrait se dire. Le mâle brun avait traversé une ville entière en supportant tout les regards d'un peuple qui voit un potentiel souverain se rendre au lieu de son exécution, avancer au milieu des Etelkrus n'était rien.

Avant d'entrer à l'abri, Samaël s'ébroua, donnant un aspect de dos de hérisson à son pelage court. Il tenta également d'essorer un maximum tissu et tignasse épaisse mais Te Hari ne l'attendrait pas. C'est les cheveux collés entre eux et emmêlés, gouttant de presque tout son corps que Samaël se présenta devant Anita -chez lui il aurait été renvoyer tant de fois pour ne pas être présentable, le mâle ocre espéra à cet instant, celui-ci seulement, que les Etelkrus aient gardé un côté suffisamment rustre pendant son absence pour l'accepter comme ça.
Il s'inclina face à la femelle en guise de salutation, il se voulait officiel.
Rampe plus bas que terre face à tes souverains, toi qui a été deux fois vaincu.
La position lui fit remonter quelques souvenirs désagréables qu'il tenta de chasser avant de se relever.

« Je vous salue Anita, Alpha des Etelkrus. »
« J'avais promis lorsque j'ai quitté ces terres, de revenir avec promesse d'échange avec mon peuple originel, en guise de remerciement à votre clan pour l'aide qu'il m'avait apporté. »
Il fit une pause, il aurait tellement aimé que son retour sur ces terres soit pour cette raison -aurait tellement aimé ne pas revenir se geler les poils ici et envoyés des émissaires.
« Malheureusement le destin ne m'aura pas permis de reprendre le trône convoité. Et je suis revenu avec espoir de vous redemander à nouveau refuge parmi vous. »

Il évita d'évoquer les détails, ne souhaitait pas dévoiler ici la hauteur de sa déchéance, encore moins sa damnatio memoriae, ignorant si elle aurait été effective jusque dans un peuple aussi reculé.

Dehors, il pleuvait.

Dans une mélodie régulière les gouttes s'abattaient le long de la montagne, ruisselaient à l'intérieur du Castel par les quelques puits de lumière et les rigoles naturelles creusées le long de la roche. L'humidité avait levé dans son sillage une épaisse nappe de brume qui  couvrait désormais la plupart du paysage de teintes grisâtres caractéristiques de l'automne qui jour après jour se faisait plus présent sur leurs terres après avoir rampé depuis les terres plus au Nord.
Le regard absorbé par ce tableau naturel, Anita relâcha un petit soupir.

Si la louve trouvait son compte et un charme certain à chaque saison, voir l'été s'éteindre lui faisait toujours un petit quelque chose. Un petit pincement au cœur, comme s'il s'agissait de dire au revoir à un bon ami qui devait s'en aller pour quelques temps tout en ayant la promesse de son retour certain.
L'absence temporaire n'en soulevait pas moins le manque.

Plus loin dans les boyaux de pierre, le son de griffes sur la roche.

La louve quitta son poste près de la lucarne pour se placer devant l'un des trône et faire face aux arrivants qui ne tardèrent pas à se découper dans la lumière tamisée.
D'abord Te Hari, qu'elle accueillit d'un sourire sincère... Puis une silhouette de couleur fauve, qui fit retomber ses commissures au profit d'une expression de surprise. Oreilles droites et yeux un peu écarquillés, elle observa sans mot dire les deux loups s'avancer et le mâle s'incliner avant de déclamer la raison de sa présence ici.

Anita resta interdite quelques secondes supplémentaires, avant de se reprendre d'un mouvement d'oreille qui cassa son immobilité.
Avant toute chose... L'hybride tourna la tête vers la silhouette ailée qui s'était éloignée avant qu'elle n'ait pu tout à fait disparaître dans les ombres.

—  Hari. Pourra-t-on se parler, après ?

La voix était douce plus que solennelle et elle conclut sa phrase d'un nouveau sourire.
Elle reporta son attention sur Samaël, ensuite. Toujours étonnée de le revoir. L'Alpha ne se pria pas pour le détailler, portant ses yeux d'améthyste le long de son corps, notant les nouvelles cicatrices et l'œil aveugle.
De toute évidence, les choses ne s'étaient pas bien passées pour lui.

Les pensées se bousculèrent dans sa tête.
Quand il avait été accepté la première fois, c'était sous le joug de sa tante et de sa mère. Il était parti très peu de temps après le changement et leur nomination à Holly et elle -  et même si cette période lui paraissait maintenant aussi trouble et intangible que le brouillard qui avait capturé le paysage en dehors du Castel, elle se souvenait qu'il disait vrai et qu'il avait bel et bien fait des adieux corrects au lieu de disparaître sans un mot comme d'autres avaient pu le faire.

Mais ne venait-il que pour quelques mois encore une fois, avant de retrouver à nouveau l'envie de repartir vers ce qu'il connaissait ?
Quelque chose de changé dans son visage - si l'on excluait l'évident balafre -  lui soufflait que c'était peu probable.

Anita étira ses muscles de sorte à gagner quelques centimètres, redressa le cou et l'angle du museau ; se tint plus droite, un peu plus altière, les mots et l'image de sa mère s'imprimant brièvement dans son esprit. Loin d'elle avait toujours été l'envie ou le besoin d'exercer un quelconque ascendant sur ses pairs, mais elle avait cru comprendre que là d'où venait Samaël le monde était différemment codifié  -  en témoignait en rappel sa complète révérence quand aucun Etelkru ne pliait le genou face à elle ou Holly.

Alors s'il cherchait un souverain, souveraine il aurait.
S'il voulait écho des allures de façade que trahissaient ses manières princières, il en verrait quelques reflets.

De toute manière elle n'était plus tout à fait la même louve qu'il avait brièvement côtoyé un lointain après midi, quand elle n'était pas encore Alpha.
Ainsi il ne pourrait s'y méprendre.

—   Si c'est un simple refuge que tu es venu chercher, tu ne t'inclines pas devant la bonne meute.

Son visage était lisse mais elle ne pouvait toutefois pas complètement éteindre la lueur de malice qui dansait dans ses prunelles.

—   En revanche, si plus qu'un abri tu viens honorer les promesses que tu fis sans doute à Feu Alpha Pepper... Nous pourrions nous entendre.

La louve inclina légèrement la tête et laissa cette fois un fin sourire asymétrique casser la neutralité de son museau.
Ce mâle n'était pas un jeune adolescent perdu qui avait besoin d'une maman.
Il était un loup qui par deux fois était venu de loin et dont les qualités avaient su convaincre sa tante et ses sévères exigences.

Qu'il les montre.

Samaël

Samaël ne manqua pas de noter qu'Anita se fit plus solennelle, redressant dos et cou pour devenir bien droite, son apparence fine et musclée ajoutait à son attitude un air prestigieux qui aurait même pu marqué quelques esprits de chez lui -même si son teint sombre aurait pu attiré quelques méfiances.
Quelque part, l'effort que la louve mit sur sa tenue rassura le mâle sur quelque doute. Anita était capable d'avoir l'allure d'une souveraine quand bien même elle régnait sur un peuple s'organisant encore en tribu dans un balbutiement de civilisation. La pression remonta lorsqu'elle reprit de le terme de refuge de Samaël.
Ah !
Mauvais choix de mots, il faisait encore beaucoup trop d'erreur pour un loup qui avait voulu devenir souverain d'une cité nation entière. La traîtrise qu'il avait subi n'était pas si étonnante et peut-être que les choses se seraient passé autrement si ça avait été un de ses frères. Mais ils n'étaient plus là depuis des années maintenant et puisqu'il avait été banni définitivement, il se devait maintenant de garder la tête haute et froide pour prétendre à une place quelque part dans ce monde.
Il s'inclina de nouveau.

« Je promet, sur l'honneur transmit par mon sang, d'honorer ce qui avait été convenu avec l'alpha précédente, de mettre à profit les talents acquits au fil des années vécues afin d'élever la fierté et la gloire des couleurs Etelkru. »

Quand bien même il n'avait que sa personne à offrir. Chef de guerre sans armée qui se soumettait à celui d'un autre clan.

Quelque chose passa dans le regard du loup revenu de loin - comme la réalisation d'une erreur, et de nouveau il s'inclina. Les mots furent repris et reformulés avec davantage de cette prestance que Samaël portait en étendard.
De là où il était il ne put voir le sourire qui s'imprima brièvement sur ses lèvres, avant d'être chassé d'un clignement des yeux. Anita laissa passer quelques secondes avant de hocher la tête.

— Bien. Dans ce cas, je suppose que tu pourras trouver cette nuit un endroit sec où dormir à défaut d'un trône.

Elle brisa un peu la neutralité de son visage pour sur ses babines la simple courbe d'un rictus à mi-chemin entre le taquin et l'intrigue. L'Alpha était curieuse de le revoir faire son apparition, curieuse de pouvoir observer sa progression en leur sein depuis un point de vue désormais bien différent de celui qu'elle avait lors de sa première venue. Curieuse aussi de voir quelle serait la résilience de ce mâle sable face à une meute qui ne serait sans doute pas tendre avec lui - certains ne l'étaient déjà pas face à de nouveaux arrivants, qu'en serait-il pour un revenant ?
Les Etelkrus avaient un certain passif avec les indécis, car il serait à n'en pas douter vu ainsi par plusieurs des leurs.
Anita, elle, choisissait de voir un loup qui avait voulu avant tout faire honneur à ses valeurs et avait eu face à l'échec l'humilité de faire marche arrière au lieu de se laisser bêtement abattre par fierté.
Sans doute en souffrait-il énormément.

— Tu reprendras dès demain le premier rôle qui te fut assigné, celui de Bouclier. Tu seras la plupart du temps accompagné d'un autre Etelkru dans le cadre de la protection de la meute, ce sera l'occasion de te réadapter à nos mœurs.

La louve s'humecta les lèvres d'une langue rapide.

— Il me faut te prévenir que le retour d'un loup qui nous a quitté ne sera pas vu d'un bon œil par nombre d'entre nous. Mais si tu honores tes paroles et leur prouve ta valeur, ce ne sera qu'un mauvais moment à passer. En revanche...

D'un léger mouvement vers l'arrière, l'Alpha étira sa nuque et en fit travailler les muscles, comme cherchant ses mots alors qu'ils dansaient déjà au bout de sa langue, prêts à sortie. Dans un geste à l'imperceptible décomposition, ses ailes s'étaient davantage déployées dans son dos pour grandir sa silhouette et masquer un peu de la lumière tamisée qui tombait sur eux.

— Si tu choisissais de partir à nouveau, je te conseillerais fortement de ne plus t'approcher de nos terres au risque d'y être fort mal reçu.

Ce n'était pas une menace - seulement une vérité qu'elle ne pouvait lui cacher. Samaël s'en doutait certainement, mais il ne faisait pas de mal de le confirmer : si de là où il venait il avait du affronter violence et difficultés à une certaine échelle, qu'il ne se méprenne pas à penser que les loups d'ici en étaient incapables.
Bien évidemment elle ne lui souhaitait pas et espérait plutôt que le mâle trouverait une place dans ce morceau du monde.

Mais Anita se mettait dans une position peut être contraire à l'avis d'autres en faisant le choix de lui accorder assez de confiance pour lui redonner une chance parmi les Etelkrus - elle préférait ne pas le regretter.
Il n'était pas impossible que si cela doive arriver, elle fasse elle-même partie de ceux qui transmettraient le message.
Ceci étant dit, le visage d'Anita se fit plus bienveillant dans une expression qui lui était autrement familière.
Comme un fil de maintien que l'on aurait coupé sa posture se relâcha à son tour, ailes repliées à ses côtés, corps moins tendu.

Samaël n'était à ses yeux plus un étranger en intrusion sur leurs terres, mais un membre de sa meute.

— Des questions ?

Son ton en devenait mélodieux.

Samaël

Samaël se redressa et bien que les premières paroles, plus légères, furent en soit un certain soulagement -au moins dans l’idée de ne pas dormir sous la pluie- ce fut surtout sur la suite que le mâle brun se concentra. Il hocha la tête au fur et à mesure, acquiesçant et acceptant chaque point les uns derrière les autres.
Il reprendrait donc ce rôle autrefois donné par Pepper, celui de bouclier, simple soldat en charge de la protection du clan. Samaël s’y adapterait sans doute mieux que la première fois, il n’avait plus que connu sur l’armée depuis sa première fuite.   Il devra se montrer méfiant avec les autres également, ils ne seront pas tendres, c’était chose à prévoir, Samaël ne fut pas vraiment étonné de l’avertissement.

Celui sur un potentiel changement d’avis ne tomba pas non plus dans l’oreille d’un sourd, il pouvait comprendre ces sentiments.

« Tout ceci me paraît légitime. »

Il pouvait comprendre choix et réactions vis à vis d’un retour comme il pouvait comprendre l’importance de la loyauté pour le bon fonctionnement d’un clan, d’autant plus que la vie de Samaël avait grandement souffert à plusieurs reprises des trahisons justement.
Il fit un signe négatif pour terminer, restant dans sa même attitude droite malgré le timbre plus mélodieux et amicale que prenait la voix d’Anita.

« Aucune, merci de votre confiance accordée. »

Le loup sable ne broncha sur aucun point.
Le contraire l'aurait un peu étonnée, mais elle prit le temps de l'apprécier néanmoins. Cela facilitait les choses et permettait de conclure cette brève entrevue, puisqu'il n'eut aucune question supplémentaire à lui poser. Il allait donc pouvoir s'en retourner et reprendre peu à peu ses marques en tant qu'Etelkru et se remettre de son long voyage.
Quelques derniers mots et une salutation pour marquer pour de bon la fin de cet échange et le congédier, et Anita le regarda partir quelques secondes durant, pensive.
Avant de tourner la tête en direction des recoins de la salle une fois que Samaël n'était plus en vue.

Là se tenait toujours Te Hari, en retrait, et Anita n'avait pas oublié ce dont elle voulait parler avec elle. L'Alpha se releva et prit le temps d'étirer ses longs membres avant de venir vers elle d'un pas léger. Toutes les manières qu'elle avait appliquées pour adopter face à Samaël une posture en adéquation avec son statut furent abandonnées dans l'immédiat quand il s'agissait de parler avec ceux qu'elle connaissait et appréciait.

—   Tu vas bien ? J'ai remarqué que tu n'étais plus très présente.

Même plutôt fuyante. Hari avait un peu perdu de ces expressions rayonnantes qu'elle lui avait longtemps connues et qui avaient fait d'elle une des enfants joyeuses du clan, jadis. Bien-sûr, elle avait eu une histoire compliquée - notamment en ce qui concernait ses origines, et cela n'avait pu qu'amener son lot de déconvenues.
Mais cela remontait maintenant à un certain temps qui ne coïncidait pas avec l'éloignement récent qu'elle avait remarqué de la part de la louve ailée.
Il n'y avait aucun reproche dans les paroles de l'Alpha.
Juste un regard soucieux posé dans le sien.

— T'as le droit, bien-sûr. Mais... Je veux juste m'assurer que si tu as besoin d'aide ou si quelque chose te dérange, on peut en parler.

Anita pencha légèrement la tête sur le côté et lui offrit un sourire.