Les conseils portés par la nuit | Annette

Elle était restée réveillée pratiquement toute la nuit, ne tombant de sommeil que très tard lorsque la fatigue avait finalement pris le pas sur le maelström d'émotions qui agitaient son esprit. Elle était tapie au fond de la tanière dans laquelle on l'avait mise pour cette première nuit, en compagnie d'une autre louve mais également de la cheffe qui l'avait reçue la veille. Lorsqu'elle s'éveilla au matin, le corps pétri de courbatures et encore douloureux de l'escapade de la veille, elle ne mit qu'un instant à se rappeler pourquoi elle se trouvait ici. Autour d'elle, les formes des adultes paraissaient tranquilles, la respiration régulière. C'était étrange. Elle n'avait jamais dormi avec quelqu'un d'autre que Mère à ses côtés. Seule oui, ça lui était arrivée lorsqu'elle s'était perdue une fois. Mais jamais la présence d'un autre loup n'avait été là aux primes secondes de ses journées. Le premier sentiment qui la prit, dans le silence et la fraîcheur qui régnait, fut la solitude. Elle était loin de Mère, prisonnière d'un clan qui ne paraissait pas décidé à la laisser repartir, sur des terres dont elle ignorait tout. S'échapper ne lui servirait à rien, maintenant qu'elle y réfléchissait. Ils la rattraperaient, ou alors elle se perdrait. Le plus prudent restait encore de faire profil bas et prier pour que Mère parvienne à suivre la piste du loup blanc.

Toutefois, alors que son esprit s'éveillait complètement, la frustration revint se faire une place dans ses pensées. Elle savait que tous ces loups qui ensemble la maintenaient ici étaient faibles. Ils seraient incapables de survivre comme Mère et elle dans les terres qui n'étaient pas leurs douces grottes et sous la protection du groupe. Pourtant elle s'était laissée piéger. Par réflexe, ses pattes se recroquevillèrent autour du petit squelette sous ses pattes, provoquant un léger cliquetis qui résonna dans la grotte. Elle devait absolument veiller sur ce trophée, parce que Mère serait peut-être furieuse qu'elle se soit laissée attraper. Mais au moins elle pourrait lui montrer ce qu'elle avait pris au monstre, et peut-être ne serait-elle pas trop déçue.

Anette ouvrit les yeux sur la jeune louve.
Elle avait déjà quitté les affres de Morphée, les yeux bleus penchés sur son petit squelette. L'esprit encore un tout petit peu embrumé, elle se fit une réflexion rapide qu'elle était obstinée. Ce n'était que le rappel que ce qu'elle voulait accomplir auprès de l'enfant serait long et difficile. L'alpha se redressa et s'étira un peu dans son mouvement pour réveiller son corps alors que son esprit se mettait déjà en route.

Elle ne s'autorisa qu'un léger bâillement avant de s'extraire du sol, se campant au final solidement sur ses pattes. Prête à attaquer la journée et sa routine quotidienne. Elle l'effectuait normalement seule mais aujourd'hui elle comptait donc bien à ce que ce ne soit pas le cas. Elle attaquerait ce chemin avec Rowena comme elle attaquait ses journées alors ; avec motivation et détermination. Et en fractionnant les objectifs.

"Bien, puis-ce que tu es réveillée, tu peux venir avec moi."

Noir dans le bleu azur, ses paupières clignèrent pour qu'un instant s'écoule.
Et puis sans grandes pompes, menaces ou facéties autres, juste un banal jappement d'invitation, et Anette se mit en route. Elle traversa les couloirs et corridors pour aller se diriger dehors. La fraîcheur du matin était... vive, plus proche du froid que de l'agréable. Mais avec une exhalation amusée, Anette se lança malgré tout dans la neige au petit trot.

La louve beige s'éveilla quelques temps après, et dès qu'elle bougea le corps d'Ama se crispa légèrement. Elle se fit violence pour ne pas montrer plus de signes d'intimidation, et redressa la tête lorsqu'elle lui parla. Et ses propos sonnaient d'avantage comme un ordre que comme une invitation ou une réelle... possibilité. Mais à choisir entre ça et rester enfermée encore une journée de plus, autant prendre un peu plus connaissance de son nouvel environnement. Elle se releva donc d'un petit bond, les pattes toujours autour de son butin, et réfléchissant à la manière dont elle pouvait ne plus s'en encombrer sans toutefois le perdre. Elle finit par attendre que l'autre louve aie commencé à passer l'entrée pour faire volte-face et aller le poser au fond de la grotte, derrière un petit repli de pierre. Ce n'était pas idéal, mais si personne ne venait là d'ici leur retour elle avait sans doute une chance de l'y retrouver intact. Et sinon, elle traquerait celui qui lui avait volé jusqu'à ce qu'il lui rende, qui que ce fût.

En quelques petits bonds, elle se mit dans le sillage de la groupe louve, la tête à demi-basse et le regard virevoltant à droite et à gauche, enregistrant chaque nouvel élément qui entrait dans son champ de vision. Elle fut saisie d'un frisson désagréable lorsqu'elles sortirent dans la neige après avoir déambulé à travers les couloirs dans un silence plutôt inattendu. La veille, lorsqu'elle était arrivée, tout le monde n'avait eu de cesse de lui poser des questions, pour savoir d'où elle venait, ce qu'elle était. Elle avait l'impression étrange que son esprit avait été transplanté dans un corps qui appartenait déjà à un clan auquel elle ne voulait pas appartenir. Et que les loups autour d'elle, fort de leur groupe et de leur obstination, n'en avaient strictement rien à faire. Cette pensée hérissait son échine autant que le froid environnant.

Les mâchoires serrées, elle s'efforça de ne pas trop montrer qu'elle souffrait du froid, même si de petits tremblement agitaient parfois ses pattes lorsqu'elle devait faire des pas trop longs. Elle finit par lancer, comme pour détourner l'attention :

"Qu'est-ce que vous allez faire de moi ?"

Le ton était froid, mais ne cachait pas autant qu'elle le souhaitait le fait qu'elle était frigorifiée, et elle se maudit pour ça. Mais elle voulait savoir ce qu'il y avait dans la tête de cette grande louve, la seule dont elle avait vraiment l'intuition qu'il fallait se méfier ici.

Ce qu'elle allait faire d'elle, c'était une question légitime que celle-ci. Elle était dans son bon droit de la poser également. Les pattes dans la poudreuse, Anette oublia le froid de la voix comme le froid de l'extérieur. Elle trotta sur place, ne perdant pas la petite foulée qu'elle avait prise, pour poser ses yeux sur Ama'. Elle se targua d'un sourire relativement goguenard et de deux sourcils épais relevés.

"Un footing ? Tu devais bien avoir un entrainement pour développer et maintenir ta force."

Une supposition.
Même si elle était prononcée comme une évidence, quelque chose dont on aurait pu se passer : une base qui se devait d'être connue. L'Alpha dressa une oreille et puis observa au-delà de la jeune louve. Son sourire se métamorphosa vers quelque chose d'à la fois presque innocent dans son plaisir, et carnassier.
Elle revint une seconde sur son interlocutrice, pencha la tête.

"Suis-moi, et j'essaierais de te croire quand tu me dis que tu es forte !"

Elle partit au galop, se dirigeant tout droit vers un mouflon, qui s'était égaré trop près du Castel pour son bien. Les foulées puissantes suivirent l'animal qui se mettait déjà à fuir maladroitement dans les rocs de l'endroit.

La petite ne répondit pas lorsqu'Annette s'immobilisa en trottinant sur place pour parler d'un entraînement. Si elle n'avait jamais entendu le terme footing, elle ne put s'empêcher de se demander si la cheffe de la meute plaisantait. Bien-sûr qu'elle s'entraînait dur, chaque jour, et ce depuis qu'elle avait l'âge de courir. Mère tenait à ce qu'elle devienne forte et intelligente, résistante et maligne. Les faibles devaient craindre son nom autant que le sien, Oxomo. Rien que le fait qu'elle soit ainsi prise à part lui faisait se dire que simplement grâce à la louve qui l'avait élevée, on se méfiait d'elle. Et cela lui allait très bien. C'était un maigre réconfort, mais c'était toujours quelque-chose à quoi se raccrocher.

Les mots qui suivirent furent un joli coup de la part de l'alpha, car elles touchèrent exactement le bon point dans l'esprit d'Ama. Quelque-part entre la fierté et le mépris qu'elle avait pour tous ses ajutres loups qui s'étaient mis ensemble pour la capturer. Elle voulait voir si elle pouvait croire en sa force. Bien-sur qu'elle le pouvait. Elle le devait même, car elle était la tempête. Elle les balayerait tous sur son passage lorsque le jour viendrait.

Le pas de la grande louve était bien plus ample que le sien, mais il était clair qu'elle n'avait pas dans l'idée de se laisser distancer. Alors elle cavalait à foulées rapides pour rester à sa hauteur, les oreilles rabattues et sa longue tresse voletant dans son sillage, frappant de temps à autres sa cape déchirée. Elle ne sentait plus le froid, à cet instant, puisqu'une sorte de rage brûlante brillait dans ses prunelles, dans son coeur, dans tout son être. Ses babines frémissaient, alors qu'elle filait sans hésiter, éclaboussée de neige qui piquetée désormais son museau et son poitrail. Son regard se focalisa sur la bête qu'Annette poursuivait. Est-ce que c'était un défi ? Est-ce qu'elle comptait sur le fait que la petite, effarée par les cornes de cette proie, ralentisse ? Cette pensée lui arracha un frisson de colère et elle força l'allure en se jetant en directement de l'animal. Durant un bref instant - très bref - ses foulées dépassèrent celles de la grande louve, et elle se sentit invincible. La cavalcade si lourde était juste derrière elle, frôlait ses flancs, mais elle était devant. Un sourire mauvais se dessina sur son visage enfantin, expression qui n'y avait rien à faire.
Elle bondit sur un rocher et se jeta en l'air en direction du mouflon. Tout disait qu'elle ne l'atteindrait pas, bien-sûr, mais durant ce moment, elle se sentit voler. Elle était au-dessus. Elle était la plus forte.

La gamine l'avait suivit, ayant enfin oublié sa position apeurée pour se montrer chasseuse. Elle s'était faite prédatrice, aussi bien en lui dévoilant un tel sourire, qu'en sautant ensuite pour chasser le mouflon avec elle. Cette façon qu'elle avait eu de la frôler et passer devant aussi. Tout pour reprendre l'avantage. Rowena ne le savait pas, mais elle en montrait plus à Anette ainsi qu'en lui parlant au final. Car l'Alpha continuait d'analyser, d'enregistrer ces informations et ces réactions. Elle conserverait tout dans un coin de son esprit.
Sagement.
Pour le bon moment.

Fort bien.
Anette resta en retrait un moment, le temps que la jeune n'arrive vers la proie, poussant sur sa gauche pour ne pas trop approcher. Au lieu de ça, contourner. Avec son manque d'agilité il lui fallait plus de temps que beaucoup d'autres loups, mais elle ne s'en plaignait pas. La jeune jouait un autre rôle. Dès que la bête se fit réceptacle alors, Anette s'avança. Elle usa de son corps et de son poids pour fondre sur le cou de la bête et refermer sa gueule autour de son cou.
Sa carotide, sa trachée, ce qu'elle pourrait attraper ou trancher.

3 dé d'attaque sur le mouflon pour juger de la réussite globale.
7PVs des faces, +2 de la spé For : 9 PVs. Gud shit.

Elle se souvint brièvement du monstre envoyé par Aka, avec sa peau caoutchouteuse. Ici elle trouva une peau souple qui se perçait si bien. Elle s'autorisa un brutal, cruel, mouvement de tête sur le côté. Pour arracher la chaire, déloger la gorge. Elle se fit peindre du rouge de sa violence, le corps presque ruisselant de la vie prise. Le mouflon succomberait presque immédiatement.
Et elle observa Rowena.

Droit dans les yeux.

Elle ne le toucha même pas, mais l'instant fut suffisamment grisant pour qu'elle aie l'impression d'avoir participé. Elle atterrit au sol un peu maladroitement, alors que la silhouette massive de la louve beige se jetait sur le mouflon. Les os craquèrent, la peau céda sous les crocs, et la proie s'effondra sous la bête qui l'attaquait. Cet instant se graverait dans la mémoire d'Ama, si représentatif de ce que deviendraient les Etelkrus pour elle. Elle avait grandi aux côtés d'une solitaire extrêmement douée, mais qui ne privilégiée par la force brute. Il lui fallait déployer des trésors d'intelligence, être maligne et sournoise, piéger ses proies plutôt que de les abattre de son poids. Un coup de lame fin et rapide contre un assaut qui faisait trembler le sol. Le message était clair pour la petite, alors qu'Annette se retournait vers elle, le museau sanglant et quelque-chose de prédateur dans le regard. Ici ils étaient forts, mais pas de la même manière. Ici, ils frappaient.

Elle redressa la tête, la truffe frémissante, sous le regard braqué sur elle. La vision s'imprima, la vision d'une chasseresse aux larges épaules, à la haute stature, qui venait de lui faire une démonstration de sa puissance. L'échine de la petite s'était hérissée, invisible sous sa cape. Si elle ne l'avait pas déjà tant détestée, elle aurait pu trouver en elle un mentor de substitution, un exemple à suivre puisque le sien était loin, si loin. Durant un instant, une lueur d'admiration brilla dans ses yeux clairs - après tout, elle pouvait à la fois haïr et admirer, non ? Mais il y avait toujours cette barrière, cette pensée que Mère allait venir la chercher, qu'elle ne devait en rien flancher et laisser croire qu'elle acceptait son sort.

"Est-ce que vous me croyez ?" Jappa-t-elle, redressant la queue et rabattant les oreilles.

Elle restait une enfant, à qui on avait lancé un défi.

Elle n'essuya pas la vie volée de ses babines, de son cou.
Simplement pour continuer à ce qu'elles se fassent face, avec pour table d'échange le cadavre du mouflon. Pour maintenir l'échange des regards, noir contre bleu. Anette avait hérité de la cendre, était faite de feu. Amaniliztli avait repris les cieux, mais vivait dans la glace. Un contraste frappant, qui avait été finalement mis en avant ce jour là. Fut mise sur la lugubre table une question relativement simple, mais née de ce fameux challenge.

Malgré son âge, elle avait réussit à accélérer pour la rattraper. À faire de son dégoût et de la piqûre un moteur pour se propulser, pour prendre un élan suffisant et sauter sur la proie. Elle le lui accordait. Mais si Rowena... Amaniliztli avait gravé en elle l'image d'Anne et sa force, l'Alpha avait bien retenu la vision frappante de la course. Ce sourire sur son visage. Elle tirait une conclusion globale de cette évaluation sur deux jours, mais ce point serait le pivot. Une partie essentielle.

Il fallait maintenant répondre à la question de façon appropriée.
Toujours vérifier ses cartes. Prudence, patience, et persévérance.

"Je te crois, oui."

Elle sentait, que la tâche serait plus ardue que prévue.
Mais ce n'était pas pour ça qu'elle comptait abandonner. Anette était né auprès des vagues, qui rongeaient encore et encore les rochers. Et qui n'abandonnaient jamais.


[finit pour moi ;u;]