Azzinoth ▬ Unholy [Famille]

Des dents, des dents, des dents.

Flèches vertes filant dans le ciel carmin, laissant derrières elles une pluie sanguinolente. Dans l’ombre, des yeux injectés de sang ; devant elle, le corps démembré d’un louveteau. Un chapeau déchiré et baguette étoilée trempent dans le liquide noir autour de l’enfant. Dans le fond, un rire hystérique.

Secouant frénétiquement la tête, Mésange se cogne les cornes contre la paroi près d’elle. Elle ouvre les yeux sur le mur gris de pierre qui lui fait face, à peine éclairé par la lune dehors : le cauchemar est fini. Mais le rire résonne encore dans sa tête, l’odeur de sang continue de la prendre à la gorge, et elle se sent au bord de la nausée.

Vivement, maladroitement, elle sort en panique de sa couchette au camp Lazuli, se préparant à rejeter son dernier repas à l’extérieur. Elle attend, fébrile, mais rien ne vient. Son estomac est vide, elle n’a pas mangé depuis la veille...fichues nausées.
Frissonnante, elle s’affale légèrement, son pelage s’ébouriffant à cause de la fraîcheur hivernale.

Depuis qu’elle est revenue de la terrifiante dimension où elle avait été transportée avec Nugget, ses nuits sont souvent accompagnées de cauchemars macabres, où régulièrement elle ou quelqu’un de sa famille finit par mourir, la faisant de plus en plus appréhender toute idée de sommeil.
Autrefois Azzinoth venait régulièrement soit la sortir mentalement de ses cauchemars pour la faire arrêter de gigoter pendant leur sommeil, soit en profiter pour s’y incruster et les rendre pires qu’avant, mais depuis le changement de dimensions, il était particulièrement silencieux. Comme s’il méditait, ou s’isolait pour réfléchir. Ce qui, dans les deux cas, était inhabituel et peu rassurant.

Alors, dans le silence de ses journées, Mésange réfléchissait aussi. Elle était revenue au camp Lazuli après sa terrible expérience, car se sentant incapable de rester seule comme auparavant le temps de s’en remettre. Elle frôlait les murs pour éviter les mauvais regards des pro-dieux, la croix punitive de Mido continuant de lui brûler la pupille droite, l’annonçant immédiatement comme hérétique à l’origine du dôme. Elle n’avait cure de leur avis, et restait parfaitement certaine dans son idée que les dieux devaient disparaître, mais dans l’instant elle avait besoin de ne pas se sentir seule. De savoir que quelqu’un faisait le guet, hurlerait si un monstre apparaissait.

La louve désormais jeune adulte prend une inspiration glacée, ferme les yeux. L’idée même de retourner dormir alors qu’elle se sent encore poisseuse de sang l’insupporte. Elle a besoin de marcher un peu.

Elle sort de l’Antre aux Crocs sous un clair de lune blafard et hivernal, s’étirant et claquant des crocs pour se changer les idées. Puis, elle se rend compte qu’elle voit le sol à travers ses pattes. Interloquée, elle lève une épaisse patte, observant un petit caillou sur le sol. Puis pose la patte dessus. Et le voit toujours. Rapidement, la panique la gagne. Qu’est-ce que c’était encore que ça ?

Par réflexe, elle retourne à l’ombre de la lumière de la lune, se colle à une paroi de pierre…qu’elle traverse. Effrayée, elle s’éloigne du mur, totalement crispée.

C’est nouveau, ça.

Mésange aurait de nouveau sursauté si elle n’avait pas immédiatement reconnu la voix d’Azzinoth.

C’est toi ?
Non.
C’est quoi ?
T’es mignonne, j’en sais rien.

Elle reste tétanisée, fixant de manière parfaitement immobile la paroi rocheuse.

Réessaye d’y mettre une patte ?

Mésange hésite. Elle n’aime pas du tout cette idée. Azzinoth essaye de la contaminer avec sa propre curiosité, elle n’aime toujours pas ça, mais elle se décide à approcher. Pour voir. Elle tend la patte vers le mur, et essaye de la poser dessus : elle passe à nouveau à travers. De peur de la perdre, Mésange la ramène immédiatement vers elle.

Fun. Je peux essayer ?

C’est la première fois qu’ils reparlent depuis leur espèce de fusion dans le monde détraqué, et aussi la première fois qu’il lui demande calmement à prendre sa place. Jusque-là il avait toujours essayé de l’effrayer, la forcer, la manipuler pour qu’elle le laisse contrôler sa vie. Dans l’autre monde, ça avait été différent. Ils avaient été ensemble. Ça avait été...agréable. De se sentir pour la première fois en harmonie.
Alors, pour la première fois aussi, elle accepte.

Elle ne répond rien, et ne lui fait pas assez confiance pour totalement s’effacer, mais elle se concentre, ferme les yeux, et lâche prise. Un peu. Juste un peu, elle inspire, et prend distance de la réalité, du corps, du monde réel. Lentement, presque méticuleusement, comme s’il était méfiant, Azzinoth s’avance, et elle panique brièvement quand elle sent la conscience du monstre se mêler à la sienne, tandis qu’il s’approprie le contrôle. Toute l’opération se fait sans violence, chacun observant le moindre mouvement de la part de l’autre, mais, étrangement, chacun s’y fait. Il ne la force pas à disparaître au fond de l’esprit, et elle ne résiste pas trop à sa présence intrusive.
Le démon est si proche d’elle, si dense, si...puissant. Elle se sent mentalement minuscule à côté de lui.

Soudain, il décide de passer à l’action dans le monde physique, et le corps se met à bouger dans tous les sens, comme s’il s’amusait à appuyer sur toutes les touches directionnelles. Elle le ressent sourire. Puis le corps s’élance à l’extérieur, toujours translucide, presque luminescent sous les rayons de lune. Mésange fixe avec étonnement le monde bouger sous la volonté de quelqu’un d’autre, fascinée de tout voir défiler devant ses yeux comme un film, devinant ce que le corps allait faire à peine quelques instants avant que ça n’arrive, car ressentant des bribes de raisonnement d’Azzinoth. C’est d’ailleurs à cause de ça qu’elle se crispe quand elle comprend ce qu’il compte faire : se jeter à travers tous les arbres alentours. Commençant à paniquer, elle hurle mentalement en voyant le corps traverser un arbre, puis un autre, encore un autre…et se prendre violemment le suivant.

Sonnés, elle et Azzinoth mettent un peu de temps à réagir, avant que le démon ne lâche un immense rire gras, se poilant à gorge déployée. Honnêtement Mésange ne trouvait pas cela très drôle, mais elle avait du mal à ne pas se sentir contaminée par celui qui partageait sa tête.

Je n’aime pas ça…
C’est énorme, plus ça va et moins ce corps a l’air vraiment mortel ! Ce doit être mon excellente influence sur toi.

Mésange continuait d’émaner une aura d’incertitude voilée de peur. Azzinoth reste silencieux quelques instants, avant de retourner se tapir au fond de leur esprit, laissant Mésange se faire aspirer au contrôle, ce qui ne manqua pas de la faire couiner de surprise.
Dans le fond de sa tête, elle entend à nouveau le rire du démon, ce qui la fait repenser au cauchemar…mais, paradoxalement, ce rire là ne lui fait plus peur comme autrefois. A cet instant, elle le trouve même presque rassurant. Elle n’était pas seule. Elle ne serait jamais seule.

La douleur physique du corps toujours en vrac contre l’arbre la sort alors douloureusement de ses pensées.

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Quelques jours passent, et ils finissent éventuellement par se rendre compte que chaque nuit le phénomène se reproduit. Azzinoth ne lui redemande pas le contrôle, et Mésange ne se sent pas à lui redonner ; c’était une trêve temporaire. Mais même s’ils ne sont plus fusionnels, Mésange se rend compte qu’elle a de moins en moins peur la nuit depuis qu’il est revenu, et elle fait moins de cauchemars.

Elle constate avec satisfaction qu’elle n’a plus besoin de la présence de la meute. Mais, rapidement, une idée lui vient ; la nuit, lorsqu’elle devient fantôme quelques minutes, pourrait-elle passer au travers du Dôme ?
La nuit suivante, elle est prête aux bordures du territoire Lazuli à la tombée du jour, et attend jusqu’à ce que son nouveau pouvoir se manifeste. Quand enfin son corps s’efface légèrement, elle saute sans hésitation à travers le Dôme. Et se retrouve de l’autre côté. Elle inspire une grande bouffée d’air, lui trouvant un délicieux fumet de liberté.

Cheh, Mido.

Elle réessaye plusieurs fois dans chaque sens pour être sûre, puis se glisse à nouveau à l’intérieur des terres Lazuli avant que la tangibilité ne l’affecte à nouveau. Car désormais, elle sait ce qu’elle veut faire, où elle veut aller : et ce n’est pas sur ces terres maudites par ces dieux qu’elle haït qu’elle le trouvera. Mais, avant de partir, elle veut prévenir DeuxCornes et sa Luciole. Parce qu’elle leur doit ça, et qu’elle veut les revoir, avant de partir pour peut-être ne jamais revenir. Elle sait que sa sœur n’est pas faite non plus pour cet endroit, les lambeaux de leur meute sur le déclin n’étant pas suffisants pour l’occuper. Et même si elle l’adorait, Mésange avait parfaitement conscience que leurs pas devaient se séparer. Au moins temporairement.

Pour DeuxCornes, c’était pour s’assurer une dernière fois de sa bonne santé avec Nugget, mais aussi le remercier, lui et sa Licorne. Leur assurer que l’envol de leur Mésange n’était que suite du courant de sa vie, qu’ils pouvaient la regarder sauter définitivement hors de leur nid avant qu’elle ne s’en aille migrer vers de meilleurs vents.

Alors, tandis que le petit matin commence à dissiper les brumes hivernales, elle s’en retourne une dernière fois à la tanière familiale.