Nocera essaya de décoder les paroles, avec un sincère intérêt, de Volstein.
Elle n'aurait pas pu plus maudire son manque d'audition qu'aujourd'hui. Elle avait eu un peu de temps pour s’entraîner, à force, mais de loin elle avait tant de mal que c'en était gênant et frustrant. Elle qui aurait voulu attraper une mèche de cheveux pour la triturer ne put pas non plus. Elle dû se contenter de ronger son frein et observer Crystal passer. Elle devina à la broche son nouveau rang, remerciant discrètement l'idée de les avoir instaurées. Puis Kerguelen passa, leur moment privilégié entre père et fille ensuite.

Et vint son tour. Le signe visuel l'aida à nouveau et elle s'avança, de poil sombre faite, chauve et sourde. Néanmoins contente d'être présente : elle avait apprécié chaque jour auprès du loup blanc aux marquages noirs et aux tresses dans le pelage. Elle avait appris beaucoup auprès de lui, baigné avec plaisir dans sa subtilité et découvert la logique derrière ses réflexions. Elle découvrait la logique derrière les émotions en produisant le travail sur elle venu avec ce mentorat. En somme, elle était contente d'avoir eu ses yeux ouverts par le vieux loup.

Elle décoda ses paroles avec un peu moins de mal, n'ayant pas tous les mots mais ayant au moins l'idée globale de son discours. Elle hocha la tête et rit un peu, quelque chose de fugace. Mais le petit "enfin" eu un bon effet sur elle. Elle se sentie aussi surprise de se faire passer le cristal au cou, mais pencha celui-ci malgré tout. Ses babines s'étirèrent sans son accord, mais elle ne les ramena pas. Elle se sentait honorée.
Elle attrapa le petit collier donné pour ce qu'elle reconnu être le prénom de son frère.
Nocera hocha la tête une dernière fois.

"Merci, Oracle Volstein."

Elle s'éloigna, car vint le tour d'Ajani.
Elle laissa son attention partir sur le petit collier plutôt que sur le grand loup blanc. Même si elle savait son rôle bientôt important, elle ne s'était pas encore trop attaché à lui. Contrairement au mentor qui venait de lui offrir ce collier au façonnement fin et élégant, brillant de violet.

Et la réalité vint toquer à la porte.

Elle ne vit pas comment Volstein s'était allongé au loin. La lumière violette s'effaça juste du cristal, ce qui la dit tiquer. Elle releva le nez. Et même si elle ne put entendre le déchirant hurlement de Kerguelen, elle la vit s'évaporer en milles couleurs et partir droit vers le haut.

Elle comprit, quand Yurai se manifesta. Elle la découvrit pour la première fois dans sa majesté pourpre ce jour là, pour une bien triste raison. Elle n'eu pas le temps de s'approcher de Volstein que la déesse avait ouvert la bouche et parlait à son tour.
Elle comprit simplement qu'elle récitait quelque chose.
La dépouille fut entourée ensuite, et le corps recueillie par la Corneille.

La douleur fit perler des larmes aux yeux de Nocera. Ce ne fut que quand elle s'adressa à Ajani puis disparut qu'elle s'avança timidement d'abord, incertaine, vers la statue. Mais à mesure de ses pas, elle prit en assurance et laissa les larmes couler. Elle observa la statue, qui serait la dernière trace de feu son mentor.
Elle courba l'échine et posa la tête aux pattes de la statue le représentant.

"Merci, pour tout," sanglotta-t-elle, la voix rendue doublement chancelante.

Un dernier hommage.

Il était à peine revenu de son épreuve qu'une nouvelle commençait. Il avait pris son temps en revenant, pris le temps de réaliser que les choses seraient désormais bien différentes de ce qu'elles avaient été. Pas seulement à cause de cette lumière qui se perdait sous ses longs cheveux, autour de son cou, ou de ce médaillon désormais inerte qui cliquetais contre son glowstick. Mais bien parce qu'il avait pleinement conscience d'avoir enfin passé un cap, d'avoir avancé dans une vie où il était resté très longtemps bloqué dans les incertitudes et les doutes, dans des questionnements infinis qui hantaient ses nuits. Tout ça était désormais derrière lui, et il en prenait lentement conscience lorsqu'un hurlement interrompit le fil de ses pensées. Il s'arrêta, les oreilles redressées et le museau tourné vers l'Eglise. Il avait emprunté des chemins détournés pour diriger ses pas vers le Dédale, aussi n'avait-il pas croisé Volstein, qui visiblement s'y était rendu entre temps. Il avait eu le mince espoir de pouvoir le rejoindre avant que tous ne vaquent à leurs activités autour de lui, pour lui parler de sa nouvelle rencontre avec Yurai, et lui montrer le fruit de son travail. Le temps qu'il parvienne au temple, d'autres parfums surgirent autour de lui, et il comprit qu'il ne pourrait le faire qu'une fois le rassemblement passé.

Un drôle de pressentiment le prit alors que tous se rassemblaient sous les arches de pierre, face à la statue de la Corneille, face à lui qui était son représentant sur cette terre. Plus que jamais à cet instant, le jeune lion fut aveugle à ce qui sautait pourtant aux yeux de quiconque aurait contemplé la scène : la fatigue et la vieillesse de leur Oracle. A cet instant, il était plus que jamais aux yeux d'Ajani celui qui avait su orienter sa vie, d'une pichenette, dans la bonne direction. Il était sa famille, son mentor, son exemple, le seul peut-être dont il désirait la fierté car de ceux qui partageaient ou son sang ou son coeur, il serait le seul à en être réellement fier, à connaître tout le chemin parcouru depuis le premier jour. Il le vit rayonnant, en cet ultime jour, ange blanc auréolé de sagesse et de prestance.

Le regard clair de l'apprenti passa tour à tour sur les loups qui furent nommés comme membres à part entière des Nakhus. Sans surprise, c'était Crystal qui succédait à Raison au rang de Couturier, le loup rayé de mauve ayant laissé sa broche quelques temps auparavant. Puis il y eut Eva, et le lion blanc tenta de lui lancer un regard chaleureux pour la féliciter. Elle avait contribué à le guider sur le bon chemin, elle aussi, en apportant à ses réflexions une nouvelle vision. Peut-être en apportant aussi au loup trop solitaire qu'il était les bribes d'une complicité inattendue. Elle méritait de faire partie des leurs, bien plus que lui-même. Et Yurai l'avait accepté. Vint ensuite le tour de Kerguelen, la fille de Volstein, petite louve blessée qui s'était relevée de leur terrible perte avec courage, et surtout sagesse. Il vit la fierté qui brillait dans les yeux de Volstein, et une pensée fugace traversa son esprit : aurait-il lui aussi un jour l'occasion de prononcer ces mots à Moineau, sa petite protégée ? C'était une idée qui lui plaisait.

Puis ce fut à Nocera de recevoir les honneurs. Honneurs tout particuliers, puisque Volstein lui offrit l'un des cristaux qui brillait autour de son cou, et non pas une broche. Elle choisirait la place à prendre dans ce monde qui lui était ouvert, mais il ne lui imposerait pas. Une vague d'admiration s'échouait à peine dans l'esprit d'Ajani lorsque le vieux loup blanc s'approcha pour lui faire face. Un frisson courut le long de son échine. Il ne s'était pas vraiment dit que ce serait aujourd'hui que se terminerait officiellement son apprentissage. C'était peut-être bête, mais il avait l'impression que maintenant que Yurai le lui avait dit, il devait l'officialiser auprès de son mentor avant que les choses ne puissent enfin se conclure. Visiblement, il s'était trompé. Et il comprendrait dans les moments qui suivraient pourquoi cette hâte. Il n'avait même pas encore eu le temps de montrer à son grand-oncle son glowstick nouvellement acquis, et ne réalisa pas immédiatement qu'il était invisible sous ses longues mèches. Il avait fait le choix de ne dire à personne qu'il se rendait à l'Eglise pour son épreuve, et personne ne pouvait donc le savoir ni le deviner. Même pas Volstein.

La gorge du lion blanc se serra aux paroles qu'il lui adressa. Comme en écho à la question que lui avait posée la Corneille, il lui indiqua que c'était à lui de choisir quelle voie il emprunterait. Un sourire presque attristé se dessina sur le museau du désormais ancien apprenti. Mais ensuite, il se passa quelque-chose d'étrange. Volstein décrocha la broche qui maintenait sa cape d'Oracle, mais ne la lui donna pas comme il l'avait fait avec les autres apprentis. Il fit volte-face et d'un pas un peu vacillant, se retourna vers la statue de la déesse. Une lueur d'incompréhension passa dans le regard d'Ajani, aussitôt remplacée par une horreur glacée alors que la silhouette de l'Oracle se laissa tomber sur les hautes marches. Il avait posé sa broche devant lui, devant Yurai, puis n'avait plus bougé. Sans hésiter, Ajani bondit en avant en jappant son nom.

Les choses s'enchaînèrent ensuite si vite qu'il n'aurait trop su dire qui était arrivé en premier, avant ou après lui, auprès de Volstein. Il était penché au-dessus de sa silhouette immobile, réalisant ce qui venait de se passer, lorsque le hurlement de Kerguelen lui déchira les tympans. Il eut la sensation que son corps se figeait d'horreur, tandis que le cri résonnait dans l'Eglise, jusqu'aux tréfonds de son esprit. Ajani n'avait jamais perdu personne, il ne comprenait pas ce que cela signifiait jusque là. Il voyait la tristesse dans les yeux de ses comparses, mais rien ne l'avait préparé à cette détresse terrible qui l'envahit à une idée simple et glacée : il ne le reverrait plus jamais. Volstein était parti, pour toujours. Ses pupilles s'étrécirent, alors que son grand corps refusait de bouger, de quitter le chevet de ce mentor qu'il refusait de laisser s'en aller.

Alors que le cri s'éteignait, il fut soudain envahit par un grand calme. Il reconnut la présence de Yurai au contact de son esprit, différente de ce qu'elle avait été une nuit plus tôt. Elle portait avec elle la tristesse de l'assemblée, la même tristesse que celle qui venait de surgir dans son coeur à lui. Il releva la tête, et se recula de quelques pas, tandis que la Corneille apparaissait devant eux. Il la regarda sans mot dire donner à Volstein une dernière bénédiction, avant qu'il n'aille la rejoindre en un lieu inaccessible aux mortels. Puis la silhouette du vieux loup disparut, et sa figure de pierre vint s'ajouter aux côtés de celle du premier Oracle Nakhu, Sarcan. Puis elle s'adressa directement à lui, et il ne sut que dire devant ses excuses. La situation était irréelle, étrange, jamais il n'aurait imaginé qu'un jour un dieu lui demanderai son pardon. Comme s'il y avait quelque-chose à lui pardonner.

Lorsqu'elle disparut, la détresse aussi s'en était allée de son coeur. Il y restait un chagrin, bien-sûr, une ombre dans son regard clair mais qui n'était pas maîtresse de ses pensées. Il savait ce qu'il devait faire. Il s'avança à nouveau, et frôla de la truffe la cape de feu leur Oracle. L'odeur de Volstein l'imprégnait encore, et peut-être ne la quitterait-elle jamais vraiment. D'un geste calme, il attrapa la broche et le vêtement, et les revêtit à son tour. Volstein et Yurai avaient décrété qu'il était digne de ce rang. Il ne devait pas avoir peur de montrer ce qu'il était désormais. Il inspira profondément, et se retourna vers les Nakhus. Bien des loups étaient encore sous le choc. Il vit Raison murmurer quelques mots à Crystal, avant de faire demi-tour pour s'échapper vers la sortie. Chacun aurait sa manière de gérer la perte de celui qui avait été leur guide depuis bien des années. Il ne chercha pas à le retenir. Ils auraient bien le temps de discuter plus tard, une fois les émotions retombées.

Il vit ensuite la couturière s'approcher de lui pour l'étreindre, et ses mots lui arrachèrent un triste sourire. Il hocha la tête, et répondit doucement :

"Il sera toujours avec nous."

Ici, avec cette statue de pierre. Dans leurs coeurs aussi, et dans leurs souvenirs. Il regarda autour de lui, contempla ceux qui l'entouraient. Il avait une chance inouïe, dans son chagrin : celle de le partager, de ne pas être seul. Ce n'était pas lui qui construirait cet avenir plus lumineux qu'il imaginait pour les Nakhus.
Ce seraient eux tous.

Le hurlement de Volstein résonna dans la Vallée des Murmures pour appeler au rassemblement. Il ne résonna pas très loin, mais ça n'était pas grave : tous les Nakhus étaient dans les environs et attendaient. Depuis plusieurs jours maintenant, tous guettaient, restaient à proximité et attendaient cet appel.

S'ils avaient sur de quoi il était prémonitoire, ils n'auraient pas été si pressé de l'entendre. D'y répondre.

Eva rôdait dans la Vallée. Elle cherchait certaines plantes, certaines variétés de buissons et d'arbres qu'elle avait trouvé dans les livres lors de leurs recherches à la bibliothèque avec Raison, Sobieski et Kerguelen. Des plantes qui endormaient, des plantes qui anesthésiaient, des plantes qui... Et le hurlement, déchirant mais aussi porteur d'espoir, de Volstein. Elle lâcha ses baies, ses feuilles et ses fleurs qu'elle avait dans sa gueule et se gardait bien de mordre, dans une besace empruntée au camp. Puis se dirigea vers le cri, vers l'église, l'église de Yurai.

Il était là. Sur le parvis de l'Eglise, grandi, beau dans sa prestance argentée et malgré sa douleur sous-jacente que l'on sentait sourdre. Dans ses gestes ralentis, dans son regard voilà, dans ses pattes hésitantes. Il y avait tout le monde, toute la meute, sans exception. Ils avaient tous répondu présent pour cet instant à graver dans les mémoires. Alors Eva s'assit dans l'assemblée, au milieu de tout ceux qu'elle aimait et voulait protéger, aux côtés de Sobieski et Nocera (et sa goule dégueulasse qui lui faisait toujours aussi peur, bien qu'elle la tolère un peu plus).

La première à être appelée fut Crystal. Qui s'entrainait depuis des mois, des années avec Raison pour prendre cette place qui l'attendait, cette place de couturière pour tout le bonheur dont elle avait envie de recouvrir le monde, toute cette joie et ce soutien qu'elle souhaitait apporter aux siens. Cette place lui revenait naturellement, et Yurai, et Volstein la lui donnaient enfin. Eva sentait sur son visage un sourire que rien ne pouvait chasser, ces sourires qui s'imposaient et semblaient la seule façon d'exprimer un bonheur intense et rayonnant.

Puis Volstein l'appela.

La veille, lorsqu'il lui avait demandé sa broche, Eva avaient pensé à protester. A lui assurer qu'elle n'avait cure de ces cérémonies, que laisser la place aux autres lui allait très bien. Mais devant le regard pétillant de l'ancien, elle s'était ravisée. Ca lui faisait plaisir, elle le sentait, et depuis le temps qu'il devait préparer cette cérémonie, elle ne se sentait pas de s'y immiscer, même si inconsciemment avec leurs dernières discussions elle avait eu une incidence dessus.

Elle s'approcha à pas souples, et son coeur fit un bond lorsqu'elle vit ce qu'il avait entre les pattes. Une broche dorée, accrochée à une écharpe à demi terminée. Elle ouvrit légèrement la gueule. Elle pouvait reconnaître cette écharpe entre toutes, sans même l'avoir déjà vue. Elle était semblable au dessin qu'en avait fait son créateur, quelques lunes plus tôt. Starset. Pourquoi n'était-il pas venu la voir, comme il l'avait promis ? Lui était-il arrivé quelque chose ? Son clan l'avait-il rejeté pour ses agissements trop amicaux, avait-il eu des soucis ? Une barre plissa son front - elle devrait investiguer.

Mais, d'un autre côté, son coeur battait à tout rompre. Il l'avait fait ! Ils n'avaient fait qu'en parler vaguement, une fois dans le dédale, et il avait pris le temps de la lui confectionner... Et cela lui faisait chaud au coeur. Elle serait fière, heureuse de le porter autour du cou. Elle agita sa longue queue blanche. Ce cocktail de sentiments occultait presque la gêne qu'elle avait de recevoir une broche dorée, qu'elle ne pensait pas mériter. Elle n'avait fait que ce qu'elle pensait être juste, et normal, et un tel distinguo faisait rougir ses joues plumeuses.

Elle se pencha en avant pour accepter le geste de cet oracle qui l'avait accueillie, acceptée, bienvenue dans cette meute qui lui correspondait tant.

Merci à toi Volstein, pour tout ce que tu fais pour nous.

Toujours à l'écoute, toujours bienveillant, toujours agréable avec son prochain. Elle retourna à sa place, après un dernier coup de museau sur l'épaule de celui qu'elle acceptait volontiers comme meneur.

Ensuite vint Kerguelen, et à les voir ensemble le coeur d'Eva se serra. Il manquait une présence à ce tableau, une présence qui flottait, immatérielle, contemplait la scène d'une chaleureuse affection. Hanna. La belle Kerguelen, si forte, si malmenée par la vie et les évènements…

Puis vint Nocera. Et autour du cou de Nocera, qui le méritait tant, vint la pierre de Volstein. Mais pas n’importe quelle pierre. Son glowstick. Alors, le coeur d’Eva se serra. Tellement fort. Personne ne se sépare de son glowstick comme ça, fut-ce-t-il vieux, et sûrement pas un oracle. Le coeur d’Eva se serra tellement fort qu’elle crut qu’il allait éclater. Et c’est le coeur gros, débordant, qu’elle vit Nocera reprendre sa place dans l’assemblée. C’est avec une émotion renouvelée qu’elle observa, avec plus d’attention encore, le visage si doux, si triste du loup noir et argent.

Et enfin vint Ajani. Ajani-Aux-Mille-Questions, Ajani-Aux-Mille-Doutes, qui était bien plus calme, bien plus posé et… Imposant que la dernière fois qu’elle l’avait vu.

Mais Volstein recula, se rapprocha de la statue et s’allongea.

Sur le sol.

Pour la dernière fois.

Il n’avait eu qu’un regard pour les prévenir, un dernier regard pour eux, pour Kerguelen.

Lorsque cette dernière se rendit compte de ce qu’il venait de se passer, elle bondit. Elle rugit, exprima sa peine, sa douleur, de la façon dont seuls les loups savaient le faire, en hurlant, en rejetant. Mais aussi d’une façon dont seule elle le pouvait : en brillant. En… Disparaissant ?

En se consumant dans sa tristesse.

Eva se jeta en avant.

Kerguelen !

En la voyant se déliter, peu à peu. La louve bicolore donna un coup d’aile, accéléra, se rua sur son amie mais elle le voyait bien, elle le savait, ce serait trop tard, bien trop tard - il ne restait rien d’elle que ses couleurs flamboyantes quand elle parvint aux côtés du corps raide de Volstein.

KERGUELEN !

Elle ne venait pas seulement de perdre un oracle, elle venait aussi de perdre une amie, et un sentiment d’échec l’envahit. Elle n’avait pas été assez présente, n’est-ce pas ? Elle n’avait pas réussi à assez la rassurer, à l’ancrer avec eux. Elle tait toujours bien trop liée à ses parents pour réussir à être ce qu’elle était. Eva tourna autour des deux loups en gémissant, et recula vivement lorsque la présence pourpre se manifesta, rendant l’espace à ceux à qui il appartenait.

La déesse emplissait l’espace. Eva ne l’avait pas revue depuis que cette dernière lui avait offert son don, si durement requis. La louve ailée battit des paupières, le sang bouillonnant, la tête et le coeur en vrac, trop de choses survenaient en même temps. Mais la déesse, douce, habituée au temps très court qui était offert aux vivants, s’empara du corps de Volstein.

Le statufia, accompagnant cette métamorphose de paroles justes et douces, rappels sur le loup qui les avait guidé pendant tant d’années. Et le corps cristallisé prit place à côté du premier, continuant cette allée des rois qui devenait témoin du temps et de la rigueur, du savoir, de la grandeur renouvelée des Nakhus.

Ils ne se perdaient pas. Ils étaient sur le chemin de Yurai, ils suivaient leur déesse de patience, de justice et de tempérance, ils suivaient son chemin et le pavaient de leui!@iu!r foi.

Les paroles de la pourpre rassurèrent Eva. Qui, mieux qu’elle, pouvait prendre soin de cette petite louve grise consumée par son don et sa tristesse ?

Et un bond de son coeur, de nouveau, alors que son regard cible Ajani.

Ainsi, il est retourné voir la déesse. Ainsi, il a finalement pris sa décision. Il s’est départi de ses doutes, départi de ses questions pour ne garder que l’essentiel : le chemin qu’il voulait suivre. Ce qu’il voulait apporter, ce qu’il voulait donner, à la suite de ce loup formidable qu’était Volstein, aux côtés de cette meute qu’il avait choisi d’intégrer, pleinement.

La dernière émotion que ressentit Eva lors de cette cérémonie fut une joie débordante, qui parvint presque à chasser la tristesse qui menaçait de la noyer. Presque. Car tout son corps tremblait encore au souvenir de Volstein, de Kerguelen. A la pensée de Starset.

Elle n’arrivait pas à se réjouir des annonces positives, tout était chassé. Elle s’assit. Respira profondément, ferma les yeux et visualisa sa mère. Sa mère, la douce pie qui l’entourait de ses ailes alors que l’un des leurs venait de les quitter. Sa mère, qui posait son front contre le sien.

Eva, Eva, ne pleure pas. Ne pleure pas, elle est partie mais ne pleure pas. Car elle danse maintenant avec les nuages bariolés dans les cieux immenses du monde prochain. Ne pleure pas car son corps se repose enfin et son esprit sublimé s’enjaille à l’infini.

Ne pleure pas, Eva.

Son souffle saccadé se calma peu à peu, et les larmes qui menaçaient de perler au coin de ses yeux refluèrent. Sois comme ta mère, Eva, sois forte. Si ce n’est pour toi, alors pour les autres. Elle secoua doucement la tête, et rouvrit les yeux. Le départ d’un proche était toujours une épreuve terrible, et terrifiante. Mais le devoir des vivants était d’honorer leur mémoire, et de continuer sur le chemin de la vie et de l’espoir.

Elle devait féliciter chacun des appelés, chacun de ceux qui avaient mérité leur place dans cette meute. Elle devait rassurer ceux qui étaient tristes, épauler ceux que le voyage effrayait. Elle devait aussi aller chercher Starset, comprendre ce qu’il était devenu. Laisser à Yurai la tache de ramener Kerguelen.

Tant de choses à faire, que ses larmes ne pouvaient aider.

Eva se leva et passa le bout de son aile sur ses yeux pour chasser les dernière réminiscences aqueuses, et se composa un sourire doux. Elle se dirigea vers Nocera et lui lécha la joue. Elle savait qu’elle n’entendrait rien, aussi se contenta-t-elle de cette présence chaleureuse, ponctuelle, avant de reculer et la laisser à son deuil.

Elle passa ensuite à Crystal et Ajani. A la première, elle gratouilla la tête gentiment :

Crystal ! Félicitations. Tu le mérites, avec tout ce que tu as fait et tout ce que tu fais au quotidien ! Je sais que tu sauras honorer ta position avec force, courage et détermination. Merci pour tout !

Elle ne mâchait pas ses mots, ça n’était pas son genre. Et puis, elle avait vu cette petite louvette perdue devenir une grande et forte couturière, ça n’était pas rien. Elle était devenue la meilleure version d’elle-même.

Eva se tourna ensuite vers Ajani, et ploya en une révérence courtoise.

Ajani… Félicitations. Je suis heureuse que tu aies trouvé ta voie et les réponses à toutes les questions que tu te posais. Je sais que tu feras ce que tu estimes être juste et bon pour la meute, et je serais ravie de pouvoir t’y aider au mieux de mes capacités. N’hésite pas à me solliciter si je peux apporter.

Grand sourire.

L’enfant des mers était parti.

Poe perché sur son épaule, Lewis s’en était allée après avoir prévenu Creek de son départ. Le seul qui méritait de comprendre. Le seul qui avait le droit de tout savoir. Les Raeders avaient trop changé pour la mauve, leurs intentions devenaient de moins en moins claires, le capitaine n’était devenu qu’un faiblard aux intentions perverties par sa stupidité. Voilà qu’il avait kidnappé un môme Etelkrus après avoir recueillie une solitaire à l’esprit un peu trop étroit. Tout ça sûrement dans le but de vénérer la stupide Céto. Pff !

« — Tu penses trop gamine. »

La pirate remua sa queue recourbée, observant les landes sous ses yeux, si différentes des plages.

« — Un de nous deux doit bien avoir cette mission Poe. »

C’était en avançant lentement que Lewis tentait de retrouver la trace des Nakhus, en particulier de Volstein. Lui qui avait proposé un échappatoire. Lui qui avait apporté tant de réponses. Mais le grand loup n’était plus. Le-Loup-Blanc-Qui-Avait-Salué-La-Mort fut emporté par une silhouette mauve, alors qu’un autre loup blanc prenait sa place. Le Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan. Ajani. La jeune louve s’approcha doucement de ce rassemblement, sans hésitation quand bien même ils auraient pu la faire partir. Ses yeux améthystes observèrent tour à tour les loups présents. Ils ressemblaient plus à une famille qu’à une meute. C’était tellement… étrange et admirable.