Entre parenthèses · Sheina | Terminé

Un peu de ressourcement au bord de la mer, et Anette avait rassemblé ses petits morceaux et avait comblé le vide temporaire avec les railleries des goélands et les vagues. Mais après que ses pattes aient quitté la douceur du sable, elles la guidèrent vers le Marais, plutôt que de retourner au Grand Castel. C'est vers la demeure de Kiro qu'elle se dirigea, car elle savait ce qu'elle y retrouverais.

Qui elle y retrouverait.

Ce n'était pas illogique de continuer sa parenthèse auprès d'elle. Leurs derniers moments avaient été faits de cela, quelque chose de bénéfique pour Anette. C'était aussi une occasion de s'engouffrer un peu plus dans ce lien grandissant et de le bâtir peut-être. Elle regrettait juste de lui arriver dans cet état. Avec ses cheveux encore en bataille et le poil plein de sel, sans doutes du sable encore logé dans les coussinets. Avec les morceaux d'elle encore en bataille et l'âme pleine de sel, sans doutes du sable encore logé dans le cœur.

Quand elle s'approcha de l'arbre aux serpents, elle lâcha un soupir exténué.
Et s'allongea non loin de l'entrée. Ferma les yeux quelques instants.

Pour patienter, pour se calmer.

L’arbre était devenu comme une maison principale. La tanière que Kiro avait aménagé pour la prêtresse lui servait de logement principal. Il faut dire que le comportement de certains Etelkrus ne lui donnait pas entière satisfaction. Alors, autant éviter le plus possible la déception. Sheina dormait la tête en bas, ses griffes de la pattes arrières venaient entourer une des racines qui passait par le plafond de la petite salle qui lui était réservée. Une position qui lui convenait de plus en plus au fil du temps.

Pourtant, l’odeur de la mer vint la pousser à abandonner son sommeil, alors que l’hybride pointait sa truffe vers l’extérieur, tombant nez à nez sur Anette, visiblement pensive. Un sourire amusée vint étirer les babines de la discipline de Kiro.

« — À chacune de tes venues ici, tu sembles perdues dans tes réflexion, Anette. »

Et puis elle apparut, de l'amusement dans les yeux et une réflexion au creux du sourire. Dans son monde désillusion et de doutes, cela lui fit le choc qu'elle n'aurait pas pensé vouloir, mais dont elle avait eu besoin. Tout ne changeait pas, tout ne foutait pas le camps. Des promesses étaient encore tenues. Une expression un peu triste et un peu bête s'invita, pour s'éclipser quelques secondes plus tard, sur le visage d'Anne. Mais un sourire fleurit ensuite.

Anette se releva. Elle s'approcha de Sheina à pas lents et silencieux. Elle tint d'abord comme une sorte de distance raisonnable, favorisant en premier lieux le contact oculaire qu'elle avaient. Pour parler et répondre à la violette. C'était aussi dans dans celui-ci que la prêtresse pouvait se pencher avec facilité. Il n'était pas gardé, pas calculé. Pas auprès d'elle.

"Ce qui importe c'est que je repars l'esprit plus clair."

C'est ce dont elle avait envie, et quoi de mieux qu'emprunter au recul de la dame en face d'elle. Comme précédemment, juste être Anette. Elle s'amusa à observer la chauve-souris en entier d'une façon faussement racoleuse.

"Et le corps plus chaud."

Elle laissa la boutade en suspend dans l'air un instant en pouffant un peu.
Mais bien vite, elle clôt la distance. Elle entoura Sheina doucement dans une étreinte très douce, loin de la possessivité relative qu'elle avait pu avoir avant.

Avec douceur, la prêtresse observa la beige. Le rôle d’alpha ne semblait pas être de tout repos avec elle, Sheina savait aussi que les derniers mois n’avaient pas été simple, notamment à cause de Pepper. C’était l’aspect négatif de la vie, savoir gérer les péripéthies, être en mesure de les encaisser pour ne pas sombrer. La chauve-souris eu à peine le temps d’entrouvrir la gueule pour répondre qu’Anette se retrouve contre elle. L’Etelkrus sourit, conservant le silence un moment. Parce que le silence avait souvent plus de valeur que les mots. La truffe pointue de Sheina était près de l’oreille de la louve, alors que son souffle devait sûrement chatouiller Anette.

« — Quelle invitation dis-moi. »

Elle avait emprunté un ton bas, qui trahissait le sourire qui étirait ses babines.

« — Qu’est-ce qui te dis que tu auras la force de repartir ? »

La prêtresse de Kiro déploie ses ailes sur leurs deux corps, les enveloppant d’un cocon, à l’abri de la vue de tous, là où elles ne seraient que toutes les deux.

Un cocon encore plus petit.
Un petit monde de proximité qui imbibait doucement l'âme laissée en pagaille. Protégé des vents, des gens... Même des dieux. Il véhiculait des images ; la simplicité d'une source d'eau galopant dans les terres,  la chaleur d'une grotte habitée d'un feu de bois,  des visages taillées comme les montagnes par le temps, des mélodies fredonnées tout bas ou déclamées au monde, des rires s'envolant comme une nuée d'oiseaux, des couleurs très différentes mais harmonieuses, les remous de la lave se calmant et se solidifiant à la fin. Cette collection habita les paupières fermées d'Anette un moment.

Puis un rire tenta de soulever sa poitrine, même s'il sortit plutôt en trois expirations d'air profondes et un peu espacées. Un peu comme la petite soupape d'une cheminée crachotant les dernières traces d'une fumée pleine de suie ; les pensées sombres s'étaient envolées. Elle rouvrit les yeux et tordit le cou pour pouvoir au moins avoir le visage de Sheina. Elle le cartographia d'une patte, le dessinant et remontant vers l'oreille pour pousser les cheveux mais ultimement revenir et l'accrocher à nouveau. Se prévenir ainsi se tomber dans ses yeux, de laisser tomber ce qui brillait au bord des siens.
Des perles de vulnérabilité et de sincérité.

"Rien, rien ne me le dit."

Elle arqua le cou, et plongea finalement, incapable de résister à l'appel de cet améthyste plein de douceur. À l'appel de ce qui avait grandit, grandit, poussé comme la plus miraculeuse des plantes ; qu'elle avait attendue avec patience pour que cet instant précis soit le meilleur et le plus sincère venant d'elle. Anette colla leurs deux fronts en laissant le rideau de ses paupières se clore à nouveau.

"Je veux rester, et m'offrir à toi. Comme tu l'as fait à moi." Avec un sourire, elle ajouta. "Si tu en as envie, bien sûr."

Elle venait de cueillir la fleur, détachée avec précaution pour doucement la tendre en direction de Sheina.

Les yeux mauves de Sheina observaient le moindre mouvement d’Anette. La lumière de Kiro à sa patte brilla un peu plus fort, alors que la chauve-souris se sentait entière ici. Loin des problèmes du clan, loin des tensions inter-meutes, loin de tout, juste ici. Pleinement vivante et consciente en ces lieux. Pas parce qu’elle était seule aux côtés de son dieu, mais parce qu’Anette venait compléter ce tout. Parce qu’Anette la rendait vivante. Un sourire amusé vint étirer ses babines.

« — Tu l’as déjà fait. »

La truffe pointue de Sheina touche doucement le front de l’alpha, jouant avec quelques mèches de cheveux rebelles qui tombaient.

« — En venant ici, tu t’es déjà offerte à moi depuis bien longtemps. »

Parce que toi aussi tu avais aimé jouer Sheina, tu avais apprécié la tournure que les choses prenaient, lorsque le jeu était devenu réalité. Maintenant tu ne jouais plus, parce que maintenant c’était ton coeur qui menait la danse. Parce que toi aussi tu les voyais ces fleurs qui prenaient vie, qui vous entouraient, parce que toi aussi tu y croyais.

Déjà fait...
Presque comme si Sheina avait toujours su, toujours eu confiance en elle et en le fait que leur jeu avait un goût sous-jasent de sérieux. Elle se sentit prise par un frisson sous le toucher de la louve, qui descendit en cascade depuis son front et jusque dans son torse pour secouer ses pattes avant. Seul les longues mèches de nuit de la prêtresse lui donnaient envie de passer ses griffes, inlassablement, dedans... Et elle se rendit compte alors qu'il n'y avait qu'elle qui déclenchait une telle réaction en touchant les siens.  

Un privilège parmi tant, désormais.
Anette se sentait immense, prête à tout affronter dans un tel moment. Une effusion de sentiment intense dont elle ne se cacherait absolument pas, jamais même. Elle n'anticipait face à sa réaction dans le pire des cas, qu'un tendre agacement, et si cela arrivait elle s'en amusait presque déjà. Elle ne tut donc pas ce que lui inspirait ce jardin entre elles, s'y plongeait avec un plaisir inégalé. L'expression de plaisir qu'elle avait arboré augmenta, son sourire s'étendant un peu plus.

"Ma prêtresse. Ma fleur de nuit. Mon étoile." Elle rit, et passa enfin un coup de langue sur ce museau, un geste intime qu'elle avait attendu de faire.  "Ma compagne."

Une louve formidable.