You & Me — Désastre

Narcisse observa sa mère endormie. La prêtresse semblait bien éreintée ces derniers jours, visiblement s’occuper de quatre enfants n’était pas de tout repos… Le louveteau fit quelques pas, observant tout autour de lui la tanière que l’Anaconda avait mis à la disposition de sa disciple. Non loin, brillait la fontaine dorée, qu’aucun n’avaient droit de toucher sous peine de subir un sort terrible… Cel restait toutefois tentant, prendre le risque pour voir ce qu’il adviendrait. Toutefois, ne désirant troubler le repos de Sheina, le jeune loup choisit de faire quelques pas, se stoppant en entendant la voix de sa mère endormie.

« — Ne t’éloignes pas trop, Narcy. »

L’intéressé ne répondit pas, se contenant de remuer le bout de sa queue. Bien qu’aveugle en plein jour, Sheina aurait tôt fait de rappliquer en cas de problème et mieux valait ne pas chercher une maman chauve-souris… un timide sourire vint étirer les babines de l’enfant loup en imaginant sa mère intimider des prédateurs grâce à ses longues ailes.

Les longues griffes de Narcisse s’enfoncèrent dans la terre, alors qu’il se secoua pour faire partir la terre et la mousse encore accrochées à son pelage. Au loin se dressait la grande tour de surveillance afin de prévenir des attaques. Les yeux mauves du louveteau ne s’y attardèrent guère, observant cette silhouette parsemée de rouge qui s’approchait. N’était-il pas intriguant cet autre enfant ? Lui, qui, ne devait avoir que quelques mois de plus que Narcisse ? N’étais-ce pas lui l’enfant de la Dame Bleue qui ne souriait jamais ? Silencieux, le fils de Sheina observa cet autre Etelkrus, s’attardant sur ses oreilles vides, sa crête rougeâtre, ses yeux d’’une teinte rubis presque fascinante, son pelage aux teintes grises ou encore sa queue féline. Cet autre enfant était doté de peu d’accessoires, un choix qui lui revenait ou un ordre de sa mère ? Pour son jeune âge, le gris semblait solidement bâti, intimidant probablement les jeunes… Pourtant, derrière ce qui semblait être de la force, il y avait autre chose…

Narcisse ne lâcha pas un mot, continuant son observation silencieuse, se demandant bien si, lui, serait du style à ouvrir la discussion.

Narcisse ne broncha pas, lorsque le nouvel arrivant procéda à son tour, à un examen rigoureux. Il en était même impressionné. Habituellement, les loups n’appréciaient guère le silence, ni même de se sentir observer trop longtemps. Un sentiment normal, pour quiconque avait quelque chose à dissimuler. L’enfant gris ne souriait pas lui non plus, comme quoi les chiens ne faisaient pas des chats...

Le fils de Sheina conserva ce silence, un autre moyen de communication au fond. Ses yeux mauves observèrent la silhouette grise du Silencieux escalader l’arbre. Que cherchait-il à prouver ? Ne devrait-il pas en toute logique s’entraîner plutôt au combat ? La Dame Bleue ne possédait certes plus de Glowstick - de ce qu’avait bien voulu lui raconter Sheina -, mais sa force au combat était connue de tous. Aussi, en tout logique, elle et son fils ne devraient-ils pas servir Aka ? Narcisse n’avait visiblement pas tous les éléments en patte, ce qui l’intriguait autant que ça l’agaçait. La truffe du louveteau frémit, alors qu’il s’approchait à son tour du tronc. Il avait besoin de plus d’informations. Ses longues griffes s’enfoncèrent dans l’écorce tendre, alors qu’il comptait sur sa force de louveteau pour l’aider dans cette tâche. Toutefois, Narcisse était loin d’avoir la force musculaire de Silencieux, si l’ascension jusqu’à la première branche ne fut guère compliquée, il doutait de pouvoir atteindre le haut de l’arbre...

Une fois au niveau du gris, le jeune Etelkrus pencha légèrement la tête sur le côté. Une lueur étrange brillait dans les yeux de ce jeune loup, une forme d’amertume peut-être ?

Réfléchis un peu Narcisse. Regardes donc cet enfant.

Enfant. Mère Sheina était à proximité, prête à agir en cas de danger, mais celle de Silencieux, où était-elle hein ? Narcisse voyait à quel point ses mères les aimaient lui et le reste de sa fratrie, veillant sur eux, mais ce louveteau alors ? Personne ne veillait sur lui, il était livré à lui-même, sans personne, dans un endroit où pourtant les dangers étaient multiples. La Dame-Bleue éprouvait-elle de la haine à son égard à défaut de l’aimer ? Et lui alors ? Aimait-il sa mère ou la détestait-il au point de la défier en se rendant près du temple de Kiro ?

« — Tu la détestes, hein ? Cette Dame bleue dont tu partages le sang. »

Narcisse se tient bien droit, nullement gêné à l’idée de blesser son interlocuteur, nullement honteux de tenir des conclusions à vive voix.

Étonnant.

Silencieux répond. Une réponse brève. Avant de rebondir sur une question. Une technique courante pour contourner la question originaire. Le gris bondit sur la deuxième branche, obligeant Narcisse à lever la tête pour observer son interlocuteur, ce dernier qui parvenait à attirer son attention d’une certaine manière, différant des louveteaux.

« — Non. »

Le gris ne savait visiblement pas ce que c’était d’aimer. Ce qu’était l’amour d’une mère. Car Silencieux ne semblait pas s’être échappé en douce pour venir ici, la Dame Bleue semblait le laisse vaguer à ses occupations, s’occupant des siennes en priorité. Le clan passait avant la famille. C’était l’inverse chez Narcisse, la famille avant le reste. L’amour avant les autres. Certes, Anette continuait de mener son rôle d’alphas, mais ne les négligeait pas pour autant, de même que Sheina en tant que prêtresse. Narcy et sa fratrie connaissait l’amour d’une mère, la chaleur d’un foyer et l’attention que devait être portée aux enfants les plus jeunes, afin de leur permettre le plus stable des développements.

Les griffes de Narcisse s’enfoncent à nouveau dans l’écorce, alors qu’il pousse sur ses pattes avants pour se hisser un peu plus haut. Cherchant à atteindre cette fois, non pas la deuxième branche où se trouvait le gris, mais la troisième, prenant un peu d’avance. Narcisse reprit son souffle avant d’incliner la tête pour mieux voir Silencieux.

« — Tu ne la détestes pas, mais tu viens seul ici, auprès d’un dieu qui ne l’intéresse guère. Que cherches-tu à prouver ? »

Le louveteau voulait de toute évidence être le seul auteur de son succès, ne quémandant aucune aide extérieure.

Le gris finit par rejoindre Narcisse , le dominant bien évidemment du fait de son âge. Il n’a pas peur de la proximité. Une bonne chose. Le louveteau pouvait mieux discerner les étoiles de ses yeux, les cheveux coupés assez court, sur le même modèle de la Dame Bleue. Cette dernière le dominait, non pas comme une mère et son enfant, mais comme un collectionneur et son trophée. Sauf que l’Etelkrus gris n’était encore que le trophée de bronze, loin de l’or. Narcisse se redressa, comprenant alors cela. Elle ne perdait pas son temps, avec lui surtout, parce qu’il n’était qu’un bien matériel, un outil, rien de plus. Un frisson parcourut l’échine du fils de Sheina qui conserva le silence un moment, ses yeux mauves observant le ciel avant qu’il ne reporte son attention sur son interlocuteur.

« — Tu te trompes. Ce n’est pas une question de temps. Lorsqu’on aime, le temps ne signifie rien. »

Un timide sourire vint étirer les babines de Narcisse, en voyant le reptile qui semblait attendre son maître. À l’image de l’anaconda. À l’image de tout ce qui demeurait en ces lieux.

« — Ne considérera-t-elle pas ta venue ici comme une perte de temps ? »

Parce qu’après tout si il ne l’intéressait que si peu, ne le sanctionnerait-elle pas pour ce temps gaspillé en ces lieux ? Il pourrait toujours prétendre un entraînement, parce que sa silhouette trahissait les efforts physique, mais étais-ce digne de lui ?

« — Nos chemins ne se suivent pas, nous empruntons tout simplement le même. »

La queue quelque peu feline - loin d’être semblable à celle de l’autre car plus touffue - de Narcisse remua doucement alors que pour une fois il demeurait sur sa branche, conservant sa position, profitant davantage de l’échange que de l’acte en lui-même.

« — Comment t’a-t-elle nommé ? »

Simple curiosité enfantine.

Le gris semble confus, les propos de Narcisse semblait le faire réfléchir. Patiemment, le louveteau attendit que son interlocuteur reprenne la parole de son plein grès, sans le brusquer. Lui ne voyait dans sa vie que l’intérêt, le bénéfice qu’il procurait non pas à lui-même, mais à sa mère. Il voulait une chose différente des projets que la Dame Bleue avait en tête à son égard. Cela serait probablement source de conflits... Narcisse se demandait si ses mères seraient contrariées si jamais il empruntait un chemin différent de celui des Etelkrus. Probablement que oui. Après tout, son bien-être les inquièterait sûrement. Enfin, l’occasion ne se présenterait peut-être pas. L’enfant de la Dame Bleue ne voit toujours que le bon côté de ses actions, que l’intérêt même de celles-ci.

« — Certes. »

Un nom.

Désastre. Un titre plein de poids, de conséquences. Narcisse pencha légèrement sa tête sur le côté, se questionnant toujours plus. Parce que derrière un nom il y avait une histoire, un passif qui avait été la cause, que cela soit conscient ou non.

« — Quel genre de malheur as-tu engendré ? »

Car il fallait en avoir causé du malheur... ou en être le résultat... Sauf si sa mère le nommait ainsi tout simplement en le prédestinant à cela. Narcisse bat de ses longs cils, sans vraiment sans rendre compte, question d’habitude. Ainsi donc, Désastre avait fait le rapprochement entre lui et la descendance d’Anette et Sheina... il faut dire que le gamin portait les traits de ses deux génitrices. Un sourire étira les babines de Narcy, en songeant aux contextes où le gris aurait pu rencontrer ses sœurs.

« — Narcisse. Le A en deuxième lettre pour le coup. »

Parce qu’il n’était pas comme ses sœurs, n’héritant pas de la première lettre de l’alphabet. À la manière d’un écureuil, le gamin plante ses griffes dans le tronc, marquant une pause pour regarder en-dessous de lui, fasciné par la hauteur. Fasciné par l’idée que si il perdait à ce jeu, il risquait de se briser la nuque. Ses yeux marquent une pause, se posant sur la silhouette musclée de son comparse. Les muscles de Narcisse le chauffent, alors qu’il escalade difficilement une branche, étirant tant bien que mal l’avant de ses pattes pour faire taire la douleur. Une petite pause s’imposait. C’est qu’il était déjà bien haut. Désastre ne s’arrêterait sûrement qu’au sommet, afin de se convaincre lui-même que ce n’est qu’une fois le sommet atteint, que sa mère acceptera de reconnaître la valeur de son action.

Le sien.

Là où chez certains la venue au monde d’enfants était source de bonheur et de joie, Désastre lui n’avait causé que malheur. Sa mère ne l’aimait pas. La Dame Bleue le considérait comme responsable de ses échecs et toute sa vie, ce loup ne serait que le bouc-émissaire de sa génitrice. Narcisse ne comprenait pas encore très bien ce que tout cela voulait dire, l’impact que cela aurait sur la vie de Désastre, parce que lui était épargné de la haine, lui avait la chance de connaître l’amour.

« — Pourtant, tu ne sembles pas si désastreux que cela… »

Loin de là. Ce loup semblait des plus normaux, loin de porter malheur, loin d’agir sous le joug de la violence. Narcisse remua sa queue féline, héritée d’Anette se demandant bien ce que cette dernière penserait de tout cela. Du manque d’amour que son amie portait à son fils. La jugerait-elle ? Lui demanderait-elle de changer son comportement ? En avait-elle seulement le pouvoir ? Le jeune hybride ignorait comme sa mère réagirait face à l’injustice dont était victime Désastre. Maintenant il comprenait les mots de Sheina, sur le fait que le monde entier se disait justice alors qu’il n’en existait guère.

Le gris avance une théorie sur le nom, Narcisse. Vrai, Sheina aurait pu mettre sa marque dans ce nom, mais l’intéressé en doutait… il devrait lui demander d’où venait ce nom d’ailleurs, différent d’Alex et Anita. Un sourire vint étirer ses babines, échanger avec ce loup lui plaisait.

« — Aussi, mais je doute que mes mères soient allées aussi loin dans leur réflexion. »

Narcisse arrête sa montée, posant son arrière train sur une branche, laissant sa queue se balancer dans le vide tandis que ses griffes étaient profondément enfoncées dans l’écorce. Désastre continue de monter, toujours plus haut. Ne risquait-il pas de se brûler à force de s’approcher trop près du soleil ? Le louveteau fronça les sourcils, levant sa truffe, ne quittant des yeux son interlocuteur.

« — Tu devrais arrêter. La chute vaut-elle le coup ? »

C’est que tu doutes qu’il t’écoutes, hein Narcisse ? Cet enfant qui pensait être un désastre, alors qu’en vérité il n’en était rien. Pourtant, lui aussi sait comment te surprendre…

Toujours plus haut.

Les yeux mauves du gamin observe la silhouette grise, sans chercher à la rattraper. À quoi bon ? Narcisse n’était pas encore assez fort pour résister à l’exercice. Tomber, serait perdre. Ne rien faire n’était pas une victoire, simplement un report ultérieur de la partie. Lui aussi n’est pas stupide, ce Gris. Parce qu’il écoute, acceptant de laisser le sommet de l’arbre pour cette fois. Légèrement surpris, le fils de Sheina bat de ses longs cils, alors que Désastre lui descend, non sans une certaine grâce à l’aide d’ailes rouges qui apparaissent. Simple aura. Menaçante pour certains qui auraient croisés sa route, intrigante pour un enfant, quand bien même celui-ci serait issu d’une famille d’hybride.

Narcisse entame lui aussi une descente, plus lente que celle de son camarade, s’appuyant sur ses longues griffes pour atteindre le sol. Sheina serait sûrement mécontente en devinant ce qu’il avait fait. Elle devinait toujours tout. Un super pouvoir propre aux mères visiblement… mais peut lui importait à ce louveteau qui aimait n’en faire qu’à sa tête. Ce louveteau qui soutient sans gêne le regard de son interlocuteur.

« — Ensemble la prochaine fois, nous irons au sommet, Désastre. »

La queue touffue de Narcy remue doucement alors qu’il songe à la prochaine fois. Lorsque la victoire lui reviendrait. Une victoire personnelle. Tout n’était qu’une compétition contre lui-même au final. Le jeune hybride fixe le fils de la Dame Bleue, lui qui possédait un atout important, un atout que Narcisse souhaite lui aussi développer.

« — M’apprendrais-tu à trouver la force ? »

La force de conquérir. La force de soumettre. La force d’atteindre le sommet.

Les dialogues ne se résumaient qu’à quelques mots, mais c’était plus que suffisant pour Narcisse. Désastre hoche la tête, il reviendrait. C’était peut-être une simple promesse entre enfants, mais le jeune hybride comptait bien sur le fait qu’elle soit honorée. Si le Gris ne venait pas à lui, alors il irait.

« — Tu es intéressant, Désastre, vraiment. »

Plus que ce que les autres ne peuvent l’imaginer. Il n’était pas l’enfant naïve qui croyait en la bonté du monde, en l’insouciance, non. Désastre était presque adulte dans un corps d’enfant, parce qu’on l’avait formaté pour. Pourtant, il n’en était pas moins doté de personnalité. Narcisse trouvait cela vraiment intéressant et espérait bien voir un jour le vrai Désastre, sans barrière fixée, libre de toute contrainte.

« — Les autres sont habituellement d’un ennui mortel, mais pas toi. »

Le jeune hybride se releva, ses babines s’étirant en un léger sourire.

« — Je t’apprécie. »

Parce que ce loup avait une manière de penser qui se rapprochait de la sienne, parce que malgré l’amour de sa mère, Désastre ne devenait pas un monstre. Oui, Narcisse appréciait le Gris, parce qu’il était différent, parce qu’il savait gagner et qu’il faisait un bon camarade de pensées. Le fils de Sheina regarde l’arbre avant de replonger ses yeux mauves dans ceux rouges de l’Etelkrus.

« — Tu es agile. Tu devrais venir ici plus souvent. »

Et pourquoi pas rester auprès de l’Anaconda ?

Si lui sourit, toi aussi tu es heureux de cette situation quelque part, hein Narcisse ? Parce que tu avais l’impression d’avoir créé un véritable lien avec autrui, le début de quelque chose sur lequel tu comptais t’appuyer…

L’hybride incline doucement sa tête, démontrant le fait qu’ainsi, il se remémore de cette prouesse entre eux, de ce pacte qui semblait les unir un petit moment. Le fils d’Anette lève sa truffe pointue vers ce loup plus grand que lui pour le moment, un jour sûrement auront-ils la même taille, un jour seraient-ils d’égal à égal.

« — J’y compte bien. »

Mais l’arbre ne serait qu’une étape, parce que leur domaine ne s’arrêterait pas qu’aux arbres, parce qu’il y avait tant de choses à escalader tant de choses à dominer, tant de moyens de combattre l’ennui… La queue féline de Narcisse remue doucement.

« — Après le sommet des arbres, c’est celui des montagnes qui nous attend, parce que nous pouvons toujours aller plus haut. »

Tant qu’ils le peuvent, à quoi bon s’arrêter ? Narcisse se redresse, frôlant l’Etelkrus pour reprendre doucement le chemin du retour. Inutile de s’encombrer de petits «  au revoir » larmoyants, ce n’était pas le genre du gamin de toute façon. Et puis bon, Désastre ne s’était-il pas engagé dans une promesse ?

« — À demain alors. »

Le louveteau disparaît dans le creux de l’arbre, bien décidé à s’entraîner plus dur pour être à la hauteur. Parce que maintenant il avait trouvé de quoi combattre l’ennui, parce qu’il n’était pas le seul à vouloir gagner.