Tableau éphémère l Red

Il était sorti des terres Etelkru. A vrai dire, il était parti chasser. Oui ! Chasser. Déjà, parce qu'il savait que cela ferait plaisir au clan, et si le clan était content, alors le clan le laisserait tranquille. S'il oubliait de faire assez plaisir au clan, alors cela se passait toujours mal. Non, non cela faisait bien trop longtemps qu'il n'avait pas chassé. Et puis, il le sentait dans son ventre, dans ses entrailles : il avait faim. Il avait maigri, un peu, quand même, maintenant qu'il s'était éloigné de ses parents. Il avait même beaucoup maigri. Il oubliait de manger.

C'était tellement inintéressant, que de manger.

Et il n'aimait pas la chasse. Il n'était pas comme ces louves monstrueuses qui d'un coup de patte pouvaient ouvrir un grizzly en deux, non. Il n'était pas comme ces serpents qui se faufilaient dans tous les interstices et disparaissaient pour mieux ouvrir le ventre d'un cerf imprudent, non plus. Il était de corpulence et de taille moyenne, mais son désintérêt profond pour la chasse et toute autre activité équivalente faisait de lui un piètre chasseur. Il se laissait distraire, toujours, par un son ou une lumière ou une couleur, et se retrouvait à alerter sa proie et la faire fuir.

Aujourd'hui, il avait décidé d'aller dans les plaines savanes. Il ne voulait pas croiser de loups de la meute, il ne les aimait pas. C'était pour la plupart des imbéciles qui ne comprenaient pas l'Art. Qui n'essayaient même pas de comprendre. Qui se contentaient de... De vivre leurs vies pathétiques et inintéressantes, qui s'arrêtaient à leur Moi, à leurs besoins et leur satisfaction personnelle.

Comment ne pouvaient-ils pas voir la Grandeur et le Merveilleux de l'Art ?

En arrivant à la frontière, il s'assit. Ses chaînes dorées tintaient doucement, et son pelage était de temps à autre strié de longs doigts blancs. Ca, c'était beau. Cette plaine dorée, enflammée par un soleil de plomb malgré le temps hivernal, ces rayons reflétés mille fois sur chaque brin d'herbe et chaque poussière, donnant à l'ensemble l'air d'un tableau venu d'un autre temps.

Sans même y penser, Ely retoucha légèrement l'ensemble en jaunissant un peu plus les herbes folles, en réhaussant leur éclat doré, et poussant les rouges sur la terre poudreuse.

Voilà, là le tableau était parfait. Dès qu'il changerait un peu d'inclinaison, de point de vue, cette oeuvre éphémère se désagrègerait, mais en attendant à cet instant précis elle était parfaite.

Combien de temps resta-t-il devant ce tableau, d'ailleurs ?

Oh, les proies avaient largement eu le temps de le repérer.

Une heure, peut être deux. Le soleil montait dans le ciel, changeant les ombres, changeant les lumières, et bientôt le tableau n'exista plus que dans sa mémoire. Et à ce moment là seulement, Ely se releva, s'ébroua, et reprit son chemin comme s'il ne s'était rien passé. Il leva le museau et huma l'air, à la recherche d'un fumet quelconque qui suffirait à calmer la convoitise de son clan.