Tout ira mieux - Alexandrine

Holly aurait aimé pouvoir dire qu'elle allait bien, qu'elle se remettait bien du combat avec le lion. Mais ce n'était pas le cas.
Son corps récupérait tout doucement. Trop doucement à son goût. Le processus lui volait, de plus, le peu d'énergie qu'elle possédait encore et qu'elle ne parvenait pas à récupérer totalement pendant la nuit, puisque la douleur la privait d'un sommeil totalement réparateur. En résumé, Holly était épuisée.
Tellement épuisée.

Mais ça, ce n'était rien, à côté du choc lorsqu'elle avait réalisé l'horreur : Si Alex n'avait pas été aussi rapide pour la portée au Castel, si Désastre ne s'était pas empressé de la soigner, elle serait peut-être morte à cause du sang perdu. Les derniers instants du combat, aussi, revenaient dans ses rêves. Elle voyait le lion lui foncer dessus, sentait ses crocs l'attraper, la secouer...
Elle frissonna.

Il avait été stupide de se penser si forte. A l'avenir, elle veillerait à ne pas faire les mêmes erreurs. Il n'était pas raisonnable d'aller affronter un prédateur bien plus gros et puissant que soi à deux, surtout lorsque l'on avait aucun plan B, si les choses se passaient mal.
Là, elle avait honte. Honte de s'être faite avoir comme une bleue, elle, porteuse d'orange, disciple de Pepper. Honte de ne pas être en état de servir sa meute comme elle l'entendait.

Elle avait besoin de prendre l'air, histoire de se changer les idées. De revoir Alex, aussi.
Les derniers jours avaient été plutôt rudes et les moments passés avec son amie ne s'était pas forcément déroulés dans la joie et la bonne humeur. Maintenant qu'elle allait mieux, physiquement, du moins, l'optique de passer le reste de l'après-midi avec son amie, si celle ci le lui accordait, lui plaisait, venant même faire naître un sourire sur ses babines.
Encore plus lorsque son regard bleu se posa sur la silhouette de son amie ailée.

Bon sang.
Le négatif laissa sa place à des pensées plus heureuses. Elle se sentit emplie de bien des choses : reconnaissance, affection... Encore plus d'affection que tout ce qu'elle avait pu ressentir jusqu'à présent. Par ce qu'Alex ne l'avait pas laissée tomber, même dans la situation la plus critique. Par ce qu'elle était restée à ses côtés, lui dévoilant là toute la force de leur amitié.
Qu'est ce qu'elle l'aimait, Alex.

Une foulée, douloureuse, et son corps blessé vint à la rencontrer de celui de son amie dans une étreinte sincère.

Là, tout contre Alex, elle était si bien qu'elle aurait souhaité que cet instant dure toujours.
Elle ferma les yeux, se laissant aller contre le corps chaud de la louve ailée, la laissant aussi les envelopper de ses ailes. Là, il faisait chaud et elle se sentait protégée, comme dans un cocon où rien ni personne ne pourrait l'atteindre pour lui faire de mal. Par ce qu'Alexandrine était présente pour veiller sur elle, encore si vulnérable, blessée et hantée par cet événement qui, à la base, ne devait être qu'une partie de chasse entre amie, commencée dans la bonne humeur.
Elle se serra un peu plus contre l'autre louve.

Pourquoi les choses s'étaient-elles passées comme cela ? Pourquoi était-elle tombée la première ? Elle était, pourtant, d'elles deux, la plus âgée, la plus expérimentée. Mais il avait fallu qu'elle perde et qu'Alexandrine se retrouve à gérer son sauvetage en plus de sa propre survie.
Par ce qu'elle n'avait pas su la protéger. Par ce qu'elle n'avait pas su écouter les recommandations d'Anette et, par ce que, pire que tout, elle avait mis Alexandrine en danger. Comme pour les lycaons, l'histoire se répétait et tout ce qu'elle avait pu mettre sur le dos du panseur qui s'était trouvé en compagnie de son amie, cette nuit là, elle le ressentait à son propre égard, désormais.
Cette immense culpabilité.

Elle la sentait, cette odeur métallique sur le corps d'Alexandrine. Elle aussi, avait été blessée par le prédateur. Souffraient-elle désormais des mêmes maux ? De cette douleur, la nuit, au moindre mouvement ? De ces images, qui revenaient sans cesse ? Connaissait-elle un sommeil serein ou, au contraire, était-elle comme elle, à sans cesse s'éveiller en ayant l'impression d'être poursuivie ?
Combien de temps lui faudrait-il, leur faudrait-il, peut-être, pour oublier tout cela ? Non, il n'était pas question d'oublier : Seulement de relativiser et de tirer des leçons claires de cet échec cuisant.

Là, elle ne voyait que le négatif : La douleur, la peur, les marques qui, à jamais, peut-être, marqueraient son corps. Et cette culpabilité, évidemment.
Ses épaules furent secouées par un sanglot, sans qu'elle ne cherche à le retenir. Quitte à paraître misérable, autant y aller à fond. Peut-être que cela leur ferait du bien, de parler, de s'ouvrir sur cet événement encore si récent, aussi.

- J'ai... J'ai eu si peur... J'ai cru que j'allais mourir...

Elle se tassa, un peu, comme pour se cacher sous les ailes d'Alexandrine. Sur ses joues cerclées de bleu, ses larmes coulèrent, mouillant également le poil du torse de son amie beige.
Elle était si vulnérable. Si faible.

- Tu m'as sauvé la vie... Je ne te remercierai jamais assez pour cela. Je suis désolée de t'avoir entraînée là dedans. Comment tu te sens ?

Ses paroles manquaient de cohérence, de lien entre elles.
Mais ce n'était pas grave, elle n'était pas là pour faire un discours somptueux et savait, espérait, du moins, que son amie ne la jugerait pas pour cela.

Elle était dingue, Alex.
Pas dingue dans le sens barge, avec des idées pas nettes, des idées incohérentes, presque effrayantes où qui laissaient des doutes quant à leur possible réalisation. En fait, le mot dingue n'était même pas approprié et ne lui ressemblait pas : Elle était incroyable, surprenante.
Elle était Alex, celle qui se dressait, étalant sur le sol l'ombre de ses ailes imposantes pour faire fuir les doutes et les peurs.
Elle était son amie.
Elle était son tout.
Irremplaçable, inégalable.

De ses mots, elle parvint à apaiser la douleur dans son coeur, comme elle l'avait fait plus tôt et à sécher ses larmes. Holly cessa de pleurer pour se redresser, se sentant un peu plus forte.
Tant qu'Alex serait là, elle serait forte.
Tant qu'Alex serait là, elle serait vivante.

Ses yeux bleus se posèrent sur les prunelles vermeilles de son amie et sa voix fut plus tranquille. Elle ne sanglotait plus, elle se tenait là, plus fière, bien qu'amochée. Elle tirerait des leçons de cet événement, chasserait les cauchemars de ses songes pour devenir de plus en plus forte, pour ne jamais plus se retrouver à terre, à la merci d'un prédateur.

- Tu l'es déjà, mon bouclier. Tu l'as toujours été.

Un sourire un peu branlant vint étirer les coins de ses babines.
Branlant, il ne le fut qu'un instant, gagnant en assurance. Son regard lui, étincelait de reconnaissance, d'affection et de bien d'autres choses encore.
Mais aussi, elle réalisa. Elle réalisa qu'elle ne pouvait se permettre de flancher au moindre obstacle, au moindre souvenir ou évènement un peu douloureux qui venait se graver dans sa mémoire. Elle n'avait pas le droit d'être fragile, elle, l'aînée, la conseillère, celle qui avait la confiance de Pepper.
Il lui fallait être forte, inébranlable, comme l'était son amie.

- Je serai ton Épée.

Elle manquait de puissance pour s'ériger en protection mais se montrerait assez maligne, assez sournoise, assez farouche pour venir à bout de quiconque viendrait blesser, ne serait-ce qu'un peu, sa précieuse Alexandrine.
Elle lui serait dévouée, jusqu'au bout.
Son museau vint toucher le sien.

- On mourra. Mais je t'interdit de tomber avant moi.

Elle avait besoin d'elle.

Quelque chose avait changé.
Évidemment, la relation qu'elle entretenait avec Alexandrine avait connu différentes étapes. Elle avait été la petite louve énergique, protégée par une ado bien trop sérieuse, puis était devenue confidente, amie fidèle, complice. La frontière était mince, entre chaque étape. Comment interpréter chaque sentiment qui la poussait à chercher la compagnie d'Alexandrine et à venir se réfugier près d'elle, avec une confiance aveugle et une affection sans borne.
Tout était flou, incertain, incontrôlable.

Est-ce que c'était sain, tout cela ?
Ça ne faisait pas mal, en tout cas. Pas pour l'instant.
C'était juste... étrange, quelque peu perturbant. Elle aurait aimé faire place net, réfléchir, avoir une limite bien définie entre chaque chose pour tout bien organiser. Ranger les sentiments dans de petites cases carrées dont il ne seraient jamais sortis.
Mais c'était trop simple et, probablement, trop demander.

C'était des questions qu'elle ne souhaitait pas se poser, pour l'instant. Alors elle les enfouit, là, profondément, se contentant de vivre ce qu'il se passait actuellement, de sourire à ses paroles.

- Ça ne va pas être pratique, si l'on doit s'arranger pour ne pas tomber l'une avant l'autre. J'imagine que nous sommes bonnes pour toujours tenir.

Sans qu'elle le sache, ses paroles venaient de faire écho aux pensées d'Alexandrine.
Si seulement c'était possible... Si seulement.

Alex bougea un peu, glissant son museau le long de sa mâchoire... Pour la faire basculer en arrière.
Holly serra un peu les crocs, appréhendant le moment ou ses plaies se retrouveraient en contact avec le sol rocailleux mais... Mais il n'en fut rien. Elle faisait attention, quand même, un peu, Alex, à ne pas lui faire mal, à ne pas rouvrir ses plaies encore bien douloureuses.
Là, comme ça, c'était parfait et elle se sentait bien.

Elle se cacha sous l'aile d'Alexandrine, pour ne pas être vue, le rouge lui montant un peu aux joues. C'était... Trop bizarre et elle avait cette impression que son amie pouvait, à chaque instant, connaître toutes ses pensées. Qu'il suffirait d'un regard, pour que tout soit découvert et que, potentiellement, leur amitié s'en retrouve perturbée.
C'était embêtant. Il lui fallait se cacher, faire comme si de rien n'était.
Mais comment faire comme si de rien n'était, lorsque son cœur battait si fort ?

- Je ne fais déjà que ça, me reposer. Mais j'imagine qu'une petite sieste en bonne compagnie ne me fera pas de mal.

Elle sourit, son front venant se presser contre le torse musclé de l'autre louve.
Lorsqu'elle sentit son amie s'assoupir, Holly se permit un regard vers son visage, si paisible. Pas longtemps, par ce qu'il n'était pas de bon goût que de fixer les gens dormir.
Elle ferma les yeux à son tour, sans se défaire de son sourire, se laissant gagner par le sommeil.