Oiseaux pêcheurs et poissons volants | Ambassade Nakhu | Sobieski & Raeders

C'était un jour important. Très important.
Ajani et Sobieski avaient quitté la douceur des terres Nakhu à l'aube pour entamer la longue traversée du continent qui les mèneraient jusqu'à Morne-Oeil. Ils avaient majoritairement emprunté des frontières, ou d'anciennes frontières, pour aller à la rencontre de l'Océan occidental, empruntant les contreforts des Monts Célestes, le long des Terres désolées, puis contournant la Passe Ventue pour traverser sur une brève bande les terres Etelkrus. Ils n'avaient pas croisé de patrouille, mais il ne faisait aucun doute qu'on sentirait les traces de leur passage. L'Oracle espérait qu'Eva et Kerguelen, parties s'enquérir de la disponibilité de la meute en question, n'omettraient pas de préciser que ce passage était fait dans un seul but de paix. Les terres des disciples de la Corneille étaient isolées au Nord-Est, et ses habitants n'avaient d'autre choix que de traverser les terres d'un voisin ou d'un autre pour se rendre aux endroits qui demeuraient neutres.

La nuit avait courte et agitée, et il n’avait pas vraiment réussi à dormir après le cauchemar qui l’avait secoué alors que la lune était haute. Il sentait dans chacun de ses muscles de légères courbatures, et n’avait pas pu avaler grand chose à son lever. Mais il n’avait pas le temps ce jour-là de s’apitoyer sur son sort, ou de s’accorder les précieux instants dont il aurait eu grand besoin pour assimiler ce dont il venait de se souvenir. Il le ferait à son retour, si les événements le lui permettaient. En attendant, il avait fait de tout cela un paquet d’émotions enfermé à double-tour dans un coin de son esprit et tâchait de se focaliser plutôt ce qu’il adviendrait que sur ce qu’il était advenu.

Bien qu’il n’en montrât rien, ou très peu, une sorte d’excitation mêlée d’appréhension s’emparait du grand lion blanc à chaque nouvelle foulées qu’ils parcouraient. La dernière fois qu’il avait fait cette route et avait été confronté à l’un des membres de son ancien groupe, ç’avait été pour intervenir de justesse avant que ce dernier ne tue la louve qui lui était si chère. Il ne pouvait qu’espérer que cette journée allait se dérouler sous de meilleures auspices, et y croyait aussi, avec une sorte de candeur. Les Raeders avaient été sa famille durant les deux premières années de sa vie, deux années importantes qui avaient en partie construit ce qu’il était maintenant, modelé ce qu’il voulait représenter pour le continent et ses loups.

Il avait profité du trajet et des échanges avec Sobi pour lui expliquer ce en quoi consistait la malédiction des pirates et lui parler un peu des terres sur lesquelles ils allaient mettre les pattes. Il lui avait parlé de la grotte où tous dormaient, de celle où se trouvait la fontaine de rhum maudit, des hautes falaises qui se dressaient comme des lames où venaient se découper les vagues, des plages vastes qui dessinaient autour de l’île une ceinture où il était presque impossible de passer inaperçu. Il ne s’attendait pas à passer inaperçu, quoi qu’il arrive. Les Raeders avaient un petit territoire, et cela leur donnait l’avantage non négligeable de le connaître comme leur poche, et d’être informés de ce qui s’y passait quasiment en temps réel. Il ne faisait aucun doute qu’à leur arrivée, il ne serait qu’une question de minutes avant que les pirates ne pointent le bout de leur museau salé.

Le grand lion blanc s’arrêta devant le bras de mer qu’il leur fallait traverser. La marée était descendante, presque complètement basse, ils auraient sans doute pied tout du long. Il inspira profondément, jeta un regard et un sourire à Sobieski, remerciement muet de sa présence à ses côtés en cette occasion si étrange, si importante. Puis il s’engagea dans l’eau salée, les pans de sa cape et le bout de ses cheveux s’accrochant à la surface Lorsqu’il en émergea de l’autre côté, la plage était silencieuse. L’odeur de l’océan tout proche se mélangeait à celle des habitants de l’île, qui saturait l’air. Même lorsqu’ils n’étaient pas visibles, ils pouvaient ressentir leur présence. D’aucuns en auraient éprouver de la peur, pour Ajani il s’agissait surtout d’une impression de déjà-vu. Celle de rentrer dans un endroit d’où on est parti bien longtemps, et qui résonne de familiarité malgré les choses qui y ont changé.

Il s’assura que Sobi l'ait rejoint avant de jeter la tête en arrière pour lancer un hurlement, qui ressemblait plus à une sorte de hululement, qui ne s’entendrait pas aussi loin que s’il avait lancé sa pleine voix, mais qui suffirait amplement à signaler leur présence.

Mavis

D'abord il y eut cet hurlement étranger, une voix bien trop grave et grosse pour être celle d'un Reader qu'elle connaissait, encore moins celle de son Capitaine qui était aigu et dominante. Un hurlement qui présageait donc rien de bon et qui avait attiré l'attention de la jeune pirate. Elle qui s'entraînait à utiliser ses armes à feu.. Elle s'arrêta et ramassa les balles perdues sur la planche de bois qu'elle avait recouvert de mousse pour mieux les attraper.
Elle rangea soigneusement ses pistolets sur sa ceinture et après trois bonnes gorgées de rhum elle partit aussitôt vers l'endroit où avait résonné la voix étrangère.

L'odeur des continentaux ne tarda pas à empester jusqu'à ses narines et les loups qu'elle aperçut ne firent que confirmer ses doutes. Quoi que.. L'un d'eux n'était pas si étranger que ça à cet île. Mavis en avait entendu parlé, de ce déserteur. Ils avaient été nombreux à partir pour une meute continentale, à trahir la petite famille qu'ils formaient. La jeune pirate contourna le groupe et vint s'asseoir plus loin sur la plage, les vagues venant lécher ses pattes, sa queue ainsi que ses fesses.

Pourquoi ils venaient les déranger ? Et pourquoi ce traître venait les narguer avec son glowstick violet ? Mavis gronda dans son coin et avala deux nouvelles gorgées de rhum pour supporter cette horrible vision.

Vermine..

Qu'il soit exécuté sur le champs et offert à Céto.

Ann ; 1 an et 8 mois
F  A E I

Il ne fallait pas s'attendre à la voir traîner trop loin du Capitaine. La petite sorcière, quoi que bien occupée avec le tutorat de son oncle, trouvait encore le temps de se fondre dans l'ombre de son idole. Observatrice méfiante, Ann regarda les deux Nakhus. Ah les beaux hypocrites. Ces prôneurs de belles paroles, ces meutards soit-disant tolérant qui n'étaient en fin de compte, pas mieux que les autres et qui recueillaient en plus, tous les miséreux des quatre coins du continent. La noiraude souffla bruyamment, tout en laissant s'éveiller la curiosité quand au fatra que posait dans le sable le loup pâle ayant l'air bien petit face au gigantesque mâle blanc. Le frère jumeau de Limule. Là où la Capitaine avait prit la douceur et l'agilité, Ajani avait prit la force brute et la taille de géant. Étrange contraste. C'est finalement la fameuse cupidité des pirates qui l'a mena à aller observer de plus prêts les cadeaux du disciple trop souriant de la déesse pourpre.

« Tu as écrit ce livre ? »

Questionna Ann en s'émerveillant devant le trait d'encre manuel, non vieilli, composant un joli navire. Quoi que contenait ces pages, la jeune sorcière désirait en faire son trésor.

Creek ; 6 ans et 10 mois
F  A E I

Un hurlement. Une voix comme sortie des méandres de son souvenir. Un rassemblement. Le loup de mer arriva sur la plage en claudiquant, l'oeil méfiant. Comme à son habitude, il forçait l'air sournois et la démarche inégale. Le dos voûté et la tête basse, il vint s'asseoir sans un mot à la droite de Limule, dans un aveu tacite de sa position sociale, tout en saluant les deux Nakhus. Il était à son côté, il était sa patte droite, il était son soutien. Face à Ajani qui avait pourtant été comme un fils pour lui, face à ce frère qui pourrait remettre en question la confiance en elle de la Capitaine. Le barbu anthracite gardait de l'affection pour le jeune pirate qui s'était enfuit vers des horizons plus cléments pour lui, toutefois, Limule était sa priorité. Creek était le protecteur, aussi bien que la patte armée. Après tout n'avait-il pas été là pour élever tous ces marmots ? Ne l'était-il pas encore, là, pour les voir devenir adulte et chef, chacun de leur côté ? Voilà que de tous, le frère et la soeur se faisait face. Les neveux de sa soeur avaient bien changés, depuis cette nuit froide où ils avaient été rapportés chez eux... L'Océan réservait bien des surprises à ses enfants.

[Le pouvoir d'Ajani est d'avoir des émotions "contagieuses" pour les loups qui se trouvent autour de lui. Vous êtes libres de le prendre en compte ou non bien-sûr :) ]
[Son glowstick est invisible, caché par ses cheveux. ]

Il y eut un instant de flottement, alors que l'écho du hurlement s'estompait sur les plages, le long des falaises, à travers les collines d'herbe qui flottait doucement au vent salé. Un bruissement lui indiqua que Sobieski sortait de la sacoche qu'il transportait les cadeaux qu'il avait prévus à l'attention des pirates. Le loup rosé avait été bien plus prévoyant que lui sur ce point, il devait bien l'admettre, et avait confectionné avec art et délicatesse de jolis mets parfumés et un livre neuf. Ajani ignorait si cela plairait aux Raeders, mais ils ne pouvaient que partir sur un meilleur pied que s'ils étaient venus les pattes vides. Restait à savoir si la fierté de ces derniers n'allait pas les pousser à refuser tout cela par simple principe - ce qui serait de bien mauvais augure pour la suite. Derrière eux, la mer déroulait ses vagues paresseuses avec des ronronnements réguliers. Un pseudo-silence était tombé. Mais pas pour très longtemps.

Une odeur légère leur parvint en premier, familière, qu'il identifia avant même que son regard de glace n'aie accroché celle qui le portait. Une petite silhouette qui avançait d'un trot aérien sur le sable, dans le direction. Gracieuse, légère, les cheveux d'obsidienne et le pelage de neige marqué de rouges tatouages. Il sentit son coeur bondir dans son large poitrail, alors que l'ombre d'un sourire étirait le coin de ses babines. Il ne s'attendait pas à être accueilli avec beaucoup de chaleur, mais il ne pouvait s'empêcher de se réjouir de revoir Limule. Cette soeur qui lui ressemblait un peu, et si peu à la fois. Leur dernière rencontre remontait à quelques temps déjà, quelques instants avant qu'il ne s'en aille quérir la lumière violacée qui état maintenant cachée dans sa tignasse. Cette rencontre avait été un peu étrange, presque irréelle, comme si la voix des pirates venait une dernière fois à ses oreilles avant qu'il ne puisse plus jamais l'entendre. Il avait promis alors de ramener le médaillon que Creek lui avait prêté, pour le rendre à l'Océan. Il ignorait ce que Yurai avait changé sur ce bijou, mais quoi qu'il en fut il avait bien l'intention d'honorer cette promesse. Depuis ce jour-là, il était aux côtés de son glowstick, attendant son heure, jumeau sans éclat du présent de la Corneille.

Lorsqu'il croisa le regard de Limule, il n'y vit nulle chaleur. Elle posa sur eux un regard froid, croisant le sien en silence avant de le laisser glisser sur Sobieski et ses présents. Elle n'eut nulle réaction à leur vision - pas de positive, mais pas de négative non plus cependant - et finit par s'asseoir devant eux en s'adressant à lui directement. Ses mots étaient clairs, sans fioritures ni rondades de politesse, chargés d'une animosité à peine masquée.

"Bonjour Limule." Répondit-il de sa voix grave, en la saluant d'un geste de la tête. "Je suis heureux que nous nous croisions à nouveau."

Au même moment, d'autres silhouettes commencèrent à peupler le bord de la plage. La première fut celle d'un loup au physique très atypique - peut-être avait-il déjà entamé sa transformation ? - qui parut ignorer les propos de la louve pour les saluer et leur demander la raison de leur venue. Il paraissait avoir du mal à s'exprimer, comme s'il maîtrisait à peine la langue commune. Puis deux autres louves, l'une pleine jusqu'aux dents qui leur adressa une salutation sobre, l'autre bien moins accueillante qui darda sur eux un regard chargé de haine. Puis une troisième - toutes les trois se ressemblaient, et surtout ressemblaient à un loup qu'il connaissait bien - qui elle fut la seule à s'approcher, le regard brillant, des cadeaux amenés par Sobieski. Et enfin, une silhouette boiteuse et charbonneuse, qui alluma dans les yeux du grand loup, comme sa soeur, une lueur heureuse. Creek. L'Oracle salua chacun d'entre eux avec politesse, et finit par répondre à Limule et au loup-poisson :

"Nous sommes ici en paix. Si vous ne voulez pas entendre nos paroles, nous partirons sans faire d'histoire. Je suis Ajani, l'Oracle Nakhu, et voici Sobieski."

Il lui paraissait nécessaire de faire les présentations, non seulement pour qu'ils ne soient pas juste des continentaux à leurs yeux, mais des loups avec une identité, mais aussi pour asseoir le fait qu'il assumait sa propre identité et sa venue sur ce territoire. Il avait vécu une vie bien étrange, suivi des chemins tortueux qui lui avaient attiré la haine de certains. Mais il ne s'en cachait pas, estimait avoir suivi la bonne voie. Les mots de Limule lors de leur dernière rencontre résonnèrent dans son esprit.
C'est comme ça que les choses doivent être. C'est pour l'équilibre du monde. Au fond de nous, il y a toujours eu l'Océan et le Continent. Je suis la fille de l'Océan et toi tu es  le fils de la Terre. Alors je veux bien te pardonner, parce que c'est important que les choses se passent ainsi.
Des mots précieux, bien plus précieux peut-être que la louve blanche ne l'aurait cru en les prononçant, peut-être. Ils avaient en tout cas marqué son esprit à jamais, fini de modeler ce qu'il voulait devenir, ce qu'il devenait, ce qu'il était devenu.

"Mon camarade a apporté ces présents pour vous." Lança-t-il en tournant la tête vers Sobi pour lui laisser tout loisir de présenter ce qu'il avait fabriqué. "Nous souhaiterions discuter avec votre capitaine. Pour parler de paix, et non pas de haine."

Il restait encore une chose, avant de pouvoir entamer correctement ces pourparlers. Il tourna le cou, baissa la tête, et d'un coup de crocs fit céder le noeuf maladroit qui tenait attaché le médaillon autour de son cou. Invisible jusque-là, tout comme son comparse lumineux, il glissa hors de ses cheveux épais pour s'échouer entre les crocs du grand mâle. Il fit quelques pas en avant et vint le déposer devant Limule, Creek et le loup-poisson, qui se tenaient tous les trois face à lui avec l'attitude indéniable de ceux qui dirigeaient. Une lueur un peu étrange passa dans les yeux du loup alors qu'il reculait d'un pas en contemplant le drôle de trio. Cela pouvait-il signifier que.. ? Il le saurait bien assez tôt, ceci dit.

"J'ai promis de ramener à l'Océan ce qui lui appartient." Lança-t-il plus doucement. "Le voici donc. Il a tout comme moi rencontré la déesse Yurai."

Il ignorait exactement ce qu'avait subi le médaillon, mais vouloir cacher ce détail lui paraissait malhonnête.

Limule fut rapidement rejointe par d'autres Raeders, conséquence indéniable d'un appel inconnu sur leur plage, les membres de la meute restaient des loups très curieux. Ceci dit, qui ne l'aurait pas été dans ce genre de cas. La louve blanche sentait comme une sorte de joie, de bonne humeur émanée du grand mâle blanc comme une positivité à partager, sans doute qu'elle se serait laissé avoir à cette impression si ce n'était pas son frère qui était en face d'elle, elle garda cette expression de neutralité froide, l'écoutant sans le couper. Elle dressa les oreilles en avant, guettant chacun des gestes d'Ajani lorsque celui-ci enleva le médaillon prêté pour venir le déposer devant elle comme un présent, celui d'une promesse. Si seulement elle avait été réellement tenue n'est-ce pas ? Limule se pencha vers le médaillon sans un mot, sans que mot ne soit dit, laissant les autres dans l'attente quelques instants, laissant Ann profiter des cadeaux apportés encore quelques secondes puis la louve blanche déposa l'objet à nouveau au sol dans le sable avant de relever son regard bleu vers le grand mâle. Il n'y avait aucune satisfaction, aucune joie, seul l'aspect glaciale qui l'avait accueilli ainsi que peut-être un début d'irritation.

« J'ai une question Ajani, te restes t-il encore la moindre petite once d'estime pour nous ? »

Son pelage commence à se hérisser, elle n'arrive pas à le contrôler ça mais si son museau se fronce, elle ne dévoile pas les crocs ni ne grogne, elle reste droite dans une posture digne de chef de meute, ce n'était pas naturel, elle n'aurait pas fait tant d'effort si elle était resté sur cette voie de maître des rituels.

« Le médaillon est brisé, je le sais, je le sens et toi tu dis que c'est parce que tu l'as montré à ta déesse. Tu sais que ça aurais pu tuer l'un de nous si personne n'avait été capable de remarquer la différence ? Est-ce que ça ne ressemble pas un peu à une insulte comme un présent qu'on aurait préalablement empoisonné ? Comment crois-tu qu'une autre meute l'aurait pris?»

Sur la fin, elle les avait presque dévoilé ses crocs, tout comme elle n'était plus totalement assise et beaucoup plus tendue. Cependant elle relâcha la pression, s'affaissant à nouveau sur son arrière train, dégonflant son pelage pour faire place à une expression de déception et peut-être de la tristesse également à ceux qui saurait le voir.

« Tu demandes la paix mais tu fais tout pour perdre ma confiance. Tu es parti sans même un au revoir, sans même revenir ne serait-ce qu'une fois pour t'en excuser et pourtant, je t'ai accordé une nouvelle chance. J'aurais pu t'excuser le temps immense que tu as mis pour venir tenir ta promesse mais tu l'as brisé sans même t'en excuser. »

Elle se releva, chassa quelques grains de sable de son pelage avant de reprendre.

« Tu as dit que tu étais Oracle, je sais que chez vous, c'est le chef, j'espère que tu considères un peu plus les loups de ta meute que nous. »
« Notre Capitaine actuel, c'est moi. Le problème Ajani, c'est que toi, tu as perdu toute la confiance que je pouvais avoir pour toi, je ne devrais pas t'accorder ce que tu demandes tant que c'est toi qui représente cette meute. »

Elle fit quelque pas, quittant sa place face à Ajani, passant devant Creek sans oser relever un regard vers lui. Elle savait toute l'affection que le mâle noir devait encore porter au loup blanc.

« Mais les temps changent et je crains que l'avenir ne soit tâcher de sang. Je ne suis pas opposée à ce qu'une paix s'ouvre entre nous Raeders et les Nakhus, elle est sans doute préférable. » Elle s'arrêta devant le loup rosé, Sobieski si ses pensées ne se trompaient pas mais avant de s'y intéressé, elle lança un dernier regard à son frère.
« Mais je ne veux pas traiter avec toi. Et ce que je vais demander sera ta dernière chance, si la réponse n'est pas en ta faveur, je te demanderais de partir et de ne plus jamais venir reposer une patte sur cette île. » Et elle tourna la tête vers le second nakhus. Si elle avait encore un air  un peu froid et hostile, elle se faisait déjà plus douce. Elle n'avait rien contre ce loup là. « Sobieski, c'est bien ça ? Les présents que tu as apporté, est-ce qu'Ajani y a participé d'une quelconque manière ? Ne serais-ce dans leur réalisation ou l'idée ? Soit honnête, le mensonge vous porterait bien plus préjudice que la vérité. »

Ann ; 1 an et 8 mois
F  A E I

Elle s'approcha un peu plus, renifla ce qu'il apportait ce loup aux couleurs comme fadies par le soleil. La petite sorcière l'observa d'en dessous, de ses prunelles vide de pupille. Elle étudia son regard, son sourire et les ridules au coin de ses yeux qui confirmait qu'il était de ces loups joviales et doux. En dehors d'Abysse, la noiraude n'avait jamais croisé de loup aussi gentil, fondamentalement bon et dont le credo était le partage et l'empathie. De ce fait, il lui plus immédiatement. L'exotisme de la candeur, sans doute. Et il lui répondit avec une sympathie inattendue, avec bonhomie. Le Nakhu lui fit voir quelques pages, l'intrigue se mua en intérêt vif, la curiosité en admiration. Et sur elle deferla une vague de chaleur. Elle se sentit moins tendue, et laissa fleurir sur ses babines un sourire fin, mais encourageant. Elle ne savait pas pourquoi elle se sentait ainsi en confiance... Mais vu l'attitude de Sobieski, pourquoi s'en faire ? Ajani, lui, n'attaquerait de toute façon jamais sa famille, pas vrai ?

« Tu m'as l'air bien érudit. Accepterais tu de partager un peu de ton enseignement avec moi ? »

Demanda t-elle en se redressant enfin, d'égal à presque égale. Elle était du genre petite, alors forcément, elle continuait à le fixer de quelques centimètres en dessous, mais un désir vorace brûlant dans les yeux. Rien de physique, bien-sûr, il était loup du continent et elle ne pouvait bien entendu pas être attiré par ça. Mais son esprit, les connaissances qu'il semblait posséder, ça, ça lui faisait de l'effet. Si elle avait pu posséder son cerveau ! Son air se fit moins farouche tandis qu'elle tendait la truffe vers lui, se rehaussant sur le bout des pattes. La douceur était le point faible de Ann, alors complétée par le savoir... Cette mimique qu'il eu de remonter ses lunettes sur sa truffe firent sourire la sorcière de plus belle. Jusqu'à ce qu'elle voit comment le disciple Nakhu regardait son oracle. Une pointe de déception vint lui chatouiller le ventre et elle reporta son attention sur le livre manuscrit. Elle en tourna quelques autres pages, en lu quelques passages courts. De tout ce que Sobieski avait rapporté, ça, c'était le plus beau des trésors, le reste lui importait peu en comparaison, même que le tout gentil mâle pastel n'ai d'yeux que pour le lion blanc.

Creek ; 6 ans et 10 mois
F  A E I

Qu'il avait mal au coeur le patriarche, en voyant ainsi se déchirer deux de ses enfants. Qu'il était tiraillé entre la loyauté et le pardon depuis bien longtemps offert. C'était tout un conflit qui sévissait dans le coeur du loup de mer à la patte de bois. Il y avait face à face les deux premiers louveteaux dont il avait prit soin avec ses frères, à peine à l'aube de son âge adulte. Des jumeaux rapportés à l'Océan mais nés aussi de la Terre. Dans l'union de Chulhei et de Bree s'étaient fondus la mer et le continent, pour se voir finalement toujours opposé dans leur enfants. C'était aussi chaotique que poétique. Le pirate vieillissant serra les crocs pour retenir le grondement de l'adulte grondant deux jeunes en bataille. Limule et Ajani avaient assez grandit pour qu'il ne se mêle d'intervenir entre eux. Pire, aujourd'hui, il devait remiser sa tendresse pour eux de côté car le coeur n'aurait choisi l'un ou l'autre. Hors il était le second du Capitaine et il devait prendre position à son côté. Là il se devait d'être. Le coeur lourd, il ne soupira pas et masqua sa peine sous un museau neutre. Le poil de son échine retomba tout de même, car malgré son déchirement, il restait attaché au loup blanc devenu chef d'une autre meute aux valeurs bien trop différentes. Il n'exprimait donc rien corporellement, prenant sur lui d'être vierge de toute communication non verbale, l'exercice était difficile mais nécessaire. Il ne devait montré de déception, ne devait avouer son échec en tant que parent, n'avait le droit de prendre parti pour l'un ou pour l'autre autrement qu'en se tenant au flanc de son Capitaine. Rôle que Limule tint avec brio, avec fierté et autorité. Un fin sourire étira finalement ses babines, énigmatique, tandis qu'il fixait Sobieski plutôt que n'importe qui d'autres, et s'approcha des amuse-gueules apportés en cadeau pour les renifler. Voilà qui réglait son problème : l'apéro avant tout !

[Le pouvoir d'Ajani est d'avoir des émotions "contagieuses" pour les loups qui se trouvent autour de lui. Vous êtes libres de le prendre en compte ou non bien-sûr :) ]
[Son glowstick est invisible, caché par ses cheveux. ]

Le silence tomba durant un instant lorsque la louve blanche s'approcha pour flairer, observer le médaillon. Etait-elle capable de sentir exactement ce dont il avait été victime ? Lui-même n'en était pas certain, mais il ignorait si durant son absence la relation des Raeders avec l'Océan ne s'était pas encore approfondie. Après tout, la rencontre avec Ceto avait sans doute été prometteuse, puisqu'elle leur avait fait un inestimable présent. Lorsque Limule releva la tête, son regard était toujours froid, mais chargé en plus d'une lueur de mauvais augure. Rien de ce qu'il avait attendu en tenant sa promesse, ce qui jeta un froid sur ses pensées. Leurs regards clairs s'entrechoquèrent à nouveau, l'un indéniablement plus chaleureux que l'autre.

Les mots tombèrent ensuite, aussi acérés que des coutelas, brisant en éclat tout ce que leur dernière rencontre avait pu lui donner comme impression, comme certitude. Le corps du grand mâle se crispa alors qu'il restait silencieux face à la tirade que sa jumelle lui jetait au museau. Le premier sentiment qu'il l'envahit fut celui d'une injustice profonde. Il venait de leur dire que le médaillon avait été victime de la déesse Yurai, peut-être certes avec de maladroits mots, mais il ne leur avait pas caché. D'aucun auraient montré les crocs simplement avec cette sorte de provocation, mais il resta de marbre. Il se demanda avec un peu de tristesse si tout cela n'était qu'un prétexte, qu'elle avait attendu tout ce temps une raison de s'en prendre à lui. Les mots n'avaient été que du vent. Elle ne lui avait jamais pardonné, comme elle l'avait prétendu.

Le regard de l'Oracle s'assombrit légèrement, mais il la laissa parler. Extérioriser cette colère qu'elle avait, puisqu'elle devait l'exprimer maintenant qu'ils se trouvaient face à face. Elle était de mauvaise foi, mais il était prêt à fermer les yeux. Elle n'avait peut-être pas eu le courage d'exprimer ses réels sentiments la dernière fois qu'ils s'étaient vus, et les vannes venaient enfin de s'ouvrir. Mieux valait que tout soit dit, même s'il la savait suffisament intelligente pour user de mots qui le blesseraient. Ils se contenta de soutenir son regard et d'écouter avec attention, presque détachement, pour ne pas se laisser trop envahir par les émotions négatives qui rugissaient aux frontières de son esprit.

Il la regarda parler sans s'arrêter, sans l'interrompre mais sans montrer que cela le touchait. Il n'y avait toutefois plus cette aura de chaleur autour de lui. Simplement une tension palpable dans l'air, puisque le barrage pouvait céder à tout moment. Ils partageaient la même malédiction, exprimée dans des formes à la fois très différentes et étrangement similaires. Lorsqu'elle laissa filer un instant, s'en allant vers Sobieski, il put enfin répondre. Un drôle de mélange habitait ses pensées, de la tristesse, de la déception, un peu de pitié aussi. L'injustice guettait derrière, mais il s'efforçait de ne pas entrer dans le jeu de la louve, de ne pas être trop outré. Il était Oracle après tout, représentant de la sagesse et de la tempérance. Ce n'était pas à lui de montrer les crocs si ce n'était pas urgemment nécessaire. Et cette démonstration de force de la petite louve blancyhe ne lui paraissait pas une situation dans le genre.

"Je ne t'ai pas caché que le médaillon avait fait la rencontre de la déesse." Répondit-il d'une voix posée. "Si j'avais eu de mauvaises intentions à votre égard, je ne l'aurais simplement pas dit."

Elle avait peut-être oublié combien il était peu bavard. Elle était sans doute guidée par cette rancune qu'elle avait cru voir s'effacer des lunes auparavant alors qu'il n'en était rien. Plutôt que de s'en libérer, elle s'y était enfoncée à toutes pattes. Désormais, elle était cheffe de son clan avec cette colère. Etait-il seulement possible d'espérer que tous cessent de haïr les pirates si eux-mêmes ne faisaient aucun pas dans ce sens ? Il y avait toujours cru, il avait toujours cru que si l'on offrait aux Raeders un pareil traitement qu'aux autres meutes, ils accepteraient d'être enfin reconnus comme autre chose que des parias et des loups haïs de tous.

"Si tu es en colère contre moi, ne mêle pas celà à cette offre de paix." Ajouta-t-il ensuite. "Laisse les Raeders et les Nakhus en dehors de ça. Si je ne participe pas, tu ne devrais pas non plus, car tu portes avec toi une rancune contre moi, pas contre ma meute. Laisse ton second s'en charger, et nos pairs discuteront d'égal à égal."

Car il était trop facile d'éloigner l'un des protagonistes et de laisser l'autre. Il caressait encore l'espoir qu'elle accepte de lui parler en tête à tête, éventuellement pour lui cracher les dernières paroles acérées qui roulaient dans son crâne depuis des lunes peut-être. Il l'écouta ensuite parler à Sobieski, et croisa le regard du loup rose. Ce dernier était empli de crainte, ou peut-être d'une sorte d'excuse. Mais l'Oracle lui renvoya un clignement de paupières qui se voulait apaisant. Il devait dire la vérité, et il ne faisait pas de doute qu'il en ferait ainsi. Il ne devait toutefois pas penser que le grand loup lui en voudrait, bien-sûr que non. Ce dernier n'avait pas honte de ne pas avoir activement participé à la confection des présents. Il était occupé sur de nombreux fronts, et ne s'était d'ailleurs pas attribué le mérite de ces cadeaux lorsqu'ils étaient arrivés. Encore une fois, Limule cherchait un prétexte pour le frapper une fois de plus de sa colère. Une lueur un peu attristée persistait dans le regard de lion blanc.

Son regard alla brièvement se poser sur Creek, qui restait de marbre, avant de revenir sur sa soeur. Il s'efforçait de laisser sa respiration s'apaiser, de se laisser gagner par cette sensation d'espoir qui guidait la plupart de ses décisions. Il avait foi en beaucoup de choses. peut-être trop. Mais peut-être était-il l'un des seuls sur ce continent à donner tant de seconde chance, à permettre à tant de loups de ne pas rester ce que le destin les avait condamnés à devenir.

L'istant de tension lui parut d'une longueur infinie. Comme si le temps s'était figé alors que résonnaient les derniers mots, leur seule chance de ne pas être jetés tout simplement de ces terres avec la menace d'être tués s'ils y remettaient les pattes, et leur espoir de paix jeté avec eux au gré de l'eau salée. Le regard glace d'Ajani était revenue sur Limule. Elle paraissait avoir écouté Sobi. Il avait été parfait, et l'Oracle jugeait qu'ils n'auraient pas pu mieux s'en sortir. Si les pirates refusaient de les écouter, ils tourneraient les talons en sachant qu'ils avaient fait leur maximum pour que la rencontre se passe bien.

Mais il n'y eu pas besoin de partir. Pas tout de suite du moins. Il vit soudain sa jumelle laisser échapper un soupir, et son attitude changer du tpout au tout. La colère reflua alors que son échine s'abaissait, de concert avec sa queue qui se remit à flotter derrière elle. Il ne put qu'être daccord avec les mots qu'elle prononça. Sobi avait très bien parlé. Peut-être même, par sa présence, par ses cadeaux, ses paroles, ou peut-être un peu des trois, venait-il de leur sauver la vie. De sauver la paix fragile dont il voyait un embryon dans le fait que Limule accepte de leur parler. Elle leur tourna le dos et leur indiqua de le suivre, ce qu'il fit sans rechigner de son pas lourd. Ils avancèrent en silence jusqu'à passer derrière une falaise, dans laquelle s'ouvrait une galerie qui n'était pas sans rappeler à l'Oracle l'endroit où son nouveau peuple vivait. Un drôle de clin d'oeil du destin, peut-être. Un jour il avait grimpé jusqu'en haut de cette falaise, accompagné par Rhaegar, sans se douter de ce que les années allaient lui réserver ensuite. Chaque endroit sur Morne-Oeil était un nid à nostalgie pour lui.

"Merci." Répondit-il simplement lorsqu'elle annonça que cette conversation ne ferait en aucun cas acte de ce qui avait pu avoir lieu dans le passé.

Ce fut Sobi qui, encore une fois avec des mots justes et délicats, entama cet étrange conciliabule. Devant eux, Limule se tenait droite, fière. Il n'était pas difficile en les regardant de savoir que c'était elle qui régnait sur l'endroit où ils se trouvaient. Lorsque le loup rose lui passa la parole, il se fit la drôle de remarque que c'était bien la première fois qu'on lui disait qu'il parlait bien. Il n'avait jamais considéré être très doué pour ça. Mais aujourd'hui, il fallait qu'il le soit. Pour les Nakhus, pour les Raeders, pour toutes les meutes du continent qui avaient d'autres chats à fouetter que des voisins belliqueux et des haines centenaires. Il inspira profondément et continua donc :

"Nous souhaitons voir naître de nos ambassades un monde débarrassé de la haine que chacun entretient à l'égard de ses voisins. Pour ce faire, nous invitons toutes les meutes, tous les groupes qui le désirent, à se rassembler lors de la prochaine pleine lune à l'Atoll Tropical. La trêve serait de mise, de la part de tous."

Il savait que c'était là un point extrêmement délicat, car parmi ces groupes se trouvait la plus grande meute du continent, mais aussi la plus belliqueuse. Les Etelkrus. restait bien-sûr à voir s'ils étaient à la hauteur de leur réputation.

"Nos ancêtre, peut-être même nous, nos peuples, avons commis des erreurs. Nous sommes partisans de la seconde chance, et du pardon."

Il posa le regard dans celui de la louve. Qu'il était difficile de savoir s'il s'adressait à sa soeur, ou au chef d'une meute hostile. Deux faces entre lesquelles il était tiraillé. Mais peut-être que, bientôt, cela changerait. Elle n'ignorait sans doute pas que les sacrifices qui avaient été perpétués chez les Raeders avaient été très mal vus par les Nakhus alors. Réparer cette plaie prendrait du temps, mais cela ne lui paraissait pas impossible.

"Comme les loups des autres meutes, vous êtes les bienvenus sur nos terres." Ajouta-t-il. "Pour nous rendre visite, simplement y passer, ou nous demander votre soutien."

C'était ouvrir une porte risquée, que d'autres loups voyaient d'un mauvais oeil. Mais il n'y avait pas beaucoup de chemins vers la paix qu'il espérait. Il fallait faire confiance. Et c'était à lui de commencer.

"J'ignore si vous avez été informés des événements qui ont eu lieu à la Grève Gelée. Des monstres qui sont apparus, fuyant quelque-chose qui doit être plus monstrueux encore, et amenant un grand froid. Nous aurons besoin les uns des autres pour faire face à cette nouvelle menace."

Il expira à son tour, un peu plus silencieusement, et ajouta :

"Nous sommes bien-sûr à l'écoute de vos suggestions, dans ce combat comme dans celui contre la haine."

Il se devait d'être formel, mais comme il aurait aimé pouvoir simplement l'étreindr,e lui dire que les choses pourraietn s'arranger, pour lui, pour elle, pour leurs meutes, pour tous les loups. Mais ils n'étaient plus des enfants. Ils étaient des chefs, et avaient entre leurs pattes la vie de nombreux loups. Chaque décision avait tellement plus d'impact, sous cette perspective.

Creek ; 6 ans et 10 mois
F  A E I

« Je déconseillerais cependant ceux qui pourraient être vus comme d'anciens traîtres. »

C'est sur ces belles paroles qu'il se montra finalement après avoir dû arbitrer une querelle pour une histoire de poisson chapardé à l'autre. Le pire... C'est qu'il s'agissait de deux de ses propres filles ! Etre parent était si... Épuisant ! Il aurait donné beaucoup pour une petite journée de vacances. C'est donc la mine grognonne qu'il rejoignit Limule, en pour-parler. Sa présence n'avait pout but que d'asseoir la position du Capitaine, tout en la gardant d'un éventuel danger. Alors certes, de la part d'Ajani et de son compagnon miniature et tout doux, le mâle noir ne craignait pas grand chose. Les tentacules de sa barbe s'enroulèrent les unes autour des autres, passant parfois au dessus de sa truffe pour revenir jouer ensemble sous son menton. Il s'assit à l'entrée de la grotte, à la place idéale pour tout entendre de la conversation, y participer, mais aussi et surtout repousser les curieux qui viendraient à coup sûr mettre le bazar par ennui ou jeu. Les Pirates étaient des grands enfants, et pour la majorité, ses enfants. Le regard de nuit se posa sur le petit conciliabule et il s'efforça de rattraper la conversation au vol. S'il avait forcément envie de revoir Lewis au même titre que le lion blanc, un pincement au coeur lui rappela qu'il était bien trop enchevêtré entre les uns et les autres pour être efficace ici. Il avait élevés et formé chacun de ces trois adolescents, devenu maintenant des adultes chacun de leur côté. Voir le monde grandir lui assénait à quel point il s'approchait de son second temps, celui à la malédiction ferait de lui un transformé. Lui rappelait aussi douloureusement le nombre d'année où Sayuri n'était plus là, avec lui.

« Evidemment tout ceci n'est valable que si mes craintes sont infondées. »

Le Second Raeder releva le menton, fixant les deux Nakhus afin de voir leur réaction, leurs mimiques, leur attitude non-verbale en générale. Cette dernière en disait bien souvent plus long sur les intentions que les mots eux-même. Il commença a tapoté le sol d'un air innocent. Le bruit régulier pourtant, sonnait comme le tic-tac d'une horloge. Ajoutant un poil de stress à leurs hôtes permettrait également de discerner plus aisément s'ils avaient quelque chose à cacher ou que leurs intentions n'étaient parfaitement louables. Creek ne croyait pas vraiment en une paix totale. Il savait sa meute trop haït par les autres se croyant plus légitime ou plus puissant au nom de leurs Dieux de pacotille. Et sans doute restait-il un peu rancunier des histoires de la première génération de pirate.

Le grand loup vit du coin de l'oeil la silhouette de Creek les rejoindre, et lui jeta un regard bref. Comme avec Limule, il se sentait ligoté dans cette espèce de formalité su'était la rencontre entre deux chefs de meute, et non pas des retrouvailles avec sa famille d'enfance. Le mâle noir avait été l'un des piliers de sa vie, et était encore inscrit ainsi dans son esprit. Mentor jamais officiel mais de coeur jusqu'à ce qu'il soit un jeune adulte, il n'avait pas pris ses côtés roublards, mais avait tiré de son aîné l'espèce de douce bienveillance qu'il avait pour ceux de son clan. Il ne pouvait lui accorder plus que ce regard bref, prunelles claires papillonnantes, avant de revenir sur Limule qui réagissait à leurs propos.

"Il n'est pas question dans notre idée de briser l'identité de chaque meute." Répondit-il à ses doutes, lorsqu'elle prit un instant pour reculer et les contempler tous les deux. "Elles sont nécessaires à l'équilibre du monde."

Il savait qu'il pouvait toucher un point sensible avec ces propos, car la louve blanche les avait autrefois considérés comme tels. Frère et soeur, terre et mer, opposés mais dépendants l'un de l'autre pour que leur monde ne sombre pas dans le chaos.

Lorsqu'elle évoqua ses difficultés à se rendre à une réunion une nuit de pleine lune, il se sentit profondément stupide et redressa légèrement les oreilles. Comme il avait été maladroit de sa part de ne pas prendre en compte ce détail. Il se le reprocha aussitôt avec violence, et la culpabilité le saisit à la gorge. Il répondit d'un hochement de tête, le temps de retrouver plein usage de ses cordes vocales, et répondit posément :

"Je te prie de me pardonner cette maladresse. Nous pouvons aisément décaler le rendez-vous à la lune noire... Il est important que vous soyez là."

Le regard qu'il lui lança était clair. Ils étaient importants sur le continent, et il tenait à ce que tous les groupes soient présents. Pire encore, ils étaient ceux qui peut-être avaient fait les plus gros pas de travers dans le passé et envers qui la haine de tous était toujours intense. Ils devaient être là, montrer qu'ils étaient une meute comme les autres, et que ces choses-là n'étaient que des vestiges d'un passé qu'il croyait fermement révolu. Il aimait à croire que Limule n'aurait pas, sous sa tutelle, ordonné le sacrifice de loups innocents dans l'espoir de faire surgir un être de l'océan. La relation qu'elle entretenait avec lui était plus que cela, n'avait pas besoin de ces choses barbares. Il avait tant envie d'y croire, que cet Océan dont on leur avait toujours parlé n'avait jamais demandé la gorge d'autres loups envers lesquels il n'avait aucun grief.

Nouveau hochement de tête lorsqu'elle évoqua l'évolution des relations entre les meutes qu'il pouvait y avoir. C'était peu, c'était très peu, mais c'était... déjà ça. Son esprit tournait déjà à toute allure pour songer au loup qui serait le plus à même de porter cette responsabilité, d'être leur porte-parole chez les Raeders. Il aurait aimé plus, mais il ignorait jusqu'où cela pouvait aller. Eviter les incidents comme celui qu'il y avait eu entre Eva et Safran serait déjà une bonne chose, et ils enseigneraient aux jeunes loups à ne pas se laisser entraîner jusqu'aux dangereux rivages de Morne-Oeil. Il ne se faisait pas d'illusions, et avait conscience que la paix ne serait complète que lorsqu'il ne craindrait plus que ses semblables soient noyés dès lors qu'ils franchissaient les frontières de l'île. Mais l'essentiel pour le moment était d'établir une première communication, de les laisser faire un premier pas. Il était timide, mais il était bien là. C'était toujours une petite lueur d'espoir portée avec lui.

Ses traits se firent un peu plus sévères lorsqu'elle asséna les propos suivants. Votre propre survie nous apporte peu. Etrangement, elle sembla soudain plus tendue elle aussi, et son échine se hérissa alors qu'elle crachait presque les paroles suivantes. Intrigué, le museau du grand loup frémit à cette soudaine démonstration de colère. Ses paroles étaient sans équivoque : leur meute était en danger, et ils craignaient de n'avoir dans une proposition comme celle-ci qu'un piège. Il savait qu'il ne devait pas se sentir personnellement touché par ces mots, et s'efforça de les prendre avec distance. Les événements dont elle parlait n'étaient sans doute pas du fait des Nakhus. Il laissa couler un silence lorsqu'elle acheva ses propos, sur un ton un peu plus calme, rompu à intervalles réguliers par le petit tapement de Creek sur le sol de pierre. La situation était délicate, mais il parut rester de marbre.
Finalement, après un moment, il finit par répondre :

"Nous ne sommes pas offensés par votre attitude farouche. J'espère que la vision que vous avez de nous et l'estime que vous nous portez ne sauront que croître."

Il secoua la tête.

"L'idée d'un échange entre nos deux clans est une idée que j'apprécie. Nous pourrions tous en tirer quelque-chose. J'aimerais avoir cependant une certitude plus claire quant à votre position." Il planta son regard dans celui de sa jumelle. "Les événements qui ont lieu au Nord, et ceux qui auront lieu dans le futur, quels qu'ils soient, nous pousseront peut-être l'un comme l'autre dans nos retranchements. Je serai rassuré de savoir que nous meutes seraient prêtes à une trêve de plus grande ampleur si jamais - et uniquement si jamais - la situation se présentait. Que si mes terres étaient détruites, je ne risquerai rien à dire aux loups sur lesquels je veille de venir jusqu'aux berges sur lesquelles vous vivez, qu'ils y trouveraient à défaut d'un refuge un endroit où se reconstruire sans crainte, et avec maintien des conditions commerciales possibles. Je ne parle pas de Morne-Oeil, mais nous avons déjà eu un regrettable incident avec notre demi-soeur il y a peu de temps. Je souhaiterai que cela ne se reproduise pas."

Il inspira profondément.

"Nous n'agissons pas par pitié en vous offrant si le besoin s'en fait un jour sentir une terre sur notre territoire pour vous y réfugier, ou l'aide de nos chasseurs si vous tombiez dans une famine. En gage de bonne foi, notre diplomate désigné apportera avec lui une patrouille chargée de suffisamment de proies pour vous nourrir tous. Prenez cela comme le premier échange de nos accords."
Pas comme de la charité.

"Les loups Raeders et Nakhus pourraient à cette occasion convenir d'un itinéraire à emprunter pour les échanges futurs, et pourquoi pas d'un territoire neutre où vous rencontrer si tu juges que Morne-Oeil n'est pas assez sûre."

Il se redressa, un peu moins tendu maintenant qu'il avait exprimé ses quelques doutes, et ajouta :

"Si vous le désirez, nous pouvons également prendre sous notre aile certains de vos jeunes loups afin de leur apprendre à déchiffrer les livres de la bibliothèque, et certaines techniques qui vous faciliteraient la vie comme Sobi l'a fait en vous apportant son ouvrage. Comme tu l'as dit, Morne-Oeil est riche lorsque l'on sait où et comment chercher. Elle peut peut-être le devenir plus encore."

Les Nakhus ne gagnaient rien dans cet échange, et il s'abstint de demander à Limule une répartie : apprendre à nager et à pêcher aux siens, par exemple. Si elle souhaitait, si sa meute le souhaitait, ils en feraient la proposition ou la chose viendrait d'elle-même, plus tard. Il savait qu'il en demandait déjà beaucoup en demandant la certitude que sur une durée limite, en cas de force majeure, la bannière de la paix serait dressée entre leurs deux meutes. Il expira doucement et acheva :

"Je te remercie de m'avoir écouté, et d'avoir fait ces propositions. Les Nakhus et les Raeders pourraient sans doute faire de bons voisins."

Sa queue remua une fois, suivant un nouveau tapotement de Creek sur le sol.

Creek ; 6 ans et 10 mois
F  A E I

Les paroles s'enchaînaient, les propositions et les accords possibles. Le vieux loup de mer -il ne l'était pas tant mais sur Morne-Oeil personne ne faisait de vieux os- écoutait avec attention. La Capitaine savait mener sa barque et il n'avait jamais eu autant de fierté pour chacune de ses filles biologiques que pour Limule. Sa volonté de faire prospérer le petit clan qu'il était était puissante. Il espérait toutefois qu'elle soit suffisante à leur éviter l'extinction qui leur pendait à la truffe depuis bien longtemps. Le comportement d'Ajani et de son acolyte dont il n'avait pas retenu le nom le rassura tout de même. La bienveillance semblait réellement émaner d'eux, bien qu'il lui sembla reconnaître un air chiffonné sur le museau du loup blanc et brun. Ce devait être difficile pour lui, sans doute, de se trouver là où il avait été élevé… A son propos, Creek ressentait un sentiment d'inachevé. Bien sûr il était content de voir que le Nakhu avait su tirer son épingle du jeu, il lui restait toutefois ce vide de n'avoir été le jusqu'au bout, le père de cet adolescent devenu grand. Un sourire instinctif lui barra la gueule alors qu'il se remémorait des instants simples et innocents de leur prime jeunesse. Ses prunelles de nuit dérivèrent finalement vers son accompagnateur. Il le détailla, remarqua ce regard plein d'espoir et de tendresse qu'il tendait vers Ajani. Tiens donc.

« Je vais vous raccompagner jusqu'aux plages du continent. La marée peut être traitresse en cette période. »

Lâcha Creek, stoïque, en se relevant à son tour lorsqu'il fût temps de cesser les pourparlers. Les choses risquaient de changer. Peut-être trop pour lui, qui était de la vieille école. Le changement était parfois effrayant. Il lui faudrait s'adapter, il le savait. Pour le bien de Barth, de Mavis, d'Ann, de Mary et de ses mioches. Pour la pérennité des pirates, il devrait prendre sur lui. Il n'y était pas tout à fait prêt encore. Il ferait l'effort, toutefois par devoir pour Limule et les siens, et par confiance en l'avenir. Il le fallait.

La réponse ne tarda pas, et il l'écouta sans mot dire. Ce n'était ni un refus, ni un accord accepté. Limule les prévenait que s'ils devaient un jour s'approcher des rivages, pour des raisons de survie, ce n'étaient pas les Raeders qui seraient à craindre, mais les forces de l'Océan. L'Oracle coula un regard vers Sobi, pour jauger sa réaction. Ils n'avaient jamais beaucoup parlé des Raeders, tous les deux, et il ignorait si le loup rosé croyait en les forces qui agitaient les mers, et auxquelles les pirates vouaient leur culte. S'il pensait ou non que l'Océan était une entité à part entière, avec ses joies et ses colères, et pas simplement une vaste étendue passive comme l'était la terre. Pour le lion blanc, ça ne faisait aucun doute, puisqu'il avait vu le jour de l'apparition de Ceto que quelque-chose habitait l'Océan. Et il respectait le lien qu'entretenait Limule avec lui.

Puis elle parla plus pragmatiquement des ressources dont ils avaient besoin. Principalement de plantes, et peut-être l'ignorait-elle mais les Nakhus étaient sans doute ceux qui pouvaient les aider au mieux sur ce point. Ils avaient des terres certes de moindre surface que les autres meutes, mais fertiles, et bénies par la Corneille. Ils avaient largement de quoi partager leur savoir et leurs récoltes. Il hocha la tête, et ce fut Sobieski qui rebondit en premier sur les paroles de sa jumelle pour préciser l'aide qu'il pouvait leur apporter. Il avait déjà largement prouvé sa bonne foi à leur égard, et le grand loup lui faisait confiance pour ne pas les mettre en mauvaise posture.

"Je n'y vois pas d'inconvénient." Répondit-il à la demande de son camarade de demeurer l'Ambassadeur. "Tu n'es plus un étranger ici. C'est sans doute préférable."

Les raeders avaient vu son pelage, sentit son odeur, et pour la plupart vu les cadeaux qu'il avait apporté et perçu le savoir qu'il portait. Ne restait plus qu'à faire confiance aux pirates pour ne pas lui faire de mal. La queue d'Ajani remua légèrement sur le sol à cette pensée, mais il la chassa. Quelqu'un devait bien commencer par donner sa confiance, sans quoi ils n'avanceraient jamais. Toutefois, l'Oracle savait que si cet accord devait finir par être néfaste au loup rose, il ne se le pardonnerait pas.

"J'espère que nous nous reverrons sous de bons auspices après ces paroles." Conclut-il.

Ils se redressèrent tous, et il suivit le mouvement. D'un regard, il remercia Limule de les avoir accueilli. Encore une fois, il lui était impossible de manifester complètement la joie qu'il avait à la revoir. Ce n'était pas le moment, et il se contenta de ce coup d'oeil profond, bref, intense. Avant de se détourner lui aussi, son regard froid glissant vers Creek qui avait pris les devants pour les accompagner. Il emboita le pas au vieux loup noir, épaule contre épaule avec Sobieski, remerciement muet de sa participation à l'entretien qui avait eu lieu. Sans lui, les choses se seraient probablement déroulées bien différemment.

« Bien, je transmettrais l'information aux Raeders. Il faudra rester prudent cependant. »

Au moins il y avait un visage sur celui qui viendrait fouler à nouveau et de temps en temps leurs terres de leur île. Ceci dit, rien n'affirmait que l'Océan ou certains habitants de Morne-oeil acceptent de le reconnaître, seul le sang maudit était véritablement reconnu.
Limule les laissa à Creek, les saluant d'un simple hochement de tête, attendant quelques instants qu'ils s'éloignent pour elle aussi, tourner les talons et disparaître entre les rochers de la falaise.