Le pouvoir ou la famille - Mildred

Salazar

Quel choix difficile que celui de choisir sa couleur !
Ao. Mido. Dairo.
Ambition, intelligence, ruse.

En cette fraîche matinée il avait décidé de se rendre au temple de cette dernière. Peut-être que le voir lui permettrait de prendre une décision ? C'était la seule couleur à laquelle il pouvait prétendre, en vivant chez les Etelkrus, mais pourtant, il se sentait de plus en plus attiré par la Dragonne.
Mais à qui pouvait-il l'avouer ? Il s'agissait là d'une de ses faiblesses, vouloir prétendre à un dieu qui n'était pas lié à sa meute.
Les oreilles aplaties sur son crâne, il siffla une insulte, celle-ci faisant s'agiter le serpent qui l'accompagnait.

La vue était magnifique d'ici, et il se permit une petite pause afin de participer à ce doux spectacle, celui d'un soleil encore bas à l'horizon dont les rayons se reflétaient sur l'eau. Le vent l'obligea à planter ses griffes dans le sol afin de ne pas tomber. Il était fin, il était faible, un coup de vent trop puissant pouvait le faire tomber.
Tout en bas.
Les crocs serrés, il s'approcha du chemin menant au temple.
Pouvait-il prétendre au glowstick orange s'il se voyait incapable de se rendre au temple lors de la mauvaise saison ? Cette idée l'arrêta net.
Il n'avait même pas le droit de penser à obtenir ce glowstick, il était déjà recalé.

Lorsqu'il tourna la tête, prêt à prendre le chemin du retour, il remarqua la présence d'une louve.
Son nom lui revint assez facilement malgré le fait qu'ils ne se soient jamais parlés. Il fallait dire que Salazar était très observateur, et cette histoire d'enfant séparée de sa famille à cause du dôme ne lui avait pas échappée.

Il se tourna donc complètement vers elle, un simple hochement de tête silencieux en guise de salut.

Il se sentait presque suivi, et il regretta de ne pas avoir surveillé ses arrières afin de s'assurer que ce ne soit pas le cas.

Le dôme était tombé.
Elle se souvenait parfaitement du moment où elle s'en était rendue compte. Ce matin où machinalement, comme tous les autres matins, elle avait levé le nez par-dessus la cime des arbres pour s'enquérir de la présence familière de ce reflet verdâtre dans le ciel. Ce matin où le reflet verdâtre avait disparu et qu'elle ne l'avait d'abord même pas remarqué tant ce mouvement de la tête était devenu automatique, ce matin où elle s'était ensuite pratiquement déboîté le cou quand elle avait finalement réalisé que quelque chose différait et qu'elle s'était retournée en précipitation.
Le dôme n'était plus.
Finie, la courbure légèrement irisée qui dénaturait l'horizon de ce côté-ci du globe. Elle avait eu beau cligner des yeux deux ou trois fois et se mordre la langue pour vérifier qu'elle ne rêvait pas, tout était resté ainsi ; et le sentiment qui l'avait alors envahie était si chargé et complexe qu'elle n'aurait su y poser des mots. Elle était restée seule toute la matinée à jubiler sur cette réalisation, à s'imaginer les retrouvailles avec sa famille, le retour sur les terres Lazulis, la reprise d'une vie normale. Mais à quoi ressemblerait une vie normale, désormais ? Qu'était-il advenu des terres de son enfance ?
Maintenant, elle était adulte. La dernière fois qu'elle avait foulé les terres Lazulis elle était tout juste adolescente et désormais elle s'approchait à grand pas de sa deuxième année.

Elle avait passé plus de temps chez les Etelkrus qu'auprès de sa propre famille.

Et cette réalisation lui arrachait un frisson à chaque fois qu'elle s'attardait sur ces pensées.

Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle s'était dirigée vers le temple de Dairo par la suite. Au lieu de courir vers la frontière comme semblait être la réponse logique à cet évènement. Elle aurait du être pressée de les retrouver et s'en aller sans se retourner, non ?
Pourtant, de toute cette matinée passée à en rêver, et durant toutes ces heures où la frontière entre les terres était redevenue immatérielle, aucune silhouette ne s'était pointée à l'horizon. Aucun loup qu'elle puisse reconnaître n'avait franchi ce qu'il restait du fleuve pour venir à sa rencontre. Pour venir la chercher.
Et cela pouvait vouloir dire deux choses. L'une était une accusation acerbe qu'elle osait à peine formuler tant elle ne voulait y croire et préférait l'ignorer, car il était trop insupportable de penser que sa famille ait pu l'oublier et l'ait abandonnée ici. L'autre était une inquiétude mordante qui au fil des semaines passant s'était confortablement installée, cruelle et sauvage. Chère Mildred, tu es partie depuis si longtemps maintenant... Tes parents ne sont plus tout jeunes et la vie sous le dôme devenait déjà rude à ton départ. Les choses ont du empirer.
Sous ce dôme, tout est peut-être déjà mort.

Alors, là aussi, elle devenait souvent lâche et préférait ne plus y penser. Elle tournait le dos à ces suppositions et partait occuper son imagination à autre chose. Mais désormais que la voie était libre, que les fantômes pouvaient surgir à tout moment -qu'elle n'avait plus qu'à avancer pour aller si besoin à leur rencontre... Elle avait peur.
Et la jeune louve avait bien conscience que le temps n'apaiserait pas cette douleur ou cette vérité si celle-ci devait exister, si elle devait finir par l'apprendre ou le constater de ses yeux et pourtant... Pourtant, elle avait tourné le dos au dôme, ce matin là. Et avait dirigé ses pas vers le temple de la Renarde.

Elle n'avait pas croisé âme qui vive sur son chemin, ombre souple serpentant parmi les arbres. Elle s'était glissée sans un bruit sous le passage des montagnes et avait ensuite débouché sur la vue dégagée des falaises, là où les embruns venaient à sa rencontre et emplissaient ses narines de mille parfums de sel et d'autres fragrances venant de par-delà les mers, le vent contant ses propres histoires de mondes inconnus qu'elle ne verrait probablement jamais. Puis, prudemment, elle s'était dirigée vers l'escalier menant au temple, prête à en grimper les marches abruptes, effleurée par la pensée qu'elle espérait qu'Ely, le loup noir, ne s'y trouverait pas à cette heure.
Il avait été... gentil, avec elle, mais elle avait remarqué son insistance, le trop grand intérêt qu'il lui portait, la façon pas très discrète dont il faisait parfois des détours inhabituels pour la chercher et venir lui parler - et elle de l'éviter habilement dans la plupart des situations. Il avait beau ne pas entretenir de pensées malveillantes à son égard, il la mettait mal à l'aise.
Quand elle remarqua une silhouette au beau milieu des escaliers taillés à même la falaise son cœur manqua quelques battements et elle faillit perdre sa contenance.

Elle avait d'abord cru être tombée sur Ely au moment même où ses pensées avaient flotté vers lui et le choc avait pratiquement hérissé tous ses poils, puis d'innombrables informations arrivèrent à elle la seconde juste après - ces couleurs, cette odeur, ces yeux...
Mais Godric avait disparu.
Il était le premier dont l'image s'était imprimé lorsque son regard avait effleuré les teintes chaudes de ce pelage brun, cette aile unique et ces yeux verts d'eau. Pourtant, son cousin et ami s'était évaporé au moment même où les Etelkrus partaient à la rencontre des pirates, laissant pour seul souvenir sa broche à son jeune demi-frère. Personne ne l'avait alors revu.
Passée la surprise, son rythme cardiaque s'apaisant et son esprit troublé s'éclaircissant, il ne fut pas compliqué d'identifier alors qui se trouvait devait elle, bien plus fin et froid que son frère si musclé à la mine chaleureuse.

Si Godric était un lion, Salazar était un serpent.

Elle ne lui avait encore jamais adressé la parole, à ce discret cousin qui faisait ses affaires dans l'ombre. Elle le détailla de haut en bas, muette pour le moment, ses yeux d'argent le parcourant sans se cacher. Revenait-il de chez Dairo ? Des dieux Etelkrus, c'était peut-être bien celui qui lui correspondait effectivement le mieux. Il n'avait pas la stature du guerrier d'Aka et il semblait peu enclin à se soumettre aux jeux de Kiro.
Son regard finit sa course dans les yeux de l'autre loup.

— Salazar. Tu es venu voir Dairo ?

Le sourire fin qui s'imprima sur ses lèvres était si léger qu'il sollicita à peine l'action de ses muscles. Derrière elle, sa queue se mit à onduler à un rythme lent et régulier tandis qu'elle grimpa une ou deux marches pour se rapprocher un peu plus, diminuant l'ascendance qu'il avait sur elle.

Salazar

Le choc. La ... peur ? Cela aurait pu être le cas, mais pourtant aucune odeur indiquant la présence de celle-ci n'apparut. Qui pensait-elle voir pour agir de la sorte ?
Son regard parcourut la femelle à la recherche d'une quelconque information. Mildred, née d'Anianka et de Gloriel. Famille puissante mais née au mauvais endroit. Perdre sa famille au profit de la puissance, était-ce une bonne chose pour elle ? Sa venue en ce lieu sembla confirmer cela. Elle cédait déjà à la puissance , cherchant visiblement à quérir la lumière de la Renarde. Elle en avait sans doute le potentiel, elle non plus n'était pas taillée pour Aka visiblement.

Et d'ailleurs, elle non plus ne parla pas. Elle se contenta de le détailler sans émettre un son. Salazar retint une remarque acerbe. S'imaginait-elle son frère aimé de tous, Godric ? Son serpent sembla sentir cette tension qui naissait en lui, et seule sa tête apparue sous son épaulière.

Salazar. Tu es venu voir Dairo ?

Voir Dairo. Si un sourire à peine perceptible se dessina sur les babines de sa cousine, ce n'était pas son cas. Il s'était senti suivi, observé, lui qui doutait tant de la décision à prendre. Mildred était là, lui bloquant l'accès, l'empêchant de fuir. Pour partir, elle allait devoir le laisser passer, sans ça il la bousculerait obligatoirement, et il ne le souhaitait pas. Pourquoi ouvrir les hostilités lorsque le départ se faisait sur un terrain neutre ?

Ses yeux ne quittèrent pas un instant la louve qui diminuait à présent l'écart entre eux. Il n'avait jamais vu Anianka, et pourtant il imaginait sans mal la féroce gardienne de Moiro.

Son silence était pour lui une réponse à la question posée, qu'elle l'accepte ou non.

« Et je suppose que tu te sens prête pour passer son épreuve, chère cousine. »

Faire une croix sur ta famille et embrasser le pouvoir que l'on te tend, voilà donc ta décision ?

Salazar l'observait avec la même intransigeance.
Cousins de sang mais ennemis de clans, l'un et l'autre se jaugèrent quelques instants avant que le mâle ne parle à son tour, éludant sa question.

—  Et je suppose que tu te sens prête pour passer son épreuve, chère cousine.

Son glissement insistant sur les deux derniers mots n'échappèrent pas à ses oreilles et elle se retint de se laisser aller à la même réactivité véhémente qu'avec sa sœur Rowena lorsque celle-ci avait laissé planer des accusations similaires sur sa loyauté. Si ses cousins pensaient qu'avoir passé quelques mois en terres Etelkru faisait d'elle une des leurs ils se trompaient sur son allégeance. Il ne suffisait pas de la nourrir pour lui faire oublier à qui allait réellement son cœur.
Son regard s'égara sur la petite tête verte qui émergea de la pièce d'armure et elle se retint d'agrandir un sourire narquois. Ce loup ne cachait en rien sa véritable nature - qu'il s'agisse de son nom sifflant, de l'animal qu'il avait choisi pour compagnie et de ses paroles tout autant glissantes, Salazar étalait tous les attributs des fourbes reptiles. Finalement lui et sa sœur élevée par une meurtrière avaient bien plus en commun qu'ils n'auraient peut-être aimé se l'avouer, à cette manière de juger de ces yeux froids et de ce visage fermé - et cette subtile impression de supériorité non réprimée qui se dégageait d'eux.

Elle tenta à son tour d'adopter un ton léger, quittant la tête triangulaire du reptile pour revenir ancrer son regard aux yeux vert d'eau de son cousin.

— J'apprécie la Renarde, mais je ne viens pas réclamer ses pouvoirs.

Ses pas l'avaient guidée ici l'esprit empli de doutes, il était vrai. Et elle avait voulu une dernière fois revoir le temple de Dairo, tenter d'analyser ce que vraiment elle ressentait.
Si cette hésitation qui l'avait momentanément effleurée lors de sa première visite perdurait, ou si elle était parvenue à en balayer les débris.

Salazar

Tu ne fais pas partie des nôtres, tu n'as de toute façon aucun droit d'y prétendre.
Voilà ce que son regard traduisait.
Et de toute façon, peu importe ce qu'elle pensait de lui, cela ne l'atteignait pas. Et surtout, il valait mieux pour elle qu'elle n'oublie jamais que sa survie, elle la devait aux Etelkrus, aux puissants, pendant que les faibles, eux, se faisaient détruire. Si elle était restée là-bas, serait-elle encore en vie, aujourd'hui ... ?

Elle leur devait une dette, à vie. Une bonne chose, une très bonne chose même.

Pourtant, Salazar n'appréciait pas de la voir en ces lieux. Si le glowstick ne l'intéressait pas, pourquoi était-elle aux abords du temple ?
Essayais-tu de duper le Serpent, Mildred ?
Le doute, était-ce ce que tu ressentais ? Faire un choix entre la Renarde et ta famille ?
Bien qu'elle ne l'ait pas ouvertement exprimé, il était évident à ses yeux que ce soit pour cette raison qu'elle cherche à rejoindre le temple de la déesse. Après tout, pourquoi s'intéresserait-elle aux divinités d'une autre meute si elle n'avait jamais songé y rester ?
Ou alors ...
Pensait-elle vraiment pouvoir prétendre au dieu d'une autre meute et de retourner vivre tranquillement dans ce qui restait de la sienne ?
Salazar leva la tête, son regard plongé dans le sien.

« Reste à ta place, et tout ira pour le mieux. »

Un conseil ? Une menace ?
Qu'elle prenne cela comme elle le souhaite. Le message était là.

Il fit un pas en avant dans le but de s'en aller, et décida de passer à côté de la femelle qui ne semblait pas vouloir quitter sa position, et bien naturellement, il se colla contre le mur pour ce faire. Après sa dernière remarque il ne lui accorda plus un seul regard, son objectif étant de retourner au Grand Castel.

Une vive pensée le traversa. Les escaliers étaient si dangereux, une chute était si vite arrivée ... un petit coup d'aile accidentel, et plus de Mildred. Mais si elle survivait, car il y avait toujours des chances avec l'eau, il était fort possible que cela se retourne contre lui. C'était pourtant une solution si radicale au problème ...

Il semblait passer tant de choses, derrière ce regard vert d'eau.
Si celui de Godric était surtout animé d'enthousiasme et de bonté, celui de Salazar portait une ombre et un mépris à peine dissimulés quand il la sondait ainsi, réfléchissant à ses paroles.
Comme s'il se demandait que faire d'elle, comme s'il en avait le droit, comme s'il pouvait prétendre à une forme de supériorité.
Le port de tête du mâle se redressa plus encore et leurs regards ne se quittèrent pas un instant.

— Reste à ta place, et tout ira pour le mieux.

Puis tout simplement il se pressa contre la roche pour passer à côté d'elle et poursuivre sa descente de l'escalier, la frôlant à peine du bout d'une de sa grande aile. Un bref frémissement hérissa son échine quand elle prit conscience du vide envahissant sous son flanc opposé, mais elle chassa bien vite cette sensation pour se concentrer de nouveau sur son cousin et sa fuite.
Il était donc de ceux qui tournaient le dos à grandes foulées après avoir lâché une menace sous-jacente, pas même capables d'affronter ensuite le regard de ceux qu'ils provoquaient ? Décevant.
Il ne valait même pas le titre de serpent qu'il se targuait pourtant d'imiter et de côtoyer - les reptiles eux avaient au moins la décence de mettre leurs menaces à exécution, fondant sur l'ennemi après avoir agité leur langue fourchue. Pas étonnant que Salazar cache un corps si fin derrière de trop lourdes épaulières.

La jeune louve hésita un instant tandis que son regard suivait la silhouette du brun s'éloigner d'elle. Elle était fortement tentée par l'idée de simplement l'ignorer et de continuer sa route et l'ascension vers le temple puisqu'il ne méritait pas son temps, mais c'aurait également été capituler ; un aveu de faiblesse et d'acceptation de ses paroles.
Or on ne la menaçait pas impunément. Dans sa famille, on ne ployait pas l'échine. Salazar aurait du le savoir.
La louve fit donc demi-tour, le temple était éternel et la journée pas encore achevée ; sa visite au sommet des falaises pouvait atteindre encore un peu. En quelques bonds légers elle avala les quelques marches de pierre qui lui permirent de réapparaître dans le dos de son cousin avant de trottiner jusqu'à le dépasser, lui coupant momentanément la route.
Un sourire presque innocent s'était affiché franchement sur ses lèvres mais la froideur de ses yeux devenus argent ne trompait pas.

— Tu pars déjà, Salazar ? Quel dommage. Peut-être pouvais-tu éclaircir l'ignorante que je suis.

Elle se rapprocha un peu plus de son museau pour planter son regard directement dans le sien, tête haute. Mainenant qu'ils avaient regagné un terrain plat et qu'ils ne se jaugeaient plus par marches interposées, leurs deux têtes étaient bien plus proches.

— Quelle est, exactement, ma place ?

Et comment comptes-tu t'assurer que j'y reste ?

Salazar

Le silence.

Et c'est ce silence qui ravit le chevalier. Elle n'avait rien à dire, et avait fini par rester à sa place. Sur le coup, cela l'avait étonné, il l'avait imaginée plus forte tête, plus belliqueuse, mais si elle en avait décidé autrement, soit. Qui était-il pour contredire une dame au fond ? 

Elle venait de prouver son infériorité, que demander de plus.

Pourtant, après quelques pas, il entendit du bruit derrière lui, et la silhouette de la femelle le dépassa rapidement, l'empêcher d'avancer davantage. Salazar fut donc forcé de s'arrêter, et roula des yeux avant de planter son regard dans le sien. Un sourire angélique mais un regard aussi froid que la Grève Gelée. Au moins quelque chose de surprenant qu'elle était capable de faire.

Tandis qu'elle parlait, le visage de Mildred se rapprocha du sien, mais il ne cilla pas une seule seconde. Non, elle n'allait pas gagner à ce petit jeu, elle n'était qu'une vermine qui profitait de sa meute. 

C'était un parasite.

Mais pouvait-il vraiment faire part de sa pensée ? Il était évident que non, et si son père apprenait cela, il risquerait de lui bloquer l'accès au Heaume. Si en cette situation un sifflement de sa part aurait fait son apparition en temps normal, ce ne fut aujourd'hui pas le cas. Il ne pouvait se permettre de se montrer frustré devant la fille d'Anianka. 

« Tu me paraissais assez futée pour comprendre, mais je vais te donner un petit indice, ma chère Mildred ... »

Salazar approcha lentement sa tête de l'oreille de la femelle, un sourire se dessinant lentement sur ses babines malgré le fait qu'elle ne puisse pas le voir de cet angle.

Et ce fut un chuchotement qui se fit entendre.

« ... en bas. »

Deux mots, et pourtant si lourds de sens. En bas de la falaise ? En bas de la hiérarchie ? Aux yeux du chevalier, qu'elle se retrouve six pieds sous terre ou bien esclave, cela ne changeait pas grand chose. A part peut-être la voir obéir à ses ordres, de force ... une vision bien plaisante, et pourtant, en cet instant, une folle envie de la pousser le parcourait. 

Au moins, en bas, elle ne pourrait plus nuire à personne.

Au moins, en bas, elle ne risquait pas de trahir l'hospitalité des Etelkrus.

Au moind, en bas, elle serait forcée de le respecter.

Le visage de son cousin ne frémit pas, demeura aussi fixe que son regard limpide dont elle ne lâchait pas les prunelles.
Une forme de duel s’était entre eux engagée et le vainqueur ici ne serait pas celui qui avait les muscles les plus puissants. A son tour Salazar prit le temps de répondre et esquissa un geste, son museau remontant sur le côté de son visage pour aller se nicher si près de son oreille que le souffle de ses mots provoquait presque des picotements le long de son échine.

Les simples deux mots qu’il murmura, si clairs et ambigus à la fois, n’eurent pour réaction immédiate qu’un tressautement des babines qu’elle gardait résolument closes.
La tentation de laisser ses muscles les remonter sur un rictus menaçant était forte, vibrant dans son corps et remontant jusqu’à sa gorge comme un feu de broussailles - elle n’en fit pourtant rien, refusant de succomber aux réactions vives que son traître cousin tentait de provoquer en elle.
Mildred se savait capable de le battre si elle le voulait, de bondir sur son dos en un clignement et de l’immobiliser en attrapant cette unique aile si grossière ou sa nuque si fine. Si elle n’avait encore rien d’une guerrière, elle en portait l’héritage et avait passé son enfance à lutter aux côtés de sa fratrie pour espérer marcher dans les pas de ses grands ancêtres.
Salazar n’en avait visiblement pas fait de même, malingre créature qu’il était, ayant choisi d’user d’une langue perfide plutôt que d’avoir le courage d’affronter les autres loups en face dans un loyal duel.
Mais Mildred savait aussi qu’il n’attendait probablement que cela. Dans ses yeux turquoise brillait tout le mépris qu’il portait pour elle -par jalousie qu’elle ait été si bien acceptée chez les Etelkrus peut-être, même par son propre père auquel il ne faisait clairement pas honneur ? - là où Godric avait lui choisi d’entretenir une flamme bienveillante.

Mais son serpent de cousin, rampant désormais hors de l’ombre du lion qu’il avait laissé se dissiper, restait membre de la meute quand elle ne l’était pas.
Lui montrer les crocs maintenant, céder à ses menaces voilées... Ce serait probablement lui laisser le loisir de se plaindre par la suite à ses supérieurs et à sa famille.
Sans difficulté se dessinait dans son esprit la scène de son être pitoyable louvoyant face à eux, dénonçant son attitude et espérant la voir chassée de leurs terres.

Qu’il était lâche.

Sa queue battit l’air d’un coup sec et sa langue passa très brièvement sur ses lèvres.

D’un autre côté, elle allait de toute manière rentrer chez elle. La voie était libre. Si elle le désirait...
Un tic nerveux parcourut ses muscles, une puissante envie de pincer une des plumes de Salazar la prit - mais elle se retint une fois encore.
Pas besoin, après tout.
Comme sa mère le lui avait appris, elle était capable de le battre sur son propre terrain également.

Il ne lui faisait pas peur, ses allégations ne l’intimidaient pas. Il était impuissant. Il ne pouvait rien lui faire.
N’est-ce pas, cher cousin ?

— Je crains au contraire, Sire Salazar, que ma place ne soit déjà bien plus haute que la tienne. Mais je t’en prie, sens-toi libre de me ramener à la place que tu considères mienne... Si tu en es capable.

Que ce soit par la force ou ton intelligence que tu considères supérieure.
Son museau se releva un peu plus encore en même temps que sa queue - et son corps, lui, se tendit imperceptiblement ; se préparant à toute éventualité.
S’il essayait quoi que ce soit sur elle, qu’il soit sûr qu’elle ne se laisserait pas faire.

Elle n’était pas fille d’Alpha et de Prêtresse pour rien.