(Clos) Comme des gosses ♖ Leikn

Les hyènes étaient vraiment des saloperies.

Leikn grogna, serrant un peu plus sa prise entre ses crocs, non sans un certain dégoût. La patience était de rigueur pour piquer un morceau de leur prise aux hyènes, heureusement que des lionnes étaient venues semer le grabuge, permettant à la Licorne de se saisir d’un morceau en toute discrétion. Le sang était encore chaud sur sa langue, bien qu’une partie d’elle lui intimait de recracher ça, l’autre tentait de la convaincre que ce n’était pas pour elle, mais pour un autre.

P’tain Teddy, qu’est-ce que t’avais pas fait encore.

Sans l’aide de Méluciole, qui n’était pas réapparue depuis un p’tit moment ceci dit, l’ancienne Lazulis devait s’occuper de la pitance du gros louveteau qui lui servait de compagnon. Lui, maintenant devenu une larve qui dormait plus qu’il ne bougeait. Un passage dans l’eau fit couler la couche de camouflage qui recouvrait le pelage de la louve, qui s’ébroua. Tss, l’odeur de vase s’en irait avec un autre bain. Une fois, qu’elle aurait nourri Teddy. Sinon il serait grognon toute la journée, comme si redevenir physiquement un louveteau l’avait changé mentalement. Leikn suivit le chemin jusqu’à leur tanière.

« — Teddy, j’tai trouvé de quoi manger. »

Sa majesté ne râlerait pas au moins si elle venait à lui servir un de ses menus un peu spécial.

Mais ce n’était un louveteau qui apparut, plutôt sa version adulte. Sa version d’origine en fait. Leikn en lâcha sa prise qui tomba sur le sol, alors que gueule bée, elle l’observait le mâle brun sans dire un mot, les yeux ronds.

Putain.
De.
MERDE !

Lui fait le beau, frime dans une parade que certains auraient trouvé amusante. Leikn, elle, fixe le brun un long moment. Parce qu’elle avait fini par ne plus y croire à le voir reprendre sa forme normale, quand bien même cela ne faisait pas revenir les voix, parce que à aucun moment sa vie n’avait été en danger. Voilà que de nouveau, Teddy peut poser sa tête sur celle de la Licorne, sans que cette dernière n’ait besoin d’être couchée. Cela était… si étrange. La truffe de la louve se perd dans le pelage brun, alors que lui s’amuse.

« — Idiot. »

Leikn ferma ses paupières, un doux sourire étirant ses babines. Mignon lui ? Eh bah, faut dire que le rajeunissement ne l’avait pas rendu incroyablement perspicace. Lui qui s’était montré incroyablement susceptible et boudait dès qu’elle s’amusait de son état.

« — Tu sais ce qui va me manquer ? »

La solitaire marqua une pause en se dégageant.

« — Ne plus pincer les p’tites joues au louveteau grassouillet que tu étais. »

Parce que bon le poids du bestiau entre ses crocs, Leikn s’en souvenait encore… La Licorne rit gaiement, sa queue balayant le sol poussiéreux des Plaines Savanes. La situation avait été mine de rien bien amusante. De voir comment cela se serait passé entre eux deux s’ils s’étaient connus bien plus tôt.

La truffe de Leikn vint toucher celle du cornu.

« — C’est bon, de te retrouver. »

De vraiment le retrouver.

Le contraire l’aurait étonné la Licorne, que sa forme de gamin lui manque alors que sous cette forme-ci, il était capable de bien plus de choses. Comme se balader seul, préparer comme un grand ses p’tits repas et surtout pouvoir faire le fier. Oh oui. Leikn lève leva les yeux au ciel, lorsqu’il se plaint de mauvais traitements. Aussi, qu’il se mette à sa place quand même, lui qui était de base plus vieux redevenait mystérieusement jeune…

« — Arrêtes un peu, j’aurais pu faire bien pire, Mister Bélier. »

Bien, bien pire…

Lorsqu’il se saisit de la pièce durement acquise (bon par le vol m’enfin il allait pas chipoter quand même !) pour retourner dans leur tanière, Leikn le suivit, secouant une dernière fois son pelage. La chaleur des plaines savanes le faisait sécher rapidement, l’empêchant de parfaitement retirer les traces de camouflages.

« — Mon cher, j’espère bien que tu n’auras pas à subir une fois encore une telle chose. Imagines un peu si d’autres m’avaient surpris en train de me venter que mon compagnon est un gamin… »

Heureusement que peu venaient ici… Méluciole s’était juste de contenter de regarder le brun bizarrement , mais parce qu’elle le connaissait… Venant d’un regard extérieur cela aurait été incroyablement plus compliqué. La Licorne vint lui pincer la joue.

« — Pour sûr, tu étais le seul enfant à choyer. Le parfait p’tit fils unique ! »

Lui qui de base avait grandi dans une fratrie. Là, bonheur pour lui, rien à partager, tout était pour lui (quand bien même son honneur fut perdu un temps) que ce soit les repas, l’attention… Bref, c’est sûr que vivre une seconde jeunesse en tant que fils unique avait dû bien lui plaire, loin du sable et du sel.

« — Je suis déçue quand même, je n’aurais pas eu le temps de te faire un p’tit ours en peluche pour que tu joues avec… »

Un sourire amusé étira les babines de la louve.

Elle, cougar ? Roh, mais dis donc, môsieur le disciple de Moiro n’inversait-il pas les rôles ? Après tout des deux, c’était bien lui le plus vieux, du moins en théorie. M’enfin ça, visiblement il semblait l’oublier, sûrement par fierté, dommage que Leikn elle s’en souvienne parfaitement, jouant avec les mèches blanches de sa tignasse mauve.

« — De nous deux, c’est toi la cougar mon cher, depuis le début. »

Et jusqu’à la fin.

Mais qu’importe, Leikn l’aimait, quand bien il soit un vieux loup ou un jeune louveteau. Après tout, n’était-il pas son trèfle ? La Licorne sourit lorsqu’il évoque des minis-lui, qui auraient sans nul doute mis cette tanière sans dessus-dessous. Des minis-Teddy. Des minis-terreurs. Ou peut-être pas ? Après tout plusieurs versions de lui auraient suffit à occuper le louveteau grognon qu’il était… tout comme cela aurait pu dire bien plus de bêtises.

« — Cela aurait été amusant, au moins ils t’auraient occupé et empêché de faire ton p’tit boudin dans ton coin. »

Oh une présence entre eux deux la nuit, maintenant qu’il avait retrouvé sa forme adulte, quelle joie ! Leikn sourit, coinçant sa tête sous le museau du Bélier, en faisant attention à ses cornes. Ces dernières n’étaient pas incroyablement agréables à sentir contre la peau…

« — Qu’on en bâtisse un mur alors, que tu ne baves plus sur ma sublime petite joue ! »

La disciple d’Ao accompagna ses paroles d’un coup de langue bien baveux sur la joue du brun.

Qu’il ne ronfle plus à ses oreilles et ne s’agite contre elle dans un mauvais rêve.

Bon ça lui manquerait peut-être un peu trop, cette présence à ses côtés.

Cela ne changeait rien à la différence d’âge entre eux de la même façon, m’enfin les autres se moquaient bien de ce qui les entourait pour se préoccuper de tels détails, de même que Leikn n’en avait que faire. Le regard des autres lui importait peu, depuis le début et jusqu’à la fin, ce n’était pas pour eux qu’elle vivait, ces ignorants, ces brutes, ces catins… Tout cela ne représentaient rien à ses yeux et ne plus les voir lui allégeait grandement l’esprit. Eux n’étaient rien, seul lui comptait, ainsi que ceux qui avaient un jour partagé leur cocon.

L’ancienne Lazulis penche légèrement sa tête sur le côté.

« — Aussi bien ils se seraient alliés à moi contre toi, Mister Bélier. »

Et encore une fois, il aurait été à sa merci, comme quand elle pouvait se le permettre lorsqu’il avait encore son apparence de louveteau. Maintenant… C’était de ruse qu’il lui faudrait user pour gagner dans leurs jeux de gamins.

D’un sourire taquin, Leikn répliqua.

« — Allons, j’ai toujours été ta précieuse. »

Soudain, Mister Bélier prend le contrôle de la situation, faisant basculer Leikn en arrière, adoucissant la chute de son pouvoir. Pour sûr, maintenant qu’il avait retrouvé ses pleines capacités, il allait pouvoir en user à sa guise du cadeau de Moiro. Voilà qu’en plus, il faisait dégouliner un long filet de bave de sa gueule. Baaaaaaaaa ! C’était donc cela tout le charme, la grâce retrouvée des disciples de la déesse de la Luxure ?

« — Beurk ! C’est vraiment dégoûtant ! » La Licorne tenta de la repousser d’une de ses pattes. « Je me rends, j’me rends, arrêtes ça ! »

Le temps de trouver un meilleur plan pour le distraire.

Bon ce n’était pas les idées qui manquaient après tout…

Beurk ! Le disciple de Moiro renonça à l’idée de la recouvrir de bave, alors que ses yeux verts le fixait avec une certaine méfiance. Il était capable de TOUT. Absolument tout. Mais semblait-il avoir bel et bien renoncé à cette idée. Les regards se croisent, alors que Leikn laisse le mauve de Teddy l’emporter. Il en avait bavé Mister Bélier à ses côtés, ou de par son absence. Ni la vie, ni la Licorne n’avaient été particulièrement tendre avec lui. Pourtant. Pourtant, son amour ne tarissait jamais. Pourtant il se tenait toujours là, au-dessus d’elle.

Leikn sourit. Parce que lui ne se rendait pas compte à quel point il avait changé sa vie, à quel point il avait fait d’elle, celle qu’elle était devenue aujourd’hui. Plus la sauvage qui volait aux autres leur butin, qui fuyait la présence d’autrui par crainte de sa nature. Lui seul, avait réussi à franchir les barrières, à dompter la Licorne.

Ses paupières se ferment en entendant la question.
Parce qu’elle réfléchit la Licorne.
À tes mots, se demandant si il pensait bien à…

C’était un sujet jadis évoqué, alors que Méluciole, Azzinoth et Nugget était encore à la maison. Leikn avait répondu «  Je ne sais pas » lorsque la question avait été posée. Parce qu’à l’époque, la Lazulis n’avait su quoi penser de tout cela, des enfants, d’un avenir à leurs côtés. Si eux aussi étaient touchés par le sang des Licornes ? Ne serais-ce pas un fardeau trop lourd à porter pour des êtres si jeunes ?

Pourtant, aujourd’hui, tout était différent. Plus rien n’était comme avant, comme au commencement. La truffe de Leikn vint chatouiller l’oreille de Mister Bélier.

« — Tu as déjà perdu la bataille dans ce cas… »

La griffe de la louve vint effleurer la joue du brun.

« — Offres-moi cet horizon, Teddy. »

Cet horizon qu’ils avaient déjà aperçu il y a bien longtemps avant de s’en détourner. Cet horizon qui maintenant apparaissait de nouveau.

Cet horizon riche en perspectives.