Là où tout à commencé [Libre]

• 8 ans et demi •
F A E I

Le mâle étira ses pattes dans l'eau avec langueur. Il avait passé un bon moment à barboter sous le ciel ensoleillé et avait fini par s'assoupir à demi, ainsi allongé dans l'eau. Heureusement que la marée était descendante, sinon elle l'aurait probablement noyé. Quelle mort indigne de lui ! Jaxx roula des épaules, ses articulations craquèrent sèchement. Malgré tout ses efforts, ses années de captivité avait laissé des séquelles sur son corps d'athlète : il avait vieilli avant l'heure ! Dans un soupir, le blanc et vert se leva enfin, se secoua pour s'essorer un peu et remonta vers le sable sec où il entreprit une toilette minutieuse. Il délia son poil à coup de langue généreux, gratta sa peau salé à l'aide des crocs et finit par relever ses cheveux en crête. La journée était largement entamée, et il allait être question de trouver un petit abri pour la nuit. Le solitaire n'était pas de ces loups sans meute quand même sédentaire. Il aimait -d'autant plus après avoir passé tant de temps en cellule- changer de lit tous les soirs et découvrir d'autres petits paradis cachés ça et là dans les forêts, les falaises ou encore les montagnes. Il suffisait d'avoir un oeil averti. D'ailleurs son regard le fut tout de suite, averti ! Remarquant la présence d'un congénère inopportun qui sortait d'un trou pour aller observer l'horizon.

Oh. Mais c'est qu'il le reconnaissait ! Enfin, la. C'était la louve de l'Atoll, celle aussi qui avait partagé un court temps de son emprisonnement chez cette meute qu'il avait juré de détruire, un jour ou l'autre. Quand il n'aurait pas la flemme, et surtout qu'ils auraient les idées !

« Ne serait-ce pas un poisson globe que j'aperçois ? »

Lança le mâle blanc, avec un sourire des plus charmants et de la malice dans la voix.

• 8 ans et demi •
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Jaxx était un solitaire sociable et joueur. Recevoir une si belle réponse, dans un ton similaire au sien ne pouvait que le réjouir et lui donner envie de chercher plus encore la petite bête. Octavia avait -en plus d'être fort désirable- un humour piquant qu'il appréciait beaucoup. Théâtral, le loup blanc et vert posa une patte sur son poitrail, faussement offusqué.

« Papy ? Moi ? »

Comme un coq, il gonfla le poitrail, se tint droit sur ses pattes, leva haute la truffe et la queue. Il était loin d'être un vieillard ! Le solitaire était dans la force de l'âge, et ces petites ridules autour des yeux ne faisaient qu'ajouter à son charme naturel ! Et certes, il avait un peu fondu, mais c'était pour laisser plus de place à ces dames, voyons ! On trouvait des excuses hein. Satanés Etelkrus qui lui avaient gâché l'existence. Enfin, en partie.

« On ne m'y reprendra plus, ces sauvages ne savent pas comment dire merci ! »

Le sourire de la femelle colorés lui réchauffa les entrailles. C'était bien plaisant à voir et elle était plus que charmante. Plus il l'observait, et plus il l'a trouvait changée. Sa captivité n'avait pas été si longue et il n'en voyait nulle trace sur son corps de sirène. Elle semblait pourtant plus... Lasse. Plus... Mature ? Il y avait quelque chose dans son regard, comme quelqu'un qui a maintenant des responsabilités en plus. Peut-être même que quelque chose pesait sur ses jolies épaules ? Il souffla des narines, suspicieux, mais il ne pouvait -ne voulait- surtout pas refuser une telle proposition, même si le sarcasme mordant lui titilla la langue. Allez. Il n'allait pas faire son gosse et la tirer... Il valait un peu mieux que ça !

« Je ne saurais refuser telle invitation d'une si belle Dame ! »

Elle lui fit une place, balayant même le sable pour qu'il y soit confortable. Tant de naturel et de sympathie dans ce geste anodin. Il n'était pas habitué et cela le fit hésiter à s'asseoir exactement là. Jaxx plissa ses prunelles de miel, méfiant. Y avait-il un piège ? Un crabe caché qui lui pincerait le postérieur ? Mais le sourire d'Octavia lui donnait envie, pour une fois, de faire aveuglément confiance à quelqu'un. Alors il obéit à la femelle et vint s'asseoir juste à côté d'elle. Ainsi proches et assis dans la même position, il était un peu plus grand, et pouvait observer son minois avec attention, se noyer dans les prunelles améthystes. Tiens, il n'avait jamais remarqué la douceur de son regard. La solitaire devait être une vraie gentille... Pas comme lui, au regard de son passé mouvementé.

« Tu serais là pour le soigner, j'espère~ »

Souffla t-il dans un grand sourire mutin.

« Oh, et j'ai encore toutes mes dents ! »

Il aurait plutôt tuer les Etelkrus un par un plutôt que de se laisser arracher les crocs, non mais.

• 8 ans et demi •
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Le museau du mâle blanc se plissa à l'énoncé des Etelkrus et de leur prison humide et puante. On n'avait idée aussi vicieuse d'enfermer ainsi quelqu'un, de le priver du besoin fondamental et vital de liberté et de mouvement. Ainsi entravé, seule la colère et la haine pouvait perdurer. Qui donc avait fini par culpabiliser au fond de sa cellule et de se repentir plutôt que de fomenter des plans d'évasion ou de vengeance ? L'expression de Jaxx se fit plus dur encore, quand la louve exprima le soulagement de n'avoir été violemment malmenée par ces rustres. Encore heureux ! Si d'aucun avait essayé de la toucher...

« Je ne les aurais pas laissés faire. »

Il y avait là peut-être une petite pointe d'envie certes pour son poisson-globe -après tout, il avait l'oeil averti en matière de belles sirènes-, mais plus encore, l'idée même qu'on puisse manquer à ce point de respecter une femelle lui tordait les boyaux... Il y avait énormément d'actes que l'on pouvait expliquer, parfois excuser... Il ne se sentait coupable concernant son parricide que de la peine infligée à sa demie-soeur, par exemple. Un peu aussi, d'avoir été si facilement manipulée par sa propre mère. Mais jamais toucher une femelle de cette manière n'était compréhensible ou acceptable. Jamais. Il était là un des rares principes que jamais on ne saurait lui faire transgresser. Et pourtant il était mâle à louves, il était charmeur et plein de désirs pour beaucoup d'entre elles sans chercher plus à les connaître. Il n'y avait de mal à conquérir un corps et un coeur quand on était accepté par l'autre. Imaginer donc qu'on aurait pu vouloir du mal de sa sirène. Qui ne lui appartenait en rien, mais vous savez, l'égocentrisme et la fierté de certains solitaires nomades leur montaient un peu à la tête, parfois...

Et puis ils avaient partagés un temps en prison ensemble, cela suffisait, à ses yeux, à avoir créer une forme de complicité entre eux. Sans doute à sens unique. Les prunelles de miel coulèrent de ce beau museau pâle à cet abdomen qu'Octavia tapotait distraitement. Les idées s'associèrent et il comprit qu'elle avait été, qu'elle était devenue, entre temps, mère. Cette pensée le déstabilisa un court instant. Un peu de jalousie pour celui ou celle qui avait partagé la couche de cette charmante âme douce et libre, et surtout beaucoup d'étonnement. Il ne l'avait pas cru du genre à vouloir se poser et fonder une famille. Il ne la croyait pas non plus du genre à sa génitrice, à s'entourer pour manipuler puis éduquer un petit soldat à faire obéir. Jaxx pencha la tête sur le côté, curieux. C'était donc ça, ce qu'il voyait dans les yeux d'améthyste : une nouvelle facette était née chez la solitaire multicolore, voilà d'où venait le poids des responsabilités et la fatigue nerveuse : Octavia était donc maman. Maintenant qu'il l'avait compris, en effet, Jaxx remarquait quelques détails supplémentaires comme un bas-ventre légèrement bombé d'une peau ayant été étirée, des mamelles ayant déjà données du lait...

« Tu as l'air habituée de ces ' bisous magiques ', petit poisson. »

Jaxx retint un rire un peu gêné au contact de l'épaule de la solitaire. Il se demandait en quoi cela avait pu changer le caractère de la jolie louve, en quoi cela avait impacté sa vie et ses préoccupations et si dans ce cadre, elle accepterait quand même de le côtoyer de temps en temps. Peut-être n'était qu'un fantôme à ne croiser qu'une fois pour se rappeler l'avant et repartir de plus belle vers son après ? Ce cheminement de réflexion l'emmena plus loin, à se demander si lui, un jour, aurait l'envie ou la foi de construire un foyer. S'il un jour, la vocation de transmettre quelque chose lui viendrait... La plaisanterie de la femelle le fit sortir de ces sombres idées avant qu'il ne s'y perde trop. Un éclat de fou-rire fendit l'air et il se tint les côtes, les larmes aux yeux. Au moins l'humour tranchant n'avait pas déserté Octavia, ça il en était certain.

« C'est vrai, j'avoue, j'ai dû en voler deux à un macaque pour que ça me corresponde mieux ! »

S'esclaffa t-il en s'allongeant sur le flanc sur le sable mouillé, dans sa grande habitude d'acteur, comme si la femelle rousse l'avait bousculé trop fort. Il se remis droit ensuite, les pattes dans l'eau, régulièrement léchées par les lames d'écume et releva la truffe vers elle. Cette contre plongée au soleil couchant lui était fort favorable. Il détourna le regard dans un sourire. Il n'était pas nécessaire de la mettre mal à l'aise enla dévorant des yeux, à chaque fois. Quand même, il avait un peu plus de classe.

« Rien de bien... Stable. Des éternelles vacances au soleil. »

Et des rêves de vengeance plein la caboche.

• 8 ans et demi •
F A E I

Que le temps était cruel. A se suspendre durant ces presque deux années de captivité, à lui faire croire qu'il y vivait là depuis une éternité, et à défiler si vite qu'Octavia se retrouvait être mère de loups déjà adultes. Cruel, mesquin, railleur. Le temps se jouait de lui, parfois ennemi, rarement ami. Le solitaire soupira, n'ayant en tête que son existence gâchée, passée à jouer vainement et à se laisser dominer par ces rustres d'Etelkru. L'amertume lui barra le museau dans un rictus qu'il tourna vers l'horizon. Il y avait bien trop d'années qu'il n'avait joué au séducteur auprès des dames. Il y avait bien eu cette jeune louve noire, un soir de soleil couchant sur la plage. Apparue comme dans un songe, disparue comme une sirène. Il venait à douter de ce qu'il avait vécu ce soir-là. Rien d'extraordinaire en soit, un moment de plaisir et puis plus rien. Elle l'avait ghostée exactement comme sa propre mère l'avait fait avec son géniteur avant de l'envoyer lui, fruit d'une nuit sans lendemain, pour le tuer. Pourquoi ? Il ne l'avait jamais su... Jaxx haussa les épaules. Sa vie n'était que vide et solitude. Tout ce qu'il avait pu glaner avait été perdu...

Un tas de regrets pour un solitaire vieillissant. Il souffla par les narines, avant de rire aux paroles de la femelle. Si les années étaient passées sur elle, il n'en voyait presque rien. Elle gardait cette fraîcheur, cette malice qu'il avait découvert sur l'Atoll, il y a si longtemps. Un rayon de soleil dans un ciel bien morne. Ou alors une petite goutte de pluie ? Les yeux du blanc s'arrondirent en la voyant s'allonger une patte en travers de son encolure et lui lécher la joue. Plus mutine encore que ce qu'il avait pu croire. Il sourit, aux anges de cette initiative et encouragé dans ce jeu de séduction improbable. Il sentit son poids contre son flanc, compris qu'elle se tenait au plus prêt avant de reprendre à son oreille des mots bien incendiaires. Il la regarda du coin de l'oeil, l'or s'ancrant dans l'améthyste. Oh qu'il était tenter de se laisser jouer à ce jeu là avec elle. Et pourtant... Pourtant il voyait en elle la seule connaissance amicale dans ce monde. Là seule qu'il lui était plaisante de retrouver après toutes ces années sur une plage au bord des tropiques... Voulait-il risquer ces courts petits moments de complicité pour d'autres, moins candide ? Il était joueur, certes, mais pas flambeur.

« Des défauts ? Moi je n'en vois pas... Mais il est vrai que les requins ne sont pas réputés pour avoir une bonne vue. »

Répondit-il avec plein d'autodérision, tout en approchant sa truffe très prêt de celle de la jolie louve. Il décida qu'aujourd'hui, c'est à elle qu'il concéderait d'obéir. C'était donc à elle de choisir. Il avait fait quatre vingt dix pour cent du chemin. Si elle faisait les dix restants -bien qu'elle ai fait le premier pas-, alors il serait convaincu que le jeu en voudrait la chandelle.

• 8 ans et demi •
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Octavia était décidément aussi surprenante que délicieuse à regarder. Ses oreilles se dressèrent et il expira de contentement au contact de la belle louve. Il y avait quelque chose de naturel entre eux, quelque chose auquel il n'avait jamais prit peine de penser, quelque chose qui rendait ce lien entre eux comparable à une complicité de toujours. Un peu comme s'ils s'étaient toujours connus, un peu comme si passer du temps avec la blanche et crème était... Normal. Rassurant. Il réalisa alors, tout en affichant sur son museau un air étonné, qu'effectivement, il appréciait sa compagnie pour ce qu'elle était : de la compagnie dans sa vie de solitaire. Il sourit alors, en réponse au rire de la femelle, qui allégeait ses épaules du poids des questions -en même temps que celui de la louve alors qu'elle le quittait- et il rétorqua, mutin :

« Une nounou pour mes vieux jours ? C'est tentant... »

Son museau redevint sérieux, alors qu'il énonçait une évidence.

« Mais plus que quiconque je sais la valeur de la liberté. Et je ne serais jamais celui qui t'enchainera, jolie sirène, jamais. »

Il se releva, la rejoignit dans son théâtral mime de meutards en forçant une révérence, puis de bondir tout prêt. Elle en avait fait la demande non ? Il n'était donc que son noble obligé.

« Il vous faudra l'apprendre à la tête de bois que je suis, gente Dame. La vie en duo ne m'est pas familière, mais je ferais l'effort pour vous. »

Il lui vola un baiser avant de détaler comme un lapin, invitant d'un regard ardent son tendre petit poisson globe à un jeu du chat et de la souris, où, bien entendu, il serait le chat dès qu'elle aurait répondu à son invitation.

• 8 ans et demi •
F A E I

Malgré l'hilarité que provoquait chez lui les gestes exagérés de la femelle, il ne pouvait s'empêcher de la trouvait belle avec ses mèches folles, belle avec son regard rieur, belle avec sa moue scandalisée. Ce fût au tour de la Dame de jouer et d'avancer ses pions. En quelques bonds elle fût à son côté, si proche et volage. Loin d'étouffer la chaleur de ses entrailles, la louve colorée savait exactement comment attiser le feu qui le consumait. Il agrippa l'oreille a sa portée pour susurrer d'une voix basse où couvait le désir.

« Je suis tout à toi, Via. »

Il répondait sans plus aucunes réserves aux avances de la solitaire. N'était-ce pas censé être elle qui avait accepté les siennes ? Il n'était plus très sûr. Bon, il avait bien mieux à penser à cet instant alors qu'il se glissait tout en douceur contre le corps de sa conquête. Ou de celle dont il était la conquête.

• 8 ans et demi •
F A E I

Si l'acte charnel n'était pour lui pas une nouveauté, Jaxx découvrit pourtant une toute nouvelle façon d'honorer une femelle : mêlant sentiments encore un peu indistincts à cette étreinte toute en tendresse, il se retrouva plus attentif aux besoins immédiats d'Octavia qu'à son propre plaisir. C'était de fait une sorte de première fois, à faire plus qu'une simple réponse à un instinct primaire. Le murmure de la voix de celle qu'il avait accepté pour compagne, pour équipière de vie le fit tressaillir. C'était inattendu, c'était un aveux peut-être trop précoce pour lui qui n'avait jamais su se poser. Et pourtant, ces petits mots offerts comblèrent un vide dans sa poitrine. Il frotta sa truffe contre le museau de la belle sirène.

« J'ai hâte que tu m’apprenne ce que cela veut dire. »

Il ne se sentait pas capable de rendre à la solitaire ce même discours pour l'instant, n'étant pas parfaitement au clair à propos de ce que la louve éveillait en lui. Toutefois Jaxx refusait de laisser sa douce dans l'expectative, alors il chercha un peu ses mots avant de répondre encore :

« Je tiens beaucoup à toi. Je veux te rendre épanouie. »

A défaut de dire quelque chose qu'il n'était pas prêt à s'avouer à lui-même, lui, loup solitaire vieillissant aux relations habituellement non sérieuse et à durée déterminée à l'avance par lui, il voulait faire l'effort de découvrir en lui de quoi répondre aux attentes d'Octavia.