Old friend — Cendres

La patte se pose sur la pierre gravée au nom de Piclou. Narcisse se demandait comment serait son grand-père si il avait vécu jusqu’ici, quelles histoires il raconterait aux enfants, quelles insultes il pourrait encore inventer (probablement de quoi faire frissonner les parents). Ce qu’il dirait en apprenant que les Nakhus avaient fermé leurs frontières… ou que d’autres avaient souhaité s’occuper des morts. La nostalgie de l’ancien temps. Il la ressentait Narcisse aussi, la nostalgie de cette époque où il lui suffisait d’obéir docilement sans trop réfléchir, où sa famille était encore unie… grand-père, mères et même… frère. Tout cela il les avait perdu, restant devant des tombes à se remémorer le passé.
La longue griffe vint racler la roche, traçant une plume. C’était ainsi qu’Anita l’avait symbolisé sur son tatouage, c’était ce qu’il était de par le Phénix. Une simple plume.

Mais avec moi, tu es bien plus que ça, Narcisse.

Il sent la chaleur du Phénix se répandre, se resserrer autour de son cou, comme une étreinte. Un soupir s’échappe de ses babines, avant qu’il ne tourne son regard vers une silhouette qu’il n’avait vu depuis longtemps. Bien avant son absence des terres Etelkrus. Le Nakhus venu demander des informations à Kiro. Qui avait demandé à Narcisse de se déguiser pour incarner un monstre des marais afin de divertir l’Anaconda… quelque chose qui avait plu au loup contre toute attente.
Car c’était là un jeu où l’on pouvait endosser n’importe quel rôle sans aucun jugement.
Où l’on pouvait être soi-même, sans que les autres n’en soient alarmés.

Les prunelles dorées fixent longuement le loup blanc, avant de finalement prendre la parole.

« — Joues-tu encore ? »

Comme lors de leur représentation devant Kiro.

Encore une épave face à lui. Après Mildred, après lui-même… tout le monde ne connaissait-il la perte à présent ? Le regard se pose sur la patte qui semble déranger le blanc. Pareille blessure aurait été un handicap considérable pour un Etelkrus, mais les Nakhus avaient un mode de vie plus… calme. Ils ne connaissaient pas le combat, parce que ce n’était pas dans leur nature. Pacifique au point de se faire détruire de l’intérieur par l’un de leurs invités.
C’était ridicule.
Le disciple de Kiro reporta son attention sur la tombe face à lui.

« — Qu’as-tu perdu ? »

Pouvait-on perdre absolument tout ? Cendres semblait le croire, faisant ressentir au fond de Narcisse de la compassion. Il ne connaissait pas si bien ce loup, ne l’avait croisé qu’une seule fois lors de sa visite chez Kiro. Pourtant sa présence lui avait paru forte agréable, pour un Nakhus. À l’époque il paraissait si joyeux… qu’est-ce qui pouvait changer autant un loup ?

« — Mes mères. »

Il marqua une pause avant de se redresser, se détournant de la tombe de son grand-père.

« — Où est sa tombe ? »

De celui que tu as perdu.

La question semble avoir un drôle d’effet sur Cendres. Le loup en question n’avait peut-être pas de tombe ? Narcisse regrette d’avoir posé cette question, il avait la même attitude que Mildred lorsqu’elle évoquait sa famille.
C’était…
Il sentit une bouffée de chaleur l’envahir, se sentant un peu dépassé. Gérer les émotions des autres, alors qu’il n’était même pas foutu de s’occuper des siennes…

« — Son nom ? »

Au moins ça. Peut-être que si il avait un nom il pourrait trouver la tombe…

Lewis. La mercenaire. Solitaire ayant prétendue au Glowstick d’Aka en échange de sa participation aux combats Etelkrus. C’était là, la seule vie possible pour ceux de l’extérieur souhaitant une couleur de la meute. Servir pour mourir ou repartir la queue entre les pattes.
C’était cela qui l’attendait si un jour il souhaitait quitter les Etelkrus.
Servir cette meute dont-il méprisait la plupart des membres.
C’était pour cela qu’il restait aussi.
Narcisse marcha entre les tombes, à la recherche du nom. Rien ici. Là non plus. Puis…

« — Là. »

La pierre tombale est petite comme l’était la mercenaire de son vivant. Narcisse releva la tête pour observer Cendres.

Tant de sentiments, ça éveille l’attention du Phénix. Lui qui voulait tant dévorer, y voyait là une opportunité. Cendres semblait si faible, si vulnérable. L’Etelkrus l’observait en silence, n’osant commenter ou tenter de le réconforter.
Il n’était pas doué pour ça.
Narcisse se revoyait des mois auparavant, aux côtés de Désastre affrontant la mort de Pepper. Lui ne parvenant à trouver les mots justes dans sa propre peine. Cela s’était réglé par un affrontement.
Mais avec un Nakhus ce n’était pas le genre de méthode qu’il pouvait se permettre. Il lève une patte doucement, avant de la poser sur l’épaule du loup.
Un contact c’était ce qu’il avait de mieux à lui offrir.