une forme dans la pénombre

Dans la pénombre, deux yeux froids brillaient. Des grands yeux de louveteau, mais déchargés de la candeur et de la douceur qu'on y associait habituellement. Ils scrutaient l'entrée de la tanière dans laquelle on l'avait mise sans bouger, enregistrant chaque passage au-dehors, chaque détail dans la pierre trouée qui en formait l'ouverture, chaque frémissement des autres silhouettes autour d'elle. Elle n'était plus une prisonnière maintenant, non, on avait jugé qu'elle pouvait rester au moins pour dormir avec les autres jeunes. Elle avait même été confiée à ce loup gris et orangé qui les avait ramenés au camp elle et le solitaire blanc, chose qu'elle trouvait tout sauf plaisante. Elle avait été en rage d'être si impuissante face à toutes les actions et décisions qui étaient prises pour elle. Maintenant que la fureur était passée et qu'une froide réflexion lui avait laissé la place, elle s'était faite à l'idée qu'on ne la laisserait pas partir d'ici de son plein gré.

Preuve en était ce loup qui surgissait à peine quelques instants après qu'on l'aie laissée seule avec les autres. Ses yeux se plissèrent légèrement alors qu'il avançait visiblement vers elle. Elle était assise, et ne se releva pas, se contentant de lorgner sur lui un regard chargé d'animosité. Visiblement, il n'avait pas été volontaire pour la mission, car il s'emmêla les pinceaux dans ses paroles, balbutiant et hésitant. Une lueur de mépris passa dans les iris clairs d'Ama. Mère aurait ri de voir un loup savoir si mal s'adresser à une simple enfant. Aucun de ceux qu'elle avait vus ici n'avaient la prestance d'Oxomo. La cheffe l'atteindrait petit un jour, si elle se montrait plus impitoyable. Mais elle en doutait. Aucun de ces loups n'était assez fort pour cela. Tous des faibles.

Les oreilles en arrière, elle coula un regard à l'extérieur, avant d'accrocher de nouveau ses yeux à ceux de l'adulte. Mère lui avait dit de ne jamais baisser le regard face à ceux qu'elle considérait comme faibles. Ils finiraient par le faire, quoi qu'il arrive, et un simple regard pouvait suffire à faire hésiter un ennemi. Il n'y avait que des ennemis ici. Alors elle ancrait ses prunelles froides dans leurs regards vides sans hésiter, leur montrant en silence qu'un jour, elle serait assez forte pour tous les terrasser.

"Est-ce que nous allons sortir d'ici ?" Finit-elle par demander.

La perspective de rester dans cette même grotte mais en se sachant surveillée était bien peu attirante. Elle ne prit pas la peine de se présenter, parce que tous connaissaient déjà son nom. Elle devrait apprendre les leurs d'ailleurs, peut-être en commençant justement par celui-ci.

"Tu es qui ?" Ajouta-t-elle avec un petit grognement.

Elle nota soigneusement son nom, sans se départir de son expression froide, les pattes serrées autour du petit squelette toujours sous son emprise. Shunka. Des sonorités inoffensives, comme il avait l'air de l'être. Elle était trop jeune encore pour que de telles idées lui viennent, mais il ne faisait aucun doute qu'en grandissant fleurirait dans son esprit l'idée qu'il était possible de trouver un moyen d'utiliser ce loup pour parvenir à ses fins et servir ses desseins. Elle était visiblement destinée à rester ici, de gré ou de force. Elle devait en faire sa décision, sa volonté, son choix.

Il parut réfléchir à sa question, l'air gêné, et elle profita de l'occasion pour jeter un regard autour d'eux. Méthodique, son cerveau enregistrait chaque détail, quel qu'il fut, sur tout ce qui l'entourait. Lorsqu'il parla à nouveau, elle tourna aussitôt la tête pour ficher à nouveau son regard sur lui, attentive à chacun de ses mots. Entonnement, il ne fut pas contre une sortie de cette grotte dans laquelle il n'y avait plus grand chose de nouveau à découvrir. Elle redressa légèrement les oreilles et finit par se relever. Elle était encore petite, bien trop petite à son goût, aussi ne s'approcha-t-elle pas plus de lui, pour ne pas avoir à se tordre le cou pour le regarder dans les yeux. La queue redressée et le dos droit, elle répondit :

"Non."

Les méninges tournaient à plein régime sous ses longues boucles noires, et elle ajouta finalement :

"Des cailloux pour quoi faire ?"

De nouveau une once de méfiance s'était éveillée dans son regard. Elle resta plantée sur ses quatre pattes sans bouger, se doutant bien que ce serait à lui de prendre la tête sous peine d'être remise rapidement à sa place d'une manière trop humiliante pour être supportable. Elle devait ronger son frein, apprendre à contenir cette enfantine impatience qui l'habitait encore. Sa queue battit l'air une fois, comme pour manifester une forme d'agacement.