Disciple du roi des reptiles |Feat. Anita

Anita ne s’ennuyait pas de passer à la Moere une grande partie de son temps depuis son retour.
Après tout, plus encore que le Castel et toutes les autres terres, c’était chez elle. L’endroit où elle se sentait le plus à l’aise, la plus sereine, l’endroit dans lequel elle avait grandi, entourée de l’amour de sa famille et sous la protection du Dieu devenu sien – tout comme elle était devenue sienne.
Et rien, pas même l’intrusion d’un oiseau géant ayant tenté de la tuer en l’emmenant au-dessus des arbres avant même qu’elle n’ait des ailes, ne saurait entacher le bonheur simple et revigorant qui s’emparait d’elle lorsqu’elle louvoyait entre ces troncs si singuliers.

Bien évidemment, elle n’était pas toujours seule. Même s’il était possible de se balader des heures durant dans le tableau unique des marais sans croiser la truffe d’un autre canidé, elle trouvait parfois la trace d’autres visiteurs.
De toute façon on n’était jamais vraiment seul au sein de ce paysage grouillant de vie en tous ses recoins.
Anita était capable d’échapper ici à toute rencontre si elle le souhaitait, empruntant chemins inconnus ou inaccessibles, savant se faire silencieuse ou se fondre à la perfection dans le décor. Mais la plupart du temps, elle n’avait aucune raison de le faire – et préférait même s’amuser à pister ceux qui pénétraient en sa vaste demeure luxuriante.
Ainsi n’avait-elle pas manqué de remarquer la présence de Saqqarah, bien qu’elle ne se soit pas dirigée jusqu’à lui. Elle-même ayant laissé trace audible de sa présence en ces lieux, elle s’attendit à ce que le mâle s’approche de lui-même.
Ce qu’il fit.

Elle lui sourit lorsqu’il émergea d’entre les arbres, s’amusant de son regard incrédule. Comme s’il avait vu un fantôme.

— Ravie de voir qu’il te reste tes quatre pattes à toi aussi, Saqqarah !

Elle lui adressa un clin d’œil amusé et laissa sa longue queue se balancer allègrement. Après tout, ce n’était pas le cas de tous ceux qui étaient venus se mêler à la bataille.

— Eh bien, comme Kiro a eu une belle part dans ma guérison rapide… Je ne pouvais manquer l’occasion d’aller le remercier en personne.

Chose faite, quelques jours auparavant.

— Et il est bon de profiter de l’air de nos terres avant de retourner là-bas.

Car là-bas elle retournerait bientôt, oui. Elle avait profité d’un moment d’accalmie et de sa remise en forme pour faire le voyage et apprécier une pause bien méritée loin du monde gelé, mais elle avait également hâte de reprendre la route pour aller participer à tout ce qu’il y avait à faire.
Et tout ce qu’elle avait envie de faire.
Ses yeux parcoururent le loup gris et tombèrent finalement sur une lueur jaune, discrète mais bien présente.

— Tiens ! Je ne te savais pas fils de Kiro ! Tu l’as passée quand, ton épreuve ?

Anita n’avait pas souvenir de l’avoir vu porteur de la couleur de l’Anaconda la dernière fois qu’elle l’avait aperçu, ce devait donc être plutôt récent.
Elle fit un pas en avant et tendit l’encolure, venant approcher son museau du glowstick pour mieux l’observer, balançant désormais sa queue à un rythme plus soutenu.

L’accompagner ?
Anita mit un instant avant de comprendre qu’il faisait référence à sa visite de Kiro.

— Oh, j’y suis déjà allée il y a quelques jours, en fait. Juste après mon retour. Mais on pourra quand même passer au temple, si tu veux, ça me dérange jamais d’y retourner !

La Moere aux Lianes et l’Arbre qui noueux qui se dressait en son sein catalysaient un ensemble dense d’émotions positives chez la louve. C’était chez elle, là où elle était née, là où elle avait joué et rigolé et murmuré milles histoires, là où elle ne faisait qu’un avec l’environnement, là où se trouvaient aussi son présent et son avenir. Avec le Dieu qui veillait sur elle depuis sa naissance et l’accompagnerait jusqu’à son dernier souffle. Elle en était convaincue.
En tant que future prêtresse, il n’en serait pas autrement.

Perdue tant dans ses réflexions que dans l’observation du glowstick, Anita ne remarqua pas que le loup gris se tortillait pour se soustraire à sa proximité et n’en prit conscience que lorsqu’il s’exprima. Un peu surprise, elle le fixa d’abord avec des yeux ronds, sans vraiment comprendre – puis la réalisation se fit.

— Hah ! Quoi, t’as peur que je te croque ?

La louve dévoila ses crocs sur un sourire railleur, claquant ses mâchoires tout près d’une mèche de cheveux en faisant mine de vouloir attraper son glowstick avant de s’éloigner d’un bond en arrière, concédant sa demande. Saqqarah était donc l’un de ces loups pas très à l’aise avec le contact, et elle en prit note dans un coin de s’en esprit pour tenter de s’en rappeler plus tard. Elle qui était si naturellement tactile en venait parfois à oublier que ce n’était pas une attitude commune à tous ses congénères, et bien qu’elle tâche de faire attention aux autres et d’être à leur écoute, c’était un détail qui avait la fâcheuse tendance de s’éclipser et d’être bousculé par son naturel extraverti.

Elle fit donc de son mieux pour se tenir à un grand pas de distance de Saqqarah, large sourire planté sur les babines et yeux pétillant grand ouverts. Son corps frémissait et ondulait tout entier, les muscles commençant à se tendre sous l’envie soudaine d’activité. Comme une pile chargée à bloc qui ne demandait qu’à relâcher un trop plein d’énergie.

— Tu disais que tu devais prouver que t’es digne de Kiro, c’est ça ? C’est à dire ? S’il t’a donné le glowstick c’est qu’il trouve que c’est bon, non ?

La louve pencha la tête sur le côté avec un peu d’exagération, mais réellement interrogative. Elle voulait tirer ce détail au clair avant de laisser se développer les quelques idées et envies qui commençaient à naître dans son esprit.