Apologize — Cendres

Au moins ici, il ne faisait plus froid.
Les peaux étaient demeurés dans un coin du Dédale, là où tous pouvaient les trouver, mais que nul ne prendrait. Leur utilité était remise en question maintenant qu’ils étaient de retour. Le vent soulève les poils épais de Lewis, alors que son attention se porte sur la chevalière à sa patte qui luit faiblement. Moins fort que la lumière des autres. Ceux qui en avaient des vraies. Mais c’était un début après tout, non ? Peut-être une nouvelle page qui se tourne, un moyen de rompre avec le passé. De rompre avec le sang empoisonné qui coule en ses veines.
De dire adieu à la traîtrise d’Angelica, aux mensonges d’Hypoxie. À Alys, dont le sang n’avait que trop coulé, dont-elle était le fruit de la rancune. À Siam, se frère qui cherchait désespérément sa voie, au point de se retrouver chez les pirates. Aux marins, pour lui avoir offert une malédiction et le chemin de la haine des autres. Oui. Le passé. Il était peut-être de le laisser derrière.

La patte de la sans-glowstick vient se glisser dans le capuchon pour en retirer une fiole dont le contenu était devenu marron après toutes ces années. Ce qui fut un présent de son père pour épargner sa vie. Desséché. Tout comme lui maintenant. La fiole tombe dans l’herbe dans un bruit sourd. C’était fini tout ça. Plus besoin de la conserver, dans l’espoir qu’un jour son père puisse la sauver. Il n’était plus. Comme tous les autres. Tous ceux qui avaient croisé sa route.

Lewis inspira, son regard fixé en contre-bas de la plaine.

Après les cauchemars.
Après le feu.
Après Alice.
Le voilà, encore.

Les prunelles mauves l'observe un instant, ce loup plus grand. Cet ami. Peut-être bien le seul. Peut-être bien plus. Lui qui avait eu le courage d’avouer des sentiments, là où elle avait toujours prit la fuite. L’avant du corps s’aplatit, alors que son regard ne trahit rien. Finalement, elle redresse la tête vers l’avant avant de foncer sur le Nakhus. Que sa tête s’enfonce dans ses côtes, avant de reculer.

« — Le froid t’a ramolli, Celui-qui-murmure-à-l’-oreille-des-bêtes ? »

Pure provocation.
Parce qu’elle le laissait amener le sujet sur le tapis en premier.
Ils seraient bien obligés d’y venir, de toutes les manières.
Ce sujet et tant d’autres.

Il encaisse. Comme d’habitude. Après tout, une peine de plus ou de moins, qu’importe ? Lewis se recule, l’avant de son corps incliné, alors qu’elle l’observe un instant. Lui pensait à jouer, probablement pour lui épargner les peines d’une autre discussion douloureuse.

« — Ne jouons pas aujourd’hui, ça te ferait mal. »

Parce que si elle lui avait enseigné les bases, Cendres était loin d’être un combattant. Loin de savoir comment maîtriser les jeux. Lewis avait tenté de ne pas maîtriser ses coups pour qu’il développe une certaine forme d’instinct de combattant… mais c’était encore bien timide. Le seul goût qu’il était parvenu à lui porter… cicatrice maintenant à la patte de la louve, comme témoignage de la première victoire de son ami.
Témoignage qu’il avait voulu absolument soigner, craignant les cicatrices là où Lewis n’en avait que faire. Ce n’étaient que de simples marques. Rien de plus. La sans-glowstick se redresse.

« — Cendres… » La louve hésite un bref instant, avant de poursuivre. « Ours-Rouge-Qui-Irradies-La-Force. Je pense le rejoindre. »

Les oreilles se couchent sur le crâne, appréhendant la réaction du loup blanc. Parce qu’il était peut-être le seul dont l’avis importait. Le seul qui n’était pas parti depuis tout ce temps.

Le seul à qui elle devait quelque chose, pour avoir rompu sa promesse.

Après ces discussions auprès des dieux, peut-être serait-il surprit. Mais comprendrait-il ce que cela voulait dire ? Que peut-être elle n’aurait plus le choix. Lewis constate le changement d’expression chez le loup blanc, penchant sa tête sur le côté. Allait-il pleurer ? Parce qu’il pensait qu’elle allait partir ?

« — Qu’est-ce qui te prend ? »

Sa réaction est étrange, après tout, ce n’était pas la fin du monde… si ? Étais-ce donc si terrible qu’elle change d’avis sur les dieux ? Qu’enfin peut-être, elle trouve ce qu’elle était venue chercher en quittant les readers ? Les babines frémissent, par frustration, parce qu’elle ne voulait plus voir les larmes couler. C’était bien pour cela que certains sentiments s’avéraient néfastes. Que la vérité était la plus terrible des armes… parce qu’elle engendrait plus de biens que de mal.
Qu’aurait-elle du faire alors ? Partir sans un mot ? L’abandonner ici sans même l’avertir de ses intentions ? C’était cela qu’il aurait souhaité, Cendres ? Les crocs se serrent, alors que les sourcils se froncent, parce que Lewis ne comprenait pas l’attitude du loup, ne comprenait pas la tristesse et la rage dans son regard.

Rhae…ghar… ?

Que venait-il faire dans toute cette histoire ? L’ami pour lequel elle n’usait plus de titre, mais qui parfois avait celui de… Ah. L’ours. Un rire monte chez la mauve, qui ne peut s’empêchait de trouver cela ridiculement amusant.
Elle aurait pu en user pour le blesser un peu plus, pour qu’il l’oublie définitivement. Mais c’était trop douloureux. Lewis ne supportait plus de lui faire de la peine, son absence lui faisait mal. Ne plus l’avoir à ses côtés ne faisait naître en elle que ce sentiment de vide.

« — Le froid t’aura ramolli la cervelle. »

Un sourire aux babines, elle lève sa patte ornée de la chevalière d’Aka qui lui faiblement de rouge.

Peut-être que maintenant comprendrait-il tout ?

Idiot de p’tit loup.

Même si il comprend, les larmes s’échappent quand même, se mêlant au rire. Avait-il réellement cru un instant, qu’elle le laisserait ici, lui, pour partir avec un autre ? Elle s’approche de lui, profitant qu’il soit légèrement incliné, pour poser sa tête sur sa tignasse colorée.
À sa remarque, Lewis conserve le silence un instant, paupières closes. N’y avait-il que cela en ce bas monde ? La confrontation entre les notions de biens et de mal ? N’existait-il pas simplement un entre-deux ? Équilibre, permettant la conciliation parfaite ?

« — Il n’y a pas toujours de bien ou de mal, des fois les choses sont justes ainsi, Cendres. »

Il ne fallait pas chercher plus loin. Le sentant se détendre, la pirate se recula, écoutant ses questions. Rejoindre les Etelkrus ? Hum… ça semblait un chouille plus compliqué que cela. De toutes les façons, Lewis ne pouvait se permettre telle fantaisie, pas après son passif de pirate qui avaient versé trop de sang, pas avec le sang d’Alys en ses veines qui les avait trahi. Les Etelkrus n’étaient pas là un foyer, ce n’était pas là-bas qu’était sa place. La mauve avait cette certitude au plus profond d’elle-même. Elle n’aspirait qu’à la couleur du Grizzly, le reste n’était qu’accessoire…

« — Non… Je ne suis pas faite pour rester dans un clan. Les pirates, les Nakhus… ce sont que des escales. Ma place n’est pas au sein d’une meute. »

Elle était trop dissipée pour cela. Les Nakhus, elle n’y demeurait pour le moment parce que l’essentiel de ses liens s’y trouvaient. Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan. La Dominatrice. Celui-qui-bu-mais-ne-se-releva-pas. Lion-Blanc-Qui-Trahit-L’-Océan. Et puis… il y avait lui.

Tu crois qu'ils m'accepteront aussi ?

Les oreilles se redressent.

« — Ils n’auront pas à le faire. »

Une courte pause, avant que Lewis ne reprennent la parole.

« — Les tiens, ta famille, c’est ici qu’ils sont. Je n’ai jamais partagé leurs valeurs, mais toi… Ma présence t’a détourné de la voix de la Corneille, peut-être que mon absence… » Elle marque de nouveau une pause, avec un sourire plus timide cette fois que les autres. « … te permettra de l’entendre à nouveau. »

Elle attend sa réaction, anticipe déjà son agacement, car ce n’était pas la première fois que ce sujet-ci, venait sur le tapis. Mais il n’était plus un enfant, et Lewis avait appris à grandir avec lui. À sa manière.

Une insulte. Cela suffisait à résumer parfois sa présence au sein des Nakhus. Eux qui prônaient paix et sagesse, quant-elle usait de la force et de la brutalité pour s’amuser. Eux qui vivaient dans une utopie, quant-elle préférait le chaos. Oui, sa présence chez les Nakhus laissait à désirer, car elle ne partageait par leurs valeurs, en aucun cas. Les Nakhus, elle jugeait leur côté pacifique, leur naïveté, eux qui voyaient la bonté partout, alors même que c’était une chose qui se faisait bien rare en ces terres.
Oui. Sa présence au sein des mauves n’avait peut-être plus lieu d’être… mais qui viendrait la chasser ?

Elle lui donne un coup de patte entre les oreilles, pour apaiser ses ardeurs de jeune loup.

« — Hé, calmes-toi donc. »

Oh au moins la respectait-il, la déesse, quand Lewis ne lui accordait aucune crédibilité.
Parce qu’elle ne l’avait jamais vu après toutes ses années, avait simplement entendu les rumeurs. Rien de concret.

Lewis trouvait cela presque triste, de le voir ainsi détaché de sa fille, alors même qu’il pouvait profiter de leur présence. La pirate aurait aimé, savoir qu’elle avait une famille sur qui compter, des parents aimant, une fratrie… au lieu de ça, elle ne pouvait que se contenter avec envie d’observer cette ce lien qui les unissait. Mais pour enterrer la tristesse qui commençait à monter, la louve sourit.

« — J’imagine que c’est le principe même de la liberté… Pouvoir se rendre où l’on veut, avec qui on veut. »

Comment pourrait-elle le retenir alors de ne pas la suivre ?

« — Et que feras-tu alors ? »

La louve se pose dans l'herbe.
Parce que la suivre ce n'était pas une occupation à plein temps...

Il en avait des projets p’tit loup, bien plus qu’elle. Toujours en tête son ambition d’acquérir un témoignage de chaque dieu. Combien lui en manquait-il maintenant ? Plus tant que ça, sauf si il comptait en plus de cela s’intéresser à eux, ces dieux maudits qui sillonnent l’océan et empoisonnent l’esprit des pirates. Non. Cendres ne devait pas les approcher ceux-là. Pour sa sécurité. Lewis ne lui permettrait pas, car il n’avait aucune idée de quoi ils étaient capables, à quel point leurs mots n’étaient que poison et malédiction.
Une malédiction qui avait condamné tout ceux nés ou ayant vécu sur Morne-Oeil. Les sourcils se plissent un instant chez la louve, alors qu’elle repense à cette question posée par Rhaegar. Tu comptes rester ici définitivement ? L’inquiétude dans sa voix. Les crocs de Mélu qui venaient déchirer sa chair afin d’ôter du sang le sel qui la brûlait. La malédiction lui avait été épargnée sans qu’elle n’ait besoin d’un médaillon, mais elle n’était pas la seule pirate…. Ajani. Avait-il accepter ce présent de Céto pour ne pas succomber ? S'était-il montré lâche face à la tentation, là où certain avaient payé le prix du sang pour que les pirates aient ce présent ?

« — Vivre ce n’est pas un problème. »

Exister en est un autre.
À sa question, Lewis réfléchit un instant. Que voudrait-elle faire à part acquérir le rouge d’Aka ? Taquiner les pirates ? Bafouer un peu plus les règles Nakhus ? Roh… non. Pour tout dire, elle n’y avait jamais réfléchit en détails, car cela lui semblait tellement incertain. Un sourire amusée vint étirer ses babines, oui, peut-être que cette réponse là n’était pas si mal.

« — Sillonner les routes à la recherche du plus terrible des adversaires. »

Jouer avec lui.
Comme avec tous ceux qui avait un minima de force.

« — … Ou faire un abécédaire de grenouilles ! »

La mauve rit, sachant pertinemment que les deux n’avaient absolument rien à voir.

Oh, il n’aimait vraiment pas lorsqu’elle disait vouloir plus fort. Les babines de Lewis s’étirent en un sourire, là était la différence entre eux deux. Lui n’aimait guère jouer, quand son coeur à elle, ne battait presque pour ça.

« — Gros, mais vraiment pas doué ! Et puis, ils sont tous venus pour jouer avec lui, ce n’était pas pareil… »

Oh, Lewis s’était attendue à ce que la seconde idée séduise davantage le loup blanc, bien moins dangereuses à ses yeux… Ce qui n’était pas tout à fait vrai. À la manière des chats, elle étire ses pattes avants.

« — La plupart des grenouilles sont dangereuses ici, ce serait un coup à ce que tu en manges une pendant ton sommeil ! »

Ce serait triste comme mort quand même…
Lewis se souvint qu’une mouette avait avalé Poe numéro douze avant de tomber, les deux pattes en l’air. Un tragique accident… La pirate avait dû jeter la dépouille de l’oiseau pour s’assurer que d’autres ne viennent pas s’empoisonner. La preuve même que si la petite bête ne mangeait pas la grosse, elle était capable de faire bien pire.
Il évoque le moment du départ, et la sans-glowstick glisse vers lui son regard.

« — Hum, pas de suite… Il y a des choses qui doivent se passer avant. »

Tout un processus… Un minimum.
Sinon, certains viendraient se plaindre de son non-respect des règles…

Ses crocs se referment doucement sur l’oreille du loup qu’elle tire doucement, alors qu’il se mettait à sa portée. La voix se fait moqueuse lorsqu’il parle d’entraînement.

« — Ou t’entraîner tout court… »

Parce que Cendres n’avait pas l’étoffe d’un combattant. Loin de là. Pourtant, il voulait quand même essayer. Un jour peut-être pourraient-ils jouer sérieusement ensembles.
Lorsqu’il n’aurait plus peur de lui faire mal.

« — T’as intérêt à courir vite alors, P’tit loup. »