Adieux aux Terres Haïes

Lucky

Un suicide.

C'était probablement ce qui les embêtait le plus, ça faisait tâche, ça les plaçait dans le mauvais rôle, celui de ceux qui ont poussé un autre loup à commettre un tel acte.
Ça et le fait qu'il convulsait encore, l'oeil blanc, de la bave s'échappant de sa gueule en même temps que de petites baies mortellement colorées. Oh les obtenir n'avait pas été difficile, il y en avait partout dans la nature, on apprenait aux louveteaux à ne pas les manger. La mort de leur prisonnier, il s'en doutait bien, leur importait peu mais là, dans la mesure où, il n'y était pas encore, se battait dans leurs petits crânes étroits la haine instinctive Etelkru qui les poussaient à le regarder suffoquer et la morale guérisseur qui demandait à soigner n'importe quel loup souffrant.

Un suicide.

C'était l'idée qui avait germé dans la tête de Lucky il y a quelques temps déjà, lui qui n'avaient jamais fait de bulle depuis qu'il était là, lui ne parlait pas ou que très peu, restant soit allongé au fond de sa geôle soit à travailler dans les tâches ingrates qu'on lui assignait. Finalement, c'était la première fois qu'il attirait suffisamment l'attention sur lui pour déplacer une partie des loups adultes présents au camp. Curiosité déplacée, on voulait voir ce qu'il se passait et on ne faisait pas attention.
La décision fut prise finalement d'être un minimum charitable, on abrégerait ses souffrances, de toute façon, il avait déjà abandonné la volonté de vivre n'est-ce pas ? Un loup s'approcha, ses crocs luisant à la faible lueur qui filtrait dans la grotte et Lucky pouvait sentir son souffle chaud contre son pelage. Un sourire s'étira sur les babines du prisonnier alors que d'un coup, son œil se refit vif, se recolorant de son iris bleu alors qu'il se retourna pour donner un puissant coup de pattes arrières dans la gueule de celui qui avait été choisi pour le délivré de sa souffrance.
Le mâle ailé profita de l'élan pour se remettre debout, crachant les baies qui n'avait pas été mordues en réalité, simple accessoire crédible. Ne perdant pas de temps, il profita de l'effet de surprise pour se précipiter vers la porte ouverte, propulsé par des muscles rendus puissant à force de travaux physique, il bondit par dessus les curieux, s'échappant dans le couloir.
Aucun regard en arrière, aucun regard pour les deux qui avaient rejoins la prison il y a peu. Il ne leur avait pas adressé la parole, leur répondait à peine par une mot en une syllabe lorsque ceux ci tentaient une conversation. Aucune réflexion navré également d'avoir profité pour lui seul de ce moment d'inattention des geôliers, il n'y avait jamais eu de tentative de fuite avant, ils n'y étaient plus préparé depuis longtemps.

Ce soir, Lucky serait libre... ou mort, soit l'un, soit l'autre, le mâle n'accepterait pas de retourner dans sa cage alors, encore très attaché à la vie, il donnerait tout à cet instant pour qu'on ne le rattrape pas.
Il arriva dans le camp,baissant un peu la tête dans une grimace à cause du soleil éblouissant ses yeux clairs mais il ne s'arrêta pas, courant tout droit vers la sortie. Ce camp, il avait appris à le connaître par cœur, tout les éventuels pièges naturels, il savait où les trouver alors il courait, courait le plus vite possible, se forçant à toujours plus accélérer, jamais ralentir, pas tout de suite. On hurla, on aboya derrière lui, l'effet de surprise était fini mais lui, il était déjà à la sortie... pour tomber nez à nez avec une patrouille. Et merde ! Ils ne devaient pas être déjà rentré eux, visiblement ils avaient écourté un peu le tour. Lucky pilla devant eux, le petit provoqué nuage de poussière englobant le petit groupe. Instant le flottement, le fuyard reprit ses esprits avant les autres, notamment à cause des grondements qui se rapprochaient.
Il quitta le chemin, alla se perdre en forêt et en montagne, osant les pentes, glissant souvent, s'écorchant coussinets et griffes qui rapidement laissèrent des tâches de sang dans la terre alors que derrière lui, il les entendait encore ces etelkrus furieux. Ses poumons lui brûlaient, il sentait ses pattes tremblées alors que son estomac hurlait de douleur dans un point de côté mais Lucky ne s'arrêta pas, il continua encore et encore.

Les Etelkrus n'étaient pas n'importe quels loups cependant, il avait été rabattu, comme lorsqu'on rabattait une proie, il le devina lorsque le chemin se fit plus fin jusqu'à devenir une corniche sur le flan d'une montagne. Derrière lui, des poursuivant furieux, et soudainement devant, un groupe qui l'attendait, pelage hérissé, crocs dévoilés, yeux injectés de sang. Lucky se stoppa, voulut faire demi-tour mais ses oreilles pivotèrent à l'entente des griffes sur la pierre c'était trop tard. Frénétiquement, il regarda le groupe à l'avant, celui à l'arrière, sa queue rempliée sous son ventre, les oreilles plaquées sur son crâne. Il avait perdu, c'était fini...à moins que.
D'un côté, la falaise, mur abrupte et menaçant, de l'autre, le vide au fond duquel circulait un  torrent aux eaux meurtrières, prêtes à noyer les fous. Fou, il arrivait parfois dans la vie qu'une situation demandait de l'être, peut-être qu'il y survivrait, peut-être pas mais le mâle tenta le tout pour le tout, il sauta.

Lucky n'avait jamais aimé son nom, bien qu'il ne l'avait jamais renié par respect pour sa mère. Il le portait mal, très mal, il ne s'était jamais trouvé chanceux. Pourtant la louve blanche n'avait jamais cessé de lui dire et lui répéter que son nom était un porte bonheur, un cadeau qu'elle voulait lui offrir pour le sortir un jour d'une situation difficile. Elle n'avait pas fait ce cadeau à sa fille, mais elle avait deviné une vie compliqué à son fils.
Lucky n'avait jamais cru à cette fantaisie, il avait tout simplement porté ce nom en le haïssant, pourtant, à cet instant, alors qu'il chutait dans le vide, alors qu'il se faisait avalé par le remous furieux des rapides, l'eau l'avalant avec pour dernière vision ces etelkrus qui le regardaient tombé depuis la falaise d'où il avait sauté, il pria, pria de toute ses forces que son nom, présent de sa mère, lui porte chance.

Peut-être l'avaient-il deviné, peut-être pas mais ces etelkrus qui l'avaient poursuivi au travers ce territoire, jamais ne retrouveront leur prisonnier, ni eux, ni personne et probablement que les dieux seraient les seuls à savoir ce qu'il est advenu de ce loup qui avait été marqué par la haine de chacun, la sienne comme celle des autres.