Porté par le vent. Paumé par le vent aussi. [Libre]

>> Ah bah ça au moins, ça le changeait de chez lui.

Enfin, le paysage en tout cas. Habitué des fjords et des plages de rochers, Tabralt n'avait jamais vu de montagnes pareilles. Certes, la température n'était pas bien différente de la météo fraîche à laquelle il était habitué, mais c'était moins humide.

Assis sur la crête, après avoir suivi un chemin qui serpentait sur le flan de la montagne, l'étranger profitait de la vue, du silence, et du vent qui ébouriffait sa crête blanches et ses moustaches. Monter jusqu'ici n'avait pas été un problème, mis à part lorsqu'il avait du traverser un éboulis peu stable qui bloquait le sentier. Les pierres avaient plus d'une fois menacé de se déloger sous son poids et de l’emporter en contrebas, dans une chute qui se serait sans doute avérée fort déplaisante, sinon dangereuse. Mais il s'en était sorti sans encombre, appréciant même le challenge.
A présent, Tabralt ne bougeait plus. La truffe pointée dans la direction d'où soufflait le vent rafraîchissant, il inspira, laissant les odeurs de roche froide et de résine de sapin envahir ses narines. La vue d'ici était fantastique, permettant d'apercevoir une île au large de la chaîne montagneuse, verdoyante avec une zone plus sombre au milieu. Un endroit qu'il n'avait pas encore exploré, et dont il n'était pas spécialement pressé de faire la découverte, puisqu'apparemment, il aurait à nager pour y accéder. Une activité qu'il n’appréciait que très moyennement, notamment à cause de son épaisse fourrure qui stockait l'eau pour des heures après la baignade.

Tabralt tourna son regard de l'autre côté de la chaîne de montagne, avisant un territoire plus verdoyant. En même temps, de l'autre côté, c'était l'océan.
Le loup gris frissonna. L’océan, il n'aimait pas. Déjà, fallait nager. Non merci. Mais en plus, l'eau était salée, et il y avait quand même, d'après les récits, une incroyable quantité de saloperies dans l'eau. Il préférait de loin avoir les quatre pattes sur la terre ferme, comme ici, au sommet d'une montagne, seul avec ses pensées et le vent. Non, ce n'était pas triste, merci beaucoup.

Fermant les yeux pour mieux apprécier la caresse du vent dans son pelage, le solitaire se laissa envahir par le silence. Enfin, le bref silence. Car quelques secondes après qu'il eut baissé les paupières, il se retrouva forcé de les rouvrir, les oreilles dressées. Il était presque sûr d'avoir entendu des cailloux rouler dans la pente. Malheureusement, il n'avait pas encore une idée très claire des frontières ici, ni de qui occupait ces territoires. Alors il ne pouvait qu'attendre de voir si en effet, quelqu'un arrivait, et si ce quelqu'un allait le chasser ou entamer une conversation avec lui. Il ne savait pas encore ce qu'il préférait.

Tarko

Enfin, Tarko rentre chez lui. Son voyage au Sud a été mouvementé. Entre le crocodile qui manqua de peu de lui arracher une patte et l’escapade mouvementée sur l’île de Morne-Oeil, le mâle est pressé de retrouver la chaleur de son terrier. Seul point d’attache du solitaire qui vagabonde où bon lui semble et ce, même sur les territoires où il n’est pas le bienvenu. Cette liberté, Tarko en est  fier. Jamais il ne l’abandonnera, jamais il n’y renoncera. Les meutes, leurs obligations et leurs dévouements aux dieux lui apparaissent si restrictives et réductrices. Ces loups pensent se protéger en suivant des règles pour soi-disant vivre mieux, mais ils passent totalement à côté de la vraie vie. Celle qui est dangereuse, mortelle et qui peut vous glisser entre les pattes à la moindre inattention.

Perché sur sa montagne, Tarko s’arrête un instant.
Le vent souffle. C’est celui de la liberté.
Il a le cœur rempli d’une douce chaleur, unique à ses moments suspendus dans le temps. À cet instant, le mâle se dit qu’il reviendra ici. C’est calme et reposant. Comme une zone tampon où il pourra relâcher toute l’énergie accumulée au fil de ses voyages avant de retrouver son chez lui et ses parents.

Le petit mâle prend une grande bouffée d’air frais et descend de son rocher pour continuer sa route, direction la Plaie du monde. Le sol est instable, les pierres roulent et dégringolent plus bas. Tarko prend le temps de poser ses pattes sur les rochers les mieux encrés à la montagne. Alors qu’il continue de descendre en crabe le flanc escarpé du Mont il aperçoit en contre bas une silhouette. Un autre loup. Un autre solitaire. Son regard croise le sien.

Tarko commence à tourner les talons, peu enclin à la conversation, mais s’arrête quand il sent sous ses coussinets la pierre se dérober. Il aboie à l’inconnu le soudain danger qui le guette juste avant que le roc ne se détache.

>> Un aboiement soudain le fit se retourner brusquement, ainsi qu'un bruit renouvelé de roche qui se brise. Oh shit.

Tabralt eut juste le temps d'apercevoir l'autre loup, un mâle d'à peu près son âge, plus petit -en même temps, ce n'était pas vraiment dur d'être plus petit que Tabralt- avec un pelage blanc, fauve et bleuté. Un autre solitaire, à l'odeur que le vent charriait vers lui, qui se tenait plus haut dans la pente. Mais il n'eut pas le temps d'en déduire ou d'en observer plus au sujet de l'inconnu, car un rocher de belle taille semblait visiblement sur le point de se détacher. Juste au dessus de lui. Ah oui, il y avait toujours ce léger problème donc.

Agissant par instinct, Tabralt scanna les environs d'un bref regard. Il savait gérer ce genre de problèmes, il était habitué aux parois rocheuses et leurs éboulements surprises. Ici la solution était plus que simple : Se barrer perpendiculairement à la direction prise par les cailloux, dans l'espoir de sortir de ce qui deviendrait prochainement le toboggan personnel d'un bon gros caillou dévalant joyeusement la pente, invitant quiconque se trouverait sur son passage à se joindre à la dégringolade.
Le nordique se ramassa sur lui même et s'élança, prenant garde à ne pas glisser dans la pente, et alla d'un puissant bond se réfugier sur le côté. Un craquement assourdissant accompagné d'un souffle d'air sur le bout de sa queue lui indiqua qu'il avait vraiment, vraiment bien fait de bouger, car le rocher venait tout juste de rebondir à l'endroit exact ou il s'était tenu planté quelques secondes auparavant.

Tabralt se redressa, faisant pivoter ses oreilles à la recherche de nouveaux sons de pierre fendue, mais le silence était retombé, perturbé seulement par le bruit déjà lointain du rocher qui continuait gaiement sa descente en contre bas. Le nordique tourna alors son regard pâle vers l'autre solitaire et lui adressa un léger hochement de tête pour le remercier, même si il était quand même un peu à l'origine du danger dont il avait prévenu Tabralt.

-Fais gaffe ou tu poses les pattes.

Le loup gris s'ébroua, débarrassant son pelage de la fine couche de poussière qui s'y était déposé. Puis, s'apercevant que sa grosse voix rocailleuse n'était pas des plus amicale, il ajouta d'un ton plus serein :

-Mais merci du signal..

Même les pierres qui semblent inébranlables peuvent faillir. Maintenant Tarko le sait.

Le solitaire eu le temps de sauter sur le rocher adjacent avant que celui sous ses pattes n’entame sa grande dégringolade. En sécurité, il observa la suite de la scène sans pouvoir agir. Son cœur se sera et un poids lui tomba sur l’estomac. Il détourna les yeux juste avant l’impact. Le sol trembla et le mâle fut parcouru d’un frisson d’angoisse. Est-ce-que … Est-ce-que …

— Fais gaffe ou tu poses les pattes.

La voix rauque de l’inconnu soulagea le mâle bleu qui avait cessé de respirer durant ces dernières secondes. Ses pattes flageolent. Tarko avait bien cru que l’autre fut emporté. Reprenant ses esprits, il descend rejoindre le mâle, ses oreilles plaquées contre son crâne en glissant sur les gravats. Il s’excusa de sa maladresse qui manqua de tuer le loup à l’épais pelage gris. La montagne n’est pas un endroit pour tous. Et Tarko lui, c’est plus le genre loup des plaines.
Si les rôles avaient été inversé, le punk n’aurait pas survécu.

— J’suis … impressionné … t’es à l’aise dans les montagnes. Tu viens d’où ?

>> L'autre loup le rejoint maladroitement, tentant visiblement de ne pas glisser dans la pente.

Tabralt le regarda faire, immobile, attendant qu'il arrive à lui. De près, il pouvait sentir l'odeur de l'autre mâle, et en déduit qu'il devait vraiment avoir quasiment le même âge, peut-être un peu plus vieux. Il avait de grands yeux bleus, un bandana rouge autour du coup, une crête et un regard peu assuré alors qu'il s'excusait de l'avoir presque écrasé avec un rocher. Tabralt haussa les épaules pour montrer qu'il n'y avait pas de problème. Tout le monde n'était pas habitué à la montagne, l'autre mâle n'avait de toute évidence pas faît exprès de déloger un rocher qui serait probablement tombé à la prochaine pluie, et il n'était pas blessé. Pas de raison de lui en vouloir.

- J’suis … impressionné … t’es à l’aise dans les montagnes. Tu viens d’où ?

Tabralt remua les oreilles, prit par surprise par le compliment. Ce n'était qu'un simple bond sur le côté. Il tourna la tête vers l'immensité de la chaine de montagne qui s'ouvrait devant eux, appréciant le vent qui venait rafraichir sa truffe.

-Du Nord. Très loin au Nord.

Là ou il fait froid, là ou il neige, là ou il y a des montagnes qui tombent à pic dans les eaux profondes des fjords et ou si tu n'apprends pas à marcher dans une pente verglacées et à réagir instinctivement au bruit d'un éboulement, tu passes pas ta première année.
La solitaire marqua une pause, avant de prendre conscience qu'il venait encore de grommeler six mots tout au plus.

-Beaucoup de montagnes par chez moi.

Une piètre explication, mais une explication quand même. Il essayait, d'accord ?

-Et toi, t'es d'ici ?

Non parce que le prends pas mal mec, mais tu viens clairement pas des montagnes.

L’inconnu hausse les épaules. Il ne semble pas lui en vouloir pour cet incident. Ouf … Rassuré, Tarko redresse ses oreilles et reprend une posture droite, attentif. Il écoute le mâle qui résume en quelques mots et d’une voix très calme, son origine. Tarko tourne la tête pour regarder dans la même direction que lui. Il tente de s’imaginer à quoi cet endroit au Nord ressemble. Encore plus de montagne qu’il n’en a sous les yeux ? L’idée de voyager pour découvrir ce que cache le Nord fait briller l’étincelle de l’aventure qui danse au fond de ses yeux. C’est décidé : il ira là-bas un jour.

— Et toi, t'es d'ici ?
— J’ai grandi dans la Plaie. il réfléchi à la manière dont il va décrire l’endroit. C’est genre … une plaine, avec des montagnes inversées.

Mouais on a vu mieux comme description.
Les failles de la Plaie du monde sont, pour certaines, aussi abruptes que les flancs des Monts Célestes. Mais le terrain n’a rien à voir. Pas de neige mais une fumée blanchâtre et épaisse. Des ruines et bien sûr la plaine aride.

À nouveau des pierres roulent non loin du duo. Tarko jette un coup d’œil au dessus d’eux. Un autre loup approche ? Avant qu’une catastrophe n’arrive vraiment, il propose à son interlocuteur de ne pas rester plus longtemps ici et de prendre le risque de se faire écraser. Alliant les gestes à la parole il se met en marche. Mais le solitaire n’a pas fait trois pas qu’il s’arrête, dubitatif. Il est accompagné  d’un loup habitué à ce terrain, autant le laissé ouvrir la marche.
Tarko s’écarte du chemin et se colle contre le mur de pierre pour que l’inconnu puisse passer devant.  

>> Ah, ça il connaissait, c'était même la première chose qu'il avait vu en arrivant.

-Ah oui, j'ai vu la Plaie. Un peu monotone.

A peine eut-il terminé sa phrase qu'un bruit de pierres qui roulent lui fit pivoter les oreilles. L'autre loup l'avait aussi entendu, visiblement, puisqu'il suggéra de ne pas rester trop longtemps ici et se mit en marche. Tabralt acquiesça, peu désireux de se faire de nouveau agresser par un rocher. D'autant qu'en général, si une pierre de cette taille se décrochait, cela voulait dire que le terrain était fragilisé et que d'autres risquaient de suivre.
Il marqua une pause lorsque l'autre loup s'écarta, avant de comprendre qu'il le laissait passer devant. Soit.

Le solitaire se faufila dans l'espace laissé entre l'autre loup et le bord du ravin, prenant garde à ne pas écraser son compagnon contre la roche avec sa grosse carrure. Une fois devant lui, il lui jeta un coup d’œil par dessus son épaule.

-Je m'appelle Tabralt. Au fait.

Prudemment, il continua d'avancer sur le sentier, prenant garde à ne pas déloger de pierres et testant les parties qui lui semblaient bizarres avant d'y mettre tout son poids. Il était judicieux de le laisser passer devant pour deux raisons. La première était qu'il était peut-être plus habitué à ce genre de terrain qu'un loup ayant grandi dans une plaine. La seconde était que si la roche ne supportait pas son poids, elle cèderait avant que l'autre loup n'y ait mit les pattes. Car il était visiblement plus lourd que son compagnon.

Côtes à côtes, la différence de carrure est flagrante. Une crevette face à un roc. Ce loup qui vient du Nord lui rappelle celui rencontré aux Plaines Savanes. Fort et imposant. À croire que Tarko est le seul solitaire à se trimballer une allure chétive.

— Tarko. Dit-il, avant de préciser, très sérieux. Content de n’pas t’avoir tué.

À la file indienne ils avancent avec prudence. Le bleu, très concentré sur la marche, veille à poser ses pattes exactement aux mêmes endroits que Tabralt. L’exercice est exigeant. Surveiller où marche le loup devant lui, faire de même et enfin, comprendre, pour pouvoir revenir dans les montagnes sans craindre de se tuer ou de tuer quelqu’un. Évidemment, ça ne va pas être cette seule balade qui lui permettra d’être aussi à l’aise, mais s’il en tire un peu d’enseignement c’est toujours mieux que rien.

Les minutes passent sans incident. Un dérapage sur une pierre lisse par-ci, par-là, mais rien de bien méchant. Si, sur les premiers mètres, Tarko était à la traîne, il fini par trouver le bon rythme et suit son acolyte sans difficultés majeures. Comprenant, un peu, où il doit marcher, le loup peut même relever la tête et apprécier le paysage.

— Dis, pourquoi t’es venu ici ?

Le solitaire, fasciné par la beauté du panorama, se demande ce qui a poussé Tabralt à quitter un endroit où les montagnes doivent offrir d’aussi beaux décors que celui actuellement sous leurs yeux.

>> Tarko, donc, puisque c'était son nom, semblait peu à peu s'habituer au terrain.

Tabralt tirait cette déduction de l'espacement grandissant entre les sons de cailloux délogés que suscitait le passage de l'autre solitaire derrière lui. En voilà un qui apprenait vite. Il avait cru au début que l'autre était plus jeune que lui, mais c'était simplement parce qu'il n'avait pas l'habitude de rencontrer des loups de son âge qui ne faisaient pas sa taille, et qui n'avaient pas une voix aussi grave que lui. Mais chez lui tout le monde était plus grand et parlait avec un timbre rocailleux et bourru, alors il était normal qu'il aie encore besoin d'un temps d'adaptation. A l'odeur et à la voix, il était évident que Tarko avait son âge, voir même un peu plus.

La question le prit par surprise, alors qu'il contemplait devant eux un rocher plat qui pouvait servir d'aire de repos. Il profita des quelques secondes ou il testait la sureté de la pierre pour choisir sa réponse. Pourquoi avait-il quitté sa terre ?
Finalement, certain que le rocher n'allait pas se décrocher sous le poids de deux loups adultes, il s'assit et attendit que Tarko le rejoigne.

-Je suis parti parce que... C'est quelque chose qui se fait par chez moi.

Le vent se leva de nouveau, ébouriffant la fourrure de son cou. Il leva le museau pour apprécier la caresse rafraîchissant de la brise avant de reprendre.

-Rester toute sa vie au même endroit, c'est pas très intéressant. Alors beaucoup partent, certains reviennent.

Il tourna la tête vers Tarko, les sourcils légèrement haussés dans une mine interrogative.

-Tu n'as jamais eu envie de découvrir d'autres terres, toi ?

L’étroit sentier rocailleux en lacet forme des pentes douces qui facilitent l’ascension. La forte érosion du chemin prouve qu’ils ne sont pas les premiers a passer par là. D’ailleurs, Tarko remarque à plusieurs reprises des empreintes. Il reconnaît une majorité de traces de loups, de bouquetins et d’autres de petits mammifères. Bien quelle soit dangereuse, la montagne déborde de vie et peut s’avérer un lieu de chasse intéressant. Le mâle conserve cette information dans un coin de sa tête.

Devant eux, le prochain lacet, celui-ci est plus large que les précédents. À la pointe, une large pierre plate. Tabralt l’a remarqué le premier. Le loup du Nord teste la sûreté de la station avant de s’y installer, tandis que le bleu arrive à son tour. Il s’allonge à ses côtés appréciant l’initiative. Une pose ! Voilà qui va leur faire du bien. Notamment pour Tarko, dont la douleur dans sa patte avant commence à se réveiller sous l’effort.

Une fois installé, il ferme un instant les yeux, profitant de la caresse du vent sur son pelage. Ses oreilles se tournent quand Tabralt répond à sa question. Lui aussi est animé par l’envie de voyage et de découverte. Tarko approuve d’un mouvement de tête, un sourire étire ses babines.

— Je rêve d’explorer tous les endroits qui existent. Un petit rire secoue ses épaules. J’ai commencé à visiter le Sud et ça na pas été de tout repos. Dit-il en pointant, du bout du museau, sa patte avant droite marquée des dents du crocodile. Mais je n’compte pas m’arrêter là ! Et cet endroit d’où tu viens doit être incroyable.

Devant eux se dresse l’imposante chaîne de montagne. Dans le ciel immaculé, les vautours tournent à la recherche de leur prochain repas. Les pics des Monts Célestes portent des neiges éternelles. Plus bas, des forêts de sapins et de hêtres s’étendent à perte de vue.
Soudain, le petit mâle prend conscience d’un détail.

— J’y pense, ça veut dire qu’tu viens d’une meute ? Et … tu comptes en trouver une nouvelle ?

Bien qu’ils ne se côtoient pas depuis longtemps, il apprécie la compagnie de Tabralt. Tous deux semblent partager une philosophie commune. Si ce dernier vient à quitter son statut de solitaire, Tarko ne sait pas s’il abandonnera sa répulsion pour les meutes et acceptera l’idée de compter parmi ses amis un Nakhu, ou, pire encore, un Etelkru.

>> Un léger sourire apparut sur les babines de Tabralt.

Tous ceux à qui il parlait de sa terre natale semblaient avoir la même réaction. Une expression rêveuse, une envie de la découvrir. Peut-être qu'il la décrivait plus accueillante qu'elle ne l'était réellement, sans s'en rendre compte. Mais ce loup, Tarko, s'enthousiasmait même sans avoir entendu la moindre information sur l'endroit, à part qu'il y avait des montagnes et que c'était au Nord. Tabralt ne lui avait pas parlé des aurores boréales et des immenses étendues enneigées, mais il n'avait pas mentionné non plus le froid mordant, les nuits interminables, les avalanches, et la concurrence d'autres prédateurs.
Bah. Quelle importance pour l'instant ? Ce n'était pas comme si Tarko allait se ruer vers le Nord immédiatement, puisque comme il venait de le préciser, il n'avait même pas fini d'explorer ces terres-ci.

Puis vint la mention d'une meute.

Tabralt haussa les épaules à la question. Il n'y avait pas vraiment réfléchi, mais pour l'instant la vie de solitaire lui convenait. Rejoindre une meute signifiait bien des choses. Sociabiliser, par exemple. Il n'était pas répugné par l'idée, mais se savait peu doué pour le papotage sans intérêt. Suivre des  ordres aussi, ça ne l'enchantait pas trop. Mais qui disait meute disait forcément hiérarchie. Très peu pour lui. Et il y avait également toutes ces histoires de Dieux, et tout ça avait l'air bien compliqué.

Non, du coup.

-Peu probable.

Il agita les oreilles, sentant qu'encore une fois, il allait devoir élaborer, alors il prit les devants.

-Ma meute était plus un groupe. Ici, ça à l'air compliqué. Avec les dieux et les guerres.

Asclepia  lui avait dit qu'une des meutes attaquait à vue, sans poser de question. Strictement aucun intérêt, pour lui.
Il s'arracha finalement à la contemplation du paysage pour baisser le museau vers Tarko qui s'était allongé à côté de lui.

-Et toi ?

Le verdict tombe. Clair et concis. « Peu probable. ». Le bleu est soulagé. Il peut le compter parmi ses alliés. Rares sont ceux que Tarko considère comme fiables, lui qui a toujours un doute sur qui sont ses vrais amis. Cette méfiance est, comme beaucoup de traits de sa personnalité, liée à l’enseignement qu’il a reçu. Le loup a été modelé ainsi et rien n’a été laissé au hasard. Le façonnage excessif de sa personnalité explique en partie ses actions parfois illogiques ou des  réactions démesurées face à une situation. En effet, il n’est pas rare que la nature profonde du bleu entre en conflit avec celle acquise. L’exemple le plus flagrant est probablement son besoin naturel de vivre aux côtés d’autres loups, tandis qu’une autre partie de lui hurle qu’il ne doit pas s’approcher des autres. C’est à ce moment que Tabralt présente son ancienne meute comme un groupe. Cette idée de se rassembler sans avoir à subir une hiérarchie plaît à Tarko. Dans un groupe chacun est libre de faire ce qu’il souhaite. Il n’y a pas de chef et pas de règle idiote à respecter. C’est à se demander pourquoi on s’obstine encore à fonder des meutes alors qu’il existe de bien meilleures alternatives pour être ensemble.
Le solitaire approuve d’un mouvement de tête. Les dieux c’est bien la pire des conneries. À la limite il s’agit de génies qui font un peu de magie pour se procurer quelques offrandes mais pas plus.

— C’est à croire qu’ils vivent que d’prières et d’sang. Le petit souffle par le nez et lève les yeux au ciel. Jamais j’rentrerai dans une meute.

Le ton est presque badin. Pour lui c’est l’évidence même.
Tarko lance un regard en biais à son camarade, un fin sourire étire ses babines.

— Si à un moment ces crétins t’emmerdent et que t’as besoin d’un coup d’patte, hésites pas à v’nir me voir.

Son sourire s’étire et dévoile les dents en moins dans sa gueule. Il sera toujours d’accord pour aider un ami et encore plus heureux si c’est contre les meutes.

>> Tarko semblait d'accord avec lui avant même qu'il n'ai répondu, signifiant son approbation d'un hochement de tête.

-C’est à croire qu’ils vivent que d’prières et d’sang. Le petit souffle par le nez et lève les yeux au ciel. Jamais j’rentrerai dans une meute.

Tabralt rendit son sourire à Tarko, un regard en coin chargé de complicité. On est d'accord.

-Si à un moment ces crétins t’emmerdent et que t’as besoin d’un coup d’patte, hésites pas à v’nir me voir.

Tabralt haussa un sourcil, sans cesser de sourire. Il n'était pas vraiment dans ses habitudes de chercher la bagarre, mais il ne reculait jamais si on le provoquait pour un motif qu'il jugeait injuste. Attaquer les solitaires à vue, par exemple. Celà-dit, en général, les autres ne le cherchaient pas trop. Sa grande carrure suffisait à les convaincre de ne pas s'emballer trop vite, et comme il parlait peu et conservait bien souvent une attitude stoïque, un inconnu aurait bien du mal à deviner qu'en fait, il n'était pas trop pour la violence.
Le nordique échappa un rire -enfin, il souffla fort par les narines, ce qui faisait office de rire chez lui- et se leva, secouant son épais pelage, avant de s'étirer puis de s'allonger. Tarko était plutôt cool, et il se sentait assez détendu pour se permettre de de coucher, les pattes avant étendues devant lui et les postérieures étirée sur le côté.

-Merci de la proposition. Considère qu'il en est de même pour moi.

A la réflexion, il risquait de se faire appeler par Tarko avant l'inverse, étant donné que l'autre loup avait déjà des dents en moins et qu'à son âge, pour un loup en bonne santé, ça signifiait probablement qu'il s'était déjà bien bagarré avant. Petit, mais teigneux.

-Enfin... Tant que tu vas pas chercher volontairement la merde. Ajouta-t-il avec un sourire. Juste pour être sûr.