La sombre salle l Bitcheese

Elle n'était pas revenue dans la tanière des panseurs. Elle ne savait pas trop pourquoi. Dès qu'elle avait eu besoin de choses, elle avait réussi à attirer un panseur hors de la grotte pour pouvoir lui soumettre ses requêtes. Et, à chaque fois, ça avait marché. Même la fois où elle avait demandé de la colle et qu'on ne lui avait pas demandé pourquoi et qu'elle avait fait des blagues à la grosse Bamboo avec.

Mais aujourd'hui, assise devant la tanière, sans personne pour l'amuser, elle hésitait.

Qu'est-ce qui l'attirait et la rebutait tant, avec cet endroit ? Il n'était pourtant pas plus mauvais qu'un autre. Au contraire, c'était un endroit où on soignait les plaies et les maux, les loups en tout genre. Alors pourquoi, ce pincement au coeur lorsqu'elle en regardait l'entrée qui l'intimait d'en passer le porche ? Pourquoi, cette petite boule épaisse de peur qui lui vrillait les entrailles quand elle pensait à eux, dans cette cave ?

Elle s'avança de quelques pas, le regard fixé sur l'intérieur, plissant les yeux. Tout était dans l'ombre, on ne voyait absolument rien de ce qu'il pouvait se passer à l'intérieur - et c'était fait exprès, pour réserver aux loups présents leur intimité. Tout le monde n'aime pas à être observé quand il n'est pas dans les meilleures conditions.

Alexandrine s'assit sur le sol, faisant la moue, avant de se lécher une patte qu'elle passa sur son museau, comme un très gros chat très peu souple.

Meh.

Un grand loup sortit de la grotte, et Alex se figea dans son geste, une patte encore en l'air. C'était un loup aux teintes chaleureuses, d'orange et de brun, tant qu'on aurait dit une alliage délicat de Dairo et de Kiro. Mais ça n'était pas ça qui avait perturbé la petite louve dragon : c'était ces énormes cornes spiralées qui ornaient le haut de son crâne, perçant son épaisse crinière noisette. Elle était ébahie. Elle l'avait déjà vu de loin, mais de près, c'était autre chose !

WAH ! Elles sont TROP COOL tes cornes !

Elle avait complètement loupé l'introduction dont elle avait été gratifiée. Un instant seulement : elle fronça les sourcils et fit la moue :

Pourquoi Princesse. C'est nul, je veux pas être une princesse. Alex, ça suffit.

Mais elle ne s'encombra pas longtemps de ces petits soucis, le loup brun avait chassé toutes ses réflexions sur ce lien qui l'attirait et la rebutait tant :

JE PEUX TOUCHER TES CORNES ? S'il te plait s'il te plait s'il te plaiiiiiit !

Elle s'était mise à piailler et sautiller sur place, reluquant à la façon dont les enfant ont de fixer les ornements régaliens.

Whoa, lui il était vraiment trop bizarre comme adulte, à donner du vous à tout bout de champ. même aux alphas, Alex voyait rarement donner du vous. Elle plissa son petit museau curieux avant de râler :

Pourquoi tu me vouvoies ? Tu peux me tutoyer ?

Elle allait passer à autre chose quand elle se souvint quand même des bases de la politesse que MaSheina essayait avec tant de vigueur de lui apprendre :

S'il te plait ?

C'était pas grand chose, mais si il tenait à la vouvoyer, un s'il te plait serait peut-être pratique pour qu'il arrête. C'était assez désagréable, comme sensation, Alexandrine n'aimait pas du tout. C'était comme... Être pris pour quelqu'un qu'on était pas. Comme si la personne vous parlait, mais en se trompant de prénom, se trompant de ton. En plus, il grondait comme Saqqarah en demandant de faire moins de bruit - qu'avaient-ils tous avec le silence, ce silence si oppressant qui entourait les âmes pour les aider à sombrer ? Mais bon - comme avec Saqqarah, elle l'ignorerait, mais ferait moins de bruit. Un peu.

Lorsqu'il baissa la tête et s'allongea pour lui présenter ses cornes, elle se retint de piailler de nouveau, seule sa longue queue vipérine trahit son excitation en fouettant l'air sauvagement. Elle se dressa sur ses pattes arrière et toucha les cornes du bout des pattes.

Elles sont trop beeeeeelles !

Et c'était vrai. En plus, il y avait accroché plein de trucs !

Est-ce que des fois, des oiseaux se posent dessus ?

Il l'imaginait très bien, des merles et des rouges-gorge paressant tranquillement sur ces ornements si harmonieux.

Elle faisait beaucoup d'efforts pour ne pas faire trop de bruit, parce qu'elle avait vraiment très très envie de montrer qu'elle était super heureuse et super contente - mais on le lui avait déjà demandé et Alex n'était pas gamine à se faire répéter les choses deux fois. Sauf quand c'était important. Evidemment. Là, elle faisait un peu ce qu'elle voulait - ce qu'elle pensait être MIEUX ! De sa truffe, Alex poussa les plumes et les breloques qui pendaient aux grandes cornes de cervidé. Que c'était amusant ! Ca dinqueliguait gracieusement et flottait avec le vent.

Oh ! Tu me montreras, dis ? J'ai jamais vu de lucioles !

Sa longue queue s'agitait joyeusement, et elle étendit ses longues ailes de chaque côté de son corps. Ces dernières étaient déjà grandes, très grandes, de plusieurs fois la taille de la petite, et chaque doigt tendait l'épaisse toile de cuir pour en exposer les motifs tribaux.

Bien sûr que tu peux !

Elle replia et fit pivoter l'une de ses ailes, pour qu'il ait de l'une la vue extérieure, et de l'autre la vue intérieure. De son côté, elle était toute occupée à agiter les plumes bariolées de ses cornes, fascinée.

Gna gna gna la permission des mamans. Elle était grande maintenant ! Elle pouvait sortir un peu quand même ! Surtout avec un adulte responsable ! Ou alors c'était quelqu'un à qui la meute ne faisait pas confiance, c'est pour ça qu'il avait besoin de permission ?

C'est loin ? Normalement si tu m'emmènes pas besoin de demander !

Probablement. On sait jamais, p'têtre qu'il l'emmènerait même tout de suite ? Quoi que pour voir des lucioles elle était largement prête à attendre la nuit, ça devait être beaucoup plus joli de les voir briller.

En entendant les compliments du lycaon, elle se trémoussa et se rassit sur le sol, laissant enfin ses cornes tranquille :

Merci ! Je les aime beaucoup, même si pour l'instant elles me gênent plus qu'autre chose. Tu as déjà vu beaucoup de loups avec des ailes ?

Vu que ça n'était pas les premières... Il y en avait d'autres ? A part MaSheina ? Elle n'était pas...

Seule ?

Ce serait tellement génial !

La Rougelande. Oui ! Elle se souvenait, MaSheina et MamAnette les avaient emmenés là une fois. Et puis, il se disait que l'exercice de chasse d'Athelstan, non, de Sire Athelstan s'y tiendrait. Une grande plaine rouge, avec plein d'herbivore qui y paissaient tranquillement. Très giboyeux. Peut-être pourraient-ils en profiter pour que... Oh. Mais comment s'appelait-il, ce loup ?

Oh, tu sais comment je m'appelles, mais je ne sais pas qui tu es...

Elle aurait du le connaître ? Les Petits, c'était facile ! Mais les Grands... Ceux qui avaient des Petits, elle commençait à les connaître comme la Grosse Bamboo par exemple. Mais lui... Il n'avait pas de Petits, si ? En tout cas il avait des histoires tellement intéressantes.

Un loup perroquet ? Tu me le montreras ? C'est un ami à toi ?

Sa bouche s'ouvrit en "o" alors qu'elle murmurait, tout bas :

Il n'est pas de la meute... C'est un solitaire ? T'es ami avec un solitaire ? On a le droit ?

Elle avait de nombreux sons de cloche, entre Anette et Sheina, et surtout les autres Petits aussi, et tant de questions étaient posées...

Tawana. Elle le nota dans un petit coin de sa tête. MaManette avait dit que c'était important de connaître un peu tout le monde de la meute, et Alex mettait un point d'honneur à aller régulièrement vers les loups qu'elle ne connaissait pas encore. C'est vrai qu'il y avait beaucoup de loups, et qu'elle avait du mal à retenir tout le monde - elle n'était pas la meilleure côté mémoire - mais elle faisait des efforts. Tawana le panseur.

Elle écouta avec attention les paroles du loup bariolé. Donc, lui, il pensait plutôt comme MaSheina. Mais il aimait pas les Raeders. C'était drôle, comment on pouvait apprécier les solitaires, mais pas les Raeders ? Les deux étaient pourtant des ennemis, non ?

Pourquoi les Raeders sont nos ennemis, mais pas les solitaires ?

Bon, après il disait aussi que l'amitié ne se contrôlait pas. C'était vrai ? Mais si on pouvait devenir ami avec des Raeders, pourquoi on se battait avec alors ? Pourquoi on ne s'en faisait pas des amis, tout simplement ? Elle agita une oreille.

Un Nakhu. Tu m'emmèneras chez les Nakhus, si tu les connais ?

Elle n'avait encore rencontré personne qui connaissait les Nakhus. Ni rencontré de Nakhus.

Avec toute la candeur dont elle était capable, et d'une façon absolument non calculée, la petite Alexandrine fronça le museau pour répondre :

Mais Tante Pep elle a tué la solitaire qui avait rôdé sur nos terres et aussi volé un enfant. C'est les vieux qui le disent. Donc les solitaires sont méchants aussi non ? Ou alors les Raeders sont gentils quand même. Mais on peut pas avoir la même situation, mais des

Des quoi ?

Des euuuh. Concussions. Différentes.

Presque ! Conclusions. Lorsque le panseur se leva pour retourner dans la grotte, Alex sentit un petit pincement au coeur. Elle l'avait ressenti, ce cri, avant même de l'entendre. Que c'était désagréable, comme grotte ! Elle espérait vraiment pas avoir à y venir souvent ! Elle fronça le museau et se força à attendre sagement devant l'entrée de la grotte. Il a dit qu'il revenait. Donc elle devait attendre, non ?

Il ne mit pas longtemps, à s'occuper de son patient. Alexandrine passa le temps en regardant le bout de ses griffes, et créant mille ombres délicates sur le sol en tirait sur ses ailes. Elle se faisait tour à tour dragon, chauve souris, ou simple louve en fonction de l'orientation de ses membranes de cuir. Le lycaon finit par ressortir.

Pas de soucis !

Elle trépigna.

Il a quoi, le loup dedans ? Il s'est battu contre un cerf tout seul ?

Holly lui avait bien signalé que c'était dangereux, de faire ça. Et qu'il valait mieux chasser ce genre de proies en groupe, si on ne voulait pas pâtir du manque de force ou de vitesse, et tâter les ramures si délicates mais mortelles de ces herbivores.

Elle plissa le museau.

D'accord. Tu ne sais pas ce qu'il lui est arrivé ? Tu demandes jamais ?

Elle, elle voulait tout savoir. Elle trouvait ça bizarre, souvent, quand les loups ne s'intéressaient pas à... Tout. Tout était sujet à question, à curiosité, et toute réponse apportait son lot d'interrogations.

Plus tard, je chasserai des cerf.

C'était une affirmation, qu'elle proclamait un grand sourire aux lèvres. Des cerfs, oui ! Et peut-être encore plus dangereux. Pour le clan. Pour Aka. Pour... Pour la beauté du geste ! L'adrénaline. La folle course poursuite. Rien qu'à cette idée, elle sentait son coeur s'emballer dans sa poitrine.