Résistance — Godric

Voici donc à quoi ressemblaient les Plaines savanes.

La chaleur était radicalement différente que sur l’île, Lewis le constata rapidement, son poil épais lui tenant un peu trop chaud. La terre était sèche sous ses pattes, aussi sèche que les hautes herbes qui se dressaient. Plutôt amusant pour un cache-cache. La louve secoua doucement sa chevelure, faisant tinter ses pièces. Le temps était bien vite passé, voilà que progressivement, la loupiote avait doucement laissé place à l’adolescente dont la silhouette s’affinait doucement au fur et à mesure. La fille d’Hypoxie avait bien changé depuis l’invocation de Céto. Un sourire vint étirer ses babines, alors que cachée dans les fourrés, ses yeux mauves suivaient la silhouette d’une étrange biche à cornes.

La Raeder n’avait nulle intention de chasser sur ces contrées sauvages, sait-on jamais qu’un plus gros prédateur ait également l’idée à son tour de partir à l’assaut de cette proie. Son abri au coeur des herbes était bien plus tranquille, loin de toute embrouille… Enfin… Jusqu’à ce que quelque chose lui tombe dessus. Quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Laissant échapper une plainte sourde sous le poids de son assaillant, Lewis eut le souffle coupé. Bon sang, c’était quoi cette histoire encore ? Ses yeux croisèrent ceux de l’inconnu, alors qu’elle se trouvait toujours sous lui. L’odeur ne lui était pas inconnue.

« — Tu es un oiseau bien étrange, Etelkrus. »

Et si tu bougeais tes grosses fesses maintenant ?

L’Oiseau se confondit en excuses. Bien poli pour un Etelkrus, ils n’avaient guère cette réputation sur l’île… eux qui passaient pour les sauvages et barbares, les loups qui avaient sacrifié et kidnappés des continentaux. À juste titre d’ailleurs, mais cela remontait à un âge où Lewis était encore bien jeune. Poe jusque-là caché dans le capuchon de la jeune louve sortit en croassant, alors que l’inconnu s’excusait de nouveau — décidément —.

« — Dix ans de plus dans les dents là Lewis… »

L’intéressée claqua sa langue au palais, mettant un regard au coin à l’amphibien.

« — Dame ? Tu es bien poli, nous avons presque le même âge. »

Enfin, à quelques mois près. La pirate se redressa, adoptant une position assise. Rien dans son attitude n’indiquait une quelconque agressivité, plus une certaine forme de curiosité. Un soupir s’échappa de sa gueule alors qu’elle plongeait ses yeux mauves dans les saphirs du loup.

« — Les formalités m’ennuient, si tu me disais ton nom ? »

Attendant la réponse, Poe choisit ce moment pour bondir pile sur la tête du loup marron, visiblement intrigué. D’ici que ce Poe aussi connaisse une fin tragique…

L’Etelkrus semblait réticent à l’idée de donner son nom. De quoi avait-il peur ? Pas comme si Lewis était une solitaire sanglante qui comptait le kidnapper… Clairement pas son genre, du moins pas en l’absence de Celle-Qui-Se-Tient-Tranquille-Dans-La-Mort. Que devenait-elle d’ailleurs ? Cette enfant des terres ? Elle qui, portait le sang des pirates ? Reviendrait-elle sur l’île ou trouverait-elle un moyen de contrer la malédiction ?

« — Dans ce cas je t’en donnerais un, Oiseau-Maladroit-À-L’aile-Unique. »

Parce que nommer les choses, était un passe temps que Lewis appréciait. Un sourire amusé vint étirer ses babines, alors qu’elle observait son amphibien sur le museau du loup. Nullement inquiète, la louve se recoucha dans les arbres, observant les réactions de son interlocuteur. Ce dernier aussi semblait avoir une certaine compagnie, car des voix s’élevèrent d’un étrange symbole que l’Oiseau-Maladroit-À-L’aile-Unique vint frotter. Godric. Ainsi c’était son nom.

« — Amusant, ainsi tu tentes de me séduire ? Me tomber dessus est une sorte de parade amoureuse chez toi ? »

Un regard compatissant égaya les yeux mauves de Lewis, alors que lui demandait qu’elle lui retira sa grenouille.

« — Poe, laisses-le donc. »
« — Ouais, ouais, bien l’impression qu’il va se faire dessus le p’tit. »

La pirate fronça les sourcils en claquant sa langue au palais.

« — Ne t’ai-je pas déjà demandé de ne pas être aussi grossier ? » La Raeder remua le bout de sa queue courbée. « Ne crains rien, je ne t’appellerais pas par ton nom, si tu ne crains que je le souille de par mon appartenance aux Raeders. »

C’était un choix que l’adolescente respecterait.

Rapidement son attitude change à l’oiseau étrange, au moment même où la louve revendique son appartenance Raeder. Aïe, les p’tits Etelkrus étaient sensibles sur le sujet. Lewis secoua doucement sa tête en souriant. Voilà qu’il cherchait à s’esquiver.

« — Faiseuse-de-grenouille, Lewis, catin des mers... est-ce que cela fera une différence pour toi ? »

Peut-être tout cela à la fois... Elle restait cette étrangère, ignorante sauvage des mers à ses yeux. La pirate Se redressa, une expression plus sérieuse.

« — Tu me juges, Oiseau-Maladroit-À-L’-Aile-Unique, de par mon appartenance à ma meute. Parce que ceux que tu considères comme « miens » ont commis des méfaits antérieurs à ma naissance. »

Qui remontaient à plusieurs années maintenant, quand bien même de petites attaques avaient eu lieu.

« — Peut-être qu’en demeurant chez eux, je reconnais leurs gestes légitimes, mais peut-être que j’attends de trouver mieux. On dit que ceux de ton clan ont une dent contre ceux portant des plumes... »

Lui offriras-tu mieux, Etelkrus ?

Les mots semblent déplaire, pauvre enfant du continent.

« — Oiseau, ne me regardes pas ainsi, ne m’attribues pas tous les malheurs de ce monde. »

Mais l’oiseau se retourne, prêt à partir. Lewis l’observe, assise, ne le poursuivant pas. À quoi bon ? Les voix s’élevèrent de nouveau, répétant le nom du loup, puis... Oncle ? La pirate tourna d’un coup la tête vers le dénommé Godric.

« — ... Ton oncle ? »

Parlait-il d’Alys ? Avait-elle devant lui un de ses lointains parents ? La mauve fronça les sourcils.

« — Questionnes donc, Oiseau, je te sens intrigué. »

L’Oiseau est curieux, car il reste, pour observe la mauve, cherchant vraisemblablement un lien de parenté. Lewis elle aussi, est perplexe, ne sachant quoi penser. Son père l’avait prévenu de l’existence d’une famille sur le continent, mais l’avait mis en garde contre la rancoeur à l’égard des Raeders. La pirate l’avait vite constaté, mais n’avait pas pour autant abandonné espoir de retrouver un jour un semblant de famille.

« — Personne. »

Chose vrai. Orpheline, fruit d’une union interdite, bâtarde, descendante de deux traîtres à leurs clans. Voilà ce qu’elle était. Poe croasse, la sortant de ses pensées.

« — L’enfant d’une mère, traitre à la meute, traître à son rôle qui m’a abandonné peu de temps après mes premiers jours. » Lewis marqua une courte pause, les yeux brillants, avant de reprendre, un sourire venant étirer ses lèvres cette fois. « Mon père lui, fut dirigeant au sang empoissonné, traître par provocation à son frère. »

Lewis se tut, plongeant ses améthystes dans les saphirs de son interlocuteurs.

« — Son nom fut Alys. »

Ainsi donc, Lewis avait bien devant elle un membre de sa famille. Une part d’elle s’en réjouissait, de savoir qu’elle n’était plus vraiment seule, pourtant une autre… Ne pouvait oublier la réaction de l’Etelkrus en apprenant son appartenance aux Raeders.

« — Tu ne devrais pas le crier sur les toits, Oiseau, je suis la fille du parjure et de l’océan. »

Le loup vient évoquer Trixie. Encore un membre de l’entourage de Lewis qui avait pris la poudre d’escampette, quand bien même celle-ci l’avait prévenu. L’évocation de sa soeur rendit le regard de la mauve plus froid.

« — Alys a été tué par un Etelkrus, avant de pouvoir m’emmener. Ma soeur ne comprendra jamais la chance qui lui fut donnée de grandir loin de la réputation des Raeders. »

La pirate attrapa Poe qui bondissait par une patte, le laissant quelques secondes suspendu entre ses griffes avant de finalement le déposer sur son épaule. Un air curieux étira ses traits.

« — Duquel es-tu l’enfant ? De Celle-Qui-Gouverna ou Celui-Qui-Jugea ? »

Ou peut-être de Celle-Qui-Enfanta-Pour-Veiller ?

Celui-Qui-Jugea donc. Ainsi donc, lui aussi avait fini par avoir une descendance. Alys avait émis quelques doutes à ce sujet lors de leurs conversations sur la famille, pourtant, le vieux s’était trompé.

« — C’est à cause de ton père, qu’Alys a trahi sa meute. »

L’Oiseau semble troublé en parlant de «  Celle-Qui-Mourut ». Ainsi donc, lui aussi avait perdu sa mère… Il faut croire que la famille était maudite ou alors le rôle de parent ne leur convenait guère ? Son père l’aimait-il au moins ? Poe croasse avant d’avaler un insecte volant de sa langue. Lewis l’observe avaler l’insecte, avant de reposer ses yeux sur le loup.

« — Les Raeders l’ont tué ? »

Loins d’être des sains quand même les pirates… La mauve soupira avant de faire quelques pas pour se dégourdir les pattes. Rester immobile aussi longtemps ce n’était pas dans ses habitudes. Avec curiosité, la jeune louve vint renifler l’aile unique de l’Oiseau, se demandant à quoi bon elle lui servait, mais décida de ne pas importuner trop longtemps son cousin et le laissa respirer. Un sourire amusé vint étirer ses babines.

« — Non, Oiseau-Maladroit- À-L’-Aile-Unique. Je suis la fille du traître, les tiens me tueraient pour cela. De plus, comme je te l’ai dis au début de notre rencontre, les tiens n’aiment guère les plumes. »

Ni les pirates d’ailleurs, mais ce n’était qu’un détail en plus. La pirate se redressa, penchant légèrement sa tête sur le côté en observant son cousin.

« — Et toi, qu’est-ce qui te retient ici ? »

Les oreilles de la mauve remuèrent en entendant les excuses de son cousin. Ses paupières fermèrent un instant. Elle n’était nullement en quête de vengeance. Alys avait vécu et comme l’ordre des choses le voulait, il avait trépassé. L’Oiseau n’y était pour rien dans tout cela.

« — Pourquoi t’excuses-tu, Oiseau ? Je ne t’accuse nullement, tu n’es pas responsable des agissements de ton géniteur. »

Auquel cas, tous les enfants seraient des monstres. L’Oiseau parle de sa mère, du moins ce qu’on lui a conté sur elle. C’est-à-dire pas grand chose visiblement…

« — Sire ? » Lewis pencha la tête sur le côté quelque peu perplexe avant de secouer doucement la tête. « Les Raeders n’ont tué personne depuis un moment, encore moins sur tes terres. Auquel cas, j’en aurais entendu parler. »

C’est qu’ils aimaient se vanter les pirates, même de choses qu’ils n’auraient dû. Lui ne semblaient comprendre à quoi faisait référence les plumes, n’avait-il entendu les hurlements ? Les ordres qui ordonnaient de tuer Celle-Qui-Était-Couronnée-De-Plumes-Et-De-Sang ? Un ordre émanant pourtant des siens. Un rire amusé s’échappa de sa gueule alors qu’elle tournait le dos à l’Oiseau, l’observant du coin de l’oeil.

« — La vengeance… Quel beau mot. Les loups parlent de venger la mort d’autrui, mais en quel honneur ? Qui vengeons-nous réellement ? Un souvenir ? Notre fierté ? La vengeance ne t’apportera rien, rien de plus que ce que tu n’as déjà, mis à part une impression d’insatiabilité. »

La vengeance ne menait à rien. Lewis est quelque peu surprise de la proposition de son cousin, lui qui n’aurait pas hésité à al contourner de part son appartenance à l’océan. Conservant le silence un instant, elle finit toutefois par se rapprocher de son interlocuteur.

« — Non, c’est mon destin, mais… » La pirate marqua une courte pause, ses babines s’étirant en un sourire. « Je sais maintenant que je ne suis plus seule, grâce à toi Godric. »

Rare étaient loups qui se faisaient appelés par leur véritable nom de la part de Lewis.