A la lisière du dôme [Rhaegar & Mildred]

« A la lisière du dôme »
Rhaegar & Mildred

Les journées étaient plus courtes, la nuit tombait de plus en plus vite sur le territoire Lazuli. Rhaegar avait la chance de ne pas sentir le froid s'accentuer grâce à son épais pelage et son sang chaud. Il était constamment en mouvement, que ce soir dans l'aide des temples, dans la chasse pour la meute. Il se rendait utile désormais, il était le docile petit élève que Gloriel avait formé. Petit.. petit.. c'était un bien piètre mot pour le décrire. Il avait beaucoup changé depuis sa jeunesse, il devenait enfin l'adulte que son mentor voulait.
La pluie avait cessée depuis quelques jours, le ciel jouait avec eux, parfois bleu, parfois gris. Les arbres aux couleurs orangées étaient beaux à regarder lorsque le soleil les illuminait. Le loup sombre n'y avait pas prêté attention avec ces mauvais jours, mais c'était quelque chose de chaleureux à regarder. Il se rendait compte qu'en fin de compte, tout était éphémère dans la vie..

Longeant le dôme, Rhaegar passait souvent ses soirées à fixer ce qu'il y avait derrière. Mais jamais personne ne s'était montré, comme si les terres Lazulis avaient disparu de ce monde, comme si plus personne ne pouvait les remarquer. Il avait envie de sortir lui aussi, pour des raisons bien plus importantes que les autres. Il avait une chose à faire, un tracas personnel à régler. Quelque chose qui le tourmentait et qui parfois l'empêchait de dormir. Il était comme le lion en cage, comme le fauve attendant de sauter sur sa proie. Pourtant, plus le temps passait, plus cette rage se dissipait et couvrait son cœur d'un mur froid et incassable.

Un bruit l'interpella et il s'arrêta, les oreilles dressées sur sa tête. Il tourna son corps et scruta les herbes hautes de ses yeux plissés. Il reconnaissait parfaitement l'odeur de l'une de ses sœurs.. mais laquelle ?

Montre toi donc, crevette ! Lança-t-il de sa voix rauque.

Si Anianka savait que l'une des petites s'étaient autant éloignée.. Elle ferait un carnage.  

Une brindille éclata sous la pression de ses pattes.

Lâchant un juron-en tant qu’adolescente, elle en apprenait de jour en jour- Mildred se redressa, envoyant valser l'odieux bout de bois avec humeur.
Depuis quelques jours, la jeune louve s'entraînait à la discrétion. Pour être capable de surgir de l'ombre sans qu'aucun indice n'ait pu trahir sa présence, et également pour tuer le temps qui devenait long sous le dôme. Sa récente discussion nocturne avec Elely avait eu le mérite de lui donner de nouvelles activités, car elle avait réalisé alors qu'il n' y avait pas de temps à perdre pour commencer à sérieusement s'entraîner si elle comptait rattraper l'écart qui la séparait de certains éléments de sa fratrie.
Quoi de mieux que les bois épais de leur territoire qui s'étendaient depuis la berge de leur Île Maison ?

Pourtant, l'exercice se révélait bien plus frustrant que prévu. Le sol donnait l'illusion d'être un tapis mou et accueillant, surtout depuis que les feuilles avaient commencé à dépérir pour aller ensuite fondre sur l'humus, mais malgré tout cette épaisseur recelait d'innombrables petites branches prêtes à céder sous son poids.
Un genre de démineur à grande échelle.

Alors la jeune Mildred passait plusieurs heures par jour à louvoyer entre les troncs en faisant de son mieux pour en écraser le moins possible, un œil toujours rivé sur la silhouette de l'île de beauté au cas où elle repérerait la silhouette de l'un de ses frères et sœurs pour aller se défouler ailleurs.
Le temps devenait long sous la contrainte de rester à l'intérieur de la barrière qui rendait peu à peu leur terre stérile sous le manque d'apports d'éléments naturels, et Mildred brûlait de pouvoir transpercer cette barrière. Mais puisque cela ne paraissait pas réellement possible, elle se contentait de se préparer à son éventuelle sortie. Un jour.

Le son d'un pas lourd circula doucement jusqu'à ses oreilles, et Mildred s'aplatit immédiatement au sol pour observer.
Se détachant contre la lumière qui filtrait sous les arbres, une imposante silhouette marchait d'une foulée régulière et déterminée. Un sourire malicieux étira les babines de la jeune louve.
Rhaegar.
Elle avait déjà remarqué que son demi-frère semblait passer une partie de son temps près du dôme, mais cela confirmait ses soupçons. L'ombre du jeune mais robuste adulte qu'était son frère brossait presque la barrière miroitante tant il marchait proche de la frontière, pareil à un prédateur en cage inspectant chaque barreau dans l'espoir d'y débusquer un vice.
Il était l'occasion parfaite de pratiquer ses exercices.

Rhaegar avançait vite, mais Mildred bondit furtivement à sa suite, dansant d'un air finalement peu fluide bien qu'elle eût l'impression d'être une véritable experte sur le moment.
Il avait l'air profondément enfoncé dans les pensées qui le menaient à effectuer ce trajet routinier, quelles qu'elles soient, et c'était probablement la raison qui lui permit de progresser si loin malgré les maladresses nombreuses qu'elle commettait et qui auraient déjà trahi sa présence à une oreille sur le qui-vive.

Mildred haletait pratiquement sous l'effort et la concentration nécessaire à mener à bien le petit jeu qu'elle effectuait en général seule, et pour la première fois en situation réelle. Mais son frère avançait vite, et cela rendait la tâche bien plus compliquée.
Malgré tout, elle s'acharnait et remarqua qu'ils avaient déjà atteint la Vasque de la Lune à force d'avancer à bon rythme.
Les bois s'étaient désépaissis, ne laissant plus que quelques arbres parsemés dans la clairière, et le sol humide de la forêt laissa place à une étendue de hautes herbes. Elle perdait le couvert de la canopée, mais elle délaissait également les branches au sol susceptibles de la trahir à tout instant.

Fatigue et déconcentration eurent finalement raison de son relatif succès.
Sans remarquer que la vaste clairière était propice à un plus grande silence et que l'herbe n'excluait finalement pas la présence de brindilles en tout genre, elle s’élança d'un grand bond fluide vers l'avant pour se rapprocher toujours plus de son frère, excitée par la distance qu'elle avait déjà réussi à parcourir sans être révélée. Oubliant presque le bruissement qu'elle créait en scindant la muraille des hautes herbes.
Elle ne remarqua que trop tard que Rhaegar avait marqué une pause, attentif. Déséquilibrée, elle se réceptionna avec une maladresse notoire et emmêla presque ses pattes.
La sensation familière d'un morceau de bois se logeant entre ses doigts se fit ressentir, et un instant plus tard il céda avec un claquement sec.

Il y eut un instant de flottement durant lequel Mildred resta parfaitement immobile, pétrifiée et se mordant les lèvres.
Puis la grosse voix de Rhaegar s'éleva et tonna, lui ordonnant de se montrer.

Inutile de résister.
Queue basse et traînant des pattes, Mildred émergea du couvert des herbes avec une moue dépitée. Son entraînement n'était pas encore au point.
Boudeuse et vexée d'avoir été découverte, elle répondit à son frère d'un ton plaintif.

— J'suis pas une crevette...

Elle en avait vu plein, des crevettes. Elles se déplaçaient en grappe près des rochers peu profonds de leur île, se coinçant dans les trous d'eau créés par la marée qui se retirait -c'est d'ailleurs à ce moment que Maxim et elle s'amusaient à tenter de les attraper, dans leur enfance.
Bref, rien à voir avec elle.

Elle s'assit face à son frère, bien droite, et à travers des paupières plissées ses prunelles se mirent à pétiller. Même si sa filature avait avorté, elle avait eu le temps de bien voir son petit manège. Elle tenait le début d'un fil et voulait en dérouler la pelote.
Elle sourit d'un air triomphal en le défiant du regard, la pointe de ses canines dépassant de ses babines étirée, bombant son poitrail avec impatience, ayant suffisamment d'informations en sa possession pour détourner la conversation de son échec.

— Tu traînes toujours près de la barrière. Qu'est-ce que tu mijotes ?

Pour avoir finalement peu discuté avec son frère plus âgé outre les jeux qu'ils partageaient dans leur enfance, Mildred n'avait pas la moindre idée de sa propension à la mettre dans la confidence, ni de ses propres capacités de persuasion pour réussir à extraire le secret qui semblait bien le tracasser pour le motiver à faire tout ce chemin si souvent.
De Rhaegar elle connaissait peu de choses, outre sa présence familière et protectrice.

Mais désormais, elle était assez âgée pour comprendre les discussions d'adultes, même si elle pouvait voir dans ses yeux perçants qu'il les voyait encore comme des petits insectes.

Rhaegar

Ses yeux fins rivés vers les hautes herbes, il découvrit le minois de la petite qui le suivait depuis plusieurs lieux sans être plus étonné que ça. Le visage tendu et le regard sévère, il la suivit entrain de s'approcher avec sa moue de gamine complexée. Droit comme un pic, il semblait très en colère à première vue. Et pourtant.. Un sourire vint détendre ses traits. Puis il souffla par les naseaux, exaspéré par ce comportement fougueux.

Pourquoi m'espionnes-tu comme ça ?

Il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer à son âge, il avait été un louveteau très turbulent lui aussi. Anianka en avait pas mal bavé pour le redresser ce saleté de môme, avec toutes ces filles ça ne devait pas être facile non plus.

Ses muscles se relâchèrent calmement alors qu'il baissa sa tête pour fixer la petite dans les yeux avec douceur.

Je monte la garde, microbe. Répondit-il simplement en lui ébouriffant la tignasse avec l'une de ses grosses pattes.

Elle avait tout de même bien grandi pour une crevette.. Bientôt, elle serait en âge de porter des louveteaux elle aussi. En âge de séduire et de briser les cœurs les plus endurcis. Son corps se sculptait et ressemblait de plus en plus à celui de leur mère. Un corps taillé pour charmer, pour détourner toute votre attention et vous manipuler. Mais aux yeux de Rhaegar, ses sœurs resteraient toujours des crevettes innocentes, des enfants qu'il doit protéger contre les dangers de la vie.

Elle eut d’abord un peu peur que Rhaegar soit réellement en colère, à la regarder comme ça avec ses traits durs et ses yeux étincelant rendus encore plus intimidants par cette prunelle barrée de vert. Ses oreilles s’abaissèrent légèrement, mais remontèrent aussitôt qu’une lueur malicieuse s’alluma chez lui, accompagnée par la naissance d’un sourire fraternel.

— Pourquoi m’espionnes-tu comme ça ?

Elle détourna légèrement la tête, feignant de se perdre dans la contemplation d’autres éléments du décor tandis qu’elle haussait brièvement les épaules, balayant la question avec cette mine si typique aux adolescents qui souhaitaient garder leurs précieux secrets et qu’il fallait soudoyer pour les faire ployer.
Mais son regard vif aux yeux vairons revint vite se planter sur Rhaegar, n’oubliant aucunement sa cible première et la question qu’elle avait posé sur laquelle elle attendait une réelle réponse. Elle en profita pour laisser son regard se balader le long des formes de son frère, observant pensivement sa musculature développée, les traits carrés de son visage dont on devinait une ossature lourde. Mildred n’avait pas la moindre idée de qui était le père de leur demi-frère, mais il avait dû être d’une carrure imposante.
Sa voix grave la sortit de ses rêveries.

— Je monte la garde, microbe.

Et une lourde patte griffue s’abattit sur son crâne, ruinant le semblant d’ordre qu’elle avait réussi à mettre dans son chignon.
Mildred se tortilla pour échapper à cette agression avec un feulement de protestation, claquant ses petites mâchoires en l’air pour repousser l’adversaire. Sa queue se mit à fouailler l’air derrière elle, remuant les hautes herbes. Elle fut prise de la brusque envie joueuse de lui sauter dessus pour lui montrer qu’elle avait aussi commencé à gagner en force et qu’elle ne se laissait plus faire, enflammée par l’odieuse appellation de microbe dont il avait osé l’affubler, mais elle sut se contenir.
Elle ne voulait pas rentrer dans son jeu tant qu’elle n’avait pas obtenu gain de cause, il était hors de question qu’elle perde son objectif de vue.

C’est un sourire railleur qui prit place sur ses lèvres. Mildred n’était pas dupe.

— Monter la garde ? Hah ! Personne ne peut traverser la barrière !

Rhaegar se pensait peut-être plus malin, mais Mildred n’était plus une enfant crédule prête à gober tout ce que disaient les plus grands. Elle savait bien qu’on ne pouvait pas passer le dôme, elle avait même vérifié elle-même. Bien sûr, elle rêvait de pouvoir sortir pour aller braver les dangers et les secrets d’un monde dont on lui parlait et qu’elle ne connaissait pas, mais force était de constater que pour le moment personne n’avait trouvé de solution.
Elely lui avait dit que Rhaegar était déjà sorti, lui, plus jeune. Car il n’était pas né sous la barrière verdâtre. Il devait avoir mille et unes raisons de vouloir retourner là-bas, au dehors. Mais Mildred voulait savoir laquelle précisément.

— Bien essayé, mais je sais que tu caches autre chose.

A vrai dire, elle n’en savait rien, mais la persuasion fonctionnait aussi en avançant des données qu’on faisait semblant d’avoir.
Elle releva fièrement le menton, tentant de le toiser de toute sa hauteur d’un air entendu. Malheureusement, même la pointe touffue de ses oreilles ne parvenait pas à dépasser la truffe de son massif frère.

Rhaegar

Un rire léger résonna d'entre ses mâchoires entre-ouvertes alors qu'elle se débattait pour échapper à l'emprise de son énorme patte. Elle changeait plus vite qu'il ne l’espérait, ça devenait moins amusant de la faire chier.

Ses sourcils se haussèrent d'un air faussement surpris sur son visage souriant. Elle ressemblait à mère avec cet air je-sais-tout confiant, mais il savait très bien qu'elle essayait de lui faire cracher le morceau.

Qu'en sais-tu ? Je suis là pour m'assurer que ça n'arrive pas, justement.

Il baissa son corps à la manière d'un félin, les coudes en arrières. Accroupi dans cette position, il arrivait enfin à la taille de l'enfant. Ses muscles se bombaient et ressortaient davantage que lorsqu'il était debout.

Tu es bien curieuse, dis moi.

Il la dévisagea un moment, les yeux pétillants de malice.

Tu n'as encore jamais vu ce qu'il y a derrière, hein ?

Il tourna son regard vers le dôme et les étendues de terres qui se voilaient derrière. Un jour cette barrière tomberait, il le savait.

Mère a sûrement dû te parler des autres meutes déjà. Les Nakhus, les Etelkrus, les Readers..

Son regard revint vers celui de la jeune louve.

Et les sans meutes, les solitaires. Tous autant qu'ils sont, le jour où tu fouleras ces terres inconnues, tu devras t'en méfier.

Son sourire disparut derrière un masque plus sérieux.

J'étais émerveillé comme toi avant, avide d'aventure, puis j'ai rencontré un Reader et j'ai appris. J'ai appris que tu ne pouvais pas faire confiance aux autres. Tu ne dois surtout pas leur dévoiler quoi que ce soit sur toi ou sur la meute, parce qu'ils s'en serviront contre toi. Contre nous tous..  

— Qu'en sais-tu ? Je suis là pour m'assurer que ça n'arrive pas, justement.

Ses yeux pétillèrent légèrement au son de la voix de Rhaegar, porteuse d’espoir d’une certaine manière. Elle avait beau ne plus être une enfant, elle restait à l’écoute des aînés de sa famille, et dans son coeur et son esprit encore jeunes ils étaient bien souvent synonymes de vérité. Après tout, puisqu’ils étaient plus âgés, ils avaient vu bien plus de choses qu’elle et ils n’avaient aucune raison de lui mentir.
Si Rhaegar sous-entendait qu’il était peut-être possible de sortir, finalement... Sa queue s’agita lentement, s’enroulant et se déroulant autour de ses pattes à la manière d’un serpent impatient qui tentait néanmoins de se faire discret pour ne pas effrayer sa proie. Il cherchait peut-être une faille dans cette barrière réputée infranchissable. En tout cas, elle n’avait jamais entendu parler de quelqu’un ayant pu la traverser depuis son existence, qui remontait à peu de temps avant leur naissance -et cela équivalait à plus d’une demie-année.

Son frère se pencha alors vers elle, un air malicieux fiché sur le visage, s’accroupissant comme une panthère rouge énorme et poilue. Mildred eut un petit gloussement, toujours autant amusée par les mimiques de Rhaegar qu’elle ne l’était dans son enfance.

— Tu es bien curieuse, dis moi. Tu n'as encore jamais vu ce qu'il y a derrière, hein ?

Elle souffla entre ses crocs, remuant légèrement la tête pour confirmer. Son masque de jeune inquisitrice tomba pour quelques instants, laissant le jeune louveteau toujours présent en elle refaire surface à la mention de toutes ces choses qu’elles n’avaient pas encore pu découvrir. C’était comme un livre d’aventures -mais un gigantesque livre, et dont les histoires étaient elles bien réelles. Les yeux de son aîné avaient filé par-delà l’horizon, se perdant bien plus loin que la frontière du dôme, et Mildred se surprit à laisser courir son regard et ses pensées dans la même trajectoire, se demandant avec émerveillement et curiosité tout ce que Rhaegar avait bien pu voir lors de ses sorties et à quoi ressemblaient les autres terres.
Il commença à lui parler plus longuement et elle resta silencieuse, buvant les paroles énoncées par la voix grave et apaisante qui vibrait jusqu’à elle dans la quiétude du soir tombant. Ses oreilles dressées laissaient rentrer toutes les informations, compilant celles qu’elles connaissaient pas ; celles qu’elle découvrait tout juste, hochant parfois la tête quand son frère posait une question.

Puis son sourire s’effaça, et Mildred se concentra encore davantage sur les traits durs et imposants du visage carré de Rhaegar. Il mentionna les solitaires, et la méfiance extrême qu’il fallait leur accorder.
Il mentionna un Raeder, ces pirates dont elle savait qu’ils avaient envahi sauvagement le Continent pour voler les trésors de leurs Îles. Sa mâchoire tomba légèrement avec une brève inspiration, comme arrivée au climax d’une histoire de ce grand livre. Il en avait vraiment vécu, des choses...
La voix de son frère finit par s’éteindre, mais Mildred n’avait pas eu la fin de l’histoire. Enfin, pas directement. Mildred n’aimait pas les fins abstraites. Elle préférait connaître tous les détails. Elle se pencha en avant, le coeur battant la chamade, se rapprochant un peu plus de son frère.

— C’est contre le Raeder que tu gardes les frontières, alors ? Tu as peur qu’il revienne ?

Son ton était empreint d’une anticipation fascinée, la jeune louve s’accrochait presque aux lèvres de son frère lui contant les aventures d’un autre monde, d’autres loups dont elle avait seulement entendu parler en tant que légendes lointaines destinées à effrayer les plus petits.
Mais elle était vive d’esprit, aussi ; et jamais elle n’oubliait ce pour quoi elle était là et les réponses qu’elle voulait obtenir. Elle savait que le mot peur avait la capacité d’effaroucher un grand loup fringant comme lui. Avec ses muscles et sa carrure inhabituelle, il lui paraîtrait probablement exclu de prétendre avoir peur de quelqu’un d’autre, surtout devant sa soeur.
Ses yeux bicolores se mirent à luire d’une lueur impatiente, sa truffe tout près de celle de Rhaegar tandis qu’elle attendait la suite le souffle court.

Rhaegar

Son énorme gueule positionnée à même pas une patte de sa petite sœur, il pourrait croquer toute sa tête en un claquement de mâchoires si il le désirait. Elle était si captivée par la voix rauque et narrative de Rhaegar qu'elle s'accrochait presque à ses babines. Il haussa un sourcil, frustré par la remarque de celle-ci.

Peur ? Crois-tu vraiment que quelqu'un puisse me faire peur, à moi ?

Son visage tout entier se rida dans une grimace agressive, ses babines se relevèrent doucement sur son imposante dentition et un grondement résonna du plus profond de sa poitrine. Il colla son gigantesque front contre sa sœur, la fixant de son œil maudit.

C'est lui qui devrait avoir peur. Menaça-t-il entre ses crocs.

Puis il éloigna sa tête et se mit à rire brièvement, l'air plus détendu. Il marqua un temps de silence et dévia son regard vers le dôme une nouvelle fois pour reprendre son sérieux.

J'attends avec impatience de le revoir au contraire, pour lui faire payer sa traîtrise.

Et il viendra. Un jour, le lion blanc pointera son museau ici et l'ours noir sera prêt.

Mildred avait vu juste.
Ses yeux pétillèrent de malice et d’amusement lorsque son grand frère sembla se hérisser comme un gros ours, vexé par ses mots. Bien évidemment, que rien ne faisait peur à Rhaegar. Son père Gloriel qui était son mentor et Alpha, peut-être ? Ou bien les Dieux, qui avaient démontré leur toute puissance et l’avaient marqué ?
Mais certainement pas un autre loup banal, et encore moins un Raeder, ces pirates qui avaient lâchement volé les joyaux de leur île. Elle imaginait bien Rhaegar les repousser jusqu’à la mer, claquant férocement des mâchoires comme il le fit devant elle pour l’impressionner.

Puis sa tête massive se colla à la sienne, et elle put entendre vibrer les grondements qui résonnaient dans sa cage thoracique.
Il affirma que c’était à l’ennemi d’avoir peur de lui, et qu’il serait impitoyable dans sa vengeance. Et elle le croyait.

Sa queue se mit à s’agiter sous l’excitation que lui procurait la conversation, et elle retroussa les babines pour montrer ses crocs qui grandissaient. Ils étaient encore fins, mais gardaient leur bout pointu de l’enfance. Les bribes d’aventure soufflées par Rhaegar faisaient battre son coeur avide de prouver sa valeur, et son esprit qui carburait pouvait presque imaginer l’odeur des embruns et la silhouette de ce pirate ennemi, un sourire vicieux déformant son visage abîmé par leur vie rude et belliqueuse.
Elle se recula d’un bond quand elle l’entendit rire brièvement, pour le regarder d’un peu plus loin, arrière-train relevé et coudes touchant presque le sol.

— Moi aussi, un jour, j’irai vaincre un Raeder !

Et peut-être même pourrait-elle rapporter le Coeur de l’Île à Anianka. Elle imaginait déjà les paillettes d’or qui empliraient alors son regard ambré, et sans doute accèderait-elle ainsi au rang de fille parfaite. Une fille qui aurait bravé l’inconnu et ses ennemis pour rapporter une pierre des plus précieuses. Elle se prit à imaginer l’aspect du joyau, rêvassant de ses reflets irisés sur une pierre d’un carmin probablement profond. Une couleur qui devait correspondre à Moiro également, car la déesse avait probablement quelque chose à voir avec la présence d’une telle relique au coeur de son île.
Mildred s’allongea souplement, sa queue remuant doucement dans l’herbe tandis qu’elle étudiait Rhaegar d’un oeil attentif, la tête penchée.

— Tu penses que mère serait heureuse que je rapporte le Coeur de l’Île ?

Elle scruta attentivement les yeux de Rhaegar, qui semblaient si petits par rapport à sa tête si large. Il lui arrivait, parfois, de ressentir une pointe de jalousie envers lui lorsqu’il semblait passer plus de temps auprès d’Anianka que le reste de la fratrie, mais elle avait fini par comprendre que sa présence se résumait davantage à une ombre souvent silencieuse, qui gardait aussi bien l’île que leur famille.
Rhaegar demeurait en quelque sorte leur garde du corps, et elle savait bien qu’il ne serait pas d’accord pour qu’elle mette ses ambitions à exécution.

Mais il ne pourrait pas toujours avoir les yeux sur toutes ses soeurs en même temps.

Rhaegar

Amusée comme une enfant, Mildred s'était mise en position de jeu face au grand ours noir, comme si elle allait lui bondir dessus d'une seconde à l'autre et lui mordre les oreilles. Une si innocente jeune femelle.. Il voyait en elle la pureté encore jamais atteinte par les horreurs de la vie. Il paraissait si détendu et heureux avec son sourire figé et ses yeux brillants d'amour, difficile d'effrayer sa petite sœur avec un tel comportement doucereux.

Je n'en doute pas une seconde. Dit-il tout en écartant un peu plus son sourire sur ses épaisses babines.

Elle avait encore du chemin à parcourir, il espérait cependant qu'elle n'aie jamais à tuer quelqu'un de ses propres pattes. Même si ils étaient des prédateurs nés, rien ne les obligeaient à se comporter comme des monstres. Elle était si belle, ce serait dommage de couvrir de sang ces crocs si mignons.

Ses oreilles se dressèrent sur sa tête et son sourire s'effaça lorsqu'elle lui posa une question à propos du cœur de l'Île. Cette chose étrange et mystérieuse qui leur avait été dérobé par ces vauriens de pirates et qui avait déclenché le premier tourment. Tout s'est enchaîné très vite après l'attaque, la discorde, la destruction des temples, l'isolation de la meute, la famine..  ils avaient complètement mis de côté cette histoire de joyaux sorti de nul part.

Probablement oui. Mais elle serait terriblement inquiète si elle savait que tu voulais le faire.

Ses arcades se froncèrent au dessus de ses yeux fins.

Tu n'iras pas mettre les pattes là bas hein, promets le moi.

Elle ne fut pas surprise de voir son frère froncer ses épais sourcils. Elle observa discrètement, du coin d’un oeil qui feignait s’être perdu dans la contemplation de la forêt, la façon dont son regard brilla d’inquiétude et de préoccupation.
Sa longue queue soyeuse s’agita lentement, se tortillant sur elle-même. D’une voix redevenue sérieuse, il la défendit fermement de se rendre chez les pirates. Elle se retourna nonchalamment, roulant sur le dos dans l’herbe épaisse, laissant une fois de plus ses yeux vairons se balader vers le ciel et l’horizon - partout, sauf sur Rhaegar.
Elle pouvait sentir le besoin farouche de les protéger qui émanait de lui, et sentit que sa remarque l’avait piqué à vif. Rhaegar avait toujours eu pour rôle d’être l’immense muraille qui les séparait du monde extérieur, bien plus important que le dôme l’avait été à leurs yeux de louveteau. Car les ennemis pouvaient se cacher même au coeur de leurs propres territoires, l’incident des profanes au temple et la mort d’Akira leur ayant suffisamment appris cette leçon.
Alors elle ne savait pas complètement comment décrire ce pincement de satisfaction qu’elle ressentait à savoir les yeux de son frère tournés sur elle, l’esprit tourmenté par les choses qui pourraient lui tomber dessus et souiller l’innocence de sa jeunesse.
Mais n’était-ce pas ainsi que l’on grandissait ? N’était-ce pas ainsi que lui-même avait appris ?

Elle finit par retourner la tête en direction de son aîné, lui offrant un sourire fin et malicieux.

— Ne t’inquiète pas. J’attendrai d’être prête.

Elle se releva soudainement, bondissant presque sur ses pattes pour se retrouver devant son frère, tout près. Elle se sentait pleine d’énergie.
Mildred se jucha sur le garrot touffu de son frère, passant ses pattes avant par-dessus son dos si solide qu’il en devenait un tout nouveau genre de rocher. Elle s’amusa à saisir entre ses crocs juvéniles une épaisse touffe de poils de son encolure, grondant d’une rage qu’elle s’imaginait féroce dans ce monde imaginaire où sous elle s’écroulait un adversaire de légende.
L’heure filait, mais il était hors de question de rentrer sur l’Île dès maintenant. Elle avait capturé Rhaegar, et elle profiterait de ce moment pour presser son frère à la manière d’un de ces fruits qu’elle avait vu certains loups manger, extrayant le jus qu’ils contenaient.
Il avait encore tant de choses à raconter sur le monde extérieur -la petite louve en était persuadée.

— Parle-moi encore des autres ! Les solitaires, sont-ils féroces ? As-tu déjà vu un Etelkru ?

Les Etelkrus, mère les détestait. Mais ses paroles, bien qu’elle fut avide de les boire, se répétaient souvent à leur sujet et elle brûlait de désir d’en savoir plus.

Rhaegar

Son regard alla entre la jeune louve et les vastes terres qui les narguaient de l'autre côté du dôme. Elle se roulait devant lui avec l'insolence de la jeunesse. Elle était probablement confiante et sûre d'elle, car après tout comment ne pas l'être avec du sang d'Alpha et une famille aussi redoutable à ses côtés ? Le pouvoir, c'est ce qu'Anianka enseignait à ses enfants. Rhaegar avait été le premier élève de la prêtresse et il savait à quel point la puissance pouvait jouer un rôle important. Heureusement, Gloriel s'assurait que la terreur ne soit pas la seule arme du grand mâle, car il ne serait qu'une copie décevante de son père biologique. Ah ! Quelle monstre il serait si il avait été comme lui.

Ses iris s'arrêtèrent finalement sur Mildred qui bondit près de lui d'un air enjoué.

Lorsqu'il s'agit de prendre une vie, on n'est jamais vraiment prêt. J'espère que ni toi ni moi n'aurons à le faire un jour.

Mensonge ou vérité ? Difficile de lire sur son sourire confiant qu'il peignait sans difficulté.

Il grimaça lorsque sa petite soeur se mit à grimper sur son dos et ses yeux grossirent soudainement en sentant le pincement de ses crocs. Sa fourrure était si épaisse et les crocs de la gamine si petits qu'il ne ressentait qu'un picotement, comme une démangeaison désagréable qu'il empresserait de soulager.

Les solitaires sont insolents, ils aiment prendre ce qui ne leur appartiennent pas. Répondit-il sans réagir aux attaques de sa sœur.

Il tourna légèrement le museau sur le côté, comme pour que sa voix porte mieux à ses petites oreilles.

Je n'ai encore jamais croisé d'Etelkru, et c'est mieux comme ça.

Elle avait du mal à déceler à quel point Rhaegar était réellement sérieux ou s’il endossait simplement son rôle de grand frère pour la préserver encore et toujours du monde, ayant du mal à accepter l’idée qu’elle grandisse et qu’elle serait bientôt une adulte, tout comme lui. Il lui affirmait que l’on ne pouvait être prêt pour prendre une vie… Mais lui-même n’avait-il pas pensé à le faire ? Avec ce pirate traître, par exemple ? Elle fronça légèrement les sourcils, mais décida de ne rien relever de tout cela. Si un jour s’élevait le besoin de tuer elle le saurait, de toute manière. Ce genre de choses étaient instinctives. C’était uniquement l’instinct qui leur permettait d’être réellement prêt au bon moment.
Elle se laissa peu à peu glisser vers le sol, cessant d’embêter son frère des pattes qui l’enlaçaient et le harcelaient, s’asseyant un peu plus sagement pour l’écouter parler.

— Les solitaires sont insolents, ils aiment prendre ce qui ne leur appartiennent pas.

Un petit sourire lui remonta le coin des lèvres. Elle se demanda s’il avait déjà rencontré l’un d’entre eux pour directement noter un détail si… Précis.

— Je n'ai encore jamais croisé d'Etelkru, et c'est mieux comme ça.

Sa réponse la laissa quelque peu pensive.
Mildred était, au contraire, quelque peu curieuse à leur sujet. Ils étaient évidemment des êtres odieux qu’il ne fallait pas fréquenter, cela, elle l’avait compris de la part de sa mère. Ce qu’ils avaient fait à sa famille était odieux et le simple souvenir des mots d’Anianka à ce sujet lui faisait serrer les crocs. Pourtant il restait une inconnue dans l’équation, un grain de sable dans l’engrenage… Gloriel. Elle n’avait pas encore eu beaucoup de détails pour approfondir le sujet tant elle voyait peu la figure de son père, mais elle avait compris que lui-même n’était pas non plus d’origine Lazulis, et qu’il portait en estime sa grande famille restée Etelkrus. Jamais il ne l’avait entendu mal parler d’eux.
Alors la petite louve demeurait confuse… Et étonnée d’un avis si tranché de la part de Rhaegar, lui qui semblait tenir son mentor en haute estime.

— Père semble pourtant les apprécier. Peut-être… Que certains d’entre eux valent mieux que les autres.

Elle glissa un regard un peu timide vers les yeux vairons de son grand frère, comme si elle s’était soudain aventurée en terrain glissant et incertain. Voilà des pensées et des mots qu’elle ne se serait pas permise de formuler en présence de sa mère, dont elle comprenait la grande souffrance après ce qu’ils lui avaient fait subir. Elle ne voulait pas la blesser davantage en provoquant des réflexions non nécessaires à leur égard.
Mais qu’en pensait-il réellement, lui, le premier fils de la Prêtresse ?

Rhaegar

Lorsqu'elle descendit de la montagne qui lui faisait office de corps pour venir s'asseoir près de lui, il ébroua doucement son échine à la manière d'un lion, gardant toujours sa position allongée. Était-elle déjà fatiguée ? Il coula un regard à sa sœur qui parut étrangement sage et silencieuse. Un silence qui fut finalement brisé par sa petite voix enfantine. C'est vrai que Gloriel avait de la famille aussi là bas, Rhaegar en avait entendu parlé. Mais il savait aussi que son mentor ne les avait plus revu depuis des années déjà et qu'ils n'étaient plus informé de rien. Combien étaient encore vivant ? Combien étaient encore Etelkrus ? Rhaegar n'avait jamais osé questionner son mentor sur sa famille, il savait que cela pouvait être un sujet délicat. Si il devait être en proie à choisir entre tuer un Etelkru pour sa mère ou ne pas le faire pour son père, Rhaegar ne saurait probablement pas quoi faire. Peut-être réfléchirait-il par lui même, car après tout il n'était pas un monstre, il n'était pas une arme.

Peut importe la meute dans laquelle on vit, il y aura toujours des personnes qui valent mieux que d'autres. Mais Les Etelkrus ont un règlement plus stricte et moins ouvert que nous, c'est quelque chose qu'il faut aussi prendre en compte.

Il marqua une pause et observa un corbeau faire sa toilette sur la branche d'un arbre, l'air pensif.

Tu dois faire ton propre jugement et surtout ne jamais baisser ta garde, car parfois le mal est la où on s'y attend le moins.

Puis comme pour détendre l'atmosphère, il tourna son large visage vers elle et lui sourit tendrement.

Rhaegar sembla à son tour réfléchir quelques temps sur le sujet. Se demandant probablement lui aussi quel côté prendre, qui de la mère ou du père -adoptif, dans son cas- il fallait écouter. Ses oreilles touffues demeurèrent dressées en attendant sa réponse, son regard vairon posé avec attention sur le visage épais de son frère.

— Peu importe la meute dans laquelle on vit, il y aura toujours des personnes qui valent mieux que d'autres. Mais Les Etelkrus ont un règlement plus strict et moins ouvert que nous, c'est quelque chose qu'il faut aussi prendre en compte.

Elle baissa un instant le museau pour réfléchir quelques secondes sur ces paroles. La première partie de sa réponse était particulièrement véridique quand elle réfléchissait à leur propre meute. Après tout, ils n'agissaient pas réellement en tant que clan... Mildred restait collée aux basques de sa famille, elle détestait certains autres de son âge -comme Queen et ses frères- et méprisait ceux qui avait apporté la fracture, autant au cœur de la meute qu'au cœur de leur famille. A partir de là, elle avait bien du mal à se sentir proche de la moitié des membres et l'esprit d'équipe n'était pas présent. Quand elle se disait être Lazulis, elle se rendait compte au fur-et-à-mesure qu'elle était avant tout membre de sa famille et qu'elle portait l'héritage des Dieux et des ancêtres dont elle avait connaissance. Elle respectait cela. Mais elle ne respectait pas ce qui persistait du reste de la meute.
Mildred émit un petit soupir. Quand elle voyait l’œil vert de Rhaegar, elle ne pouvait s'empêcher de lever également des doutes qui venaient embrumer son esprit. Leurs propres Dieux avaient choisi de marquer et de punir certains mortels pour leurs erreurs...
Comment finiraient-ils sans le soutien même des Dieux autour desquels les meutes avaient été fondées ? Quand le dôme prendrait-il donc fin ?

Les Etelkrus étaient peut-être plus stricts et plus vicieux, mais au moins, ils étaient libres.

— Tu dois faire ton propre jugement et surtout ne jamais baisser ta garde, car parfois le mal est la où on s'y attend le moins.

A cela et à son sourire affectueux elle répondit d'un sourire confiant qui dévoila la pointe de ses canines. Être sur ses gardes ? Toujours ! Cela faisait partie des enseignements de leur mère, après tout. Rester sûr de soi et garder le dessus en posant toujours un œil sur ses arrières. Elle se demanda brièvement si Rhaegar avait baissé sa garde pour réussir à se faire trahir par un pirate. Probablement.
Mildred laissa encore ses pensées naviguer et divaguer un moment en méditant les mots échangés avec son aîné. Elle appréciait ces moments de complicité partagée dans lesquels des conversations entre adultes s'engageaient enfin. Sa famille voyait bien qu'elle n'était plus un enfant. Elle serait bientôt prête à affronter le monde.

Mais pour le moment, la luminosité baissait drastiquement depuis plusieurs minutes déjà et la forme blanche de la lune s'était imprimée dans le ciel dont le voile verdâtre se remarquait à peine tant ils y étaient habitués. Le temps était passé vite en compagnie de son frère, à jouer et à discuter.
Mais désormais, il faudrait rentrer pour ne pas qu'Anianka commence à s'inquiéter de sa disparition et ne la gronde. De son point de vue elle était désormais presque adulte et pouvait rentrer tard si cela lui chantait, mais elle détestait voir s'assombrir le regard de sa mère à son égard. Et elle avait déjà subi la perte de leur sœur... Hors de question de la blesser en la laissant imaginer le pire si un soir, elle ne revenait pas.

La jeune louve se redressa alors et s'étira souplement, sa queue aux poils ondulés se recourbant sur elle-même. Elle posa ses yeux sur son frère, se remémorant tout de même avec un brin de déception qu'elle n'avait pas réussir à extraire tant de secrets que ça hors de sa tête noire.

— Je vais devoir rentrer pour la nuit... Tu viens ou tu continues d'arpenter le dôme pour "monter la garde" ?

Elle lui tira la langue avec un petit clin d’œil malicieux, une patte levée et la tête haute, prête à prendre le chemin du retour vers l'Île, avec ou sans Rhaegar.

Rhaegar

Il rit doucement dans ses mâchoires fermées à sa question qui était plus tournée comme une moquerie, puis il agita ses oreilles avant de se lever délicatement, soulevant une traînée de poussière en dessous son ventre. Il s'ébroua et s'avança d'un pas ou deux, tout en lenteur.

Ce n'est plus de ton âge de tirer la langue, tu es grande maintenant et en plus ce n'est pas très élégant. Dit-il en lui tirant la sienne, énorme. A elle toute seule elle pouvait recouvrir tout le visage de sa sœur, idée qui l'amusa soit dit en passant.

Ma garde est terminée pour aujourd'hui, alors je vais te suivre.

Puis il entama une marche calme à la manière d'un lion, ses pattes traînant sur la terre sèche et poussiéreuse. Il espérait qu'elle retiendrait cette conversation pour plus tard et qu'elle ne serait pas imprudente. Quoi qu'il arrive il sera toujours là pour garder un oeil sur elle et la protéger.