Pourquoi s'entraîner quand on peut s'amuser ? | Godric

C'était un beau matin, une belle journée d'automne qui s'entamait. Le soleil commençait à peine à se montrer, tandis que ses rayons chaleureux léchaient doucement les parois montagneuses du Grand Castel, perçant le voile froid de la nuit.

La lueur matinale semblait donner peu à peu des couleurs aux immenses rochers composant la forteresse. L'endroit était calme, mais bientôt, le silence allait laisser place à l'agitation et aux éclats de voix.

Se glissant dans les galeries, une petite ombre se précipitait maladroitement en dehors d'une tanière.
Elle essayait tant bien que mal d'être discrète, malgré son pas irrégulier et maladroit. Il s'agissait du jeune louveteau Raven, qui, une fois de plus, s'esquivait à la vigilance de ses parents.

Il avait profité de l'aube pour fuguer pendant que ses géniteurs étaient endormis.
Les couloirs du Grand Castel étaient encore vides, ce qui facilitait grandement le cheminement du petit.
Raven était à la recherche d'une nouvelle cachette : toutes celles qu'il avait trouvé jusqu'à là avaient été décelées par sa mère, très compétente dans la chasse aux fuyards.

Cependant, le loupiot était déterminé à échapper à la journée de dur labeur que lui avait préparer sa famille.
Il lui fallait trouver un abri, même s'il se faisait dénicher dans la journée, au moins il aurait esquiver la matinée d'apprentissage aux codes de la chevalerie.
En y pensant, Raven lâcha un grognement de lassitude. C'était la matière qu'il détestait le plus, c'était ennuyeux, pas drôle et assommant.

Redoublant d'effort dans son exploration, le jeune loup pâle se faufila dans une petite galerie qu'il avait repéré quelques jours plus tôt. Elle était étroite et peu pratique, un adulte ne pouvait pas l'emprunter, ce qui arrangeait grandement Raven.
Le tunnel débouchait sur un petit rocher en surplomb de la salle du trône. La lumière n'atteignant pas le point surélevé, Raven pouvait voir sans être vu toutes les activités qui allaient bientôt se dérouler sous ses yeux emplis de curiosité.

"Ça va être une belle journée ! J'vais être tranquille, maman va pas pouvoir m'embêter et j'vais voir tout le monde d'ici" pensa-t-il.
Un petit sourire se dessinait sur ses babines, échapper à une journée d'entraînement à la chevalerie pour rester ici à roupiller et observer les autres loups s'activer en contrebas, c'était idéal.
Raven s'allongea confortablement, bailla à s'en décrocher la mâchoire, laissant s'échapper un petit couinement. Il avait l'impression d'être un oiseau perché sur sa branche, bien supérieur aux soucis et à l'agitation du pauvre peuple terrestre, incapable de l'atteindre.

Cette pensée l'amusait particulièrement, il se sentait invulnérable. Qui irait le dénicher là ? Quand il en aura assez, il retournera tranquillement chez lui, se fera passer un savon par sa mère, mangera les crêpes de son père, et au moins il aura éviter une journée de pénible entraînement.

Ce constat fait, il baissa totalement sa garde et focalisa son attention sur ce qui s'étendait en-dessous, attendant que les premiers Etelkrus se montrent.

Impatient, Raven observait la grande salle qu'il dominait du haut de son perchoir, guettant le moindre mouvement. Il s'adonnait à son jeu préféré : la chasse. Il imaginait tout un tas de stratégies, qu'il ne mettait bien évidemment jamais en application. Par où il approcherait discrètement sa proie, la façon dont il la saisirait par le cou avant de la mettre à terre, ainsi que le ton dans lequel il chanterait sa victoire.
Aahhh, c'était définitivement le début d'une belle journée. Qui allait être sa première victime hypothétique ? Il fallait que cela soit un loup terrifiant, un qui valait le coup. Plus la cible était grande et impressionnante, plus sa chute était rude.

Soudainement, il repéra une ombre qui se dessinait progressivement sur une paroi de la grotte.
Les oreilles de l'apprenti chasseur se rabattirent en arrière, ses muscles se crispèrent tandis que son cou se tendait.
Sa respiration s'accéléra. La lumière des flammes qui éclairaient les couloirs faisait grandir l'ombre et la transformait en d'étranges formes, attisant l'imagination débordante de Raven.
Ce n'était plus un loup qui allait débouler dans la salle, mais un monstre ailé gigantesque !

Celui qui finalement arriva dans la salle surprit le chasseur.
Un jeune loup brun et beige s'avança nerveusement jusqu'au centre de la grotte. Que... quoi ? Qui était-ce ? Un jeunot, ici, tout seul ?
Ce n'était pas normal, il était bien trop tôt. À cette heure-ci, il aurait dû se diriger chez les tuteurs, et non pas être ici.

Raven l'observa dans l'ombre. Il était bien plus grand et robuste que lui, et possédait une aile unique. Ce n'était pas la première fois que le petit louveteau pâle le voyait, mais il ne l'avait jamais approché ni parlé. Ce n'était pas dans ses habitudes.
Pfeuh, il ne l'intéressait pas. Il n'avait pas l'air drôle et semblait juste bon à se transformer en toutou obéissant aux règles barbantes des chevaliers Etelkrus. Cette conclusion venait sûrement du fait que Raven tendait à se comparer aux êtres qu'il observait, et contempler quelqu'un proche de son âge posséder des qualités physiques bien plus importantes que les siennes le frustrait terriblement.

Soudain, des bruits de pas et l'échos des voix résonnèrent dans les galeries.
Les lieux allaient bientôt prendre vie et les loups iraient vaquer à leurs occupations.
"Il va être dans le pétrin celui-là" se dit Raven. Un sourire se dessinait sur son museau.
Cependant, peut-être par solidarité enfantine, opposée bien évidemment à l'oppression des adultes, il décida de lui laisser une chance.
"On va bien voir s'il a quelque chose dans la tête !" pensa le loupiot pâle.

Imitant les oiseaux que l'on entendait au loin, Raven poussa un cri rauque et étouffé. C'était assez maladroit, ses capacités de chasseur étant limitées : il n'avait strictement aucune expérience dans ce domaine, mais il jugea son essai plutôt satisfaisant.
Plus confiant, il piailla une seconde fois, cette fois-ci légèrement plus fort. Si le jeune loup costaud le repérait, il l'aiderait à grimper ici, bien en sécurité des autres adultes et ils pourraient passer la journée ensemble, même si cette idée ne plaisait que moyennement à Raven, solitaire de nature.

Sinon, tant pis, il se ferait punir, et ça serait bien fait pour lui.
Fuguer, c'est comme chasser : ça se prépare !

La voix de Raven avait été entendue.

L'air paniqué de l'autre jeune était un délice pour l'observateur. Et le voir gesticuler dans tous les sens pour trouver la source du croassement était un spectacle tout à fait hilarant.
Mais le meilleur moment fut lorsque le loup ailé remarqua Raven perché sur son rocher. Ce dernier gloussa à la vue de l'air ahuri de Godric.

"Hey ! Comment tu as fait pour aller là haut ?"

Bon. Il avait remporté le pari qu'avait lancé Raven. Ce n'était pas simplement un grand jeune loup musclé, il avait aussi quelque chose dans la tête.
Ce constat ne ravissait que moyennement le petit pâle qui lui lança avec une pointe d'amertume, trahissant une jalousie difficilement dissimulée :

"Pourquoi, tu veux te ramener ? Eh bien, ça devrait pas être compliqué pour toi ! Vole ! Qu'est-ce que t'attends ?"

L'autre était certes fort et grand, mais lui était intouchable.

Il avait à peine fini sa phrase que l'on pouvait commencer à entendre plus distinctement les voix qui raisonnaient dans les couloirs. Il aurait voulu continuer de profiter de la situation, mais Raven s'était promis de l'aider s'il le repérait.
Le louveteau reprit calmement :

"... fais le tour. Dans le recoin droit, dans l'ombre, il y a un tunnel. Dépêche-toi, tu vas te faire cramer par les adultes."

Ces paroles ainsi prononcées, Raven s'éloigna du bord de son promontoire afin de ne plus être visible par Godric. Il devait se préparer mentalement à leur rencontre, puisque l'autre andouille allait le rejoindre là-haut. Il avait fait le fier, perché sur son caillou, mais il était terrifié à l'idée de se retrouver en face du jeune chevalier. Qu'est-ce qu'il allait lui dire ? Ça se trouve, l'autre allait vouloir se venger en réponse aux provocations qu'il lui avait lancé !

Le louveteau se recroquevilla sur lui-même et trembla légèrement. Il avait l'air fin, tiens. Sa propre lâcheté le dégoutait. Si seulement il avait été naturellement grand, et non pas chétif...
Il regarda ses pattes avant. Ces pattes fines et délicates qui désespéraient tant sa mère. Son regard remonta progressivement vers ses épaules, frêles, elles aussi. Il n'avait définitivement pas l'étoffe d'un guerrier.

Il était dans la mouise, mais il fallait qu'il s'en sorte la tête haute. En attendant que Godric le rejoigne, il allait s'entraîner !

"Ahem ! Te voilà enfin ! Tu as pris ton temps..."
Non, pas assez convaincant.

"Ah ! T'es là, parfait. Tu..."
Il ne trouvait pas ses mots et bégayait. "Ah... je suis nul..." pensa-t-il. Et l'autre qui allait débouler d'un moment à l'autre... tant pis, à l'instinct, ça pourra peut-être passer.