La vue ôtée à Mozarthamès, empêcha ce dernier de percevoir l’expression de la Dragonne. Un bruit, semblable au craquement de la glace raisonna à ses oreilles, tandis que l’écoulement de l’eau sembla reprendre, plus léger cependant. Étais-ce à cela que ressemblait l’espoir ? Savoir que tout n’était pas perdu ? La colère grondait en lui, menaçant d’imploser, de le submerger une nouvelle fois. La respiration du Lazulis se fit plus saccadé, alors qu’il tentait de ne pas se laisser emporté par la panique. Yurai. C’était en cette autre déesse que résidait sa chance de rédemption ?

Stupide morveux ! Cette déesse aussi te mentira, elle aussi te manipulera puis t’arrachera ce à quoi tu tiens le plus. Nous pouvons encore chercher le moyen de tous les détruire, de les faire redevenir poussière !

Les derniers mots d’Ao raisonnent, alors que quelque chose assomme Mozarthamès, dont le corps s’écroule sur la pierre froide. Ce n’était plus sur le territoire des Lazulis qu’il se trouvait, mais sur celui des Nakhus, car la déesse bleue semblait bien décidée à se qu’il puisse se réparer intérieurement. Le fils de Neït resta un temps inconscient, ses songes bercés par le doute et la méfiance. Par la rancoeur et la tristesse. C’est un picotement qui réveilla le païen, tandis que des croassements raisonnaient tout autour de lui. Des corneilles. Ses corneilles. Les yeux vitreux du Lazulis tentèrent de voir quelque chose, mais la Dragonne lui avait ôté ce sens, le laissant aveugle en territoire étranger. Quelle dommage, car le voyage avait changé quelque chose chez toi, comme si la violence du transport avait interverti tes couleurs — ou alors étais-ce l’excuse que ta joueuse avait trouvé pour appliquer une malédiction héritée au casino ? —. Ainsi, ta tignasse bleue et blanche était devenue orangé et noir, de même que ton pelage qui était passé au gris-bleu ou encore tes yeux au mauve. Plus rien ne permettait de déterminer tes liens avec Vivaldi ou Neït, tout ton physique avait été modifié, te dotant d’une apparence sombre.

Serrant les crocs, le loup se redressa tant bien que mal, cherchant à se repérer à l’aide de son odorat, ce qui n’était chose facile. Des semaines entières seraient nécessaires pour s’habituer à la perte de la vue, si ce n’est plus. Sa colère en lui voulait imploser, se dresser devant cette injustice, cette punition divine.

Nous devrions quitter cet endroit maudit, nous rendre sur les terres anciennes, là où jadis des dieux ont pu être atteints. À quoi joues-tu, gamin, en demeurant ici ? Ces dieux ne pourront rien pour toi, eux aussi t’ont tourné le dos.

Non. La raison tente de dominer la colère, la douleur fait vaciller le doute assez longtemps pour que le Lazulis puisse faire le vide dans sa tête, en attendant de voir ce qui allait se passer. Ao l’avait envoyé ici, mais ne lui avait expliqué la démarche à suivre une fois dans le dit-lieu.

Une odeur, longtemps oublié, vient éveillé tes sens, ceux qui restent du moins. Par réflexe, ta tête se tourne, tes yeux cherchent à voir, sans pourtant rien discerner. Un instant, le loup semble confus, ne sachant quoi penser, alors que de vieux souvenirs remontent à son esprit. À une époque, sans colère, sans rancoeur, une époque encore pleine d’innocence et de joie, sous le joug de sa famille et, de son ami. Un ami qui avait disparu, parti vers d’autres contrées après avoir rejoint l’influence des dieux, au moment même où Mozarthamès se détournait de ces derniers, plongeant dans l’obscurité dans la perspective de détruire Ao. Une patte vient toucher le poil maintenant sombre du mâle qui sursaute, ne sachant où accorder son attention. C’est un instant de panique qui le gagne, car maintenant, le Lazulis était à la merci de tous. La surprise passée, la gueule sèche du mâle peine à trouver ses mots

« — O… Obi ? C’est toi ? »

La gueule du loup aux cheveux bleus — maintenant orangés - s’entrouve un moment, cherchant à ajouter quelque chose, sans savoir quoi. Ses sourcils se froncent, sous une certaine impuissance, tandis que ses muscles tendus démontent son anxiété.

« — Je ne te vois plus, ni toi, ni le reste. »

Mais tu dois la voir, elle, cette déesse mauve, que Ao voulait à tout pris que tu rencontres. En ne partant pas, tu faisais le premier pas vers le chemin du pardon, mais continuerais-tu ou laisserais-tu de nouveau la colère t’envahir ?

Au moins grâce à la présence d’Obi, les mauvaises pensées se taisent. Il parvient à détourner l’attention du fils de Neït assez pour qu’il ne se laisse de nouveau guider par ses sentiments néfastes.

Mozarthamès ne peut le voir, pourtant il aurait voulu, constater à quel point le loup avait pu grandir, changer au rythme des années. Ao l’avait privé de ce droit, elle, et la provocation du Lazulis. Aveuglé, le loup ne parvenait à percevoir l’expression de son interlocuteur, ni même anticiper ses mouvements. C’est ainsi que Obi se retrouva contre lui, procurant un frisson au mâle à la chevelure orangée. Lui aussi avait souffert visiblement, en particulier sa soeur. Mo’ ne se rappelait pas vraiment de Nocera, il ne s’était jamais préoccupé d’elle, mais il pouvait comprendre les tourments du loup, lui aussi avait une soeur. Serket devait bien le déteste à présent, tant mieux… Simple parjure qu’il était, elle ne méritait pas d’être punie par ses agissements.

« — Cela ne cessera. Pas tant que les dieux ne seront rassasiés. »

Le seront-ils un jour ?

« — Prier ? »

Mo’ ne priait pas, il ne l’avait jamais fait. Prier voulait dire vénérer, alors que lui avait jusque-là haïe. Le loup secoua doucement sa tête avant de se redresser. L’attente faisait resurgir en lui le doute et la rancoeur, l’agacement d’être aussi dépendant à l’égard des dieux. Il était un cas désespéré, Yurai devait bien l’avoir compris elle aussi. Le Lazulis fit quelque pas, tentant de se guider grâce à l’odorat, mais il avait bien du mal à ne reposer que sur cela.

« — Ta déesse ne viendra pas, j’ai été stupide d’espérer. »

Stupide de croire qu’il existait un moyen de rédemption.

La déesse apparaît finalement. c’était étrange, lui qui, ne voyait rien, parvenait à la distinguer elle. Mauve dans le vide. Alors vint sa solution, celle de demeurer chez les Nakhus une année durant, faisant des recherches sur un sujet, oeuvrant pour le clan d’un autre. Ne craignait-elle pas que dans cette fameuse bibliothèque, il trouve le moyen de mener à bien cette vengeance qu’une part de lui désirait tant ? Lui faisait-elle confiance à ce point ? Le loup secoua doucement sa tête, rationnel. Non, la colère reviendrait, guiderait de nouveau ses actes. Aussi, un simple mot fusa de sa gueule alors qu’il se redressait, ignorant les chuchotements de Sobieski.

« — Non. »

Mozarthamès observa la déesse, seule louve visible désormais au vu de sa situation. Le bout de sa queue remua, plus par anxiété qu’agacement, alors qu’il justifiait son choix.

« — Ao s’est trompée en me menant ici. C’est à moi de trouver mon propre chemin vers la paix, pas vous, ni des ouvrages. Je dois guérir, pour veiller sur ma soeur. C’est désormais tout ce qui me reste. »

Parce que Serket elle, ne lui avait jamais menti. Qu’un an aux côtés des Nakhus, serait une année qui le séparerait un peu plus d’elle. Mo’ ne pouvait s’ y résoudre, plus maintenant qu’on lui avait retiré un de ses sens, qu’il ne pourrait jamais plus la voir sourire, ni la voir rayonner. Désormais il devrait se contenter du simple son de sa voix qui arrivait sans nul doute à apaiser sa colère.

« — Une part de moi n’oubliera jamais cette colère, mais l’autre veut aller de l’avant. Entre mes pattes repose mon destin. Il me faut partir, loin des dieux, loin de la source de ma colère et de ma peine. Je dois retrouver Serket et ne jamais plus me retourner sur ces terres. »

Partir, pour ne plus jamais revenir ici, en ces lieux où les dieux pourraient toujours corrompre la sombre partie de son esprit. Mo’ inclina la tête, dernier signe de respect à l’égard d’un dieu, pouvant que l’acte avait plus de valeur que les mots à l’égard de Yurai avant de se tourner vers Sobieski.

« — Ce fut plaisant de te revoir Obi, mais c’est ici que nos chemins se séparent, encore une fois. Que la vie te soit favorable, mon vieil ami. »