« D'une reine à une autre » PV Anette

« D'une reine à une autre »
Anianka & Anette

Au cœur des grandes montagnes célestes qui séparaient le territoire des anciens Lazulis et celui des Etelkrus se trouvaient d'étroits sentiers parfois couverts par de petites forêts. Les arbres se tordaient à certains endroits sur ce terrain aux multiples reliefs et de nombreux pics rocheux montaient ci et là jusqu'à frôler le ciel et disparaître derrière les couches nuageuses. La prêtresse de Moiro n'avait pas pour habitude de s'éloigner autant de l'île de sa déesse mais il arrivait que parfois certains la voient vagabonder et disparaître derrière les anciennes frontières. Personne ne savait ce qu'elle faisait ni où elle allait car la suivre n'était pas toujours aisé, elle disparaissait dans l'ombre et on ne la retrouvait plus. Il faut dire qu'avec le temps Anianka connaissait bien le territoire et elle pouvait cerner grand nombre d’effluves familières.
Cependant aujourd'hui était un jour différent et une odeur particulièrement curieuse attira son attention. Elle provenait du sud et à en cerner son manque de subtilité elle soupçonnait un de ces méprisants et prétentieux Etelkrus. Bien décidée à en savoir plus sur l’identité de cet étranger, elle orienta son pas gracieux vers celui-ci. Plus elle s'approchait et plus elle discernait des particularités qu'elle avait déjà rencontré, il s'agissait donc d'un individu qui avait croisé son chemin auparavant. Au fond d'elle, la prêtresse de la tigresse espérait qu'il s'agisse d'un individu en particulier, d'une certaine louve qui l'avait intriguée.

Parce que leur rencontre était inévitable, Anianka le savait.

Elle accéléra le pas et se mit à trottiner souplement entre les rondins de bois et les rochers.

Cette odeur.. C'est le sienne.

Elle s'arrêta soudainement et presque sans un bruit. Une patte encore relevée et le bas du dos abaissé, elle tourna la tête et ses prunelles brillantes se posèrent sur elle. Aucun sourire sur son visage, mais une expression à la fois surprise et agréable alors qu'elle se redresse pour se tenir droite.

Bien le bonjour, Alpha Anette.

Car c'est ainsi que sa fille l'avait nommé lorsqu'ils étaient venus la chercher, Anette. La rouge fit un léger mouvement de la tête pour accompagner sa salutation avec respect mais ne lui offrit pas une révérence digne de ce nom. Anianka ne pliait son corps que devant sa tendre Moiro, mais obtenir son respect n'était quand même pas autorisé à n'importe qui alors cela prouvait qu'elle portait l'autre louve en haute estime.

Je ne m'attendais pas à vous voir en ces lieux.

Elle paraît si sérieuse, sa voix est neutre et calme.

Elle marchait.
Elle préférait, désormais, cette allure lorsqu'elle avançait seule. Elle ne courrait plus qu'avec Alexandrine et Léo, dans cet environnement contrôlé en présence de quelqu'un d'autre. Ce choix prudent occasionnait cependant un inconvénient : il fallait plus de distance pour obtenir le même épuisement, sans quoi le soir, il lui était difficile de trouver le sommeil. Déjà assez de plantes dans son système à son goût, Anne préférait trouver un équilibre autrement et tester sa routine. Le choix donnait également ainsi l'opportunité d'admirer le paysage.

Et de croiser d'autres âmes.

L'odeur lui vint d'abord, la vue s'ajouta assez vite, mais pas sans lui avoir laissé le temps de placer son corps elle aussi. Une attitude sans doutes prévisible, queue dressée, pattes ancrées dans le sol, oreilles pointées et un regard terne. Elle présentait sa neutralité en toute lisibilité.

La mère de Mildred prononça une salutation qui, si succincte, put au moins être qualifiée de respectueuse. La louve n'était pas noté favorablement dans son esprit, au vu de ce qui avait pu transpiré lors de sa "venue". Anette n'oubliait jamais rien, mais jugeait aussi surtout en fonction du présent. Alors, les yeux de suie toujours dénués de sentiments dans une prudence, bien cachée de son interlocutrice, elle pencha la tête, imitant ce que la louve rouge-orangée avait effectué.

"Prêtresse Anianka."

Une seconde se passa, dont elle profita pour, ultimement, s’asseoir.

"Mildred se porte-t-elle bien ?"

Puis-ce qu'elle se croisaient, pourquoi ne pas prendre des nouvelles et ainsi commencer sur un sujet plus mondain que le reste.

Prêtresse Anianka

Elle ne daigne s'approcher plus près, restant à une distance raisonnable et surtout sécurisée de l'autre louve. Anianka n'est pas une idiote, bien que parfois son comportement peut le faire croire elle est au contraire très avisée et réfléchie. Son regard d'ambre jauge au loin, ce corps si bien sculpté, si élégant et puissant. Elle est admiratrice car rares sont les louves à avoir autant de prestance et c'est pour cela qu'elle est respectueuse et sérieuse. Sa queue se lève haute derrière en réponse à la dominance adverse, elle n'était pas là en temps qu'ennemi mais il n'était pas question non plus de se montrer en temps que subordonnée, elle gardait tout de même de la fierté.

Un premier sourire, léger sur ses douces babines.

Mieux que jamais.

Elle laissa passer quelques secondes durant lesquelles sa queue sinua gracieusement en arrière plan. Quelques oiseaux s'envolèrent près d'elles et Anianka se permit de les observer s'éloigner.

Certainement grâce à vous. Rajouta-t-elle avec peine avant de faire revenir ses yeux dans celles, ardoises, de la louve beige et bleue.  

Difficile de dire si elle était sincère ou non, en tout cas elle gardait une expression sérieuse.

Pourquoi l'avoir recueillie, alors que vous saviez quelle était son appartenance ?

N'était-elle pas une bâtarde à leur yeux, une sauvage, une barbare insignifiante qu'il faut chasser ou éliminer ?  Peut-être que tout ceci était un piège.. pour briser ce qu'elle avait mis tant de temps à reconstruire : une famille.

La question lui évoqua d'abord de la confusion, avant qu'elle ne finisse par se remémorer ce que son père avait pu lui raconter. "Noroï not' prêtresse, qu'à eu des enfants 'vec uh... j'ai pu son nom, l'Alpha Lazuli. Alpha Ezekhiel était dingue pask' elle avait rien dit, ptet' à raison vu comment y ont pris la nouvelle mais j'me dis qu'c'aurait rendu ça moins pire ? Y'a Nout et j'sais pu qui d'autre qu'étaient com' moi à dire que c'tait que des gamines qu'y'avait qu'à voir avec l'aut' mère mais. Prrrrrrfrt. Z'étaient réac' un peu, pour eux c'tait des 'batards' alors qu'ça avait pas d'sens on avait pas d'lignée... Les meutes v'naient d'et' formées." Son regard vira un instant dans le vide, le temps de rassembler toutes les bribes d’informations de la discussion et de s'engorger de nostalgie vis à vis de feu son paternel.

"Par leur appartenance voulez-vous dire celle qui vous a été affublée jadis, Prêtresse ?"

Pour expliciter cette phrase, elle se lança un peu plus longuement. Elle s'assura de garder un ton sobre, qui ne dépasserait jamais un volume respectueux.

"Depuis, ces dirigeants sont morts et un second duo d'Alpha a eu le temps de nous passer le pouvoir. À nous, deux femelles." Elle secoua la tête. "L'un de vos anciens chefs est décédé chez nous, et nous l'avons enterré avec les honneurs. L'autre est le frère d'un de nos conseillers. Un dôme a eu le temps de naître et mourir, ses stigmates sont en train d'être réparé avec l'aide de certains des nôtres."

Elle revint soutenir son regard à nouveau, clignant lentement des paupières, aucune variation de ton dans la voix quand elle annonça la suite.

"Tout cela était déjà du passé à nos yeux. Et parce qu'au-delà de tout, même si ce jugement absurde du passé avait compté... Elle n'était qu'une enfant, perdue et déracinée de sa famille immédiate."

Elle inspira une rasade d'air.
Voilà pourquoi.

Prêtresse Anianka

Immobile sur ses fines pattes, seule sa queue sinuait derrière sa silhouette gracieuse. Son attitude avenante se crispa en écoutant les paroles qui suivirent, son regard devint légèrement plus obscure. Alors ainsi elle était informée de l'acharnement de sa meute contre elle et sa famille des années auparavant ? Cette histoire était-elle devenue une anecdote à leur règlement racialiste ? Était-elle comme eux, aussi radicale et chauvine ?

Elle écouta sans se prononcer, une expression méfiante parfaitement lisible sur son minois. Tout était analysé, du mot à l'intonation, de la gestuelle à la mimique. Le moindre faux pas aurait des conséquences dramatiques car son opposante jusqu'ici admirée pourrait bien passer au statut d'ennemi. L'inquisitrice ne portait pas sa réputation pour rien, c'est ainsi qu'elle jugeait son entourage et adaptait son comportement.

Et dire qu'autrefois, c'était les Lazulis qui étaient dirigés par deux femelles. Ce changement chez les Etelkrus avait déjà suscité l’intérêt de la prêtresse dans le passé mais elle s'était focalisée sur sa propre meute qui lui avait tourné le dos. A croire qu'elle était destinée à ce que chaque meute agisse de la sorte.

Ses paupières s'abaissent longuement avant de s'ouvrir pour offrir un regard neutre sur l'Alpha Etelkru.

Vous avez fait preuve de plus de tolérance que vos prédécesseurs, cela va de soi.

Certes, mais il va falloir faire bien plus que ça pour gagner sa confiance et apaiser son coeur.

Ses yeux se plissent avant de continuer.

Comment réagiriez-vous si cela se reproduisait aujourd'hui avec l'une de vos prêtresses, Anette ? Ou qui sait, avec votre compagne ?

Prêtresse Anianka

Anianka écouta, le visage inexpressif. Anette semblait bien plus sage que les anciens Etelkrus et la prêtresse regretta de ne pas être née plus tard. Qui sait ce qu'elle serait devenue alors..

Nos anciens chefs n'ont jamais porté de jugement sur sa descendance alors il n'y avait aucune raison pour qu'elle veuille partir, surtout qu'il s'agissait d'une prêtresse et qu'elle chérissait son dieu au même titre que moi.

Elle avait déjà eu l'occasion de la voir, surtout lors des réunions. Ainsi que ses enfants.. Bien que ça ne se soit pas toujours très bien passé.

Le regard d'Anianka ne cilla pas, toujours rivés dans les prunelles de la bleue.

Évidemment, bien que les Lazulis n'aie jamais montré une quelconque hostilité envers votre meute.

La décision prise par les premiers Alphas était donc purement racialiste et injuste, c'est un fait. Alys lui même était venu s'excuser pour ses torts et il en avait payé le prix fort. Quand bien même la décision venait des supérieurs, la meute entière était restée muette face à ce jugement et Anianka avait mémorisé chaque visage dans sa tête pour sa vengeance.

Vengeance qui aujourd'hui est apaisée, ou plutôt écartée par d'autres priorités. Et la priorité aujourd'hui c'est la survie de ses enfants.

Je suis rassurée par votre sagesse, Alpha Anette. J'espère que ceux qui vous succéderont garderons vos valeurs et vos principes.

Pour le bien des générations à suivre. Elle esquissa un sourire, yeux clos et baissa le museau, sa mèche couleur sang lui tomba sur la moitié du visage.