한숨 | feat. Solitude

Solitude était, pour ainsi dire, sur le cul.
Déjà, d'un point de vue littéral, il était assis les fesses dans le sable, ignorant le picotement désagréable des éclats de coquillages qui agressaient son séant. Il posait sur la mer son sempiternel regard froncé, gueule légèrement entrouverte, l'air mi-étonné mi circonspect, regard qui était assez caractéristique d'une découverte de plus dans ce monde qu'il peinait décidément à comprendre. Ensuite, d'un point de vue métaphorique, il tentait de rassembler dans son esprit les éléments qui pouvaient lui donner une piste d'explication au phénomène inexplicablement inexplicable qui se déroulait devant lui. Comprenons-nous bien : les rivière, il pigeait globalement. Elles allaient du haut vers le bas, de là où il faisait froid vers là où il faisait tiède et se chargeaient de neige fondue. Les lacs et étangs se trouvaient soit sur le chemin des rivières soit étaient alimentés par des sources où des rivières souterraines.

Mais la mer, ça, c'était chaud.
Jamais il n'avait vu une aussi grande quantité d'eau parfaitement liquide. Solitude s'était contenté de suivre les cours d'eaux, étonné de savoir où ça le mènerait. Après, Solitude n'était pas complètement stupide, ni complètement ignorant : il avait entendu parler de l'océan. Les fleuves et les rivières menaient bien quelque part, et avait discuté avec bon nombre de personnes qui lui avaient décrit la mer comme la plus grande étendue d'eau qu'il verrait jamais. Mais s'il s'était attendu à ça...

Le bleu infini qui s'étendait jusqu'à l'horizon, les vagues qui venaient lui lécher les pieds et ce goût étrangement salé étaient bien au-delà de ce qu'il avait pu s'imaginer. L'océan commençait ici, à ses pieds désormais humides, et s'élançait dans le lointain jusqu'à se confondre avec le ciel dans une ligne d'horizon aussi floue que lointaine, que Sol ne parvenait pas à distinguer, même en fronçant ses paupières au maximum. D'où pouvait provenir toute cette eau ? Tous les fleuves du monde, toutes les sources et le déluge réuni ne pouvaient pas suffire à expliquer comment autant d'eau pouvait se trouver au même endroit en même temps. Et il ne pleuvait pas.

D'où il venait, la neige tombait en permanence sur la terre gelée, et le moindre rayon du soleil commençait à la faire fondre et disparaître. maintenant qu'il y pensait, c'était peut-être ce qui se passait. Dans ce pays tiède et vert, où les proies étaient abondantes et la température douce, peut-être que toute la neige avait fondu pour remplir les océans ?
Mais la neige n'était pas salée, pourtant...

Un léger son à sa droite le tira de ses pensées. Un amas rocheux humide se trouvait à quelques mètres du mâle clair, et il distinguait une forme familière entre les gros cailloux. Un congénère, plus petit que lui, farfouillait dans les flaques salées, probablement à la recherche de quelque chose à manger. Il semblait à l'aise dans cet environnement, en tous cas assez pour connaître les techniques lui permettant d'attraper les mollusques et pour ne pas tomber sur les fesses face à l'immensité tranquille de l'océan, ce dont Sol était pour l'instant assez incapable.

Le solitaire clair se rapprocha, sans réellement tenter d'être discret.

— Tu sais où ça s'arrête ?

Solitude fit un geste de la tête en direction de l'océan, tentant vainement d'ajouter un COD à sa pauvre phrase. Il avait beau faire des efforts, iles normes sociales en terme de politesse et d'entrée en matière en ce qui concernait la discussion restaient médiocres.

Apparemment, son congénère ne l'avait pas vu.
Il sursauta avant de trébucher dans la flaque d'eau salée, l'air confus. Il repris rapidement ses esprits et s'ébroua, posant des yeux ronds sur le mâle crème, avec le regard de celui qui s'est senti en danger. Il sembla cependant se rasséréner, et Sol se fit la réflexion qu'il aurait pu dire bonjour. C'était tout con, hein, mais quand ses congénères du coin faisaient ça, cela laissait supposer qu'ils n'avaient aucune volonté belliqueuse et permettait d'anticiper quasiment à coup sûr un échange plutôt amical. D'autant plus que lui, animal massif tenant plus de l'ours que de l'individu canin, devait avoir l'air particulièrement effrayant, avec sa sale habitude de froncer les sourcils en permanence.

C'était quand même dur à faire, après. Au Pays du Froid, personne ne s'encombrait de politesse. Les échanges étaient concis, généralement pauvres, et on n'utilisait la parole que dans les rarissimes cas où le tacite ne suffisait plus. En témoignait la pauvreté des noms qu'ils portaient tous, qui ne faisaient référence qu'à leur environnement direct : Neige, Roche, Bruyère... Pour Sol, il était donc compliqué de s'adapter aux codes d'ici, aux courbettes et aux salamalecs.  Parce que lui, il se fichait pas mal de savoir si ceux et celles qu'il croisaient avaient bel et bien passé une bonne journée. Il se fichait de savoir comment ça allait, la famille, les amis, la santé, le prêt pour la bagnole et l'otite de la petite dernière.
Lui, il allait à l'essentiel.
Et là, l'essentiel, c'était de piger comment c'était possible, autant de flotte au même endroit.

— Vous...euh... tu veux dire l'océan ? Où il s'arrête ? Je ne sais pas.

Ah ben merde.
Solitude fronça encore davantage les sourcils - en admettant que c'était possible - alors que le loup en face de lui reprenait une contenance et sortait de son pédiluve. L'autre était tellement habile à la capture de crustacés que Solitude l'avait imaginé en grand spécialiste, mi-loup mi-otarie, avec des branchies cachées sous son foulard. Alors que là, l'autre avait juste l'air de ne pas être plus avancé que lui sur la question.

— Certains disent qu'il s'arrête quelque part aux bords du monde, qu'il y aurait une cascade qui tombe dans le vide. Mais je trouverais ça un peu bête, si on perd toute l'eau dans le vide, il ne devrait plus y en avoir maintenant. Ca devrait être sec.

Mais quelle idée saugrenue.
L'autre fit une pause, laissant Solitude réfléchir à cette éventualité. En admettant qu'il n'y ait rien au bout et que la cascade tombe dans le vide, effectivement, à un moment, il ne devrait rapidement plus y avoir d'eau. D'autant plus que, plus il s'avançait dans la mer, il marchait sur une pente au fond de l'eau qui faisait qu'il n'avait rapidement plus pied : si la pente avançait comme cela jusqu'au bord du monde, alors l'eau devait se vider encore plus rapidement. Le plus probable, c'est que c'était une grande cuvette, comme le trou d'eau dans lequel pataugeait son camarade quelques minutes auparavant, mais en version gigantesque.
Avec des baleines dedans.

—Moi je pense que c'est comme un immense lac. Plus grand que tous les lacs qu'on connaît, c'est pour ça qu'on peut pas voir le bout, on est trop petits. T'en penses quoi, toi ?

Solitude leva les yeux au ciel, l'air pensif.
C'était étrange, comme idée. Qu'il y ait de l'autre côté une autre rive, peut-être même une autre plage, avec d'autres forêts, d'autres plaines, d'autres déserts et d'autres montagnes était une éventualité qui ne lui avait même pas traversé l'esprit. Parce qu'après ça, il y avait quoi ? Encore la mer, puis d'autres rivages, puis d'autres terres plus loin encore ? Ca lui filait le vertige. Jamais il n'avait imaginé que le monde put être aussi grand. Il se revoyait, quelques années en arrière, menant sa meute à l'aveugle dans le blizzard, luttant contre les éléments, arrachant chaque pas au prix d'un effort considérable. A ce moment-là, l'avenir était inexistant. Déjà, il ne voyait pas à un mètre devant lui, et anticiper son existence à deux jours se résumait à espérer qu'il trouverait à manger, et qu'il aurait la force de se relever le lendemain. Et là, on lui parlait de mondes si lointains qu'il ne pouvait les apercevoir, même par temps dégagé...

— Un grand lac ? Avec des terres derrière, encore ? Mais ça s'arrête où ?

Non, sa théorie était toute autre.

—Moi je pense que c'est un très grand lac qui est en fait entouré par des terres. Et qu'au bord du monde, y'a des montagnes mais on peut pas les escalader. Pour pas tomber dans le vide.

— Ca se tient. De très grandes montagnes, mais c'est possible. Bon, après, moi, je ne connais rien de plus que les terres de Punk Wolf. Et les monts célestes sont déjà bien assez hauts à escalader.

Solitude regarda son compère s'ébrouer, un peu songeur. Il s'était déjà essayé à l'escalade des Monts Célestes, et ça s'était globalement mal fini avec une provocation assez violente du clan local. En plus, il s'était vite aperçu qu'en temps que lupin, il n'était globalement pas équipé pour l'escalade d'une chaîne de montagnes. Quelles n'avaient pas été ses désillusions quand il s'en était rendu compte : en les voyant au loin, il s'était imaginé que les montagnes étaient des genre de pentes douces en mode toboggan que l'on pouvait dévaler à toute berzingue. En s'approchant, il s'était violemment heurté à la réalité géologiques des massifs montagneux, en plus d'avoir un bref aperçu des dynamiques politiques qui habitaient cette partie du monde.

Tout cela était très nouveau pour lui : pendant longtemps, il avait cru vivre dans un monde où la neige tombait à l'horizontale à l'infini, dans un désert blanc sans début ni fin. En réalité, c'était plus une impression par défaut, dans ce monde où on n'avait décidément pas le temps pour ce genre de questionnement spirituel. C'était son monde. Jusqu'au jour où il s'était perdu, au bout de la Grève Gelée, à l'entrée de ces terres étranges. Il avait alors découvert toute cette variété de reliefs, de végétation, de cours et de plans d'eau, et la mer. C'était dire s'il partait de loin...

— Chez moi, y'a que de la neige, à l'infini. C'est très bizarre, ici. Mais j'aime bien.

Il était toujours si compliqué pour Solitude de faire des phrases longues et construites. Il était d'un naturel taciturne, et était toujours impressionnés par la naturelle volubilité de ses congénères du coin.

— Par contre j'avoue, j'ai la dalle, du coup si tu veux je nous sors quelques trucs de la flaque et on partage ? Je préfère les crevettes mais je peux tout te sortir.

Le ventre de Sol se fendit d'un grognement équivoque, comme pour signifier au petit solitaire que sa proposition était la bienvenue. Et s'il avait faim, le grand nordique n'en demeurait pas moins circonspect devant les étranges bestioles aquatiques désignées par son compère : ça se mangeait, ces trucs ? On aurait dit des insectes géants coincés dans une carapace fine. Il y avait aussi ces genres d'araignées à pinces coincées dans une armure de chitine avec des petits yeux noirs, qu'il ne voyait pas bien par quel bout croquer. Il lança à l'autre un regard peu convaincu.

— Tu es sûr que ça se mange ? C'est tout petit.

Il ne mangeait jamais d'insectes, question de principe. Un jour, il avait entendu l'histoire d'un Chasseur qui serait tombé raide mort après avoir boulotté une araignée. Enfin, d'où il venait, ça aurait tout aussi bien pu être la déformation d'une énième histoire où un loup serait mort de faim : à quelles extrémités devait-on arriver pour se sentir obligé de manger une araignée ? A y réfléchir, l'arachnide ne devait y être pour rien.

Et puis, n'avait-il pas interrompu son congénère alors qu'il se faisait un festin de ces bestioles ?

— ...Mais je veux bien essayer.