Le roi et la reine - Miraj

Prenant de l'âge, il n'était plus étonnant, pour sa mère et pour ses soeurs, qu'Iberis préfère une autre tanière à celle familiale.
C'était, en fait, un stratagème auquel il avait pensé en amont pour ne pas éveiller les soupçons : Personne ne s'inquièterait de ne pas l'avoir vu, l'après midi, il espérait, si elles partaient du principe qu'il était, désormais, un jeune mâle autonome. Avec cette conviction en tête, Iberis s'était mis en chemin, traversant le bras de mer pour rejoindre la lagune, puis l'Atoll.
Enfin, ce sera son dernier arrêt.

Dans le ciel, les étoiles étaient déjà présentes.
Le jeune mâle s'avança, assuré... pour mieux s'arrêter.
Il ne pouvait aller trouver sa belle en si piteux état ! Son poil et ses cheveux étaient encore tout collés par le sel et en portait l'odeur. On l'avait vu plus présentable, et pour telle occasion, il ne souhaitait se montrer ainsi.
Alors Iberis chercha un point d'eau dans lequel il pourrait faire une toilette sommaire, en vain : Il ne trouverait rien ici, à moins de s'enfoncer dans la jungle. Pouvait-on, d'ailleurs, trouver dans un lieu pareil, autre chose qu'une eau sale et trouble ?

Des doigts de ses pattes, il entreprit de démêler les cheveux et en s'ébroulant vigoureusement, de chasser un maximum d'eau et de sable de sa fourrure sombre.
Voilà qui serait mieux que rien.
Il avait, par ailleurs, ramené des terres Etelkrus un bouquet de fleurs rouges, gardées hors de l'eau afin de ne pas en abîmer les pétales.

Iberis reprit sa marche, jusqu'à apercevoir la fine silhouette de celle qu'il cherchait.

- Bonsoir.

Elle avait changé.
Oh, pas qu'il soit assez sot pour imaginer qu'elle était restée la petite louve, pré-adolescente, aux grands yeux candides. Il avait grandi et, par conséquent, elle aussi. Mais il notait chez la femelle des changements différents de tout ceux qu'il avait pu constater sur les loups, et surtout les louves, de sa génération : Son pelage avait foncé, sans que cela soit anticipable lors de leur dernière rencontre.
Elle était, ce soir, encore plus jolie que lors de toutes leurs précédentes rencontres.

- Ce soir était le moment opportun. Mais j'ai pensé à toi bien avant.

Il lui sourit, lui aussi, déposant à ses pattes le bouquet cueilli pour, de son museau, caresser son front.

- Leur beauté ne peut rivaliser avec la tienne.

Iberis était, de façon générale, bien peu touché par la beauté des fleurs.
Actuellement, ses pensées étaient comblées, embrumées par tout autre choses. Des choses. Il y avait la présence de la plus jolie des filles de son âge -et il était fier de la savoir sienne, d'une certaine manière- et, aussi, pour ne rien cacher, cette fragrance envoutante découverte, pour la toute première fois, lors de cette saison là.
Ils grandissaient et leurs corps changeaient, de toutes les manières qu'il soit.

La pureté de l'enfance n'était plus vraiment : il ne savait que penser de cela, quelque peu perturbé, mais surtout ensorcelé par ces sensations et par ces envies nouvelles.
Et maintenant, il ne pouvait plus la lâcher du regard.

Non, vraiment.
Il n'y avait, dans leur attitude, plus rien qui pourrait laisser penser à des jeux d'enfants innocents. Dans celle de Miraj qui, si elle avait toujours été tactile, l'était d'une façon singulière, désormais.
Iberis les avait senties, au Castel, les chaleurs. Comment passer à côté, lorsque l'on était né et que l'on grandissait entouré de filles ? Mais il y avait là, avec, elle, Miraj, quelque chose de différent qui, sournoisement, venait davantage troubler ses pensées.
Le troubler tout entier ?

Elle savait jouer de ses charmes et c'était un jeu auquel il voulait bien jouer.
Confus, mais pas rustre, il lui sourit en retour alors que son regard, encore et encore, accrochait sa fine silhouette qui, devant lui, marchait.
De quelques longues enjambées, il se plaça à ses côtés : c'était là, qu'il souhaitait être, plus que derrière elle.

- C'est un programme séduisant, ma Reine.

Mais pas tant qu'elle ne l'était, elle.
A son tour, Iberis laissa son corps frôler le sien, du bas d'une épaule contre le haut de celle de la louve, plus petite que lui, d'une queue venue effleurer son flanc ou d'un museau qui, doucement, repoussait affectueusement une mèche de cheveux.
Dans cet état et dans cet instant, il n'était pas présent sur cet plage pour apprécier le doux clapotis des vagues contre le sable et la vue des astres luisants dans leur ciel d'encre.

Dévoué à elle et perdu en ce lieu inconnu, il la laissa le mener comme elle l'entendait.

Il s'en fallut de peu pour que sa patte ne heurte ce petit rocher, devant eux, ce qui aurait pu le faire chuter.
Ca aurait été parfaitement ridicule ! Iberis ne pouvait donc que lui être reconnaissant pour cet avertissement donné. Ils étaient là, les risques pris, lorsque l'on préférait laisser trainer son regard sur le corps d'une jolie fille que sur son chemin.
D'abord surpris, il reprit, cependant, bien vite contenance.

- Heureusement que tu étais là pour m'avertir.

Il voulait bien avouer cette maladresse et, de ce fait, flatter un peu Miraj.
L'adolescent sourit encore, enivré de ces contacts qu'elle lui offrait sans s'en montrer avare. Il était bien, là, avec elle sur cette plage et ne pensait plus, et ce n'était pas comme si il y avait bien souvent songé, aux retombées et aux remontrances que pourraient susciter ses petites virées en terres libres.
Iberis hocha la tête, sans se défaire de son sourire.

- Alors il me faudra rester à tes côtés jusqu'au matin afin que tu puisses me montrer la jungle.

Il n'avait jamais vu de jungle et, curieusement, l'idée de passer une nuit entière aux côtés de cette princesse de la plage n'était pas pour lui déplaire.

- Furent-elles nombreuses et divertissantes, ces rencontres ? Le pouvoir des ombres est-il toujours tien ?

Lui, s'ennuyait parfois en terres Etelkrus. C'était un grand royaume, mais ce que l'on pouvait trouver à l'extérieur était, à son humble avis, bien plus exaltant.

La flatterie fut, évidemment, appréciée. Il était toujours agréable de l'entendre l'appeler ainsi, joli garçon et, sûr de lui pour ce qui était de son physique, il n'allait certainement pas la contredire.

Il l'écouta lui parler de ses rencontres et hocha doucement la tête.

- C'est une façon intéressante de voir les choses.

Lui, relativisait moins bien : il peinait à voir quelque chose de positif ou tirer un quelconque intérêt dans les rencontres oubliables : trop nombreuses à son goût. N'en ressortait qu'une profonde lassitude et l'impression de ne pas être compris. Ca n'aurait pas été grave, si ces individus, si fades, ne faisait pas partie de son propre clan.
Des rustres, voilà tout ce qu'ils étaient.

Iberis écarquilla les yeux, lors de la démonstration de son pouvoir.

- Ne peux-tu pas demander à ton Oncle de te laisser jouir éternellement de ce don ? Dans le cas contraire, j'imagine, effectivement, que tu sauras trouver autre chose de surprenant.

Il aurait aimé, et espérait toujours, posséder, un jour, un talent si singulier.
Mais lui n'avait pas d'Oncle magique, pour le gâter, il n'avait...

- Cela dépend. Je me passe volontiers de la compagnie des rustres et des idiots. Mais certaines rencontres furent intéressantes, dont la tienne, ma Reine ~

Il lui offrit un sourire qui se voulut ravageur et, puisqu'elle se trouvait à sa portée, l'attira contre lui, d'une patte musclée.

Iberis hocha la tête.

- Il est noble de ta part de vouloir le préserver. C'est un projet intéressant, qu'il a là.

De quoi lui donner davantage l'envie de faire la rencontre de cet être si puissant. Mais peut-être pas autant que pouvaient l'être les Divinités, du moins, celles Etelkrus, puisqu'il lui restait des recherches à faire et qu'il ne pouvait, lui, maintenir les pouvoirs durant des années.

Le sourire complice de la louve lui fut immédiatement rendu et il plissa les yeux tout en approchant son museau de son oreille, à son tour.

- Ah oui ?

Leur échange prenait des dimensions plus intéressantes encore qu'une simple balade sur la plage, à son humble avis. C'était un jeu, si l'on pouvait nommer cela ainsi, amusant, que celui de la séduction.
La plage était déserte et, par conséquent, personne ne viendrait troubler leur tranquillité. Ce serait peut-être l'occasion pour aller un peu plus loin, de se montrer un peu plus proches...
Curieusement, l'idée ne lui déplaisait pas.

Son museau glissa dans son cou et son sourire s'élargit.

- Je pourrais affirmer la même chose, ma Reine. De toutes ces rencontres, tu es la plus merveilleuse.

Las, il ne l'était pas.
La plage n'était pas un endroit très agréable et il n'aurait pu rêver d'un endroit plus romantique. Il aurait peut-être même pu se trouver dans un endroit bien moins charmant, que cela ne l'aurait dérangé, tant qu'il se trouvait en sa charmante compagnie.
Lorsqu'elle recula, lui la dévora un peu plus du regard, avant de lui emboîter le pas pour qu'elle le guide jusqu'à son palais.
Ses désirs seraient des ordres, ce soir.

Rien de ce qu'elle lui demandait n'allait pour le contrarier, de toutes manières. Pas même cette courte attente, puisqu'elle lui revint, toujours si tactile, mais bien moins innocente.
Les y voilà donc.

Iberis se laissa attirer vers elle et profita de cette proximité pour la serrer contre lui, doucement, alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine.
Il s'interdisait le moindre embarras face à cette situation inédite et se voulait être un jeune mâle plein d'assurance, lorsque, du bout du museau, il vint caresser sa joue pour remonter jusqu'à son oreille.
Se laisser guider, c'était bien, mais il ne souhaitait, tout de même, pas rester totalement passif dans ce jeu de séduction.

- Que tu es belle, ma Reine.

Ce fut un murmure déposé précautionneusement dans cet oreille proche.
Son regard embrasé vint chercher le sien, en quête d'un dernier accord.

Il n'était toujours pas rustre.

Il sentit la chaleur lui monter aux joues alors que leurs corps se rapprochaient, toujours plus, en cet instant qui n'appartenaient qu'à eux deux.
C'était peut-être la première fois qu'il partageait quelque chose, un instant, en l'occurrence, d'aussi fort avec quelqu'un, quelque chose qui outrepassait, et de bien différent, heureusement, que ce que permettaient les relations familiales et qui le faisait se sentir différent, plus adulte, peut-être.

C'était incroyable et il ne s'était jamais senti aussi aimé... et compris, peut-être, que lorsqu'il se trouvait avec elle, si élégante ou, au moins, bien moins rustre que l'étaient les siens. Il se dit qu'avec elle en tant qu'Etelkru, Iberis se serait peut-être sentit moins seul et un peu moins perdu, parmi les rustres.

Ils partageaient bien plus qu'un instant, pensait-il et il en était fou, transporté par un tourbillon étrange de sentiments et d'hormones, de tout ce que pouvait ressentir un adolescent qui découvrait la vie, l'amour et bien d'autres choses encore.
Il était sien et elle était sienne. Peut-être pour cet instant ou peut-être pour toujours. Il ignorait ce qu'il espérait, mais savait qu'il était bien.

Enfin, sa gueule se fit plus proche de la sienne et il sourit.

- Je t'aime, ma Reine.

Pas de mensonges, car il ne mentait et pas de recherche pour dire de jolies choses, des choses qui la surprendraient, en tout cas, tant tout ceci lui semblait naturel, là, maintenant.

Iberis se coucha au sol, ses yeux cherchèrent ceux de sa femme et, une patte, caresser ses cheveux bicolores.