L'impératrice du Mont de Boue - Alexandrine.

Le cri qui déchira le ciel n’était ni de rage ni de chagrin.

Au contraire, il était saturé d’une joie pure et sans limites.

Anita adorait le marais.
Oh, elle aimait aussi beaucoup le Grand Castel et sa salle des reines ; et les autres endroits où on l’avait trimballée. Elle était généralement très enthousiaste devant tout ce qu’elle voyait de nouveau. Ses yeux mauves semblaient s’ouvrir à l’infini, grands comme des lunes couleur améthyste, miroitant de la lumière qui allumait alors son regard. Tout était capable de la rendre admirative. Une sauterelle bien verte sur une feuille qui ne mourrait pas malgré l’hiver. Un oiseau particulièrement rond qui chantait à tue-tête dans les branches, sans se soucier de son passage. Un caillou parfaitement plat et lisse sur un chemin peuplé de milliers de ses semblables imparfaits.
Anita observait tout, et avec le sourire, acceptait tout. Elle se gorgeait.

Tout comme son pelage court était actuellement gorgé de boue séchée qui formait des plaques tout autour de son corps, à la manière de l’une des drôles de bestioles qu’elle avait trouvé dans la terre, ceux qui étaient noirs et luisants et aimaient se cacher dans l’obscurité et l’humidité. Ils avaient d’épaisses plaques de protection, tout comme elle en cet instant !
Ce qui était bien, dans le marais, c’est qu’elle pouvait laisser libre cours à ses envies de dépense énergétique sans qu’un adulte ne vienne la ramener dans leur champ de vision. Ici, Maman Sheina voyait tout, et Anita avait le droit de se vautrer dans les flaques de terre, de se suspendre aux lianes, de tester l’intégralité de ses muscles et de ses attributs aux branches des arbres. Elle prenait très au sérieux son héritage de chauve-souris. Il fallait absolument qu’elle sache maitriser cette longue queue lisse sur laquelle des cheveux avaient curieusement poussé, ces griffes plus longues et plus fines qui se recourbaient efficacement autour de l’écorce, ce nez recourbé à mi-chemin entre celui d’un classique loup et du mammifère nocturne.
Bon, Narcy avait eu un nez encore plus pointu et Alex avait eu des ailes, mais cela ne faisait rien. Anita ne se sentait nullement démunie, bien au contraire.

Poussant un nouveau cri guerrier, la petite hybride se propulsa de toute la puissance contenue dans ses postérieurs pour décoller de son promontoire fait de branches mortes et d’autres végétaux informes. Elle vola sur quelques mètres, un large sourire fendant sa gueule, avant de disparaître sous l’eau épaisse et trouble avec un plouf sourd et monumental.
Quelques secondes plus tard, elle ressurgissait, brisant la surface avec énergie, et entreprenait de nager à toute allure de retour à son plongeoir.
Cet après-midi, elle s’entraînait au saut en longueur. Elle n’avait toujours pas réussi à dépasser son marqueur – un rocher arrondi orné de mousses- mais elle progressait bien !

Alexandrine plissait le museau.

Ce caillou moussu, il était tellement loin ! Comment DIABLE pouvait-elle réussir à porter aussi loin avec son corps frêle et ses pattes toutes fines là wesh ? Elle avait des ressorts dans les pattes ou comment ça se passait ?

Depuis de longues minutes, Alex observait sa soeur inlassablement bondir de son tas tout pourri, parcourir plus de distance qu'elle ne pourrait espérer faire sans toucher le sol, avant d'aller s'écraser dans l'eau vaseuse et puante des marais.

Bon, ça au moins ça avait l'air méga drôle. Les trucs qui puent et qui collent, c'est toujours méga drôle quand on est un gamin, et puis surtout que la fin de l'hiver approchait, et il faisait assez chaud pour ressortir trempé sans avoir la goutte au nez. C'était aussi du au doux climat poisseux de la jungle qui les entourait, mais ça Alex ne pouvait pas encore le comprendre.

Elle hocha un peu sur sa branche. Là où Narcy, Daisy ou Tita pouvaient jouer de leur souplesse pour se hisser à des sommets sans efforts, Alexandrine avait du de ses griffes épaisses plantées dans le bois se porter à l'aide de ses muscles, péniblement, jusqu'à la première branche d'où elle observait maintenant les environs. C'était lourd, un gros corps de lardon et deux ailes de cuir, oui oui oui ! Surtout lorsque ces artefact, trop lourds et patauds, ne peuvent pas encore aider à la traction.

Mais Alex aimerait bien pouvoir faire un peu mieux de ces appendices de chair, et les exploiter autrement. Alors elle les étend de chaque côté de son petit corps poilu, et remue un peu du popotin. Elle a regardé Sheina faire ! Elle peut faire tout pareil ! Elle oscille ses fins doigts crochus, et

Et se jette en avant-

Saute dans le vide

Pour tomber comme une pierre dans la mare où jouait aussi Anita.

Ca n'avait pas marché du tout ):

Elle battit des pattes et creva la surface de l'eau sale en inspirant une goulée d'air frais.

Avala un moucheron

Et pataugea jusqu'à au bord de la grosse flaque en crachant ses poumons et manquant de s'étouffer et se noyer en même temps. Saloperies de mouches de merde !

Tita !

Elle agita ses ailes rageusement avant de se tourner vers sa soeur, ayant encore un peu de bave sur le bord du museau, qu'elle chassa rageusement du bout de la patte.

Comment tu fais pour voler aussi loin sans rien sur le dos !

C'était presque plus une accusation qu'une véritable question.

Oh, soyons francs ! Elle adorait sa soeur et n'avait aucune jalousie à son égard. Comment pouvait-elle ? Elle était si merveilleusement dans les traces de MaSheina, elle ne pouvait rien lui reprocher.

Mais comment volait-elle aussi loin, bon dieu ?

Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi une grosse pierre était tombée du ciel pour atterrir dans la mare avec un gros plouf. Ça n’existait pas dans les airs, les rochers ! C’était seulement posé quelque part, Sheina avait expliqué que c’était la gravité, et Anita n’avait pas réellement compris pourquoi c’était grave, mais elle avait acquiescé d’un air solennel. A part les nuages qui flottaient loin au-dessus d’eux et les étoiles qui étaient accrochées encore plus haut, il n’y avait rien qui puisse rester en suspension dans le ciel, rien d’aussi lourd, et même les choses légères finissaient par retomber.
Et comme maman Sheina s’y connaissait drôlement bien en ciel, grâce à ses ailes qui lui permettaient d’annuler la gravité du ciel et de s’élever, Anita la croyait sur parole.

Alors elle était sacrément perturbée que désormais des pierres puissent tomber du ciel.

Mais ce n’était pas une pierre, et ça la soulagea grandement, car les choses du monde revenaient alors dans le bon ordre.
Non, c’était sa sœur ! Sa sœur qui gracieusement moulinait de ses gros muscles naissants pour tracter sa lourde ossature hors de la mare visqueuse. Et elle grondait et elle râlait. Anita se laissa éclater de rire malgré la boue collée à son museau qui vint envahir sa gueule. La petite louve se jeta en arrière dans le tapis de boue, se laissant porter par l’épaisse matière, sa queue battant la mesure en allant frapper la terre détrempée d’un côté et de l’autre en d’horribles bruits de succion.
Leurs mamans avaient expliqué que cela n’avait pas toujours été comme ça, ici, que normalement l’eau ne se résumait pas aux quelques flaques et aux mixtures vaseuses dans lesquelles elles étaient actuellement en train de jouer, mais qu’il y avait réellement eu des cours d’eaux, des ruisseaux et de l’eau claire dans le marécage. Mais cela ne dérangeait pas Anita. La boue, c’était super. Et Alex’ semblait d’accord, si elle venait la rejoindre !

— Comment tu fais pour voler aussi loin sans rien sur le dos !

Les cris exaspérés de sa sœur la firent rire de plus belle. Certes, elle n’avait pas hérité des ailes de la chauve-souris, mais elle était bien plus légère que sa sœur, cloisonnée dans une épaisse carrure qui promettait d’être une importante démonstration de force d’ici quelques mois.
Si les muscles d’Alexandrine se développaient anormalement vite, la souplesse d’Anita, elle, était également en avance sur les autres du même âge. Bien qu’encore un peu pataude dans son corps maladroit de louveteau, elle se sentait gagnée de la même aisance dans ses gestes que celle qu’elle voyait chez les plus grands, et ça allait mieux de jour en jour. Elle alliait une ossature légère et robuste à la puissance de propulsion léguée par le sang de sa mère Alpha.
Bref, elle était d’ores-et-déjà une virtuose du marais, s’élançant régulièrement d’arbres en arbres et de rochers en rochers à la manière d’un drôle de singe au nez cornu et au poil lisse.

— Tes ailes sont trop lourdes, Axie ! Comme ta tête !

Vive comme les têtards qu’elle adorait pourchasser, Anita traversa l’étendue visqueuse en quelques bonds fluides là où sa sœur avait dû extirper sa carcasse en de longs efforts exagérés, trainant derrière elle ses ailes chargées de boue qui pendaient désormais comme un poids mort.
Elle sauta agilement sur la berge et écrasa une de ses pattes pleine de boue sur le museau de sa sœur ailée, repartant immédiatement en sens inverse pour cavaler vers son trône de fortune. Elle escalada le précaire édifice de bois flotté et de feuilles moisies et se positionna à son sommet en quelques secondes à peine, à l’aise comme un poisson dans l’eau.
S’adressant à tout un public imaginaire, Anita se mit à hurler de toute la force que pouvaient dispenser ses jeunes poumons.

— Je suis la reine de la jungle et de toute la boue ! Que celui qui veut me prendre mon trône, et bien… Qu’il vienne !

Son défi lancé à ses nombreux adversaires, Anita imita Maman Anette en se tassant sur elle-même du haut de son siège, faisant rouler ses épaules rondes et découvrant ses multiples petits crocs en un feulement qui se voulait intimidant.

Elle râla de longs moments à pleins poumons, se hissant sur la berge et agitant ses appendices de cuir qui tentaient vainement de l'attirer par le fond. De toute la force de ses pattes, elle poussa la berge qui toujours se désintégrait sous ses coussinets. A chaque fois qu'elle poussait, tout en délicatesse bien entendu, elle tombait un peu plus dans l'eau. Elle finit par se laisser couler, s'immergeant à demi, avant de battre d'un large coup d'aile, émergeant enfin de sa prison d'eau épaisse et dégoutante.

Et puis, Tita se moquait d'elle. Quelle sale petite... !

Alexandrine se redressa et se rua vers son mont de boue. Elle se posta devant et se dressa sur ses pattes arrières, faisant des gestes bizarres avec ses pattes avant. Que pouvait-elle bien mimer ? Ses yeux lançaient des éclairs et ses babines découvraient de larges quenottes.

T'es juste la reine des trucs QUI PUUUUUent !

Quelle répartie.

Elle se pencha en avant et agita son fondement, sa longue queue serpentine fendant l'air en claquements secs. Ah ! Voilà qui était une occasion en or d'utiliser les conseils prodigués par le grand loup gros aux éclats sanglants. Elle baissa encore la tête, écarta ses pattes, ses oreilles indiquaient sa nuque, et sur ses épaules étaient à demi redressées ses ailes si imposantes. La seconde d'avant, elle peinait à sortir de l'eau. A cet instant, elle trônait en bas du tas, fière de sa posture maladroite mais pleine de coeur. De tout son corps gouttait la boue qui lui ôtait ses couleurs, et lui donnait des airs de monstre.

TU PUES ET TON TAS IL PUE

Elle fit claquer ses mâchoires.

ET JE ME BATTRAI POUR AVOIR TON TAS QUI PUE !

Et elle se jeta sur le tas, ne visant même pas vraiment Anita, se contentant d'user de son poids pour, l'espérait-elle, ébranler la structure et la faire tomber. Elle n'y croyait pas vraiment, mais dans ce mouvement elle s'accrocha aux branches et aux grosses pierres qui hérissaient Le Tas et se hissait, lentement mais sûrement, vers son faît.

Ramassée sur le bord de son promontoire, Anita observait avec beaucoup d'intérêt les nombreux mouvements erratiques que produisaient sa soeur. Pas beaucoup de coordination dans tout ça.
Finalement, ce n'était pas étonnant qu'elle ait du mal à utiliser ses ailes ! Ses pattes peinaient déjà à se mouvoir en synchronisation. Elle prit un petit air détendu et passionné, pattes avant croisées d'une manière désinvolte, sa tête reposant dessus et les yeux rivés sur le spectacle de sa soeur vociférant tout en bas. Elle levait ses ailes et les faisait s'agiter au-dessus de sa tête, mais Anita n'avait pas peur du tout, ce n'était pas grâce à elles qu'elle parviendrait à la rejoindre ! Elle tira sa longue langue pointue à son tour en réponse à tous ses cris de rage.
Elle faillit tomber à la renverse quand son tas se mit brusquement à trembler, jappant en protestation. Fronçant les sourcils, Anita se précipita de nouveau au bord pour voir ce qui pouvait bien se passer. Sa soeur se jettait contre son trône ! Elle allait complètement le détruire !

Mais une reine savait défendre son empire. Après quelques secondes d'observation pour constater toute l'ampleur de la situation -actuellement, les forces ennemies se hissaient sur les aspérités de son trône pour gravir lentement la distance qui les séparaient- elle bondit vers l'arrière, vers les talus et les arbres en friches dont les branches entremêlées formaient des barricades et soutenaient la fondation de son empire, pour aller y récupérer toutes sortes de projectiles. Bouts de bois, boules de boue solidiée, glands, fruits pourris, agglomérats divers et variés y passèrent, ses petites mâchoires se refermant sur tout ce qu'elle pouvait trouver pour ensuite tirer, tirer - et récupérer chaque munition qu'elle lâchait en tas à ses pattes.
Quand elle eut suffisamment de ressources pour soutenir le premier assaut, elle revint au bord et commença à lâcher les éléments sur la tête de sa soeur qui se rapprochait un peu trop à son goût.

Poc, ploc ! faisaient les petits cailloux et les fruits rongés par les vers en s'écrasant sur Alexandrine.

— Laisse mon trône tranquille !

Spok, toc. Des racines humides et autres morceaux terreux furent précipités à la suite des autres projectiles pour repousser l'envahisseur.

Elle savait.

Elle savait que la bataille serait rude, qu'elle durerait des heures, des jours peut-être. Des mois. Qu'il y aurait des pertes. La faim. Le froid. Les blessures, les amis qui s'en vont, que l'on ne peut protéger malgré tous les efforts que l'on fait. La boue, qui s'insinue dans le poil, dans les plis du corps, dans la gueule qui s'efforce de porter un coup, de s'aggripper à une aspérité pour ne pas choir.

Oui, Tita était une adversaire redoutable. Elle le savait, avant même d'engager le combat. Elle l'avait toujours su. Mais il faut bien se décider un jour à sauter l'obstacle.

Alors le Capitaine Alexandrine aboie sa motivation à elle-même.

JE T'AURAI, TITA. TU PEUX TE CACHER TOUT EN HAUT, JE T'AURAI QUAND MÊME !

Elle savait plus gueuler que parler, c'était évident. La louvette n'avait aucune agilité pour l'instant, mais ses grosses pattes s'enfonçaient loin dans le tas et assuraient sa stabilité : elle arrachait de sa détermination et sa force ce dont elle avait besoin.

Une pomme lui tomba sur la tête.

Un gland.

Un truc qui puait et qui éclata dans ses cheveux pour y libérer des centaines d'insectes qui allèrent lui gratter le cou.

Quelle attitude déloyale ! Alexandrine cracha la pulpe qui s'insinuait dans sa truffe et entre ses dents, lui laissant un gout désagréable dans la bouche, et hurla de plus belle :

TES MANŒUVRES NE TE FERONT QUE GAGNER DU TEMPS ! JAMAIS TU NE M'ARRÊTERAS !

Et la voilà qui, ralentie dans son ascension, continue à gravir, patte après patte, centimètre après centimètres, le Mont de Boue, source de sa convoitise, si jalousement gardé par la Reine en personne.

Les différentes immondices éclataient sur sa tête et ses cheveux, redécorant sa soeur de nouvelles textures et couleurs, mais rien n'y faisant ! Inlassablement, la petite louve continuait à gravir malgré les tentatives répétées d'Anita de la faire reculer. Elle commençait à être à court de munitions. Mais Axie n'était pas encore au bout de ses peines, et un rapide coup d'oeil lui apprit qu'elle possédait encore des ressources, un peu plus haut- les branches tombantes de l'arbre au-dessus d'elle regorgeaient de glands plus ou moins matures, prêts à canarder l'assaillant pour défendre la forteresse.
Quand elle fut à court de fruits mou à jeter elle jeta un regard par-dessus le rebord de son promontoire pour voir la progression de sa soeur, toujours solidement accrochée, et brâillant bien fort sa volonté malgré les morceaux divers qui remplissaient sa gueule. Anita se demanda un instant pourquoi elle n'utilisait pas ses ailes comme carapace, pour se protéger de ses assauts, mais peu importe.

Vite, il était encore temps ! Vive et agile, la petite hybride fila vers le tronc de l'arbre, l'escaladant le plus vite possible, jouant des épaules et se faufilant entre les branches en évitant de s'accrocher à l'écorce et aux plus fines brindilles, rampant entre les éléments trop gros pour qu'elle puisse bondir entre eux. A chaque fois qu'elle passait près des glands, elle donnait tantôt un coup de queue, tantôt des coups de pattes et de museau pour les faire tomber et dégringoler jusqu'à sa plateforme de défense. Quand elle en eut récolté quelques dizaines, elle bondit souplement vers le bas, de retour à son poste sur un Mont de Boue qu'elle avait l'impression de sentir vaciller et ployer un peu plus fort qu'avant.
Non ! Il fallait tenir !
Prenant un gland après l'autre entre ses petits crocs, Anita se ramassait au bord jusqu'à avoir sa soeur en ligne de mire. Puis d'une pression sèche et savamment exercée, elle catapultait les nouvelles munitions solides droit sur sa tête beige.

Toc !
Que c'était amusant !

— J'ai des ressources inépuisables ! Abandonne ou je te mets en PRISON !

Si ça, c'était pas convaincant !

Ses muscles sont transis d'être crispés dans cette position, mais jamais la garde ne reculera. Elle monte une patte, l'enfonce dans le tas de boue pour soulage les muscles de son avant-main et se hisser avec ses épaules plus qu'avec ses membres. Elle l'extrait dans un bruit de succion annonciateur de mauvais présages. Et le replonge plus haut, dans le mélange de boue et de branches. Et tire, de nouveau. Elle profite que sa soeur soit plus loin en train de faire elle-ne-savait-quoi pour gagner le plus de terrain possible avant qu'elle ne trouve mieux à faire.

Les pommes pourries, dans sa gueule, laissent un gout âcre désagréable, et elle essaye de ne pas trop se focaliser sur ce qu'il y a sur son museau, déjà tâché de boue. Des... Asticots ? Elle les lui ferait bouffer ! Ou tout autre truc bien dégoutant.

Lorsque le premier gland lui tomba sur la tête, elle piailla. Ca faisait mal ! Heureusement qu'il ne s'agissait pas de bogues, ou elle aurait été vraiment en colère.

TU VAS VOIR !

Et les glands lui tombèrent de plus belle sur la tête, roulant sur ses ailes, le long de sa queue...

Oh. Ca lui donnait une idée...

D'un mouvement de ses ailes autour de son petit corps, elle fit un petit panier dans lequel les glands commencèrent à s'accumuler. Chaque projectile que lançait la louve chauve-souris finissait dans ce petit tas qui grossissait, grossissait, accumulant les provisions. Et Alexandrine commença à les pousser du bout de sa queue pour les faire rebondir, et d'un mouvement faisant preuve de bien plus d'agilité qu'elle ne s'en savait capable, les renvoyer à l'envoyeur.

Le premier toucha Tita sur le nez - très délicatement peut-être, mais la trajectoire était bonne. Alex eut un cri de joie, en tirant encore un peu sur ses pattes et gagner quelques mètres.

Geôles ou pas, j'ARRIVE !

Et elle poussa, poussa aussi fort qu'elle le pouvait sur ses pattes arrière dans les derniers mètres qu'elle avait gagné pendant l'absence acrobatique de sa soeur, et d'un coup d'aile puissant avala la distance qui les séparait encore, pour attraper sa patte des deux siennes.

Remake du Roi Lion, mais cette fois c'est Mufasa qui attirait Scar dans sa chute, ses pattes rivées à celle de son opposant.

Elle jeta un coup d’œil empli de suspicion par-dessus le rebord quand elle n'entendit plus les glands dégringoler jusqu'à la boue, mais glisser le long de quelque chose et s'arrêter.
Ha ! Axie faisait un panier avec ses ailes et les récupérait !
Elle eut à peine le temps de voir le premier gland que sa sœur renvoya avec sa queue avant qu'il ne percute le bout de son nez. Courroucée que l'on reprenne ses munitions, elle se mit à crier à pleins poumons.

— HEEEEEEEEE T'AS PAS LE DROIT !

Et Axie s'était mise à crier à son tour, comme quoi elle arrivait, et Anita poussa un nouveau hurlement strident quand deux pattes épaisses attrapèrent la sienne qui s'était égarée près du rebord. Si un adulte les entendait à ce moment, on aurait pu croire que quelqu'un était en train d'égorger un louveteau.
Elle se mit à marteler les grosses pattes beige de sa sœur sans cesser de hurler.

— LÂCHE MOIIIII

Et sous ses pattes le Mont de Boue tanguait, tanguait affreusement ; déséquilibré qu'il était par la petite dragonne suspendue à son rebord et par toute l'agitation qu'elles avaient fait subir à sa structure fragile de branchages pourris. Son empire menaçait de s'effondrer avec elle.
Mais elle ne se laisserait pas abattre sans un dernier combat.
Refermant finalement la gueule, elle regarda sa sœur droit dans les yeux avec un sérieux soudainement très froid et qui n'augurait rien de bon. Finis les jeux. L'heure de la lutte finale avait sonné.
Si elle devait tomber, Axie tomberait avec elle.

Avec un dernier regard en arrière pour son promontoire adoré qui lui avait été si fidèle et qui était désormais au crépuscule de son existence, elle entoura l'encolure de sa sœur de la patte qui lui restait, adressant un adieu ému à sa forteresse.

Puis elle se jeta dans le vide avec un cri guerrier, tentant d'emporter avec elle l'ennemi vers les profondeurs boueuses du marais.

Mais loin de réussir à agripper le col de sa sœur ou de l'entourer de ses pattes, elle se contenta de glisser le long de son dos trempé sans trouver prise. Oups. Elle se sentit quand même déséquilibrer sa sœur et toute deux partir vers l'arrière, se sentant quitter leurs dernières prises à la forteresse et peu à peu basculer dans le vide.
Un dernier réflexe d'Axie les sauva d'une catastrophe : d'une puissante poussée sur ses solides postérieurs, elle leur donna l'impulsion nécessaire pour se retourner et filer avec plus de panache, sa sœur la récupérant par réflexe entre ses épaisses pattes.
Anita observa avec une lueur d'admiration les ailes bleu et orange se déployer sur toute leur largeur déjà impressionnante et leur permettre de filer sur quelques mètres à travers le marais. Le vol n'était pas bien stable et s'annonçait de courte durée au piqué maladroit que décrivait désormais leur trajectoire, mais leur avait permis de rejoindre le sol d'une manière un peu moins... brutale qu'avec la chute qui les attendait initialement.
Plouf !
Les deux louveteaux disparurent quelques instants sous la surface de la mare de boue avant de percer le liquide visqueux dans l'autre sens, reprenant leur souffle.

Anita se mit à rire encore, tant pour célébrer leur jeu que leur vol en catastrophe, la couleur d'Axie qui ne ressemblait plus à un loup mais à une souche vaseuse et son cri de victoire, la boue et la vie et les nombreuses heures d'amusement qu'elle leur réservait encore, bref ; tout.

— C'était TROP BIEEEN !

Elle donna quelques coups de pattes à la surface de leur piscine pour envoyer encore plus d'éclaboussures les repeindre et fila à la suite de sa sœur pour nager tant bien que mal dans l'eau trouble et peu profonde - barboter étant un terme plus exact.

— J'espère qu'on s'ra pas trop grondées.

La perspective de rencontrer deux ou quatre yeux mécontents de mamans dépitées de les voir rentrer dans un tel état n'était pas des plus plaisantes, mais elle ne chassa pas pour autant le large sourire qui fendait encore sa gueule.