Le Maître du Beau [Feat.Ely]

Saqqarah avait finit par partir à la recherche d’Ely. Comme pour Harlow, il était l’un des rares Etelkrus qu’il appréciait sans craindre une autre facette, un caractère plus sombre et violent. Secouant son pelage ras, le jeune loup étira lentement ses pattes. Marcher comme ça toute la matinée avait finit par lui créer des douleurs articulaires. Il se décida à prendre une pause, s’asseyant calmement, d’ici quelques temps, il aurait atteint l’âge d’un an. Cela le perturbait beaucoup, mais il ne s’en plaignait pas pour autant.

Observant le paysage, il leva la truffe pour apprécier le vent qui se glisser dans le poils de son encolure. Il y avait légèrement moins de neige que lorsqu’il était petit. A moins que ça ne soit parce qu’il a grandit qu’il lui semble qu’il y en ait moins. Humant l’air sauvage des falaises, il perçu enfin l’odeur tant recherchée, celle d’Ely. Il avait demandé avant de partir où il pourrait éventuellement le trouver car il le voyait fort rarement dans le grand Castle. Il y avait plein de chose dans l’esprit de Saqqarah qui l’interpelait. Pas seulement le beau et le laid, mais aussi le bien et le mal, la souffrance et le soulagement, l’amour et la haine. Tant de choses qui le plongeait dans d’innombrables réflexions à tel point qu’il en oubliait le reste de l’univers.

Se relevant pour tenter de retrouver plus rapidement son maître du Beau. Le jeune mâle suivit la piste le long des falaises, constatant très rapidement qu’il n’appréciait que très peu les pierres et la roches sous ses pattes. C’était tellement moins agréable que la pelouse ou les hautes herbes. Continuant cependant son chemin, il s’arrêta devant des marches et pencha la tête, c’était pourtant l’odeur d’Ely qui y descendait. Il secoua la tête, l’héchine hérissé, et lança un regard au pied des falaises.

« D’habitude je remets pas ma vie entre les pattes des dieux… mais là… »

Marmonna-t-il pour lui-même avant de s’engager sur l’escalier en frôlant la falaise, essayant d’être le plus loin possible du bord même si il avait la sensation d’être attiré par le vide. Il déglutit avant de voir des couleurs un peu plus loin à même la falaise. Comprenant qu’il était presque arrivé, il se glissa d’une manière presque reptilienne dans le renfoncement, les oreilles en arrière et le cou tendu. Il observa la grande salle colorée. S’asseyant finalement avant de dresser lentement les oreilles, levant la truffe, ne sachant plus où donner de la tête.

« ça… c’est beau »

Souffla-t-il après avoir vu également la statue de la déesse qui se dressais fièrement auprès d’une fontaine. Oui, ça c’était beau, Ely ne pourrait pas lui dire le contraire. Sinon il n’avait vraiment rien comprit au beau et avait vraiment besoin d’un autre cours. Il chercha le loup du regard, se demandant s’il était là. Espérant que oui, vu qu’il ne souhaitait pas réafronter si tôt le chemin escarpé le long de la falaise.

Ely s'était un peu emporté, la veille.

Il était sorti de la grotte alors que le soleil était déjà assez bas sur l'horizon. Sous l'éclat du couchant, tout prenait une teinte orange sombre et ocre très douce et délicate, qui mangeait certaines teintes pour en sublimer d'autres. Lorsqu'il était sorti, il s'était assis une bonne demi-heure, comme à son habitude, dans sa contemplation de la nature, du monde extérieur. Chaque nouveau jour, chaque nouveau ciel était source d'inspiration et d'admiration. Il n'y avait pas à chercher bien loin pour trouver de quoi occuper son âme.

Et lorsqu'il était sorti de sa torpeur, enfin, il s'était dirigé vers la pente. Vertigineuse, abrupte, agressive, grondante sous les assauts des vagues et de l'écume. Il avait descendu quelques marches, tout à son aise sur cette falaise qu'il connaissait comme le dos de ses pattes, et avait rejoint le lieu où les peintures commençaient à s'amenuiser, à disparaître. Là, il s'assit. En faible équilibre sur deux marches, la queue dans le vide, lascif et nonchalant.

Et il continua à dessiner.

Les traits s'étiraient, s'affinaient, se chevauchaient, se parsemaient de points et de tâches jusqu'à former un ensemble cohérent où les couleurs variaient mille fois et mille fois pétillaient, se nuançaient, s'agrégeaient en un schéma incompréhensible mais plaisant. Ca l'occupait.

Non.

Ca le passionnait.

Il ne vivait que pour ça, jour après jour, créant, améliorant, cherchant le Mieux, le Beau, l'Equilibre et tout ce qui pouvait faire vibrer son coeur. Il aimait toujours beaucoup plus ce que la Nature lui offrait, mais parfois, parfois... Les planètes s'alignaient, se retrouvaient au bon endroit, au bon moment, et tout se passait bien. Et tout devenait Beau, la Nature sublimait son Oeuvre, ce coup de pouce qu'il tentait de lui donner, et quelque chose naissait.

Et c'était pour ça qu'il continuait. Jour après jour. Ligne après ligne. Point après point.

Qu'il continua, jusqu'à ce que le soleil disparaisse, jusqu'à ce que les teintes ne soient plus fidèles à elles-mêmes, et alors, il songea.

Il songea que la lune aussi, devait voir la fresque. Que de nuit, le temple manquait de... Manquait. Quelque chose. Alors il ferma les yeux, et réfléchit. Puis il pencha la tête sur le côté, et se remit à peindre. Mais les traits étaient un peu... Différents. Ils luisaient doucement, tout doucement dans la nuit.

Elle n'était pas chargée. Mais ce côté luminescent, après s'être gorgé de soleil toute la journée, brillerait comme une toile en pleine nuit. Il ne faudrait que quelques jours, pour que l'effet ressorte pleinement. Quelques jours, et des centaines d'heures de peinture - il devrait repasser complètement sur tout ce qu'il avait fait, pour réussir à lui donner l'éclat de jour, mais aussi l'éclat de nuit. Il devrait repasser, pour vérifier l'éclat, vérifier les couleurs, vérifier que tout allait bien. Qu'il ne s'était pas planté. Que c'était faisable, réalisable.

Il ne vit pas le temps passer. Lorsque la lune fut haute dans le ciel, que son corps se fit lourd, lourd, si lourd ! Lorsqu'il manqua chuter au bas des marches, alors il soupira. Leva le museau.

Et rentra dans la grotte, avant d'aller se coucher au fond, tout au fond de cette dernière, cachée derrière la fontaine merveilleuse de Dairo. Et dormit

Dormit

Et dormit encore, de longues heures, jusqu'à ce que le soleil remonte haut dans le ciel. Lorsqu'il entendit les paroles d'un petit loup, dont il reconnaissait le ton. Sans plus.

Il se redressa, et émergea de derrière la statue tel une ombre.

Et fixa le petit loup gris.

Sans dire un mot. Statue de chair dans l'antre de pierre.

Saqqarah était fort satisfait d’être arrivé ici sans tomber dans le précipice. Ça aurait été fort dommage de mourir aussi bêtement selon lui. Mais en arrivant, il avait déconnecté de son stress et c’était mit à admirer les fresques avant d’entendre du bruit. Celui d’un corps qui se lève. Il agita lentement les oreilles et tourna la tête avant de voir Ely. Il hocha alors calmement la tête, comme un salut silencieux envers le mâle. Puis se remit à admirer la pièce avant de s’approcher de la statue de la déesse. S’asseyant à ses pieds avant de rabattre sa queue contre corps.

La déesse lui faisant face, il trouvait Dairo absolument majestueuse ainsi et ne doutait pas de sa grandeur. Il trouvait Aka trop massif, avec un air trop violent, presque inquiétant. Kiro ne lui avait pas plu non plus, il n’avait pas su définir pourquoi. Sans doute parce qu’elle était serpent, que le reptile était pour lui synonyme d’abandon et de caractère vicieux. Dairo résonnait plus comme une évidence à ses yeux. Son apparence du renard la rapprochait du loup. Elle semblait à la fois intelligente et gentille, avait quelque chose de maternelle, et de puissant à la fois. Il s’inclina devant la statue, sans doute pour la saluer elle aussi, avant de poser son regard sur Ely.

« Tu crois que Dairo accepterait de m’avoir comme disciple ? »

Demanda-t-il calmement en se relevant, s’approchant du mâle sans plus de cérémonie. Il l’avait presque rattrapé. Il était presque aussi grand que lui. Et cela lui rappela qu’il avait grandit. La première fois qu’il l’avait vu, il n’était qu’un gamin. Il s’arrêta à une distance respectable, il ne voulait pas envahir l’espace vital du loup, et ne désirait pas qu’on envahisse le sien.

« C’est toi qui a peint l’entrée et l’intérieure ? Je trouve ça magnifique, j’aimerais bien apprendre ton art… »

Avoua-t-il calmement en observant les fresques autour de lui. C’était un paysage qu’il trouvait superbe. Il avait aussi pu admirer un magnifique coucher de soleil dans des tons roux, rouges et doré. Cela l’avait totalement ébloui. Il en avait oublié de rentrer à l’heure à la maison et il se souvient que Reaper avant soupirer en le voyant rentrer si tard. Mais n’avait fait aucune remarque. Sans doute parce qu’il avait comprit que Saqqarah avait été trop dans la lune pour voir le temps passer.

Le grand loup gris se contenta de l'observer tout le temps qu'il passa à observer les fresques puis la statue. Il était patient, et surtout n'avait rien de mieux à faire. Il aimait surveiller ceux qui passaient par la grotte, lorsqu'il y était. Et puis, s'ils voulaient être seuls, ils n'avaient qu'à le dire, et ils les laisseraient tranquille. Et si ça ne suffisait pas, il venait de se réveiller, donc il était encore l'esprit dans le flou - ben oui, ça restait un loup Ely quand même.

Il ne fit pas un mouvement. Rien qui ne puisse déterminer s'il était vivant ou non, ne serait-ce les éclairs qui, à certain moments, venaient zébrer son corps.

Il n'eut pas à réfléchir longtemps à la question du loup gris :

Dairo accepte tous les disciples.

La seconde, par contre, lui demanda plus de réflexion. Il laissa un loup moment passer, à fixer ce louveteau maintenant aussi grand que lui, avant de lui apporter réponse :

L'extérieur, oui. L'intérieur est le résultat des offrandes de milliers de loups à la grandeur de la Déesse Renarde.

Il fit une autre pause, au moins aussi longue. Il ne fallait pas avoir peur de perdre son temps, avec Ely :

C'est mon pouvoir, je ne peux pas te donner le matériel pour ce faire.

Sa queue passa devant ses antérieurs, parfaisant sa tenue de statue.

Mais il existe des pigments, dans la nature, que tu peux exploiter.

Saqqarah appréciait étonnement Ely, non seulement cela, mais en plus il le respectait. Il admirait aussi son travail de peintre, appréciant ce qu’il faisait. Il agita lentement les oreilles, attendant des réponses, sachant qu’il les aurait, même si le mâle pouvait sembler l’ignorer ou être à l’ouest. Il avait conscience qu’Ely l’écoutait. Et cela lui était très satisfaisant. Il ne se plaignait pas, pouvant apprécier ce silence. Quand il affirma que Dairo acceptait tout les disciples, cela le fit sourire, un sourire franc et vrai, un des rares d’ailleurs.

« Alors j’espère être digne d’elle »

Remarqua-t-il avant d’avoir droit à une autre réponse. Ainsi donc il avait peint l’extérieur. C’était fascinant, et beau aussi. Et cela était donc le fruit d’offrande. Il fallait aussi qu’il en fasse une à la grandeur de la déesse. Il lança un regard à Ely. Lui demander ce qui serait digne d’elle n’était pas une chose à faire, avoir de l’aide était stupide, ça reviendrait à laisser Ely faire une offrande à sa place.

« Alors je reviendrais avec une offrande pour embellir un peu plus son temple. »

Ainsi donc son pouvoir lui permettait de faire tout cela. Saqqarah avait donc raison de penser à lui comme étant le maître du beau. Il remua lentement la queue, laissant Ely prendre sa pause, l’écoutant. Il s’assit et se mit à recopier la position du loup dans le cahier blanc qu’il avait récupéré pour ses notes d’apprentissages. Il l’écouta et hocha vaguement la tête, terminant son croquis avant de prendre l’ouvrage et de l’apporter à Ely pour lui montrer.

« Quels sont les pigments que je peu trouver dans la nature ? »

Demanda-t-il avant de le contourner pour voir son expression de plus prêt et tender de la reproduire dans un croquis du visage du mâle uniquement. S’essayant à côté de lui pour faire son dessin. Comme il apprenait à être Panseur et qu’il devait redessiner pas mal de plante, il avait prit l’habitude de s’entraîner sur d’autres modèles, et à ses yeux Ely était un bon modèle.

« Dis Ely… Tu crois qu’un loup… lambda peut aimer faire le mal parce que cela lui semble beau ? »

Demanda-t-il, pas sur que sa question soit bien tourné. Depuis sa rencontre avec Ely il était à la recherche du beau. Mais il voyait peu de belle action dans la meute. Et il se retrouvait de plus en plus triste au milieu d’eux. Se sentant presque étrange à vouloir faire le bien pour tous, et non apprendre à se battre ou être le meilleur. Saqqarah avait posé la question ainsi car a ses yeux Ely n’avait rien de commun. Ne serait-ce que ses éclairs qui parcours son pelage, ou ses attitudes… Non, rien de tout cela n’était vraiment commun. Et ce côté unique, il était beau.

Ely ne réagit pas à son petit manège, le laissant faire tout ce qu'il voulait, se contentant de rester immobile. Que les gens étaient... Bizarres, grands comme petits. Les petits étaient parfois même encore plus bizarres, comme celui-là.

C'est la Déesse qui décidera si tu es digne d'elle ou pas.

Lorsqu'il parlait, il dévoilait ses crocs dont une canine qui luisait d'un orange délicat, offre de la Renarde lors de son propre passage de glowstick. Il s'en souvenait - il s'en souviendrait toujours. La lueur délicate de la louve orange, les éclats de lumière qui l'accompagnaient, ses billes d'ambre si mystérieuses, son corps fluide et parfait - beau.

Elle sera heureuse, d'offrandes.

Après tout, n'avait-elle pas été heureuse, lorsqu'il lui en avait rapporté ? A ce souvenir, son coeur se gonfla d'amour et de joie. Ce jour là, la déesse lui avait répondu. Avait réchauffé son coeur. Ancré, dans le sol, le souvenir de son passage, sous forme d'un renard d'or et de diamants. Ely réfléchit à la question du petit gris. Il ne se souvenait plus trop. Cela faisait si longtemps...

L'ocre... L'aigue-marine. Le charbon, la suie.

Il marmonnait.

Il faut des oeufs, aussi...

Un liant, le plus simple à trouver peut-être. La dernière question interrompit ses pensées. Il laissa un silence, de nouveau.

Je ne sais pas ce qu'est un loup lambda.

Saqqarah n’arrivait pas à décroché son regard de ce paysage, il fallait qu’il note, qu’il dessine aussi. C’était devenu une manière d’apprendre, et un passe temps qui lui plaisait. C’est pour cela qu’il avait dessiné Ely en voyant sa position à la fois noble et simple. Puis il avait dessiné la déesse tout en écoutant, le mâle, remuant doucement la queue.

« Je le sais, mais je ferais mon maximum pour mériter son regard. »

Il commença a gribouiller un par terre de fleur autour de la renarde avant de pencher la tête. Des offrandes hein ? Il plissa la truffe. Il manquait encore d’idée sur le sujet, mais il trouverait. Oui il serait capable de trouver une offrande digne d’elle. Mais ne savait pas encore quoi. Il remua doucement la queue. Lançant un regard à la statue qui les observait en silence.

En l’entendant énuméré ce qu’il pouvait trouver en couleur dans la nature, Saqqarah changea de page et nota tout cela, même si le noter était très mal dit. Puisqu’il schématiser l’objet de sa futur recherche à côté du nom de la chose. Des œufs ? Il dressa les oreilles.

« Pourquoi des œufs ? »

Demanda-t-il instinctivement avant de terminer son croquis et d’entendre la réponse à sa question. Saqqarah pouffa d’un rire doux. Il remua la queue, referma son ouvrage, et se remit à observer, se relevant, il s’approcha d’un mur se dressant sur ses pattes arrières pour en admirer les détails de prêt avant de tourner la tête vers Ely.

« ça n’est pas important, ça ne changera rien à ta vie crois moi »

Lui dit-il en remuant sa longue queue reptilienne. Il reposa ses pattes au sol, se déplaça, et recommença son manière. Il voulait tout voir de prêt. Puis finalement il trouva un trou dans la grotte. Il se reposa, rouvrit son livre, et déchira la page où il avait dessiner Ely, et au dos Dairo, avant de la plier convenablement et de la déposer dans l’espace tout en s’inclinant.

« Un dessin de vous et l’un de vos serviteurs. »

Souffla-t-il en gardant la tête baisser avant de la relever.

Il posait beaucoup de questions. Mais elles n'étaient pas trop insupportables, donc ça allait. Ca le divertissait, le sortait de sa routine quotidienne. Il pouvait, un peu, penser à autre chose. Comme à la façon dont il faisait de la peinture avant le cadeau de Dairo. Ely, sans une seule réaction physique, prit le temps d'expliquer :

Le blanc d'oeuf permet de lier et fluidifier les pigments. Ce sera la base de ta peinture.

Pour dessiner, il suffisait d'un peu de graphite, d'un bout de charbon et de quelques supports, voir des feuilles. La peinture était un art tout autre, qui demandait de créer, à partir de rien, les couleurs qu'on souhaitait utiliser. Il était possible de trouver facilement quelques teintes, utiliser la terre de glaise mouillée par exemple, la boue, les feuilles pour un vert sympathique mais difficile à maîtriser. Mais le bleu ? Le violet ? Ces teintes qui n'existaient que dans l'esprit de tout un chacun et qu'un peu de volonté ne suffisait pas à retranscrire ?

Il fallait aviser, chercher, découvrir, trouver. Dans le minéral, le végétal. Le vivant, aussi, parfois. Les insectes, par exemples permettaient pour certains des teintes que l'on ne trouvait nulle part ailleurs.

Ely agita une oreille. Le petit loup avait visiblement cru qu'il n'avait pas compris sa question - il n'en avait tout simplement pas compris la réponse.

Bah.

Il regarda la feuille qu'il lui tendait. Puis... Comment s'appelait-il déjà ? Quarrah.

Je peux mettre des couleurs ?

C'était la moindre des choses, vu que ça ne lui appartenait pas.

Saqqarah hocha la tête à sa remarque, comprenant l’utilité, maintenant, encore fallait-il trouver des œufs. Saqqarah avait du mal avec l’idée de se servir de futur être vivants. C’était difficile moralement pour lui d’accepter de détruire une vie en devenir. Peut être qu’il n’utiliserait jamais de couleurs, que ses dessins resteraient en noir gris et blanc. C’était très bien comme ça, et puis ça allait de pair avec ses convictions. Il fit un petit sourire à Ely en hochant la tête.

« Je note ça. »

Le mâle remua doucement la queue, il n’avait pas envie d’expliquer ce qu’était un loup lambda à ses yeux. C’était de toute façon futile selon lui. Il voulait juste savoir si le laid pouvait cacher du beau, mais n’arrivait pas à l’exprimer. Et comme le beau était relatif à chaque individu. C’était tellement difficile. Et comment les aveugles faisaient-ils pour discerner le beau ? Il mit les oreilles à l’horizontal.

« Ely, le beau, pour les aveugles, ça marche comment ? »

Demanda-t-il en dressant les oreilles vers lui avant de lui amener un bout de parchemin de son livre. Un cadeau en somme. Il se fichait bien que le loup se rappelle de son nom ou pas. Ça n’avait strictement pas la moindre importance pour lui. Il n’avait aucun sentiment particulier à son égard, leurs échanges étaient en général neutres et calment. Saqqarah aimait bien cette quiétude et cette tranquillité qui se dégageait d’Ely. Il agita les oreilles à sa demande et hocha la tête.

« Bien sûr, fait toi plaisir. »

Le fait qu’Ely lui demandait s’il pouvait y mettre de la couleur lui donna la sensation que son œuvre était plutôt réussi. Et aussi qu’il l’appréciait. Cela lui fit remuer la queue. Il observa le mâle mettre la couleur, tout en rêvassant. Il ne fallait pas être presser, entre eux particulièrement, le silence était beaucoup plus souvent dominant que la parole.

Décidément, mais il posait des tas de question étranges, ce petit. Que souhaitait-il, à la fin ? Ely dut de nouveau réfléchir à la question. Les aveugles ? Que les aveugles pouvaient-ils trouver beau ? La réponse lui semblait assez évidente, en fait.

La musique. Les goûts. Les trilles d'un pic vert au petit matin. La douceur d'un pelage sous ses pattes. La piste d'un daim encore fraîche dans la fraîcheur du soir. Comme toi. Comme moi. Ils ne peuvent juste pas apprécier les formes et les couleurs, mais le Beau ne s'arrête pas à ça, même si je m'y accroche en particulier. Le Beau est Partout.

Certains avaient seulement plus facile que d'autre à le discerner, à l'entretenir, à le cultiver.

Lorsque le jeune loup gris accepta qu'il colore son dessin, il se concentra un instant. La pierre, autour de la feuille, perdit de ses teintes brunes pour former une légère sphère d'un brun chaud, juste au dessus. Ely restait concentré ; la sphère se fragmenta en un millier de particules de toutes les couleurs qui se fixèrent sur la feuille auparavant blanche, et qui doucement se déclinait en tons de gris, de jaune et de orange, suivant les traits encore malhabiles mais emplis de passion du jeune Saqqarah. Respectant, et embellissant l'oeuvre à la fois.

Ely se contenta de ça, les yeux fixés sur le dessin.

Ca n'était pas le Beau, mais c'était un petit beau. C'était satisfaisant.

Oui , Saqqarah était un jeune loup curieux, très curieux, et assoiffé de savoir. Retenir toutes les questions qui le dévoraient était  impossible. Il en était bien incapable. Rares étaient ceux à qui il parlait. Il avait du mal à se faire à l’idée qu’une discussion pouvait créer un attachement. Chose surfaite et encombrante qu’il ne voulait pas.  Il ne savait de toute façon pas les gérer et en devenait souvent chiant, voir agressif. Il remua nerveusement sa queue de reptile. Sentant qu’Ely était peut être las de son affluence de questionnement.

Il l’écouta alors, tournant la tête vers lui, il n’avait pas pensé à toutes ses choses. C’est vrai que parfois les odeurs le raviaient. Il se sentait transporter par les parfums floraux et arrivait à partir dans de vastes pensées en entendant quelques notes d’une mélodie.

« C’est vrai, suis-je bête. »

Remarqua-t-il en maronnant dans sa barbiche qui commençait à pousser un peu. Il observa le mâle après que celui-ci lui ai demandé de pouvoir mettre de la couleur à son petit dessin. Il avait accepté bien sûr. C’était pour lui, enfin pour la déesse aussi, mais surtout pour lui.

Il l’observa faire avec intérêt et curiosité. Observant la feuille prendre des couleurs. Ce n’était pas magnifique, mais c’était mieux que rien. Ça avait déjà un peu plus d’allure que sans aucune couleur. Il hocha la tête, approuvant calmement un léger sourire sur les babines. Saqqarah ne souriant pas beaucoup, mais quand il était content de quelque chose, une petite risette avait tendance à venir faire briller son visage terne.

« C’est déjà beaucoup mieux comme cela. »

Remarqua-t-il avant de lancer un regard au loup.

« Oh fait Ely, quand j’étais petit tu m’as dis que tu m’emmènerais voir des paysages qui sont beaux. Je suis plus grand maintenant alors je me ferais un plaisir de t’accompagner voir un peu de ces splendeurs que nous offre la nature. Tu es toujours d'accord ? »

Mais il faisait déjà presque nuit, ça ne serait pas aujourd’hui. Mais s’il pouvait lui montrer ces choses là dans les jours à venir. Saqqarah en serait très heureux. Il avait bonne mémoire et n’avait pas oublié que le loup avait bien voulu lui montrer le beau.

Il saisit délicatement la feuille entre ses crocs, sans l'abimer, et alla la déposer avec une lenteur professorale devant la statue de la déesse, la poussant du museau pour quelle repose en bonne place. C'est là qu'elle devait être, parmi les offrandes à la Renarde. Elle saurait, il le savait, s'en souvenir le moment venu lorsque le petit loup reviendrait. Il se tourna ensuite vers l'entrée de la grotte, qu'il rejoint, semblant ignorer les questions et imprécations du louveteau gris.

Lorsqu'il fut à l'entrée de la grotte, il s'assit, enroulant de nouveau sa queue autour de ses pattes, et attendit, contemplant le lointain. D'ici, on avait une vue formidable sur l'à-pic rocheux, les doigts des pierres meurtrières tendues vers le ciel. La plage en contrebas n'était qu'une fine langue de sable résistant encore et toujours aux assauts de la mer aujourd'hui calme, mais implacable. Cette étendue d'eau qui, à elle seule, constituait plus de la moitié du paysage, mais si belle qu'on l'en pardonnait.

Ely parla face à lui, ne se préoccupant pas de si le louveteau l'écoutait ou pas.

Nul besoin de parcourir monts et vaux pour trouver le Beau. Parfois, il suffit d'attendre au bon endroit.

Saqqarah suivit Ely des yeux, avant d’aller s’asseoir à côté de lui, et de l’écouter. Il comprenait ce que le mâle voulait dire. Il hocha vaguement la tête, avant de se tourner vers la statue de la renarde, s’inclinant avant de saluer Ely et de sortir de là. Traversant à nouveau l’escalier de piques rocheux et instables dévorés par la mer, puis retrouvant les vastes plaines qui s’étendaient sur le plateau. Il se coucha en sphinx sur le plateau, et observa l’horizon jusqu’au soir. Le défilement des lumières et le changement de paysage malgré son inertie, était quelque chose de beau à ses yeux. Quand il se fit tard, il se leva enfin, s’étira pour faire craquer ses articulations trop longtemps restée s immobiles, puis il reparti au pas vers le grand Castle dans le soir levant.